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Chapitre I. Les matrices historiques et spatiales de 1962 à nos jours

B. Une différenciation socio-spatiale dans l’accès aux ressources et l’exposition au

Si l’insuffisance en eau et les inondations peuvent être expliquées par des causes anthropiques ou naturelles, le degré d’influence relatif de ces deux facteurs est difficilement mesurable. Les inégalités des personnes face aux effets qu’elles provoquent sont plus évidentes et reproduisent la structure des ségrégations socio- spatiales locales.

L’abaissement du miroir d’eau n’affecte pas l’ensemble des habitants de manière égale. Les familles raccordées au réseau d’eau potable des entreprises concessionnaires sanitaires sont garanties d’avoir un service en continue. En effet, les entreprises concessionnaires sont obligées depuis la Ley General de Servicios Sanitarios d’assurer le service en eau potable aux résidents situés en zone urbaine en respectant les critères de qualité, quantité et continuité fixés par la Superintendencia de Servicios Sanitarios. Or, depuis la modification de Plan Régulateur Métropolitain en 1997, certains espaces du bassin de Chicureo font partie du sol urbain de la région. Ces zones coïncident avec les ZODUC où résident une partie des familles de classes aisées. Par ailleurs, les entreprises disposent de titres d’appropriation de l’eau constitués depuis les années 1990, alors que les lotissements n’étaient pas encore construits (Lukas & Fragkou 2004). De ce fait, elles n’ont pas à payer les titres de l’eau sur le marché qui s’élèvent actuellement à 1000UF167.

Si les habitants des territoires privés de l’eau qui ne sont pas raccordés au réseau des entreprises sanitaires ne disposent pas de cette garantie, ils possèdent le pouvoir d’achat suffisant pour agrandir la perforation des puits et d’acquérir de l’eau en bouteille. En effet, on constate que la construction de puits individuels par les habitants

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des secteurs populaires est moins importante que celle réalisée par les classes aisées. Par exemple, les habitants du secteur de las Canteras, situé en dehors de l’aquifère, ne possèdent pas de puits puisqu’ils ne pourraient atteindre la nappe souterraine. En ce sens, les habitants des parcelles d’agréments sont privilégiés. D’autre part, le prix du forage augmente en fonction de la profondeur du puits, s’élevant à 75.000 pesos168

par mètre creusé. Les familles possédant plus de revenus auront plus de facilités pour agrandir leur forage et se garantir un accès à la ressource. Ainsi, la surexploitation des nappes ne remet pas fondamentalement en cause l’accès à l’eau des familles aux revenus plus élevées. Cela n’est, en revanche, pas le cas des ménages membres des comités d’eau potable rurale. Le prix d’un litre d’eau en bouteille est 270 fois plus élevé que celui de l’eau distribuée par un comité d’eau potable169

.

L’accès à l’eau des membres des comités d’eau potable dépend directement de l’accès à la ressource en eau et du bon fonctionnement de leur système de gestion et de distribution. Néanmoins, comme le souligne Teresa : « de que nos sirve el comité si no

hay agua ?? », le plus important reste la ressource. Nous l’avons vu en introduction,

aucune loi n’encadre actuellement l’accès à l’eau potable en milieu rural, ni pour les formes de gestion et de distribution du service ni pour l’accès aux ressources. La régularisation de l’extraction des eaux des comités n’a été réalisée qu’en 2004, plus de vingt ans après leur création et la promulgation du code de l’eau de 1981170

. Une modification de l’article 5 du code de l’eau en 2004 a permis de faciliter la régularisation de l’extraction de l’eau souterraine que les comités d’eau potable utilisaient avant cette date. Avant cela, ils ne possédaient pas de droit d’appropriation des eaux et les dirigeants méconnaissaient l’existence du marché de l’eau.

Toutefois, l’octroi de titre d’appropriation ne constitue pas une garantie d’accès à la ressource. En effet, face à l’abaissement du niveau du miroir d’eau, le comité de Las Canteras cherche aujourd’hui à accroître la profondeur du puits. L’unique solution est de construire un nouveau puits sur une nouvelle parcelle. Or, si le comité dispose de moyens suffisants pour financer l’infrastructure le prix du terrain est inaccessible à

168 Ce qui représente au taux de change officiel du 5.6.2015: 105 euros. 169

5L d’eau coûtent 2500 pesos chiliens chez l’entreprise fournisseur contre 1mètre cube d’eau qui coûte 1800 pesos d’après la grille de tarification du comité d’eau potable de Las Canteras.

170 Cela explique également pourquoi nous ne disposons pas de données du niveau de miroir d’eau avant

cette date. Selon les dirigeants avant cette date l’accès et la protection des ressources n’étaient une inquiétude pour personne.

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cause de l’explosion du prix du marché foncier dans la vallée de Chicureo171

. La Subdirección de Agua Potable Rural peut le soutenir car elle n’est pas autorisée à financer ce type d’acquisition qui n’entre pas dans son champ de compétence. De plus, le statut des comités, régis par la Loi sur les Junta de Vecinos, leur empêche d’accéder au crédit bancaire, pour ce faire, le comité de Las Canteras devrait se transformer en coopérative, ce qui augmenterait les exigences et coûts de gestion du service. À défaut d’agrandir le puits, le comité pourra se retrouver dans la situation du comité de Hermanos Carrerra quelques années auparavant. Pendant plus de six mois les habitants de ce secteur ont du mettre en place un rationnement de l’eau et n’avait accès à l’eau que quelques heures par jour. La capacité d’extraction du puits était passée de 5 litres par seconde à 1,5 litre par seconde. Aujourd’hui, le comité dispose d’un nouveau puits à pompage et distribution de l’eau par pression électrique. En attendant d’investir dans un générateur électrique autonome, les dirigeants sont inquiets car une coupure de courant pourrait suspendre l’accès à l’eau.

Les dommages provoqués par les inondations n’affectent pas non plus les habitants de manière égale. Les secteurs inondables se situent, nous l’avons vu précédemment, dans le segment inférieur du bassin de Chicureo et les inondations s’expliquent en parti par la géomorphologie du territoire et les effets de l’urbanisation. Néanmoins, les inégalités entre les territoires de l’eau, et notamment dans l’accès à l’assainissement, expliquent la répétition des inondations dans des secteurs déterminés. En effet, nous l’avons vu précédemment, c’est pour garantir l’accès à l’assainissement des ménages des ZODUC que les cours d’eau ont été canalisés jusqu’aux usines de traitement après quoi les torrents retrouvent, ou plutôt cherchent, leur cours ce qui provoque des inondations (Astudillo 2007). Celles-ci ont systématiquement lieu dans le secteur d’habitation de Hermanos Carrera et de Las Canteras (cf. Carte n°7). Ce phénomène révèle l’existence d’inégalités environnementales définies par Cyria Emelianoff comme étant: « une inégalité d'exposition aux nuisances et aux risques environnementaux, et une inégalité d'accès aux aménités et ressources

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À titre d’exemple, il y a 25 ans le propriétaire du terrain où se situe la ZODUC de La reserva avait été proposé à la vente aux habitants pour y construire un cimetière pour 18 millions de pesos. Aujourd’hui un emplacement coûte environ 100 millions de pesos.

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environnementales. »172. Ce concept invite à croiser les inégalités socio-économiques et environnementales. Il nous permet de souligner que dans le bassin de Chicureo les inégalités environnementales sont « silencieuses » puisque les populations des secteurs affectés semblent avoir peu conscience des origines sociales des dommages environnementaux. Il exprime, d’autre part, la difficulté existante pour les populations locales et les fonctionnaires publics de croiser la question sociale et la question environnementale, mais surtout, la séparation, dans les représentations collectives, des interrelations existantes entre les eaux superficielles du bassin versant et les eaux souterraines de l’aquifère qui nous permettent de comprendre les enjeux actuels de l’eau à l’échelle du bassin versant de Chicureo.

172 Citation: Cyria Emelianoff, « La problématique des inégalités écologiques, un nouveau paysage

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La situation de sécheresse et les inondations procèdent de facteurs naturels et anthropiques renforcés par la structure des inégalités socio-spatiales présentent dans le bassin de Chicureo. Si l’aquifère du secteur de Chicureo a été déclaré zone de restriction par la Dirección General de Aguas, à plusieurs reprises, dès 1997 (Espinoza 2005), quel rôle a joué l’État pour empêcher d’arriver à une situation qui était prévisible? Que fait-il aujourd’hui ? Si l’ensemble des habitants du bassin est affecté, ceux-ci s’organisent-ils, de façon spontanée en une comunidad de agua, comme le voudrait le code de l’eau, pour limiter de manière collective la surexploitation? De plus, avec l’existence des inégalités révélées, existe-t-il des conflits de l’eau, qui puissent faire émerger des formes d’organisation et de gouvernance de la ressource à l’échelle du bassin versant?

II. Les freins politiques et sociaux à la mise en œuvre d’une gestion intégrée de l’eau.

La mise en œuvre d’une gestion intégrée des ressources, à partir du cadre légal et des volontés étatiques actuelles affichées, supposerait une gouvernance participative spontanée des usagers de l’eau et une action de l’État en matière de protection des ressources naturelles à l’échelle du bassin versant. Nous verrons dans une première partie que l’État propulse et légitime la ségrégation socio-spatiale existante causant la surexploitation des ressources, puis, qu’aucun dispositif de politique publique ne permet une protection des ressources naturelles à l’échelle du bassin, empêchant une gestion intégrée de celles-ci (1). Par ailleurs, la structure ségrégative entrave la constitution d’une coordination spontanée par les usagers de l’eau et l’absence de conflits de l’eau réduit les possibilités de formation d’une nouvelle gouvernance de l’eau qui pourrait reposer sur la patrimonialisation de la ressource (2).

1. Légitimation de la ségrégation socio-spatiale et faiblesse des politiques environnementales.

La conurbation de la vallée de Chicureo qui entraîne une ségrégation socio-spatiale, des inégalités d’accès à l’eau, et favorise la surexploitation de la ressource, a été construite et voulue par l’État (A). Face à la surexploitation de la ressource et les inondations,

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celui-ci ne dispose pas de prérogative de puissance publique pour mettre en place des politiques de protection de la ressource applicable à l’échelle du bassin de Chicureo (B).

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