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Macro-ordonnancements et micro-ordonnancements

II. Caractéristiques du corpus d’étude

3. Macro-ordonnancements et micro-ordonnancements

La question de l’ordonnancement des volumes de musique a déjà été soulevée par Anne- Madeleine Goulet à propos des Livres d’airs de différents auteurs :

S’il est évident qu’un recueil ne saurait avoir la même cohérence qu’un roman ou un traité, il est peu probable que l’éditeur se soit contenté simplement de juxtaposer les airs qu’il souhaitait imprimer, sans réfléchir à leur succession, à leur ordre d’apparition1.

Elle met en lumière certains groupements thématiques, « esquisse d’une exploitation dramatique des airs »2, et précise que :

Par de semblables rapprochements, les Livres d’airs… ne cessent de suggérer des bribes d’intrigues, des situations dramatiques, sans jamais les développer3.

Elle évoque également la possibilité que les interprètes puissent, à discrétion, puiser dans ces recueils de musique de manière à reconstituer les scènes dont ils avaient besoin4, ce que

certaines sources confirment. Dans ses Mémoires concernant la vie et les ouvrages de M. Boileau-

Despréaux, Brossette de Lyon rapporte que Mlle de Le Froid5 exécute une chaîne d’airs en

présence du roi :

Elle chanta si bien, qu’elle vecut mille louanges du Roi et de Made la Dauphine. Cependant Mle de

Leufroy avoit préparé une douzaine des plus belles chansons de Lambert, pour les chanter au Roy à qui elle remit une copie des paroles, pour les lire en même tems6.

Serait-il possible alors de reconstituer une intrigue en sélectionnant des airs en fonction de leur thématique ? Clémence Monnier explique que :

Cette piste est loin d’être assurée, car si quelques enchaînements d’airs renferment effectivement une logique visible et intelligible, la plupart ne présentent rien de tel. Il semble que le quasi mono- thématisme des airs contenus dans les Livres d’airs… empêche tout développement dramatique en leur sein7.

Et dans ses travaux, Anne-Madeleine Goulet se demande s’il est possible de trouver : Un ordre qui découle de données techniques musicales particulières, comme l’ordonnancement des tonalités, important notamment pour l’accord du luth par exemple, ou l’enchaînement des danses. Les airs seraient agencés selon un ordre qui permettait de les enchaîner sans difficulté et de construire ainsi de véritables scènes musicales8.

1 GOULET, Poésie, musique et sociabilité, p. 169. 2 Idem, p. 170.

3 Idem.

4 Anne-Madeleine Goulet parle à ce moment de « pièces en kit ». 5 Ancienne élève de Lambert, chanteuse émérite.

6 Mémoires concernant la vie et les ouvrages de M. Boileau-Despréaux de Brossette, BM Lyon MS 6432, p. 483-484. 7 MONNIER, Histoire et analyse, p. 84.

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Clémence Monnier répond à cette question en indiquant que dans les Livres d’airs de différents

auteurs :

Nous n’avons repéré aucun agencement de ce type qui soit constant et systématique. Les enchaînements de tonalités ne présentent aucun ordre logique, bien que l’on repère parfois plusieurs airs du même ton édités à la suite1.

Elle précise ensuite :

En ce qui concerne les danses, nous n’avons pas non plus repéré d’ordre logique. Les « airs » et les « chansons » qui constituent les deux grands genres musico-poétiques de notre corpus se mêlent parfois sans que l’on puisse en dégager une loi2.

Avant de conclure que « les hypothèses émises par Anne-Madeleine Goulet ne se vérifient pas, et qu’aucun ordonnancement motivé par certaines données relatives à la technique

musicale n’existe »3. Cela étant, Clémence Monnier dégage d’autres types

d’ordonnancement4 : des groupements par compositeur ; des suites d’airs issus de musiques

de scène ; des airs groupés par registre5 ; des airs aux paroles identiques mais sur une

musique différente et enfin des airs classés par effectifs. Elle remarque qu’en définitive « aucun ordonnancement n’est systématique » et qu’à côté des autres recueils du temps, « Les Livres d’airs… font alors figure d’hapax : ils sont loin d’être ordonnés d’une façon aussi rigoureuse que les autres collections » 6. Elle ajoute que :

[…] le fait que nos recueils ne contiennent qu’un seul type d’airs – des « airs » ou « airs sérieux » comme on le dira à partir des années 1675 – empêche d’emblée la distinction opérée au sein des recueils de chansons pour danser et pour boire7.

Nous avons pu dégager plusieurs types d’ordonnancement des recueils de notre corpus, les macro-ordonnancements, qui concernent un nombre d’airs très importants ou l’organisation générale du volume, et les micro-ordonnancements, qui intéressent quelques pièces musicales seulement, sans incidence sur l’organisation générale du volume (comme lorsqu’il est question de petites chaînes d’airs ou de chansons).

a. Macro-ordonnancements

Cinq types de macro-ordonnancements ont été isolés. Deux ont déjà été étudiés car impliquant directement un aspect éditorial : l’ordonnancement par registre des airs (les classements par pièces bachiques ou sérieuses) et celui par type de pièces musicales (par airs

1 MONNIER, Histoire et analyse, p. 84. 2 Idem, p. 85.

3 Idem.

4 Idem, p. 86-100.

5 Sérieux ou léger, il n’est presque jamais question de registre bachique dans les Livres d’airs de différents auteurs. 6 MONNIER, Histoire et analyse, p. 109.

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ou chansons comme dans le cas des derniers volumes de Chansons pour danser et pour boire)1.

Un troisième type de classement a été évoqué et recoupe l’ordonnancement par registre : celui par effectifs. Nous avons vu en effet que certaines chansons à boire, placées en fin de volumes, étaient à deux voix tandis que celles à danser étaient écrites pour voix seules2.

Nous allons ici nous centrer sur les deux derniers types de macro- ordonnancements que sont les airs locomotives – qui participent à l’organisation globale d’un volume – ainsi que les tris par tonalités.

Les « airs locomotives », dont la fonction première est « d’attirer le chaland », rendent compte du soin apporté à l’organisation générale des volumes. Ces airs qui ouvrent certains recueils sont souvent originaux, peuvent aussi être complexes ou construits autour d’une thématique particulière qui les distingue des autres airs. Quelques exemples ont été relevés dans les volumes des Recueils d’airs sérieux et à boire3, mais ils sont loin d’être systématiques.

Les recueils Sicard présentent également quelques cas intéressants, où certains airs de circonstance et/ou encomiastiques sont des airs locomotives ; Citons par exemple l’air Vite

que l’on fasse des feux (S 3374-01), publié dans le volume de 1668 et qui valorise Louis XIV

tout en évoquant les prises de Tournai, Douai et Courtrai durant la guerre de Dévolution (1667-1668).

Dans le corpus Dubuisson, plusieurs airs locomotives ont été repérés, tels les trois premiers airs de ses trois premiers recueils (16864, 16875 et 16886) qui se démarquent des

autres pièces du recueil. Intitulés « Dialogue », ils sont à trois voix, relativement longs (environ trois ou quatre pages au lieu d’une ou deux), d’une construction complexe et construits en forme de dialogue entre les deux parties de dessus qui évoluent tantôt seules avec la basse, tantôt en duo. Puis dans les livres de 1689, 1690 et 1696, un « air locomotive » est placé en tête de volume : un récit en 1689, puis en 1690, l’air encomiastique Toute l’Europe

est sous les armes (D 3606-53) glorifiant Louis XIV dans le contexte de la Guerre de la Ligue

d’Augsbourg7. Enfin, en 1696, la fameuse plainte sur la mort de Monsieur Lambert. Les volumes

Dubuisson totalisent dont six airs que l’on peut qualifier de « locomotives » sur dix-sept volumes.

Derniers exemples, les chansons « locomotives » des volumes de Rosiers. Les raisons qui leur confèrent cette importance et justifient cet emplacement de choix sont

1 Clémence Monnier en parle également dans son travail à propos des livres de Mélanges de Bacilly, cf.MONNIER,

Histoire et analyse, p. 107-106.

2 Nous renvoyons aussi à la table du second livre des Siléniennes de Chastelet (1639) où l’auteur avertit le lecteur de

la présence de « Chansons a trois » » regroupées à la fin de son recueil. Cf. également MONNIER, Histoire et analyse,

p. 107.

3 Voir les airs des Recueils d’airs sérieux et à boire 16953-07, 16972-41, 16981-01. 4 DUBUISSON, Premier livre d’airs sérieux et à boire, 1686.

5 DUBUISSON, Second livre d’airs sérieux et à boire, 1687. Cet air ainsi que la plainte sur la mort de Monsieur Lambert dont

nous parlons plus bas, ne sont pas des airs à boire et ne font donc pas partie de notre corpus.

6 DUBUISSON, Troisième livre d’airs sérieux et à boire, 1688.

7 Nous verrons que les protagonistes des textes ne s’impliquent pas dans tous les airs encomiastiques ou de

circonstance avec la même force. Dans la majeure partie des cas, il est juste question de « Louis le grand », de la défaite et de la honte qui s’abat sur les ennemis ; mais en définitive, on préfère toujours rester à table plutôt que de s’engager ou de s’imaginer prendre part aux combats directement.

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variées. Dans un premier cas, nous sommes en présence d’une chanson plus développée que les autres, éditée sur deux pages, ce qui reste rarissime dans ces volumes. Dans un second cas, les pièces concernées sont des chansons encomiastiques, valorisant un personnage ; celui-ci n’est d’ailleurs pas forcément le dédicataire du volume. Nous présentons, par ordre d’apparition chronologique, ces chansons locomotives dans le tableau ci-dessous :

Code Incipit Type de chansons locomotives Dédicataire

R 2638-01 Amis la douce guerre que l’on va faire Encomiastique : à LOUIS XIV POL, Chevalier R 2639-01 Ne laissons point languir le pot Grande chanson (sur deux pages) POTEL le Romain

R 2640-01 Ô bachique soleil roi du pot Encomiastique : à CHAMBOY CHAMBOY, de R 2641-01 Pertuis en toutes parts s’est rendu Encomiastique : à PERTUIS PERTUIS, du

R 2642-01 Que ce grand duc est admirable Encomiastique : à LESDIGUIERES LESDIGUIERES, duc de R 2643-01 Buvons à l’illustre Bourée Encomiastique : à BOUREE BOUREE

R 2644-01 Jaquier est plein de gloire Encomiastique : à JAQUIER JAQUIER, Seigneur de

Vieux-Maison R 2645-01 Amis c’est tout de bon qu’il faut Encomiastique : au [Grand] Dauphin

[Louis de France], Louis [XIV] TALLON R 2646-01 Lauzun est admirable aussi Mars Encomiastique : LAUZUN LAUZUN, chevalier de R 2647-01 Pertuis l’incomparable n’eut jamais Encomiastique : PERTUIS BONNE-VIE, de

R 2648-01 Voici un esprit adorable Mars [Encomiastique : à BRIDIEU] BRIDIEU, de R 2649-01 Amis c’est tout de bon que la trompette [Encomiastique : à LOUIS XIV] VILDOT, de

Tableau I.7 : Chansons locomotives du corpus Rosiers

Comme le révèle ce tableau, chez Rosiers les chansons locomotives sont principalement des pièces encomiastiques adressées au dédicataire du volume, exception faite de la chanson

Pertuis l’incomparable (R 2647-01) qui n’est pas à l’attention de Bonne-Vie, mais à Pertuis (qui

est par ailleurs le dédicataire d’un recueil précédent, celui de 1657). Ces chansons pilotes sont concentrées sur la seconde partie de la production de Rosiers, dans des recueils publiés successivement. Ainsi, ses sept premiers volumes publiés en 1634 et 1650 ne présentent pas de chansons locomotives ; puis, de 1652 à 1669, on retrouve les 12 pièces musicales de notre tableau ; enfin, dans le dernier volume de 1672, l’usage de la chanson locomotive disparaît. Rosiers réalise ici un coup double, non seulement ses chansons remplissent leur office de pièces locomotive, mais elles lui permettent de surcroît de renforcer la présence du dédicataire, dont le nom intervient deux fois dans le volume. En dehors de cette logique, nous préciserons ultérieurement qu’une des spécificités du corpus de Rosiers est que l’on trouve dans certains volumes une proportion importante d’airs encomiastiques, de circonstance, ou mettant en scène des noms issus de l’univers réel.

Dérivé de la chanson locomotive – et exemple unique à notre connaissance – Rosiers propose même un système de bouclage encomiastique dans son livre de 1658 : la chanson locomotive Que ce grand duc est admirable (R 2642-01), qui met en valeur le duc de Lesdiguières, ouvre ce recueil qui se termine par une autre chanson mettant en scène le duc, renforçant encore sa présence.

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Clémence Monnier indique que la collection des Brunettes1 comporte un ordonnancement

« basé sur des suites d’airs de même mode »2. Elle repère aussi « plusieurs airs du même ton

édités à la suite »3 dans les Livres d’airs de différents auteurs. À condition de prendre en compte

l’intégralité de certains livres sans exclure les pièces sérieuses, une organisation similaire est observée dans quelques recueils. Sicard propose par exemple six airs successifs en ré mineur, au début de son Huitième livre d’airs (1674)4. Mais c’est surtout chez Dubuisson que

des regroupements d’airs beaucoup plus importants sont à signaler.

Dans toute la première collection Dubuisson, éditée de 1686 jusqu’en 1692, de grands cycles d’airs, organisés par ton, ont été constitués. Soit les tonalités sont identiques, soit le classement fonctionne par association de tons homonymes comme le tableau ci- dessous le démontre. Les airs sont classés par ordre d’apparition dans les volumes :

1 Brunettes ou petits airs tendres 1703, 1704 et 1711. Cette collection proposait des publications d’airs anciens

déjà connu du public.

2 MONNIER, Histoire et analyse, p. 225. 3 Idem, p. 84.

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Numéro Tonalités des airs des volumes Dubuisson

1686 1687 1688 1689 1690 1691 1692 1 La m Mi m Sol M La M Sol M Do M La m 2 La m Mi m Sol m La M Sol M Do M La m 3 La m Mi m Sol m La m Sol M Do M La m 4 La m Mi m Sol m La M Sol M Do M La m 5 La m Do m Sol m Do M Ré m Do M La m 6 La m Do m Sol m Do M Sol M Do M Do M 7 La m Do m Sol m Do M Sol M Do M Do M 8 La M Do M Sol m Do M Do M Do M Sol M 9 La M Do M Do m Do M Do M Fa M Sol M 10 Ré m Do M Do m Ré m La m Fa M Sol M 11 Ré m Do M Do M Ré m La m La m Sol M 12 Ré m Do M/Sol M Do m Ré m Ré M La m Sol M 13 Ré m La m La m Ré m Ré m La m Sol M 14 Ré m La m La M Ré m Ré m La m Sol m 15 Ré M Sol M La M Ré m Ré m La M Sol M 16 Ré M Sol m Ré m Ré m Ré m Ré m Ré m 17 Ré M Ré m Ré m Ré M Ré m La m Ré M 18 Ré M Ré m Sol m Ré m Ré m La M Ré M 19 Do M Ré m Ré m Ré m Ré m Ré m Ré m 20 Si b M Ré m Ré m Sol m/Sol M Ré m Ré m Ré m 21 Do M Ré M Ré m Ré m Ré M Ré m 22 Ré m Ré m Ré m Ré M Ré m 23 Ré m Ré m Ré M La m 24 Do M Ré m Ré M La M 25 Sol M Sol m La m 26 La m

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Dans ses publications ultérieures, ce type de classement systématique disparaît. Toutefois, Dubuisson conserve partiellement une volonté de classement puisqu’au sein de la collection qui court de 1693 à 1696 quelques cohérences tonales sont à signaler1 bien que les airs n’y

soient parfois groupés que par trois ou quatre. Ainsi, ces classements par tons permettent de donner une cohésion générale aux livres et de jouer les airs successivement. On retrouve ensuite la trace d’un classement par ton chez Gillier, à la fin du siècle, qui explique dans la préface2 de son livre de 1697 avoir « disposé » les airs afin qu’ils puissent être exécutés en

petit concert de chambre : lorsque l’on examine ce recueil, il apparaît que les airs en question sont eux aussi clairement classés par ton et par ton homonyme.

b. Micro-ordonnancements

Plusieurs petits groupements d’airs et de chansons apparaissent dans les publications de notre corpus. Ils peuvent être signalés en tant que tel par l’auteur ou, de manière plus ou moins évidente, être reliés les uns aux autres par divers aspects : ce sont des micro- ordonnancements. Il existe, selon le type de recueil (collectif ou d’auteur), des classements par auteur thématiques, structurels, biographiques, indiqués directement dans les volumes, et enfin des chaînes locomotives. Les chaînes indiquées directement dans les volumes peuvent, en outre, dépendre d’une ou plusieurs catégories.

Le classement par auteurs est par définition l’apanage des éditions collectives. Ainsi, les

Recueils d’airs sérieux et à boire proposent souvent un groupement de deux airs, pouvant

dépendre des catégories sérieuses ou bachiques, émanant d’un même auteur. En témoignent les exemples des airs de Dubuisson Nous aurons donc enfin une pleine vinée (16992-39) et Il est

vrai qu’il faut mourir (16992-40), tirés du Recueil d’airs sérieux et à boire d’octobre 1699. On établit

qu’outre le regroupement par auteur, ceux-ci sont de même formation (chant Ut 1), même métrique (a), même tonalité (Sol M/1+) et même forme poético-musicale (type binaire, de forme AA/BB). Fait un peu original, ceux-ci sont d’ailleurs imprimés sur la même page, au titre courant « Airs à boire de Monsieur Dubuisson » :

1 Comme dans certains livres d’airs de Sicard.

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Figure I.13 : Ordonnancement par auteur dans le Recueil d’airs sérieux et à boire d’octobre 1699. Airs de Dubuisson Nous aurons donc enfin une pleine vinée (16992-39) et Il est vrai qu’il faut mourir (16992-40)

Mais c’est au sein des volumes d’auteur que l’on trouve le plus de chaînes d’airs et de types d’ordonnancements différents et en premier lieu aux classements thématiques, qui peuvent regrouper de deux à plusieurs pièces. Il a été possible de dégager plus d’une centaine de thématiques différentes apparaissant au fil des volumes de notre corpus ; certaines sont omniprésentes, d’autres exceptionnelles comme nous le verrons dans le chapitre suivant. Or, autant il est difficile de savoir si plusieurs airs parlant du plaisir de boire entre amis ou de déboires amoureux ont été sciemment disposés à la suite tant la thématique est courante, autant trouver deux ou plusieurs chansons exploitant conjointement un sujet présent dans moins de 1% des cas ne laisse guère de place au doute. Ainsi, les chaînes d’airs de même sujet qu’il a été possible d’identifier sont souvent construites avec un matériau thématique original. Ceci ne signifie évidemment pas que tous les ordonnancements thématiques se basent sur des sujets extraordinaires, mais prouve seulement que ceux-ci existent. Le premier exemple ci-après présente deux airs de Sicard, classés comme airs à boire dans la table et ayant pour thématique commune le tabac1. Ils sont placés à la suite dans le volume

de 1676. Le second exemple, le tableau I.9, présente deux chaînes de chansons de Rosiers. La première chaîne, constituée des deux textes de gauche, a pour thématique la maternité et la naissance, que seuls seize chansons et airs abordent dans notre corpus. Le texte poétique ouvrant cette première chaîne fait état du mariage de deux personnages, Philis et

1 Nous verrons qu’il est rarissime que l’on parle d’une autre consommation que celle de l’alcool dans notre corpus.

Le thé, le café, le chocolat et le tabac n’apparaissent que dans onze airs sur 2425 (et aucune chanson). Les deux seuls textes évoquant directement le tabac sont les deux issus du corpus Sicard présentés ici.

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Tircis, et de l’attente du fruit qui devrait naître de cette union tandis que le second texte parle de la naissance de l’enfant de Philis. Trois facteurs nous permettent d’affirmer que ces deux textes sont liés. Tout d’abord, comme nous l’avons dit précédemment, le caractère exceptionnel de la thématique reliant les poèmes est un indicateur1. Le personnage de Philis

– topos directement issu de l’univers courtois – n’apparaît que six fois sur les 720 pièces bachiques que Rosiers a publiées dans ses recueils d’auteurs. Enfin, ces deux textes poétiques se démarquent car ils sont aux confins des registres bachique et sérieux : ils dépendent des deux univers à la fois et la thématique bachique n’est plus la principale ici ; seules 55 chansons de Rosiers sont dans ce cas2. Dernière illustration, les trois textes de

droite de notre tableau I.9, constituant la seconde chaîne de Rosiers. Ceux-ci exploitent un thème transversal qui tient lieu de fil conducteur : « Madeleine » ou « La Madeleine » ; ce mot « Madeleine » n’apparaît que huit fois en tout dans notre corpus, et uniquement chez Rosiers. Le terme « Madeleine » de la chanson R 2649-22 renvoie très probablement à un des débits de boisson nommé « La Madeleine »3 ; quant aux deux autres textes, ils pourraient

faire allusion à sainte Marie-Madeleine, patronne notamment des jardiniers, des vignerons et des marchands de vin. Le rapprochement entre le cabaret La Madeleine et sainte Marie- Madeleine est déjà effectué par Rosiers dans une chanson4 d’un livre antérieur où il associe

sciemment les larmes de Marie de Magdala et le vin qui coule dans le cabaret. L’exclamation