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Chapitre I. La francophonie au Vietnam

I.4. La renaissance

La relance francophone s’est déroulée dans un contexte que Montagnon (2004, p.342) a décrit de cette manière :

Au Vietnam, la jeune génération connaît mal ou ignore la France, partie depuis cinquante ans. La langue de Voltaire écartée pour des raisons politiques, l’anglais la supplante. Pourtant la pente se remonte. La métropole fait effort. Des filières francophones sont mises en place et reçoivent bon accueil. Il existe un « lycée français » Alexandre Yersin à Hanoi, ville où, en 1997, s’est tenu un Sommet de la Francophonie.

Celle-ci a progressé rapidement avec l'établissement des relations diplomatiques entre le Vietnam et la France, le développement des échanges culturels et économiques entre les deux pays, surtout après l'adoption de la politique de renouveau du Vietnam axée sur l'ouverture progressive de son économie aux mécanismes du marché et aux échanges extérieurs, et son adhésion à la francophonie institutionnelle - l’OIF. Avec la régionalisation (l’ASEAN) et la mondialisation, la Francophonie s’inscrit dans les trois volets de la politique étrangère vietnamienne sur tous les plans, celle-ci ayant comme objectif, selon les discours politiques courants, « de préserver et d’enrichir l'identité nationale en s'ouvrant aux cultures modernes et progressistes de tous les horizons ».

En poursuivant sur cette voie, la francophonie au Vietnam bénéficie d'un atout superbe qui est l'héritage laissé par l'acculturation du temps de la colonisation et qui a fructifié jusqu'à ce jour. Ce patrimoine culturel tout comme celui de l'acculturation sino-vietnamienne fait partie intégrante de sa culture nationale. La contribution de la langue française y est importante mais n'est pas pour autant déterminante. Ainsi, la mise à profit du capital, accumulé par plus d'un siècle d'acculturation mutuelle franco-vietnamienne, se révèle intéressante non seulement pour les partisans de la francophonie mais aussi pour le monde politique, compte tenu des opportunités qui attendent le Vietnam et son œuvre de développement au-delà des portes du grand foyer francophone.

I.4.1. Une pratique unifiée mais discutable

Pour bien positionner la francophonie au Vietnam, il faut bien reconnaître à la suite de Do Hiên (2011, p.40) que celle-ci n’a existé que pendant une courte période liée à la présence des Français et que la langue française était constamment pratiquée comme une langue étrangère dans un pays majoritairement vietnamophone :

Au plus fort de l’époque coloniale, les lettrés francophones n’ont d’ailleurs jamais représenté qu’une mince couche de la population sans commune mesure avec la situation linguistique que l’on connaissait sous d’autres longitudes. Ainsi, on comptait moins de 70.000 élèves (soit un dixième d’une population scolaire estimée à 700.000 élèves selon Philippe Devillers, Histoire du Vietnam de 1940 à 1952, 1952) suivant l’enseignement en français en 1942, dont seulement 1% suivait l’enseignement secondaire, et 75 lycéens réussissaient les épreuves du baccalauréat la même année (Pierre Brocheux et Daniel Hémery, Indochine, la colonisation ambiguë, 1858-1945, 1994). C’est dire que le Vietnam est avant tout un pays…vietnamophone.

Selon les estimations du Haut Conseil de la francophonie, le nombre de francophones au Vietnam était de 70.000 personnes en 1990, soit 0,1% de la population4. Ce nombre a fortement progressé dans les premières années qui ont fait suite au début du réengagement du pays dans la communauté francophone sous l’effet de la mise en place de projets bilatéraux (avec la France) et multilatéraux francophones au profit de la promotion de la langue française au Vietnam mais aussi en Asie du Sud-Est. En effet, grâce aux projets divers qui ont accompagné la mise à niveau de l’enseignement du français dans tout le pays, sa qualité s’est beaucoup améliorée, ce qui a fait également accroitre la position du français dans le système éducatif. Cela s’est effectivement traduit par un nombre croissant d’apprenants dans les différents programmes. Le nombre d’élèves apprenant le français du primaire au lycée dans tout le pays a presque doublé en 20 ans, de 63.253 en 1991 à 123.539 en 2011.

C’est dans ce contexte que les acteurs de la Francophonie, le Ministère de l’Education et de la Formation et ses homologues du Cambodge et du Laos ont lancé en 2006 un projet régional et multi-partenarial de valorisation du français en Asie du Sud-Est, appelé VALOFRASE.

Cependant, malgré ces efforts qui ont fait espérer une relance de la présence du français au Vietnam, « les effectifs d’élèves apprenant la langue de Molière enregistrent une forte baisse à partir de 2005-2006 alors qu’ils n’avaient cessé de croître depuis la relance de la francophonie au Vietnam : 153.706 apprenants en 2006, 81.270 en 2009. » (Do Hien, 2011, p.42). Si on se base sur les chiffres fournis par Hien Do, un total de 500.000 francophones réels et 350.000 francophones partiels (y compris les apprenants de français) sur une population d’environ 85 millions d’habitants en 2011, soit environ 0,6% de la population, n’est pas un indice prometteur pour un pays francophone. Plusieurs éléments montrent que l’environnement global actuel est défavorable à la promotion de la francophonie dans le pays. Sur le plan historique, le français n’y a jamais été une langue véhiculaire, surtout pendant la deuxième partie du XXe siècle où son enseignement a subi une longue éclipse comme nous l’avons évoqué ci-dessus. Dans le tableau des langues étrangères enseignées dans le système éducatif vietnamien, l’anglais est toujours en situation dominante avec 96% des apprenants ; le russe a pratiquement disparu et les langues régionales comme le chinois, le japonais et le coréen sont en situation de croissance.

Cela reflète pleinement la logique économique d’un Vietnam en forte croissance et désireux

4 https://www.senat.fr/rap/r97-001/r97-001.html

d’une intégration régionale et internationale. Les jeunes ont aujourd’hui tendance à se diriger vers les études qui leur permettront une insertion rapide et assurée dans le monde du travail ainsi qu’un espoir de progresser socialement.

Dans un contexte d’influences de plus en plus marquées par un environnement régional dominé par l’anglais, la place du français est plus que jamais menacée. Son image d’alternative culturelle ne sera confortée que s’il présente des opportunités tangibles aux apprenants sur le marché local de l’emploi comme l’affirme un slogan de l’AUF : « Le français-langue de réussite en Asie-Pacifique ». Or, en dépit des initiatives des acteurs concernés dont l’AUF et l’OIF, avec la création en 1996 à Hochiminh-ville et en 2000 à Hanoi d’un Département de l’emploi francophone afin de donner une impulsion aux motivations des apprenants, la chance de trouver un emploi à la hauteur des attentes ne concerne qu’un nombre limité de francophones diplômés. De plus, on constate une diminution progressive des jeunes francophones car dans les emplois disponibles, ils doivent soit utiliser le vietnamien seul, soit, et c’est le cas le plus fréquent, l’anglais.

I.4.2. L’engagement du Vietnam dans les instances francophones internationales

Pays francophone par héritage de l’histoire, même si les vrais francophones n’y font pas un usage quotidien de la langue française comme la plupart des francophones dans le monde

« naître et vivre aussi en français », le Vietnam dénombrait, selon l’OIF (2014), 623.200 francophones en 2014, soit 0,7 % du total de sa population de 89.029.000 habitants. Situé dans une zone géographique où la présence francophone est très faible en termes d’effectifs et de dynamisme, 2,6 millions de locuteurs dans toute l’Asie et l’Océanie (près de 1%) sur un total de 274 millions répartis sur les cinq continents, le pays possède malgré tout un potentiel pour développer une communauté importante de personnes ayant la langue française en partage, bien que des estimations montrent que la situation n’est pas très optimiste par rapport au passé, tant au niveau national qu’à l’échelle locale.

Bien entendu, la position du français dans le monde, mais aussi dans chaque pays où il est présent, ne peut se résumer simplement au seul décompte entièrement statistique des individus apprenant cette langue ou au nombre de ses locuteurs. « C’est notamment à travers le dynamisme de ses institutions et de ses acteurs politiques, de la créativité de ses milieux artistiques et scientifiques que l’espace francophone pourra conserver une reconnaissance mondiale ».

Avec sa politique de Doi Moi, le Vietnam s’est engagé positivement dans les structures multilatérales internationales dans le but de concrétiser sa politique : « Le Vietnam est prêt à devenir ami et partenaire fiable des pays de la communauté internationale, luttant pour la paix, l'indépendance et le développement »5. Cet engagement a été largement salué par bon nombre de pays, dont la France, un des premiers pays occidentaux qui lui a concrètement manifesté son soutien, aussi bien sur le plan diplomatique que sur celui de la coopération économique :

La politique de renouveau économique s'est accompagnée de la réintégration du Vietnam dans le réseau des relations régionales et internationales. Cette ouverture extérieure était d'autant moins dissociable du Doi Moi que l'évolution politique du bloc de l'Est, qui a eu pour conséquence l'interruption de l'aide économique importante qu'accordaient au Vietnam les pays d'Europe orientale, lui rendait plus nécessaire la

« normalisation » de sa politique étrangère et la recherche de nouveaux partenaires.6

D’une logique historique et politique, l’adhésion du Vietnam dans les instances francophones n'est pas prioritairement motivée par des considérations d'ordre culturel et linguistique mais se situe plutôt et avant tout « dans le droit fil de la volonté de diversification et d'équilibre des relations extérieures », comme l’a dit son Vice-Ministre des Affaires Etrangères, M. Tran Quang Co, lors de la journée internationale de la francophonie en 1996.

Bien entendu, quand il s’agit de choix politique, il y aura comme accompagnement des actions de concrétisation qui se traduisent par la participation du Vietnam dans différents opérateurs de la francophonie tels que l’OIF, AUF ou l’AIMF.

L'adhésion du Vietnam aux institutions de la francophonie, dont il soutient l'évolution vers une communauté économique, a été aussi une des manifestations de sa volonté de réinsertion dans la communauté internationale : le Vietnam a participé à tous les sommets francophones, il est membre à part entière, depuis le deuxième Sommet de Québec en 1987, de la Conférence des chefs d'Etat et de gouvernement ayant le français en partage.7

5 Rapport politique du VIIIe Comité central au IXe Congrès national du Parti

6 https://www.senat.fr/rap/r97-001/r97-001.html

7 https://www.senat.fr/rap/r97-001/r97-001.html

Ces adhésions diverses du Vietnam ont permis un engagement actif et fructueux de ses instances dans le réseau francophone pour devenir de plus en plus un des pays moteurs de la francophonie en Asie-Pacifique.

I.4.3. Le sommet de Hanoi, un tournant

Le Vietnam, pays francophone par colonisation, après des dizaines d'années de reconstruction et de développement d'après-guerre, se trouve d’ores et déjà dans une nouvelle phase de développement : celle du dialogue, de la coopération et d’une forte intégration internationale. Cette mutation profonde et significative se conjugue parfaitement avec sa politique en matière de coopération internationale : « Mettre constamment en œuvre une politique étrangère indépendante, autonome et ouverte, en multilatéralisant et diversifiant les relations internationales »8.

En effet, tout en menant une politique extérieure souple et dynamique, le pays a obtenu des résultats très encourageants dans son œuvre de développement et dans tous les domaines, ce qui participe à améliorer son image et sa position internationales. Au niveau de la Francophonie, dont il est membre fondateur, le pays a beaucoup contribué, par son implication très active au sein des instances francophones institutionnelles, au développement de la communauté en général et à l'envol du français au Vietnam et en Asie en particulier. Le succès du VIIe Sommet des chefs d'Etat et de gouvernement des pays ayant le français en partage à Hanoi en novembre 1997 en est un exemple convaincant.

En fait, la tenue du Sommet de Hanoi, un rendez-vous important pour la francophonie mondiale, a porté une signification particulière non seulement pour le Vietnam mais aussi pour l’Asie du Sud-Est. Cet événement reflète une affirmation définitive de la présence de la francophonie dans la région et de l’engagement intensif du Vietnam dans la vie mouvementée de la communauté.

Sur le plan des coopérations bilatérales avec la France, pays qui a joué un rôle particulier dans le retour du Vietnam sur le terrain francophone, c’est aussi une relance de la coopération culturelle entre les deux pays. Grâce à cet élan, il y a eu la mise en place de nombreuses structures et de projets pour le soutien à la diffusion de la langue française dans le pays. Le Sommet de Hanoi, largement médiatisé dans le pays et à l’international, a été une

8 Rapport politique du VIIIe Comité central au IXe Congrès national du Parti

bonne occasion pour valoriser les efforts mutuels de coopération des deux pays pour mieux faire connaître la France et la francophonie à l'ensemble de la population vietnamienne, en particulier la jeune génération qui sera le futur acteur de la francophonie nationale. De grands projets financés par la France et les opérateurs francophones tels que l’OIF, l’AIMF, l’AUF, etc., au profit de la francophonie nationale ont vu le jour aux alentours de ce sommet, sans compter l’appui logistique apporté par la France pour son organisation. On peut en citer : le Musée National d'Ethnographie et une librairie française et francophone à Hanoi, une école française internationale et la rénovation de l’Opéra, toujours à Hanoi, etc.

De même, plusieurs projets de coopération culturelle et linguistique ont été lancés et c’est autour du Sommet de Hanoi que les projets des classes de français intensif, des filières francophones universitaires, des bourses d’étude en France pour étudiants et enseignants, du journal télévisé en français de la télévision nationale, d’un journal en français « Le Courrier du Vietnam », etc., ont vu le jour ou étaient en préparation. Tout cela pour dire que le Sommet de Hanoi a été vraiment un tournant pour la francophonie au Vietnam dont les échos ont vibré encore pendant plusieurs années après et les résultats perdurent jusqu’à nos jours.

En conséquence des apports de la francophonie, le Vietnam joue depuis lors un rôle de plus en plus important dans la consolidation de la position de la communauté, comme l’a affirmé M. Hà Kim Ngoc, Vice-Ministre vietnamien des Affaires Etrangères, lors de la cérémonie d’inauguration des événements célébrant la Journée Internationale de la Francophonie à Hanoi le 17 mars 2017, en insistant sur le fait qu’en qualité de membre actif et responsable, «le Vietnam a participé à la mise en œuvre des stratégies, plans et programmes de coopération, apportant une contribution importante à la consolidation de la solidarité au sein de la Francophonie».9