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Chapitre IV. Pratiques et représentations du français à Hué dans le passé

IV.2. Enquête exploratoire sur l'usage du français au quotidien

IV.2.1. Le français vu par des locaux

Les 80 questionnaires ont été distribués en main propre ou par courrier aux personnes sélectionnées faisant partie des divers services de la ville et de la province ayant des activités liées au français et à la francophonie en général. Parmi ces 80 questionnaires, 64 ont été retournés, soit 80% du total. Ces 64 enquêtés, 31 hommes et 33 femmes, sont tous francophones et connaissent bien la situation de la francophonie locale. 79% d’entre eux ont entre 25 et 40 ans, 9,2% ont de 41 à 55 ans et 11,1% ont moins de 25 ans.

a) Au niveau des langues utilisées dans les services

En réponse à la question sur les langues les plus utilisées dans les services des enquêtés (anglais, français, japonais, chinois, russe, allemand, autres), parmi les 64 questionnaires reçus, 61 ont rempli cette rubrique. Ainsi, dans l'ordre d'importance décroissante, l'anglais est la première langue utilisée dans les services (40/61 questionnaires, soit 66%), vient ensuite le français (21/61 questionnaires, soit 34%). Pour les langues qui restent dont le russe, l'allemand, le japonais et le chinois, aucune n'a été choisie comme première ou deuxième langue. Elles ne sont classées que dans l'ordre de langue de troisième importance, après l'anglais et le français.

Ordre Langue de première

importance Fréquence/pourcentage Nombre de choix sur 61 questionnaires

1 Anglais 40/61 soit 66% 54

2 Français 21/61 soit 34% 56

3 Russe 17

4 Allemande 19

5 Japonais 23

6 Chinois 17

Tableau 1 : Langues utilisées dans les services de la ville de Hué, dans les 61 réponses reçues.

Malgré sa position de première langue utilisée, l'anglais est quand même dépassé par le français, au niveau du nombre de choix en général et, dans certains établissements, le français reste la seule langue utilisée comme langue de travail. C'était, en fait, le cas du Centre de Français de Hué, des bibliothèques et salles de lecture francophones, etc.

Pour les quatre langues restantes, leur position au sein des institutions locales est tout à fait explicable. Pour le russe, c'est la langue qui a été très encouragée au niveau national, un grand nombre de cadres et d'intellectuels vietnamiens ayant été formés en ex-Union soviétique.

Concernant l’allemand et le japonais, l'Allemagne et le Japon figurent parmi les premiers pays qui octroient, au niveau national, des crédits importants et des subventions sous forme d'APD (Aides Pour le Développement) et qui ont réalisé de grands projets à Hué et Thua Thien-Hué. L'intérêt pour leur langue est, dans une certaine mesure, tout à fait compréhensible. Quoique modeste dans cette classification, la langue de notre voisin chinois reste aussi importante, compte tenu de la dimension culturelle et économique des influences de ce pays dans le monde.

Dans le contexte actuel de développement des relations et coopérations extérieures du Vietnam en général et de Hué en particulier, il ne serait pas exagéré de dire que la deuxième position du français dans la ville n'est pas mise en danger par ces quatre langues.

Son essor est ainsi possible.

b) Au niveau du rôle du français

Répondant à la question concernant la nécessité du français dans leurs activités quotidiennes (« Comment estimez-vous la nécessité du français pour vous-même ? »), les enquêtés ont bien témoigné d'une variété de besoins en cette langue. D'après eux, le français leur est indispensable dans :

- la consultation de documents : 61 % - les contacts avec les étrangers : 61 % - les travaux liés au français : 59 % - les distractions : 42 %

- d'autres activités: 19 %

Quelle que soit la finalité de l'utilisation de cette langue, tous les enquêtés ont donné des réponses positives quant à sa nécessité. En effet, 45/61 personnes ayant répondu (74 %) affirment que le français est très indispensable pour eux. Les 16 réponses restantes déclarent que la langue leur est assez nécessaire ; il n’y a pas eu de réponses négatives. Cela nous montre que les besoins d’utilisation de cette langue sont grands dans la ville, ce qui s'explique de plus par le pourcentage important d'employés utilisant cette langue dans les établissements. Ainsi, on peut dire que bien qu'il ne soit pas largement utilisé comme l'anglais, « langue de l'utilitarisme » (au sens de son utilisation vulgarisée dans presque tous les services et secteurs), le français est devenu de plus en plus indispensable à Hué. C'est vraiment un grand point positif pour cette langue et un bon signe pour le développement de la francophonie locale.

En effet, selon les réponses des enquêtés (« Selon vous, à l’heure actuelle, combien de vos collègues parlent français ? »), le nombre de francophones dans les services de la ville est très important. Il représente, dans bien des cas, la majorité du personnel d'un bureau ou établissement, comme le cas du Service de Pédiatrie de l’Hôpital Central de Hué où il y a entre 30 et 35 médecins francophones selon un enquêté.

c) Au niveau des domaines de cooperation

En faisant la synthèse des réponses aux questionnaires concernant les partenaires français et francophones des services locaux (« Citez le nom des partenaires français ou francophones, s’il y en a, avec lesquels votre service entretient des partenariats »), nous pouvons établir les six domaines principaux de coopération suivants :

- Actions culturelles : UNESCO, CODEV, Rhône Poulenc, Musée d'Archéologie de Marseille, AUF, etc.

- Actions sociales et humanitaires : Bretagne-Vietnam, Association des Amis de Hué, AEVN, Ville de Rennes, CODEV, etc.

- Santé : Université Paris VI, A.D.S, ADM, les centres hospitaliers et hôpitaux en France et en Belgique, etc.

- Urbanisme - Environnement : SODRAEF, la Fédération Canadienne des Municipalités, Nord-Pas-de-Calais, etc.

- Tourisme : Poitou-Charentes, Nord-Pas-de-Calais.

- Formation universitaire : Université de Lille, Université de Rouen, École d'Architecture de Versailles, etc.

D'un autre côté, les coopérations avec les ambassades de France, de Belgique, de Suisse, du Canada représentent également une grande part dans les programmes de coopérations des services. Cela nous permet d'affirmer que les relations et coopérations francophones locales sont très variées tant concernant les formes que les domaines d'action. Elles s’accordent parfaitement aux avis des enquêtés à propos des secteurs dans lesquels le français pourrait jouer un rôle important pour le développement (« D’après vous, quels sont les domaines à la ville de Hué dans lesquels le français pourrait jouer un rôle important pour le développement » ?), représentés dans le graphique suivant :

Graphique 1 : Les domaines dans lesquels le français pourrait jouer un rôle important pour le développement à Hué

Selon les estimations des enquêtés, le tourisme et la santé restent les premiers

« foyers » pour le français, viennent ensuite l'éducation, la culture et l'environnement. Ces avis sont entièrement logiques si nous les mettons en rapport avec la réalité des coopérations de la ville et de la province dont les domaines privilégiés ainsi que l'importance accordée à chacun des domaines sont presque les mêmes.

A travers ces coopérations, des possibilités de formations et de stages linguistiques ou professionnels dans un milieu francophone à l'étranger ont été ouvertes, à savoir que parmi ces 64 enquêtés, 26 (soit 41%) ont été en France pour des stages ou formations qui ont duré de deux semaines à deux ans. La possibilité de renouvellement de ces activités est aussi réelle car il y a des gens qui sont partis en France deux ou trois fois, voire cinq fois. La plupart des opinions à propos de l'efficacité de ces stages et formations sont positives.

En ce qui concerne la qualité de l'enseignement/apprentissage du français et son usage à Hué, les écarts restent encore grands. Le graphique 2 reflète ces écarts prononcés par les enquêtés sur la qualité de l'enseignement/apprentissage et l’usage du français à Hué, en réponse aux deux questions « Comment estimez-vous la qualité de l’enseignement du français à Hué ? » et « Comment estimez-vous le niveau de l’usage du français à Hué ? ». En effet, si la plupart des opinions favorisent la qualité de l'enseignement/apprentissage, son usage courant dans le quotidien reste insuffisant.

Enseignement/apprentissage du français Usage du français

Graphique 2 : Les écarts entre la qualité de l'enseignement/apprentissage et l’usage du français à Hué

En regardant les deux schémas ci-dessus, on peut remarquer que la pratique du français dans les milieux sociaux de la ville n'est pas à la hauteur de son enseignement. En fait, si dans le domaine de l'enseignement/apprentissage, les opinions défavorables ne représentent que 14% du total, celles-ci sont plus élevées concernant l'usage (41%). De même, les réponses positives sur l’enseignement/apprentissage (86%) sont bien supérieures à l’usage (59%).

Ces résultats mitigés nous sont pourtant très utiles pour remettre en question sérieusement la réalité de la promotion du français dans la ville car nous ne pouvons pas parler d'un vrai développement lorsque la mise en valeur de ce qui est appris, c'est-à-dire l'enseignement, n'est pas constatée sur le terrain. C'est un vrai obstacle qu'il faut lever afin de donner au français une place méritoire dans la ville. Pour cela, il faut avoir des orientations et interventions appropriées tant sur l'enseignement que sur la création des débouchés.

d) Au niveau de l'appui des services à l'apprentissage du français

Les services ont encouragé leur personnel dans l'amélioration de leur capacité linguistique, par le biais :

- de la facilitation des participations aux activités professionnelles utilisant le français: 55%

- des soutiens à l'apprentissage du français: 48%

- de l'appui en documents professionnels en français: 44%

- des stages de formation en France ou dans un pays francophone: 36%

- autres (rencontres et échanges avec les partenaires étrangers, cours de télé-enseignement, etc.): 13%

Ces formes d'appui et d'encouragement, bien qu’assez modestes, restent très importantes pour les francophones actifs locaux car elles consistent non seulement à leur fournir une base théorique en linguistique mais aussi à leur offrir l'occasion de perfectionner leur niveau de langue, en participant à des activités professionnelles francophones très variées. Ce sont des mesures indispensables, surtout dans le cas de Hué où les conditions matérielles pour le développement du français restent encore très limitées. Elles servent, en fait, à rapprocher davantage l'aspect théorique, c'est-à-dire l'enseignement/apprentissage, à la pratique de ce que l'on a appris. L'aspect pratique qui est généralement très important a été consciencieusement pris en compte, c'est aussi un bon signe.

Grâce à l'appui des dispositifs francophones et des services locaux, les difficultés que rencontrent les francophones, sur le plan des moyens de pratiquer la langue, semblent plus ou moins effacées. L'écart entre les avantages et les difficultés n'est plus très grand et reste très relatif.

En effet, si l'on fait une comparaison avec la situation des années 1990, on trouve que les francophones de nos jours bénéficient de beaucoup d'avantages sur le plan de la documentation et de l'accès aux moyens et formes de distraction via le français. Ces avantages résultent d'une part de l'évolution économique et sociale du pays et de la région et d'autre part du renforcement croissant des échanges dans le domaine de la francophonie.

Des expositions de bandes dessinées françaises et européennes, des séances de projection de films français, des échanges musicaux ayant eu lieu dans la ville ces derniers temps en sont un bon exemple.

Or, la société est en constante évolution. Ce qui était encore nouveau hier n'est peut-être plus pratique aujourd'hui. Pour beaucoup de gens, le fait de voir un film français chaque semaine au Centre de Français est déjà quelque chose de très significatif mais, pour d'autres, leurs attentes sont probablement beaucoup plus importantes : des causeries sur le cinéma francophone, sur les nouvelles technologies de la France, par exemple. C'est dans ce contexte qu'il faut plus que jamais un grand effort de la société dans la mobilisation des ressources locales afin de pouvoir s'adapter à ces changements.

AVANTAGES DIFFICULTÉS

Plusieurs moyens d'appui (TV, radio, films en 42 % Manque de moyens d'appui 42 % français, etc.)

Plusieurs documents en français 64 % Difficulté pour accéder aux documents en 9 % français

Occasions de pratiquer la langue avec les 44 % Manque d'occasions de pratique de la langue 36 %

natifs avec les natifs

Autres (Internet en français, beaucoup de 9 % Autres (manque d'emplois pour les 11 % centres de langues étrangères, etc.) francophones, de formations approfondies

en français et en français de spécialité, etc.)

Tableau 2 : Les avantages et difficultés rencontrés lors de l’apprentissage et de la pratique du français à Hué

Mais comment concrétiser ces efforts, autrement dit promouvoir la francophonie à Hué ? Le schéma suivant représente les réponses des personnes sondées. D'après ceux-ci, afin de pouvoir développer l'enseignement/apprentissage et l'usage du français à Hué, il faut :

- Renforcer les coopérations avec la France : 64%

- Avoir des mesures d'encouragement pour l'apprentissage du français : 84%

- Renforcer les activités liées au français : 67%

- Autres activités : 11%

Graphique 3 : Les conditions indispensables pour le développement du français à Hué

La plus grande importance donnée aux mesures d'encouragement pour l'apprentissage du français nous montre combien l'intérêt social pour cette activité fait défaut. En effet, dans tous les niveaux et toutes les formes d'enseignement du français, à part les cours gratuits et bourses d'études d’un montant plutôt symbolique qui ne sont pas toujours disponibles pour les élèves et étudiants, il manque encore de vrais motifs d'encouragement. Or, la motivation est parfois très simple à susciter, selon ce qui a été suggéré par des enquêtés dans les questionnaires retournés (« D’après vous, quelles sont des mesures à entreprendre ou des conditions indispensables à posséder pour le développement du français à Hué ? ») : des rencontres et échanges réguliers avec les francophones étrangers, l'accès facile aux documents portant sur différents domaines de la vie et la culture françaises, par exemple. Pour cela et d’après eux, il faut renforcer davantage les relations de coopération avec la France qui sont depuis longtemps tissées ainsi que les activités fortement liées au français.

En ce qui concerne les types de culture, d'art et de distraction qui sont les plus efficaces pour vulgariser le français à Hué, les avis sont les suivants :

- Les films : 53%

- Les journaux et imprimés : 67%

- Le théâtre : 11%

- Les documents scientifiques : 39%

- Autres (expositions, internet, musique, etc.) : 14%

On peut y trouver en premier lieu les journaux et imprimés, viennent ensuite les films et documents scientifiques. Ce sont, en fait, des moyens toujours efficaces et indispensables pour la promotion d'une langue, pas uniquement le français, dans une ville comme Hué, ville culturelle et universitaire.