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Chapitre V. Le français dans l’enseignement aujourd’hui

V. 2.1.1.3. Le manque de réalité professionnelle dans les domaines enseignés

Les manques de connexions et d’expériences professionnelles, constatés dans les domaines directement liés à la formation, constituent également une limite majeure du département.

Nous avons vu ci-dessus les commentaires de ceux qui sont directement impliqués dans l’enseignement secondaire du français et dans le tourisme, les deux domaines importants des formations professionnelles et professionnalisantes du Département de français de Hué. Pour ce qui est du domaine de la traduction, implicitement assimilé comme un secteur important de l'industrie des langues, l'évaluation générale n'est pas non plus très satisfaisante.

En fait, le marché pour les services de traduction à Hué connaît depuis toujours une faible demande, ce qui fait que les enseignants n’ont pas souvent l’occasion de se perfectionner par la pratique. Or, le métier de traducteur est un métier particulier et on ne peut être formateur, car un enseignant est par définition un formateur, que grâce à la pratique du métier. Un enseignant ne peut pas se présenter en classe pour dispenser un cours en disant simplement aux élèves que s’ils veulent être traducteurs, il faut faire telle ou telle chose. C'est une présentation trop schématique. Par contre, l’important est de montrer aux étudiants que pour traduire un texte, il faut suivre telles ou telles étapes de préparation ou comment étudier la lexicologie et les documents. Il faut leur apprendre comment s’en sortir face à un problème donné. Ou bien, dans le cas de l’interprétariat par exemple, les professeurs devraient apprendre aux étudiants la manière de rédiger aussi les documents, d’utiliser la terminologie adéquate, de faire des recherches dans le domaine dans lequel ils ont des textes à traduire, voire de contacter des experts du domaine pour leur demander des conseils. Bien entendu, ce ne sont que des recommandations. Mais pour transmettre ses connaissances aux étudiants, il est primordial d’avoir exercé le métier afin de puiser son savoir dans ses propres expériences professionnelles.

En réalité, il existe encore des départements de langues dans certaines écoles au Vietnam où l’enseignement de la traduction se fait de manière très traditionnelle et pédagogique. Une traduction comporte un texte initial à traduire et un texte final correspondant à la traduction réalisée. Sans savoir si le contenu du texte original a été correctement traduit, ou si le style du texte traduit est cohérent avec celui du document original, la correction consiste simplement à vérifier que la structure du texte traduit reste équivalente à l’original, que le volume global du texte traduit reste similaire au texte initial

en termes et de phrases et de mots et que le contenu soit complet. Cela signifie que le texte final traduit est considéré comme correct si la forme l’est. On ne se préoccupe pas du fond même si celui-ci ne correspond pas aux attentes.

Extrait 31

Ce que je peux dire dans le domaine de la traduction à Hué c’est qu’il n’y a qu’une ou deux personnes parmi les enseignants qui sont capables de travailler dans ce domaine et qui ont déjà eu l’occasion de travailler comme interprète, car il y a très peu d’opportunités de le faire.

Cela affecte beaucoup la qualité des services de traduction mais aussi la qualité de l’enseignement de la traduction. Dans tous les domaines, en particulier dans celui de la formation, il est nécessaire de faire acquérir aux étudiants des connaissances mais également des compétences de mise en pratique. Tout comme en français, il y a le savoir, le savoir-faire et le savoir être et c’est la combinaison de tous ces éléments qu’il est nécessaire de transmettre et non pas uniquement que le savoir.

Interviewé 41, M, 50, Vietnamien, professeur de français, traducteur, français-anglais (bilingue français-vietnamien)

Ainsi, non seulement les étudiants sont déconnectés des tendances sociales, mais également les formateurs sont dépassés. D’après un enquêté, il pourrait y avoir deux facteurs d’empêchement du bon fonctionnement de la formation. Le premier vient de la mentalité des enseignants qui se prétendent supérieurs aux autres et pour lesquels il n’est pas question d’aller suivre des cours donnés par d’autres professeurs. Le deuxième provient du manque de dynamisme, de disponibilité et d’initiative de la part des enseignants, ne leur permettant pas d’aller à la rencontre des recruteurs afin d’échanger et comprendre leurs besoins afin d’élaborer des programmes de formation vraiment adaptés aux véritables demandes du marché. Cela exige que les enseignants et les responsables des unités de formation aient des idées et osent les mettre en œuvre, qu’ils sachent accepter l’idée qu’être enseignant signifie étudier tout au long de sa vie, qu’ils soient à la fois enseignant et étudiant selon les contextes.

Le savoir n’étant pas inné, l’être humain passe sa vie à apprendre par lui-même ou auprès des autres, à leur demander des explications ou des conseils. Pour cette raison, les enseignants ne doivent pas hésiter à avoir recours aux employeurs ou aux experts, dans les domaines qui les concernent, pour en tirer toutes les connaissances provenant du terrain afin de bâtir des formations adéquates. Une fois ce problème psychologique et cet obstacle franchis, il sera alors temps de penser et réaliser les changements fondamentaux.

Alors comment surmonte-t-on ces complexes de manière concrète dans les autres départements de français ? A l’Université de Hanoi, la stratégie est de collaborer étroitement avec les entreprises en partageant avec ceux-ci des projets et en les invitant à donner des conseils pratiques dans le but de mieux les concrétiser. Voici leur message : « Nous comptons à l'avenir aller dans cette direction, mais que faut-il enseigner aux étudiants, d’après vous ? Que devons-nous faire pour atteindre notre objectif ? Faut-il nous former et comment ? Devons-nous nous immerger dans les entreprises pour observer et apprendre leur méthodologie ? Devons-nous suivre les délégations des entreprises pour en tirer les bénéfices ? ».

Extrait 32

Dans le domaine de la traduction, nous avons la chance que tous nos professeurs de traduction travaillent également en tant que traducteurs. Ces collègues exercent dans des conférences, des colloques et font des formations. Ils traduisent également des programmes de formation, des documents et des romans littéraires, ils sont tous expérimentés. Par conséquent, ces enseignants possèdent des expériences professionnelles du domaine de leur enseignement. Ils ont de plus des occasions de partager leurs expériences avec d’autres professionnels. Par exemple, nous organisons des conférences et invitons des interprètes professionnels - pas des professeurs -, des traducteurs professionnels, des éditeurs, etc., qui viennent présenter leur travail quotidien et les difficultés qu’ils rencontrent dans l’exercice de leur métier ainsi que les solutions apportées. C’est exactement ce que les enseignants doivent comprendre car, ces personnes travaillent plus que nous. Nous sommes « des professionnels à temps partiel », alors qu’elles sont de vrais professionnels qui se spécialisent dans un seul métier. Leurs expériences professionnelles sont certainement plus nombreuses que les nôtres dans ce domaine. Alors, quand ils viennent partager et expliquer les difficultés ainsi que les méthodes et solutions qu'ils mobilisent pour résoudre les difficultés et obstacles rencontrés, ces expériences sont extrêmement utiles pour nous. Nous enregistrons ces problèmes et les partageons avec nos étudiants pendant l’enseignement pour leur montrer comment les résoudre. Nous faisons cela à l'Université de Hanoi.

Interviewé 41, M, 50, Vietnamien, professeur de français, traducteur, français-anglais (bilingue français-vietnamien)

L’Université de Hanoi a réussi ainsi à tirer profit de toutes ces expériences pratiques pour modifier ou compléter l’enseignement dans le domaine du tourisme par exemple, en envoyant des enseignants accompagner en tant qu’observateurs les groupes de touristes étrangers pour étudier le travail des guides. Ces observations sur le terrain leur ont

beaucoup servi dans l’amélioration des pratiques de leurs activités professionnelles. Toutes ces actions ont permis de valoriser les formations en tourisme du Département de français de Hanoi, devenu un modèle pour les autres départements de français au Vietnam, à l’image des formations professionnalisantes de français langue étrangère.

Notre enquêté a pris des exemples de deux autres départements de français à Hanoi pour montrer comment et pourquoi ils ont réussi à modifier leur formation tandis que d’autres départements rencontrent encore des difficultés. Le Département de langue et de civilisation française de l’Université de langues et d’études internationales dispose également de deux enseignants qui ont travaillé en tant que guides touristiques. Ceux-ci ont des contacts réguliers avec des employés de l’industrie du tourisme et ils se reposent sur leurs expériences et leur observation pour construire le programme de formation.

Cependant, ils n’ont pas invité les entreprises à monter ensemble un programme de formation. Tout se base seulement sur la vision subjective de deux ou trois personnes qui travaillaient auparavant comme guides pour établir le programme. Il en est de même pour le domaine de la traduction dans lequel un ou deux enseignants, qui sont également traducteurs ou interprètes, développent des programmes en misant sur leur point de vue subjectif. Pour ce qui concerne le Département de français de l’Ecole Normale Supérieure de Hanoi, il n’existe presque aucune relation et échange avec les entreprises. Les enseignants exercent leur enseignement en classe de façon très traditionnelle comme à Hué où l’on n’éprouve pas le besoin d’échanger, de se cultiver en discutant avec d’autres enseignants ou bien de se mettre en relation avec des entreprises pour construire avec eux un programme.

Concernant les trois universités de langues à Hanoi, en comparant le nombre d’étudiants inscrits chaque année et les notes moyennes d’admission dans chaque département de français de chaque université, on s’aperçoit qu’il y a un grand écart entre ces trois établissements. Cette différence montre clairement comment la qualité de l'enseignement de tel ou tel département de formation influe sur les décisions des étudiants et la pertinence de la formation par rapport au marché du travail. En fait, les candidats sont aujourd’hui très bien informés par les anciens étudiants des écoles sur le programme de formation, sur l'environnement d'apprentissage, sur la qualité et l’image des enseignants, sur la compétence de ces derniers, sur le cadre de vie dans l’établissement, sur le programme de formation et son adaptation ou pas à l'environnement de travail, etc. Le message transmis par

le club des anciens étudiants sur le programme de formation représente un poids énorme dans les décisions d'inscription des étudiants non seulement dans les départements de français mais aussi dans tous les établissements de formation universitaire.