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Chapitre V. Le français dans l’enseignement aujourd’hui

V.1. Le français dans le primaire et le secondaire

V.1.3. Les problèmes

V.1.3.1. La qualification des enseignants

Si nous observons les enseignements et formations reçus par les enseignants de français du primaire et du secondaire à Hué après l’ouverture du pays, nous pouvons classer ces enseignants en 3 générations principales : ceux formés dans les années 1970, ceux formés après 1975 et jusqu’aux années 1990, enfin ceux formés de 1990 à aujourd'hui. Bien entendu, cette répartition chronologique n’est que relative, principalement à cause des différences entre les programmes de formation et le contexte social et éducatif : de nombreuses mutations socio-économiques et politiques ont entrainé des changements dans l’enseignement et la formation.

En termes de qualification, les enseignants de la première génération ont acquis un bagage linguistique relativement bon et égal, en raison de la qualité et de la cohérence de la formation dont ont bénéficié ces derniers, qui ont été principalement formés dans la région du Sud du pays pendant la guerre américaine. Le niveau en langue des lycéens était à l’époque très bon et ils ont appris seulement deux langues étrangères à l’école, de manière quasi obligatoire et alternative entre les deux langues enseignées au lycée ; si la langue principale était l'anglais, l’autre était le français et vice versa.

La deuxième génération jouissait toujours du bon programme de formation du régime du Sud. Après 1975, il y a eu des difficultés en termes de moyens matériels, de programme après l'unification du pays et de l’éducation nationale dont les décisions étaient

29 Cité par Vo Van Chuong dans le « Rapport final de l’enquête sociolinguistique sur l’enseignement du français au Vietnam » en 11/2015, cofinancée par l’OIF et l’Ambassade de France au Vietnam.

influencées par le régime du Nord écarté de l’Occident. Ces enseignants, ayant acquis une bonne base de connaissances linguistiques et de civilisations occidentales au lycée, dont la culture française, ont de plus été formés par une équipe de professeurs de français à l’université, qui eux-mêmes avaient été également formés dans le Vietnam du Sud, connu par la qualité de son enseignement. Ce sont ces enseignants bien formés de la deuxième génération qui sont devenus par la suite les enseignants principaux soigneusement sélectionnés pour les classes bilingues et qui ont bénéficié, une fois recrutés, de formations complémentaires continues soutenues par la France, la Belgique ou le Canada par le biais de l’AUPELF-UREF (devenue depuis 1998 Agence Universitaire de la Francophonie, AUF).

Concernant les enseignants de français de la génération actuelle, le problème se situe principalement dans les équipes en activité, avec les causes essentielles suivantes :

- Le niveau de sélection à l’entrée était faible et inégal pour les étudiants en didactique du français langue étrangère, les meilleurs élèves en français dans le secondaire n’ont pas choisi cette formation d’enseignement de français pour en faire un métier.

- Le manque de mises à jour et de connexions avec les écoles du système d'enseignement général, où est enseigné le français dans le programme de formation pédagogique à l'université, entraîne un écart de connaissance constaté sur le terrain aussi bien chez les professeurs de l’université que chez les nouveaux diplômés en didactique du FLE.

- Le retrait du programme des classes bilingues, jugés comme étant un bon succès de l’enseignement du français au primaire et au secondaire, a laissé un large fossé en matière de qualité. Ce retrait incluait le soutien professionnel des experts en programme et en accompagnement pédagogique (sous forme de formation complémentaire, d’observation corrective, de soutien en matériels et moyens pour l’enseignement ...), et notamment le soutien financier représenté par les salaires des enseignants avec un barème beaucoup plus élevé par rapport au salaire des autres matières.

- Le recrutement des enseignants manque parfois de rigueur car ce ne sont pas toujours les meilleurs étudiants qui sont recrutés, cette réalité existe dans presque tous les domaines de la société.

Extrait 16

Sur ce que j’ai pu observer par mes contacts personnels, en parlant de la qualité des enseignants de français actuels dans les écoles primaires et secondaires, il y a seulement quelques-uns qui sont compétents. Il y a des gens qui sont capables mais qui ne veulent pas améliorer leur compétence et leur expérience pour se développer davantage. Et il y a aussi des gens qui sont complètement incapables, ils sont entrés dans l’enseignement grâce aux relations personnelles ou par d’autres moyens, l’objectif est d’avoir un poste d’enseignant.

Interviewé 3, F, 40, Vietnamienne, tour manager, anglais-français (bilingue français-vietnamien) L’éloignement des réalités du terrain est vraiment un problème, surtout pour les professeurs de l’enseignement supérieur qui forment les enseignants du secondaire. On constate qu’il y a un manque d’interconnexion entre les deux systèmes. Or le secondaire devrait être le terrain d’écoute des enseignants du supérieur pour le retour d’expériences qu’ils pourraient utiliser pour mieux accompagner les collègues du secondaire. Ce n’était pas le cas des classes bilingues d’avant, d’après le ressenti d’une spécialiste de programme à l’époque de l’AUF et qui a eu l’occasion d’assister à des formations à Hué. Selon elle, il y avait tout de même des gens parfaitement honorables, tant au niveau des spécialistes formateurs qu’au niveau des enseignants.

Extrait 17

Les profs de l’enseignement supérieur forment les enseignants du secondaire mais ne connaissent pas le contexte du secondaire. Ils ont leurs idées et leurs préjugés sur le secondaire. Ils viennent former les enseignants du secondaire avec des préjugés sur le niveau de ces enseignants et des idées préconçues, ils ont une totale méconnaissance du milieu scolaire et les formations ne sont pas adaptées. Ils forment les enseignants comme ils forment les étudiants à la fac.

Interviewé 18, F, 54, Française, spécialiste en éducation, français-anglais (langue maternelle) En fait, on peut dire que l’enseignement au Vietnam, toutes disciplines confondues, est confronté à des problèmes majeurs comme la formation initiale insuffisante, l’absence de la formation continue, et les matériels éducatifs inadaptés, mettant ainsi le professeur dans une situation difficile. Ces problèmes ne sont pas spécifiques au Vietnam, ils se retrouvent aussi dans les pays voisins de l’Indochine et les impressions restituées par les enseignants sont toujours les mêmes.

Extrait 18

Quand on fait une formation pour le français LV2 pour le Vietnam, le Laos et le Cambodge, c’est pareil, sauf que le Vietnam est un peu plus avancé, il y a davantage d’universités. Le retour des enseignants c’est qu’ils sont confrontés à un matériel qui n’est pas adapté, une méthode de FLE occidentale, la progression pédagogique de la méthode ne correspond pas à celle du ministère (une séance de 45 minutes). Il faut décortiquer, si on veut que la méthode soit efficace.

Interviewé 18, F, 54, Française, spécialiste en éducation, français-anglais (langue maternelle) Ainsi, pour que la méthode soit efficace, il faut la repenser et proposer une progression pédagogique adéquate. C’est un travail ardu pour les professeurs du secondaire car ils n’ont jamais été formés à la faculté pour réaliser ces tâches. Aussi, il est compréhensible et normal qu’ils ne sachent pas réaliser une progression pédagogique, n’ayant pas reçu les formations nécessaires.