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Chapitre I. Les matrices historiques et spatiales de 1962 à nos jours

B. Les dynamiques locales actuelles: vers une privatisation du service?

IV. Conclusion :

Dans le bassin de Chicureo, les changements structurels de la société ont lieu à partir de 1969 lors de l’application de la réforme agraire par la création d’Asentamientos

de Reforma Agraria et la redistribution des terres aux inquilinos. Toutefois, ces

modifications de l’organisation sociale de la production n’ont pas bouleversé les pratiques sociales communautaires intimement liées à l’ancrage territorial des relations sociales dans un paysage rural traditionnel. Dans ce contexte, l’accès à l’eau pour consommation humaine et l’irrigation étaient garantis par la coopération des habitants au sein de territoires communautaires de l’eau qui ont donné naissance à une patrimonialisation de la ressource.

À partir des années 1990, le changement d’usage du sol dans la vallée de Chicureo, afin de construire des parcelles d’agrément et des condominiums, bouleverse les modes de vie des habitants originaires du bassin. L’installation de nouveaux habitants de classe aisée venus de Santiago introduit une économie de service et de commerce qui remplace la production agricole traditionnelle et transforme les paysages de la vallée. Elle donne lieu à une ségrégation socio-spatiale forte entre population originaire et nouveaux arrivants. Des territoires privés de l’eau se constituent pour répondre à la nouvelle demande en eau et se superposent aux territoires communautaires de l’eau existants. Ils mettent fin à la logique de patrimonialisation de l’eau et conduisent à un accroissement de la pression sur l’eau au niveau de l’aquifère. L’extension des réseaux des territoires privés et communautaires de l’eau par la mise en place des services d’assainissement dévoile une stratégie de captation de la clientèle des entreprises concessionnaires privées qui met en péril l’existence des comités d’eau potable rurale.

Depuis la sécheresse de 2014, une des plus grandes inquiétudes des dirigeants des comités d’eau potable du bassin de Chicureo est l’abaissement des miroirs d’eau des puits et l’insuffisance de leurs infrastructures pour accéder aux ressources souterraines. Cette inquiétude se fait également sentir chez les habitants des beaux quartiers. Souvent, le réchauffement climatique est présenté comme la principale cause de cette situation. Dans le prochain chapitre nous essaierons de comprendre les origines de la situation de sécheresse : sont-ce des raisons naturelles ou le résultat de l’activité humaine ? Dans quelle mesure le système de ségrégation socio-spatiale existant dans le bassin de

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Chicureo, lisible dans les différents territoires de gestion de l’eau, permet-il d’expliquer la situation de stresse hydrique, et les différentes expositions des populations face à celles-ci ? Enfin, dans quelle mesure une gouvernance commune est-elle possible pour faire face à un problème commun ?

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Chapitre III. Une gestion intégrée de l’eau est-elle possible pour faire

face à un problème environnemental commun?

La sécheresse est souvent présentée par l’ensemble des habitants interrogés comme un phénomène récent résultant du changement climatique. Pourtant Benjamin Vicuña Mackenna relatait déjà dans son œuvre De Valparaíso a Santiago (1877) que l’une des principales inquiétudes des agriculteurs de Colina était la sécheresse. Selon lui, rien ne servait de s’alarmer car historiquement Santiago avait connu des cycles naturels de sécheresse suivis de fortes pluies. Dans le bassin de Chicureo, à l’instar de ce que soulignait l’historien, les principales inquiétudes des habitants ont trait à l’affaissement des nappes phréatiques et, dans une bien moindre mesure, aux inondations. J’en avais été alerté, par des commentaires et des rumeurs, lors de ma précédente étude de terrain réalisée durant l’année 2013.

Sans remettre complètement en question les effets du réchauffement climatique sur la diminution des ressources hydriques, nous souhaitons comprendre, dans ce dernier chapitre, avec les données quantitatives et qualitatives dont nous disposons, les causes naturelles et anthropiques qui peuvent expliquer l’abaissement des nappes souterraines et les inondations, phénomènes perçus comme des effets du « dérèglement climatique» produit du réchauffement planétaire.

Dans un premier temps, nous essaierons de comprendre dans quelle mesure, le phénomène de sécheresse et les inondations relèvent de phénomènes naturels ou anthropiques. Après avoir constaté et expliqué le phénomène de surexploitation des eaux et déstructuration du paysage naturel, nous chercherons à comprendre, dans quelle mesure, la législation en vigueur et les soubassements sociaux existants dans le bassin permettent la formation d’une gestion intégrée de l’eau entre l’ensemble des usagers du bassin de Chicureo.

Dans ce chapitre, nous ferons appel aux sciences dures pour comprendre la formation des problèmes environnementaux. Rappelons que la vallée de Chicureo se situe sur les piedmonts andins ce qui façonne les conditions géomorphologiques des sols et le réseau hydrographique. Toutefois, si ces réalités physiques doivent être prises en compte, il nous semble également important de prendre en considération les rapports de force et de pouvoir existants entre les usagers de l’eau. C’est pourquoi dans cette

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partie nous utiliserons également les principaux apports de l’écologie politique. Nous emprunterons le concept de cycle « hydro social » de l’eau (Budds 2012) qui permet de dépasser la définition de la rareté hydrique en termes de disponibilité physique et de prendre en compte les relations sociales et rapports de pouvoir qui peuvent être à l’origine d’une construction sociale de la rareté.

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