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Chapitre I. Les matrices historiques et spatiales de 1962 à nos jours

A. Inégalités entre territoires de l’eau : explication de la surexploitation de la

bassin face à la sécheresse et aux inondations révèle l’existence d’inégalités écologiques qui se superposent aux inégalités socio-spatiales existantes (B).

A. Inégalités entre territoires de l’eau : explication de la surexploitation de la ressource.

La structure sociale inégalitaire de la vallée de Chicureo, lisible à travers les formes d’accès à l’eau potable et à l’assainissement, conduit à une surexploitation de la ressource des aquifères.

Les familles des beaux quartiers, faisant partie des territoires privés de l’eau, consomment en moyenne par mois trois à quatre fois plus d’eau que les familles des secteurs populaires. La différence entre les unes et les autres nous l’avons vu, s’explique

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par leur usage et consommation d’eau. Dans le bassin de Chicureo, depuis l’arrivée des acteurs transitionnels l’eau sert à entretenir les jardins, les golfs, à remplir des piscines et des lagunes. Pour répondre à la demande croissante, l’entreprise Aguas Manquehue a installé deux puits profonds permettant de produire 7.797.000 m³ d’eau par an, avec une

capacité de pompage de 120 m³ d’eau par seconde. Mais cette surconsommation a un prix. Les ménages raccordés aux réseaux d’Aguas Manquehue paient 900 pesos le litre d’eau, environ deux fois plus que le prix que paie un membre d’un comité d’eau potable rural163.

Afin de réduire leur facture d’eau, certains ménages des beaux quartiers construisent des puits pour les usages extérieurs (piscine, arrosage). Dans certains condominiums le règlement interne l’interdit, mais un gardien m’a confié que, de fait, cela était chose courante. Certains habitants interrogés ne transgressent pas la règle, en soulignant que cela est justement interdit. Ce sont généralement ces mêmes personnes qui m’expliquent que la seule manière de réduire la surconsommation d’eau est d’en augmenter le prix, en me signifiant, par là même, que pour elles la carence d’eau ne constituera jamais un problème car elles disposeront des capacités de paiement suffisantes pour en acquérir. Nous observons alors la formation d’inégalités latentes par le prix entre les familles des territoires privés raccordées aux réseaux des concessionnaires sanitaires privées. Elles permettent de distinguer les familles de classes très aisées, des classes moyennes ascendantes ou « nouveaux riches ». Ainsi, les familles très aisées savent qu’elles auront de toute évidence la capacité de payer le coût de leur consommation d’eau et ne la réduiront pas. Le fait que la consommation d’eau moyenne des clients d’Aguas Manquehue est augmentée entre l’année 2013 et 2014 malgré la tarification élevée, corrobore cette idée (cf. Tableau n°7). L’inquiétude, ou plutôt l’énervement, contre les prix excessifs provient des ménages « plus modestes » pour qui l’augmentation du prix de l’eau représente tout de même une charge importante :

« Camila : -Porque claro acá se creen que todos somos ricos pero no saben que estamos más endeudados que la mierda ! ». 164

Dans ce contexte, il est fort probable que les ménages dans cette situation financière finissent par construire un puits dans leur jardin, renforçant ainsi la surexploitation de la

163 Source: Rapport annuel de la Superintendance des Services Sanitaires, 2014. 164 Source: entretien de Camila, habitante de la ZODUC de Chamisero depuis 2006.

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nappe. Par ailleurs, les ménages non raccordés aux réseaux d’eau potable de l’entreprise Aguas Manquehue disposent de puits individuels dont il est impossible de connaître la capacité d’extraction. Toutefois, au vu de leur appartenance au territoire privé de l’eau et de leur usage de l’eau, il est probable que le niveau de consommation s’élève à celui des ménages raccordés aux réseaux de l’entreprise

Les inégalités entre territoires de l’eau se lisent également dans la qualité des canalisations et des infrastructures de pompage. Le diamètre des canalisations d’Aguas Manquehue et Sembcorp oscille entre 110mm, 160mm ou 200 mm et celui des comités d’eau potable entre 63mm, 65mm ou 100mm pour les canalisations plus récentes. La pression de l’eau est également plus forte chez les premiers d’autant plus que les comités d’eau potable font face à une augmentation des raccordements individuels avec des infrastructures vieillissantes et une pression provenant de l’hauteur des réservoirs d’eau165

.

Ces différences peuvent contribuer à expliquer les différents niveaux de consommation mensuelle moyenne entre territoires de l’eau. Toutefois, le niveau de facturation de l’eau d’un membre d’un comité d’eau potable ne révèle pas sa consommation d’eau réelle. En effet, l’accès à la modernité des ménages des secteurs originaires s’est notamment traduit par l’achat de produit électroménager, consommateurs d’eau. La plupart des habitants ruraux disposent aujourd’hui d’une machine à laver le linge et parfois d’une piscine166

. C’est pourquoi, pour répondre à leurs besoins croissants, les habitants construisent à leur tour des puits individuels dans leurs jardins. Par ailleurs, contrairement aux idées reçues, l’augmentation du prix de l’eau depuis la création des comités n’a pas contribué à réduire la consommation des ménages. Au contraire, les populations habituées à ne pas payer pour avoir accès à la ressource ont l’impression depuis qu’elles paient, que l’eau leur appartient et peuvent, par conséquent, en faire l’usage qu’elles souhaitent et la gaspiller. Il est à noter qu’en vertu du code de l’eau de 1981, si ces puits individuels sont destinés à l’irrigation du

165 La faible pression est souvent source de conflit au sein des comités. Il est à noter que parfois, le

comité distribue de l’eau aux ménages des parcelles d’agrément situées le long du réseau d’eau et ne se limite plus à garantir l’accès aux travailleurs du secteur agricole et d’élevage. Ce sont souvent ces familles qui se plaignent du « mauvais service » dû à la faible pression. Ce phénomène est d’autant plus fréquent que pour pouvoir construire sur les terrains, les nouveaux habitants doivent disposer d’un titre de « faisabilité technique » garantissant l’accès à la ressource

166 En 1992, 71,29% des ménages ruraux de la commune de Colina ne disposaient pas de lave-linge et en

2002 87,31% en disposent. En 1992, 67,33 des ménages n’avaient pas de douches et en 2002, 51,7% en ont une et 30% en possède entre 2 et 4. Source: Cepalstats, Censos 1992 et 2002.

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jardin, il n’est pas obligatoire de les déclarer ni de disposer de titre d’appropriation de l’eau. Par conséquent, il n’existe aucun moyen de mesurer l’extraction des eaux de l’aquifère par ces puits individuels.

TABLEAU 7. Présentation des principales caractéristiques des systèmes d’eau potable ruraux et des entreprises privés (2013).

Source : Élaboration propre, SISS (2014), Directive du comité Las Canteras.

TABLEAU 8. Production et perte d’eau en fonction du type de fournisseur (2014).

Source : Élaboration propre, SISS (2014), Comités Las Canteras.

Dans ce contexte, la construction de puits individuels s’est multipliée dans la vallée de Chicureo depuis les années 1990. Les premiers puits furent construits par l’État en 1984 et en 1987, pour répondre à une nécessité vitale des habitants de la vallée à travers les comités de Hermanos Carrera et de Las Canteras. On observe ensuite, un lien de corrélation et de causalité entre l’arrivée des acteurs transitionnels et l’augmentation de la construction de puits individuels. Notons qu’aujourd’hui, les agriculteurs et sociétés agricoles existantes, privées de l’accès aux eaux superficielles construisent également des puits pour l’irrigation des terres. Ainsi, la structure inégalitaire de l’espace social dans le bassin de Chicureo, lisible à travers les inégalités d’accès à l’eau entre les territoires privés et communautaire, conduisent à la

Facturation mensuelle par client (m3) Variation Consommation 2012-2013 Tarification Diamètre (mm) Eau Fixe Assainissement

Comité 20 – 25 20 8000 1500 - 63, 65, 100 40 17300 60 30300 Aguas Manquehue 102,4 1,5% 20 17343 1533 20 3174 110,160,200 40 33153 40 6348 60 48962 60 9522 Sembcorp 23 -0,5% 20 12511 20 1927 110,160,200 40 24298 40 3854 60 42909 60 5781 Production en milliers de m3 Facturation Pertes Souterraine Superficielle Totale

Comité 342 - 342 201 104499

Aguas Manquehue 7797 6312 14110 12510 11,3%

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surexploitation de la nappe par la prolifération de puits souterrains. Dès 1997, l’aquifère de Chicureo a été déclaré comme étant surexploité par la Dirección General de Aguas, seulement treize ans après la construction du premier puits. Si l’urbanisation et les inégalités entre territoires de l’eau conduisent aux inondations et à la surexploitation de l’eau, les conséquences de celles-ci touchent à des degrés différents les habitants de la vallée de Chicureo.

B. Une différenciation socio-spatiale dans l’accès aux ressources et l’exposition

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