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Nous voici maintenant rendu à une autre étape, alors que nous explorerons au cours des prochains chapitres les diverses facettes de notre proposition théorique initiale, à partir des évenements marquants entourant l’évolution des relations diplomatiques de la Chine face à l’Angleterre et la Russie aux XVIIe – XVIIIe siècles, plus spécifiquement en lien

avec l’ambassade Macartney et les Traités de Nerchinsk et de Kiaktha. La première modalité de l’actualisation frontalière que nous avons choisi pour amorcer cette troisième partie touche à ce que nous appelons la manière ; celle-ci implique toutes les questions entourant le « comment s’y prendre » pour que l’idée puisse prendre forme dans le réel. Afin d’être en mesure d’actualiser une représentation frontalière, le pouvoir politique doit laisser sa trace, une empreinte servant à contrôler l’espace en marquant l’imaginaire, le territoire, les lieux et les distances de manière durable. Ce faisant, le pouvoir politique doit aussi constamment porter une attention soutenue aux impressions suscitées par la manière dont s’exerce ce contrôle. On le sait, les entités politiques ont toujours reconnu « l’utilité pratique de l’analyse de l’espace » 1. Pour se manifester concrètement et mettre en scène les représentations du pouvoir en tenant compte des diverses distances, la compréhension de l’espace se mesure en termes de planification d’un effort logistique (coûts liés aux déplacements, hébergement, approvisionnement) permettant de confirmer l’occupation territoriale. Ce chapitre nous permet donc de commencer à transposer les éléments de notre proposition théorique à partir des coulisses de l’ambassade Macartney, afin de mieux comprendre la manière dont les attitudes à l’égard de l’étranger se fondent et s’énoncent, au quotidien de la rencontre.

Comme nous le verrons, l’évolution des attitudes à l’égard de l’Angleterre et de la Russie est intimement liée à la mise en œuvre et au succès des diverses considérations logistiques. Toute frontière étant d’abord une idée, une représentation symbolique qui nécessite une incarnation dans la pratique et le réel, le concept de logistique demeure tout à fait approprié puisqu’il permet d’illustrer cette dynamique en soulignant les interrogations

qui touchent à la manière dont il faut s’y prendre pour y parvenir. Par ailleurs, pour ce qui est de l’ambassade de 1793, nous savons que l’actualisation de la représentation frontalière doit se lire selon deux plans complémentaires. D’une part, on assiste à une mise en signification de la distance en mode centripète, soit de la périphérie vers le centre, entraînant un coût logistique important lié à l’encadrement de la suite ambassadoriale. D’autre part, on retrouve ce qu’on pourrait appeler une obsession pour l’apparence, alors qu’on veut s’assurer que les populations impliquées – tant celles de l’intérieur que celles de l’extérieur – aient vu ce qu’on voulait leur montrer de la distance et des limites nécessaires, sans plus sans moins. Le titre choisi pour ce chapitre témoigne justement de l’interaction de ces deux plans complémentaires que le pouvoir cherche à gérer et à contrôler simultanément, à partir de moyens matériels et en jouant sur les perceptions, selon l’évolution contingente de la rencontre.

Logistique centripète et logistique centrifuge

L’actualisation des frontières entraîne toujours un coût logistique qui peut se traduire, dans le langage des relations diplomatiques, d’abord par l’entretien des suites ambassadoriales et la gestion du séjour des étrangers à l’intérieur des limites du pays. C’est le cas spécifiquement lors de l’ambassade anglaise de 1793, mais aussi lors des autres ambassades étrangères qui se rendirent jusqu’à la cour impériale. Il s’agit là d’un phénomène tout à fait normal, et tous les documents que nous abordons durant ce chapitre manifestent d’ailleurs différents échelons des rouages de cette nécessité, soit celle d’organiser et de contrôler adéquatement le séjour de l’altérité à l’intérieur des frontières et des limites qui lui sont fixées, tout en subvenant à la plupart de ses besoins essentiels. À titre d’exemple, voici ce que les membres de la délégation russe reçurent pour l’approvisionnement lors de leur séjour à Pékin, dans le cadre de l’ambassade Baikov de 1656 :

Baikoff one sheep, a jug of wine [1/4 vedro] and two fish […] and three measures of wheat; and his servants and cooks received beef; and one measure of wheat each man every day; and, each two goblets of wine. But

those people received no tea or flour […] And the Russian Government troopers and Tartar militiamen and the Russian traders and Bukharan traders received, 12 men, all together, one sheep each day and two measures of wheat; and a measure of tea to every two men each day; and a measure of flour, likewise to every two men; and two goblets of wine each man… 2.

Cependant, les considérations logistiques ne se mesurent jamais uniquement selon une perspective strictement matérielle. Il faut non seulement nourrir et loger mais surtout, marquer l’imaginaire et porter une attention continuelle au jeu sensible des perceptions. Cette importance du jeu des apparences et des perceptions nous suggère que l’encadrement logistique ne répond jamais uniquement des simples règles d’hospitalité ou de pratiques de bon voisinage qui peuvent sembler pour plusieurs aller de soi ; des visées stratégiques influençent toujours, en soubassement, les attitudes à l’égard de l’étranger. Par ailleurs, comme nous le verrons à l’instant, cet effort logistique peut se traduire selon deux directions opposées ; il y a d’abord la logistique centrifuge (qui s’éloigne du centre du pouvoir) ainsi que la logistique centripète (qui s’approche du centre du pouvoir). Alors que la première correspond, par exemple, à la colonisation de certaines régions marginales ou à la mise en œuvre d’expéditions punitives contre des populations frontalières, la seconde s’apparente davantage à une dynamique de défense territoriale et touche principalement aux questions entourant l’accueil et l’encadrement des missions diplomatiques étrangères. Cet élément de la logistique d’encadrement nous enjoint de souligner une distinction importante nous permettant d’amorcer notre comparaison des attitudes diplomatiques à l’égard de l’Angleterre et de la Russie. L’actualisation de la frontière maritime, dans le cadre de l’ambassade Macartney se fait essentiellement de manière passive, se déroulant en mode centripète, en attendant que l’étranger vienne à la rencontre du pouvoir. Toutes les directives portant sur l’encadrement de la délégation anglaise portent, dans un premier temps, sur leur déplacement vers l’intérieur du pays, et dans un deuxième temps, une fois les négociations terminées, sur leur expulsion, soit leur encadrement vers l’extérieur. À l’inverse de cette dynamique d’accueil et de renvoie, l’actualisation de la frontière

2 John F. Baddeley, Russia, Mongolia, China, New York, Burt Franklin, 1960, p. 144. Signe de l’abondance qui est parfois rattachée à cet approvisionement, Macartney note dans son journal, en date du 31 juillet 1793 : « The profusion of these was so great and so much above our wants that we were obliged to decline accepting the larger part of them ». Pour les détails des produits, voir : AETC, p. 71.

continentale se déroula à la fois de manière centripète (avant 1680) et en mode centrifuge (en 1688-89). C’est donc dire qu’il existe des modalités d’encadrement similaires face à la Russie et l’Angleterre, mais qu’il y a aussi des éléments distinctifs. Cette distinction apparaît nettement alors qu’on voit la délégation envoyée par le Trône aller à la rencontre de l’étranger, en un lieu éloigné de la capitale comme ce fut le cas lors des rencontres de Selenginsk et de Nerchinsk. Il s’agit ici d’un aspect souvent négligé de la comparaison, à savoir que les négociations diplomatiques entre la dynastie Qing et la Russie – du moins celles ayant mené à la ratification du Traité de 1689 – se déroulèrent en périphérie de la capitale, loin du lieu incarné par l’empereur. À l’inverse, les rencontres avec l’Angleterre eurent lieu autour du personnage de l’empereur, à Jehol et à Pékin. À noter par contre que, lors des ambassades Baikov (1656), Spathary (1676), Ides (1693) et Ismailov (1720), les rencontres diplomatiques avec la Russie se déroulèrent aussi à Pékin et donc, la logistique lors de ces événements doit se mesurer en mode centripète, comme ce fut le cas pour l’ambassade anglaise.

Logistique centrifuge … vers la périphérie

Négociations sino-russes de Selenginsk et Nerchinsk, 1688-1689

Ambassade Tulichen (1712-1715)

Logistique centripète … vers le centre

Réception des ambassades Russes (Baikov, Spathary, Ismaïlov), 1656, 1676, 1720 Réception de l’ambassade Macartney, 1793

On voit tout de suite que notre comparaison des attitudes diplomatiques ne peut pas porter uniquement sur les pays impliqués, mais elle doit d’abord souligner le lieu où se tinrent les rencontres. Les attitudes à l’égard de l’étranger sont tributaires de la logistique entourant les événements en cause. Alors que les rencontres de Nerchinsk et Selenginsk se déroulèrent en périphérie du pouvoir impérial, loin de l’empereur et de la capitale, les autres rencontres (Baikov, Spathary, Macartney) se déroulèrent toutes à la capitale (principale ou secondaire) et dans l’entourage immédiat de l’empereur. Quand on sait

l’importance des lieux, en lien avec les rituels et les insignes du pouvoir dans l’histoire politique de la Chine impériale, il serait difficile de ne pas y voir là un élément crucial qui expliquerait certaines attitudes formalisées à l’égard de l’étranger. L’intransigeance diplomatique manifestée à l’égard de l’Angleterre n’aurait probablement rien à voir avec une vision culturelle figée de la diplomatie, mais très certainement davantage avec une vision géographique qu’on pourrait même nommer situationniste, reflétant une cosmologie particulière de la diplomatie, incarnée dans les pratiques d’occupation territoriale. Cet aspect de la pratique politique impériale qui s’exprime différemment selon les lieux où elle prend forme semblait déjà parfaitement compris par les Jésuites qui gravitaient dans l’entourage du Trône aux XVIIe – XVIIIe siècles. Par exemple, en considérant le journal de

Pereira, il semble clair pour le Jésuite que l’égalité diplomatique obtenue par Golovin lors des négociations de 1689 n’aurait jamais été la même si les négociations eurent été tenues dans la capitale de l’Empire :

The Moscovite […] would never have had this advantageous position had he come to China, because there they would have obliged him, as they did those who came in the past, either to submit to the Chinese customs or return home without peace. Since he did not want to go to the Court of China, he achieved equality in honor through obliging them to leave their own country and to negotiate peace at the pretended borders 3.

Cet aspect des rituels diplomatiques de la dynastie Qing, qu’on pourrait qualifier de situationnistes, prend d’ailleurs tout son sens lorsqu’on compare la question des rituels choisis lors des ambassades centripètes (Baikov, Spathary, Macartney), avec la plus célèbre des ambassades chinoises, soit l’ambassade Tulichen au XVIIIe siècle. Ce dernier fut envoyé par l’empereur Kangxi en mission diplomatique auprès des Turgots, entre 1712 et 1715, et on envisageait alors la possibilité qu’il puisse être invité à se rendre en Russie pour prêter hommage au Tsar. À la lecture du compte-rendu de sa mission, on voit que les rituels semblent codifiés conformément aux lieux où ils prennent forme, et non en fonction uniquement des considérations culturelles. Selon les directives qu’il avait reçues, advenant une hypothétique rencontre avec le Tsar, l’émissaire de la dynastie Qing devait se conformer aux rituels de la Russie : « As to the order and ceremonial of your reception it

may be conformable to the customs and ceremonies of that country » 4. On voit donc qu’une assimilation doit être faite entre les diverses pratiques d’actualisation frontalière, selon leur aspect centripète ou centrifuge. Alors que l’envoi d’une délégation en périphérie du pouvoir s’apparente à une dynamique de colonisation, voire à une expédition militaire, la réception d’une ambassade étrangère s’apparente plutôt à une logique de défense territoriale. On reconnaît depuis longtemps cet écart lorsque vient le temps de comparer des stratégies militaires, mais nous croyons qu’il faille aussi le souligner davantage pour mieux apprécier l’écart entre diverses attitudes diplomatiques.

Les difficultés de la conquête d’Albazin

La distance entre le centre et la périphérie affecte les représentations du pouvoir et par conséquent, elle joue un rôle de premier plan dans l’évolution des conflits et des attitudes selon l’accessibilité des lieux. En ce sens, on peut considérer que l’ensemble du processus d’actualisation des frontières doit notamment s’efforcer de réduire l’impact négatif de cette distance, et pour cela, mettre en branle des capacités logistiques particulières. Transportons nous d’abord le long de la frontière continentale, en 1682, dans le contexte de préparation en vue des premiers affrontements autour d’Albazin. Dans ses directives, l’empereur rappelait alors qu’il ne fallait pas simplement planifier l’envoi de soldats et la construction de bateaux pour mener à bien la guerre, mais il était encore plus important de penser à nourrir les troupes. Selon les directives transmises, on apprend que dès leur arrivée sur le terrain, les soldats devaient commencer, « à cultiver le sol afin de prévenir toute pénurie alimentaire », ce qui permettrait de mettre en place des garnisons militaires autosuffisantes et durables 5. Comme nous l’avons vu dans la première portion du

4 « Xiangjian liyi yibi guo lijian zhi ke ye (相見禮儀依彼國禮見之可也) ». L’Édit impérial contenant les directives données se retrouve au début du récit de Tulichen : NCKETT, pp. 8-20 et Yiyulu, pp. 8-11.

5 DCSWR, p. 58; QSL 05-1, 89. La logistique de la conquête d’Albazin est exposée en détail dans des documents datant de 1683 (provenance des soldats, stratégies d’occupation du territoire, questions relatives à l’approvisionnement des troupes, facteur climatique). DCSWR, pp. 65-68; QSL, 05-2, 55 et 70. Preuve de l’importance du facteur alimentaire dans l’occupation de ces territoires hostiles, Kerner résumait de manière très succincte la raison de la défaite des Cosaques face à l’armée mandchoue, lors de la défense d’Albazin : « It would have required, besides ostrogs, an armed colonizing population capable of developing agriculture

troisième chapitre, l’occupation de la frontière de Mandchourie, à l’époque des conquêtes d’Albazin, devint vitale pour les Qing et la difficulté principale quant au maintien permanent d’un poste de garnison était alors liée à l’approvisionnement en grains. C’est ce que souligne l’empereur Kangxi, dans un décret datant de 1687, rappelant l’importance de transporter du grain depuis Shengjing (盛京) et ailleurs, « afin que l’armée locale puisse en accumuler et n’en jamais manquer » 6.

Cet approvisionnement régulier permit donc d’y établir des troupes de manière permanente, et ainsi, ne rien craindre des Russes qui s’épuisèrent rapidement, étant confrontés aux mêmes impératifs logistiques. L’attitude à l’égard de la Russie dépendait du succès de cet approvisionnement. Une lecture complète du décret impérial de 1687 nous montre que les propos de Kangxi font état d’un réalisme stratégique très lucide, alors qu’il semblait tout à fait conscient du paradoxe de l’approvisionnement et de la logistique, pour ne pas dire de l’obstacle lié à la distance pour les Russes qui se transformait en avantage stratégique pour les Mandchous :

Si les Russes envahissent notre territoire avec une petite armée [qingbing

laifan, 輕兵來犯], ils ne pourront certainement pas survivre [duansuo bu neng yu, 斷所不能欲], s’ils envahissent avec une grande armée [dadui qinru, 大隊侵入], comment seraient capables de transporter suffisamment

de provisions [zebi liangshi heneng wanyun ye, 則彼糧食何能晚運耶] ?

En poussant ce raisonnement jusqu’au bout et en le ramenant aux représentations de la dynastie Qing, on doit conclure que les stratégies mises en œuvre à l’égard des Cosaques d’Albazin sont d’abord tributaires du succès des politiques d’approvisionnement en grains. Sans la résolution de cette difficulté logistique initiale, comment pourrait-on envisager la mise en œuvre d’une politique frontalière durable ? En fait, sans une maîtrise des considérations logistiques, aucune politique ne peut être énoncée avec cohérence depuis le Trône, ni aucun succès militaire ne peut être escompté. Cependant, cette difficulté logistique ne doit pas non plus être perçue uniquement comme un obstacle, loin de là. On as a defense against the Manchus, who, to make Russian tenure impossible, destroyed the fields and brought hunger upon the invading Russians ». Kerner, op.cit., p. 84.

doit aussi être en mesure d’apprécier son rôle positif quant au développement et à la confirmation de certaines représentations symboliques. Par exemple, on utilise souvent la difficulté logistique comme un argument servant à renforcer le principe légitimant de la position d’autorité suprême du Fils du Ciel. Ainsi, dans un récit datant de 1685 et célébrant ce qu’on considérait alors la victoire d’Albazin, on souligne à plusieurs endroits les difficultés liées à la distance et à l’approvisionnement des troupes dans l’objectif rhétorique évident de magnifier le triomphe 7.

Selon la trame narrative du récit, on voit d’abord que la suppression des Cosaques est considérée trop difficile par tout le monde (sauf l’empereur, évidemment), à cause de la grande distance qui nuisait à l’approvisionnement [zhengchao Luocha zhongjie yi lu yuan wei nan, 征剿羅剎衆皆以路遠為難]. Cet argument est par la suite repris plus loin, de manière intégrale, en réitérant que seul l’empereur était capable de voir au-delà de ces considérations élémentaires et mobiliser les troupes [wo huangshang wei genben ji duduan xingshi, 我皇上為根本計獨斷興帥]. Par la suite, alors que la campagne battait son plein et que les difficultés logistiques refirent surface, lorsque les troupes de la garnison d’Heilongjiang étaient affamées, avançant péniblement et n’ayant plus de viande pour se nourrir, « ils aperçurent alors quelques milliers de cerfs qui descendaient en trombe, un à un depuis les montagnes (you lu shuwan zi shan quxia, 有廘數萬自山趨下) ». On raconte qu’ils en tuèrent plus de cinq milles et purent se nourrir, tout en remerciant le Ciel pour ce cadeau inespéré qui, en définitive, n’est qu’une preuve, selon les représentations du pouvoir, venant renforcer la légitimité de l’empereur Kangxi :

L’administration bienfaisante de Votre Majesté coïncide avec le cœur du Ciel [shang he Tianxin, 上合天心] et c’est pourquoi, le Ciel l’apprécie et produit des miracles afin de venir en aide à Votre Majesté. La bénédiction éternelle de notre Empire, qui ne connaîtra pas de fin pendant dix milles ans [wannian wujiang zhi xiu, 萬年無疆之休], est confirmée par ces auspices [yu ci ke bu, 於此可卜].

7 DCSWR, p. 80-83; QSL 05-3, 81-84. Ces stratégies narratives, qu’on retrouve dans plusieurs récits de conquête, ont pour objectif de faire concorder la prétention légitimante des empereurs mandchous avec la « volonté du Ciel », intervenant miraculeusement pour s’assurer de la victoire des troupes Qing.

Ces représentations issues de documents touchant aux relations avec l’étranger le long de la frontière continentale nous montrent que le facteur logistique joue un rôle de premier plan dans l’évolution des attitudes, l’élaboration des stratégies, mais aussi dans la commémoration des événements, et ultimement, dans le processus de légitimation politique. Notons tout de suite un élément comparatif essentiel au niveau des représentations légitimantes. Dans les récits portant sur les conquêtes (ou les épopées) se déroulant en périphérie, le Ciel intervient régulièrement pour signifier l’adéquation du pouvoir avec Sa volonté. Or, les récits qui témoignent des événements qui se déroulent à l’intérieur des limites du pouvoir, selon une logistique centripète, ne mettent jamais en scène l’intervention du Ciel. En fait, selon la trame discursive énoncée plus haut, si le Ciel intervenait dans l’entourage immédiat de l’empereur, ce serait comme de montrer l’insuffisance, voire l’incompétence de son représentant.

La réception du vassal qui se tourne vers la Civilisation

Ramenons maintenant notre propos le long de la frontière maritime, en tournant notre regard vers les représentations concernant l’encadrement logistique de l’ambassade Macartney, pour y voir dans la contingence, l’impact de ce facteur sur l’évolution des