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Chapitre I. Les matrices historiques et spatiales de 1962 à nos jours

A. Agriculture familiale, économie substantive et paysages ruraux

De 1969 à 1990, l’activité économique dominante dans le bassin était la production agricole familiale destinée au marché national. La rupture avec le système latifondiaire eut lieu en 1969 avec la parcellisation des terres mise en œuvre par la Corporación de Reforma Agraria (CORA). Avant cela, il existait dans la vallée de Chicureo six fundos111: le Fundo de los Hornos, le Fundo el Alba, le Fundo Chicureo, le Fundo Chamisero, le Fundo Valle Hermoso et le Fundo Huay-Huay.

Jose Fermin Vergara, ancien propriétaire terrien du Fundo de los Hornos, céda ses terres à l’État en échange d’une indemnité et d’une parcelle. La CORA y créa un

Asentamiento de Reforma Agraria112. Les terres sont redistribuées aux

anciens inquilinos en fonction de leur

ancienneté, du niveau

d’alphabétisation et du nombre d’enfants. Au sein de celui-ci, les agriculteurs devaient produire la terre collectivement et se redistribuer les gains.

Dans le Fundo el Alba, dès 1957, fut créée une coopérative agricole qui émanait de la volonté des agriculteurs organisés en agrupacion de campesino113 et transformée

en coopérative en 1962. Ceux-ci deviennent propriétaire des terres en 1969, ce qui scelle la fin définitive du système latifondiaire. On observe ainsi que l’organisation

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Le fundo constitue une exploitation agricole plus petite que l’hacienda dont l’organisation sociale de la production reposait sur le système latifondiaire.

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Le terme de « Asentamiento » est très significatif d’un point de vu territorial en ce qu’il renvoi à la redistribution des terres et la localisation des anciens inquilinos dans un endroit déterminé par la puissance publique.

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Traduction non-officielle: groupement de paysans

Image 6: Maison de l’acien Fundo Huay-Huay, Chicureo. Crédit: Chloé Nicolas-Artero

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sociale de la production en forme coopérative provient d’abord d’une initiative locale et n’émane pas uniquement des décisions politiques appliquées de manière unilatérale.

Un changement profond dans les formes de propriétés de la terre et de leurs productions a lieu dès la fin des années 1970 avec l’application du Décret avec force de Loi n°2.568 de 1979 qui inaugure la contre-réforme agraire (Santana 2006, Bengoa 1983). En application de cette loi, les terres - indissociable de l’eau- sont privatisées et distribuées aux agriculteurs à titre personnel. Alors que celle-ci s’applique dans un régime militaire autoritaire et répressif, cette mesure n’est pas perçue négativement par tous les habitants originaires de la vallée puisque pour certains, la production collective favorisait les comportements de passager clandestins114. De plus, la contre-réforme est parfois vécue comme une continuité du projet de formation d’Asentamientos de reforma

agraria :

«Pinochet entregó los títulos de dominio. Era el proyecto de la CORA…Pero como llego el golpe de estado eso quedo allí…entonces claro llegó Pinochet y se encontró con eso y los entregó po! Era un proyecto que venía de atrás! »115

En revanche, la privatisation des terres a mis fin à la coopérative agricole de l’ancien Fundo el Alba et les anciens membres se souviennent avec un sentiment d’amertume des premières années répressives de la dictature. Toutefois, des formes d’organisation collective entre les agriculteurs, notamment pour la commercialisation de la production, se sont maintenues et la coopérative fut reconstituée.116

D’une manière générale, dans la vallée de Chicureo le processus de réforme agraire puis de contre-réforme n’a pas modifié profondément les modes de vie des habitants. Les conditions de vie restaient difficiles même si les habitants interrogés soulignent que leurs ascendants (parents et grands-parents) maintenaient de bonne relation avec le propriétaire terrien. De fait, la commune de Colina est réputée pour être une zone très conservatrice dans laquelle les valeurs traditionnelles et catholiques sont prégnantes dans les mœurs (Municipalidad de Colina 1986).

114 Ce terme désigne en science économique ou en sociologie le comportement d’une personne qui obtient

un avantage créé par un groupe sans avoir investí d’effort au sein de ce groupe.

115 Source: entretien réalisé avec Teresa Sarmiento, présidente du Comité d’eau potable rural Las

Canteras, et Yerdecides Harbin Soto, président du Comité d’eau potable rural Hermanos Carrera (Avril 2015).

116 En 1978, le Décret Suprême n° 502 établit la Ley General de Cooperativas qui permet de créer de

nouveau ces organisations. Toutefois, selon la loi, elles ne constituent plus des organisations sans but lucratif.

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La privatisation des terres n’inaugure pas non plus de changements profonds avec la période précédente. Les mêmes formes de production, de réciprocité et d’échange façonnent le quotidien des habitants et caractérisent cette période. L’économie locale marchande reposait sur la vente des produits agricoles à Santiago et constituait la principale source de revenu des familles d’agriculteurs. Les habitants consommaient leurs récoltes, les produits de l’élevage, et les produits que leur offraient leurs voisins en partage.

« Y: -Muchas cosas había de todo! Zanahoria, zapallo italiano, melones! Los melones de acá ?

T: -Los mejores de Santiago!! Los tomates, yo recuerdo muy sabrosos! Pimentones, choclo, pepino de que cosas más rica !Todo ! Y lo bueno era que tu, pasabai por las parcelas y estaban, habían melones, tú te sentabai te comiai un melón y nadie decía na!

Y: -Yo tenía un vecino que le gustaba plantar pimentones. Yo iba con una canasta cuando estaban rojitos, me gustaba secar para el invierno, le iba con una canasta entraba en la parcela y me llevaba los pimentones y nadie te decía nada! »

«T: -Acá uno no comprobaba en antes verdura uno! El que tenía hacía el recorrido no más! Decía: Oye! El vecino de allá tiene unos tomates!

Y: -Claro, te decían al tiro: Oye llévate unos melones! Y listo! T: -Te silbaban: eeyy!!Los viejos te silbaban! Aaah??!

Y: -Si, po !

T: -Pasabai y te silvaban! Amiga!! Venga a comer meloncito!! Mi papa era así!.. »

«Y: - No po, yo me acuerdo, mire yo era chico y todavía me acuerdo! Me acuerdo que las lechugas, que el tomate era tomate que uno podía pelarlo, no cómo ahora es duro! Sino que uno lo pelaba y era sabroso! A la lechuga uno le sacaba el corazón no más !

T: -Si po! Uno se daba el gusto de comer lo mejor de las cosas!

Y: -Y la gente, el dueño, no le decía que no! Si no que, ni tampoco te decía te lo vendo!

Porque sabía que después nosotros acá teníamos otra cosa, y lógicamente... Igual uno… También le convidaba! »117

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Il existait un système de réciprocité informel à l’échelle locale pour la consommation de fruits et de légumes domestiques (Servet 2007, Polanyi 1944). Pendant de courtes périodes, en fonction des besoins du marché, certains agriculteurs cultivaient des produits destinés à l’exportation comme l’origan destiné à la fabrication de parfum. Toutefois, même si les agriculteurs consacraient de nombreux hectares pour la production d’un même produit cette forme de production n’était pas assimilable à la monoculture. En effet, les agriculteurs gardaient toujours des terres pour la consommation domestique et produisaient leurs propres semences. La conservation et reproduction des semences semblent être un point important qui différencie les modes de production agricole passés et actuels.

«Teresa : -Mi papi sembraba más zanahoria y más apio, era como lo que más sembraba él.

Moi : -Y las semillas las hacían ellos mismos?

T: -Si ellos mismos, si po !...El elegía la zanahoria, el sabía que zanahoria le servía para semilla, el plantaba así surco laaargos de zanahoria!! El nunca compró semillas ! No existía en ese tiempo el ir a comprar semillas ! El las cultivaba! Y el maíz igual po ! Le sacaba la punta el fondo y buscaba que fueran todo parejito y se fijaba y tenía una habilidad para saber cuáles eran las semilla que tenía que dejar ! El tomate igual ! El proceso de la semilla del tomate es medio cochino! Porque los tomates tiene que podrirse en unos tambores! Se echaban los tomates, les cogía los tomates esta semilla y ya! Adentro del tambor! Cuando se estaban se embalaban los tomates adentro del tambor eso se podría y allí se sacaban las semillas, todo el proceso y se lavaba se lavaban las semillas! Antes no existía las semillas transgénicas ni las semillas las híbridas! No existía! Inclusive mi marido ha ido conservando las semillas que eran de mi papa. Las ha ido plantando para ir conservando porque el sabor de las cosas es distinto!... Muy distinto!.. Si, muy distinto… »118

Au delà de l’indépendance économique qu’elles signifient pour l’agriculteur, elles renvoient à la pérennisation de la qualité gustative des fruits et légumes grâce aux connaissances et savoir-faire des agriculteurs. Les habitants interrogés soulignent les goûts et les odeurs qui, dans leurs souvenirs, sont directement liés à des lieux fréquentés.

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« T: -Todo lo que tiene que ver con estos sectores, dónde yo me crié pues dónde tuve mi infancia, si, mi ir y venir eran todos estos sectores po! De aquí a mi casa, de mi casa para acá.

Y: -Vamos a decir de partida ya hecha de menos uno.. yo hecho de menos ir a la siembra..

T: -Si po, ir a las chacras!...

Y:-La siembra dónde uno iba y estaba medio día allí…como…como niño…comiendo melones, comiendo tomates... eso ya los nietos de uno ya no lo van a ver

T: -Las ramadas! Y: -Las ramadas…

T: -De sentir ese olor a..a…rama de, las ramadas son unos techitos que hacían con ramas de álamo..y de sentir el olor… mi marido decía: qué me gustaría sentarme, debajo de una ramada a comerme un melón! »119

«Y: -El otro día fui a comprarle tomates a él po! Pero me di el gusto de sentarme a una orilla a la sombrita y yo le dije: “permiso” le dije yo: “Esto lo hechaba de menos hace mucho tiempo!”. Pesque un tomate madurito, así tono, pesque un tomate madurito así bonito, y le dije yo: “esto lo añoraba hace mucho” y ssshh y me lo comí igual que cabro chico! Asi con el juguito por aquí... (rires) Porque eran cosas bonitas! Es decir uno hecha de menos!

Y a las ramadas de los melones, a uno no le daban los melones mas chiquitos! Cogían unos melones, no grandes tampoco sino que se deformaban, sino los más bonitos! Porque porque las semillas la del melón bonito las aprovechaban, entonces uno comía puro bueno.

T: -Si claro, puro bueno de primera. No te comiai el rastrojo, que te comi hoy. Porque hoy todo lo que te venden acá en el mercado que es fruta o agricultura es puro rastrojo porque todo lo bueno se lo llevan para fuera, todo lo mejor! Se lo llevan ! Todo, todo ! » 120

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Source: entretien réalisé avec Teresa Sarmiento et Yerdecides Harbin Soto, habitant du secteur de Las Canteras (Avril 2015).

120 Source: entretien réalisé avec Teresa Sarmiento et Yerdecides Harbin Soto, habitant du secteur de Las

88 Le partage et la réciprocité entre les habitants du bassin de Chicureo traduit l’existence d’une économie substantive121 à l’échelle du

bassin (Polanyi 1944, Caillé 2007) qui se matérialise par l’occupation du

territoire et la fréquentation de lieux spécifiques par l’ensemble des habitants, qui définissent le paysage rural: les prêts, les collines122, les torrents, les allées de peuplier. Notons que les échanges « réciprocitaires » ne sont pas assimilables à un troc qui permettrait d’accéder à des produits spécifiques dans un contexte de division sociale du travail. Cet argument constitue selon les économistes libéraux la preuve de l’existence d’un homoeconomicus dans l’ensemble des sociétés humaines (Polanyi 1944, Caillé 2007). Le partage semblait plutôt relever d’une économie du don et contre-don pour maintenir des liens sociaux dans un contexte spatial où les habitants, sans les moyens de communications modernes actuels (transport, téléphone) et de part le travail des champs, vivaient à distance les uns des autres.

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