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De la chanson à l'air à boire : histoire d'une pratique musicale singulière au XVIIe siècle

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Academic year: 2021

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Submitted on 11 May 2021

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De la chanson à l’air à boire : histoire d’une pratique

musicale singulière au XVIIe siècle

Robin Bourcerie

To cite this version:

Robin Bourcerie. De la chanson à l’air à boire : histoire d’une pratique musicale singulière au XVIIe siècle. Musique, musicologie et arts de la scène. Université de Lyon, 2020. Français. �NNT : 2020LY-SES014�. �tel-03223765�

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1

N° d’ordre NNT : 2020LYSES014

T

HÈSE

de

DOCTORAT DE L

UNIVERSITÉ DE

L

YON

opérée au sein de

L’

UNIVERSITÉ

J

EAN

M

ONNET

S

AINT

TIENNE

Ecole Doctorale

n° 484 3LA

Lettres, Langues, Linguistiques, Arts

Spécialité de doctorat

: Musique et musicologie

Soutenue publiquement le 03/10/2020, par :

R

OBIN

B

OURCERIE

De la chanson à l’air à boire : histoire d’une

pratique musicale singulière au

XVII

e

siècle

Devant le jury composé de :

Anne-Madeleine GOULET Chargée de recherche HDR, CNRS, CESR Rapporteure

Youri CARBONNIER Maître de conférences HDR, Université d’Artois Rapporteur

Matthieu LECOUTRE Professeur en CPGE, Lycée Edouard Herriot, Lyon Examinateur

Laura NAUDEIX Maîtresse de conférences, Université Rennes 2 Examinatrice

Mathilde VITTU Professeure, Conservatoire National Supérieur Examinatrice

de Musique et de Danse de Paris

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N° d’ordre NNT :

T

HÈSE

de

DOCTORAT DE L

UNIVERSITÉ DE

L

YON

opérée au sein de

L’

UNIVERSITÉ

J

EAN

M

ONNET

S

AINT

TIENNE

Ecole Doctorale

n° 484 3LA

Lettres, Langues, Linguistiques, Arts

Spécialité de doctorat

: Musique et musicologie

Soutenue publiquement le 03/10/2020, par :

R

OBIN

B

OURCERIE

De la chanson à l’air à boire : histoire d’une

pratique musicale singulière au

XVII

e

siècle

Volume I : étude

Devant le jury composé de :

Anne-Madeleine GOULET Chargée de recherche HDR, CNRS, CESR Rapporteure

Youri CARBONNIER Maître de conférences HDR, Université d’Artois Rapporteur

Matthieu LECOUTRE Professeur en CPGE, Lycée Edouard Herriot, Lyon Examinateur

Laura NAUDEIX Maîtresse de conférences, Université Rennes 2 Examinatrice

Mathilde VITTU Professeure, Conservatoire National Supérieur Examinatrice

de Musique et de Danse de Paris

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A

VERTISSEMENT

Nous avons pris le parti d’harmoniser la graphie des noms propres et de moderniser systématiquement l’orthographe des textes poétique ; ceci nous a permis d’effectuer des recoupements fiables entre les pièces du corpus.

La ponctuation originale a également été conservée, sauf au début des incipits des poèmes du corpus et ce afin de pouvoir procéder à des classements alphabétiques. Les extraits de textes historiques sont en revanche proposés en orthographe ancienne.

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R

EMERCIEMENTS

Au terme de cette étude, je tiens tout d’abord à remercier Denis Herlin, qui a généreusement accepté de diriger cette thèse. Ses relectures attentives, conseils et remarques ont été d’une aide précieuse.

Je remercie ensuite l’ensemble des membres du jury, qui m’ont fait l’honneur de bien vouloir étudier mon travail. Anne-Madeleine Goulet et Yuri Carbonnier pour avoir accepté d’être rapporteurs de cette thèse, mais aussi Laura Naudeix, Mathilde Vittu et Matthieu Lecoutre.

Je remercie également :

Laurent Guillo, pour l’inestimable aide intellectuelle et matérielle qu’il m’a apportée. Ma thèse, qu’il a relue en grande partie, se nourrit largement de nos échanges et séances de travail effectués ces dernières années, entre Paris et le Périgord noir.

Nathalie Berton-Blivet et Marc Bourcerie pour les relectures qu’ils ont pris le temps d’effectuer. Les conseils qu’ils m’ont également donnés au début de ce travail m’ont permis d’œuvrer dans la bonne direction.

Emeline Bourcerie-Savary et Michaël Savary pour leur aide ponctuelle mais néanmoins très utile.

Valère Bergier pour son aide morale et matérielle.

Mon père et ma mère pour leur soutien constant durant mes années d’étude.

Michel Borne, Gerbert Bouyssou, Cécile Davy-Rigaux, Sylvain Dieudonné, Alban Framboisier, Florence Gétreau, Ellen Giacone, Anne-Madeleine Goulet, Fabien Guilloux, Jean-Pierre Hervet, Marie-Colombe Lobrichon, Frédéric Michel, Clémence Monnier, Zdenka Ostadalova, Martial Pauliat, Théodora Psychoyou, Michel Quagliozzi, Monica Sargren, Éric Schnakenbourg, Xavier Truong-Fallai et Mathilde Vittu avec lesquels j’ai pu échanger ces dernières années.

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Table des matières

Avertissement ... 6

Remerciements ... 8

Introduction ... 17

Travaux antérieurs marquants ...18

Définition du corpus et méthodologie de dépouillement ...19

Démarche adoptée et perspectives d’étude ...24

Première partie : une musique pensée pour l’univers bachique ... 26

Premier chapitre : Les recueils de musique ... 27

I. Recueils d’airs ou de chansons ?... 28

1. Première période : L’air de cour, l’air et la chanson ...29

a. L’air de cour et l’air ...29

b. La Chanson ...31

c. Aux confins de l’air et de la chanson : quelques cas particuliers ...33

2. Seconde période : l’avènement de l’air sérieux et à boire ...35

a. Évolution générale ...35

b. La diversité croissante des typologies ...36

3. Le cas à part des volumes de Chansonnettes ...41

1. Air ou chanson ? ...42

a. État des connaissances ...42

b. Éléments poétiques spécifiques à la chanson ...48

c. Le nombre de strophes, un indicateur fiable ? ...55

d. Les répétitions poétiques intra-strophiques ...57

2. Les nombreuses formes de l’air en seconde partie du XVIIe siècle ...62

a. Une courte période de transition ...62

b. Les airs et chansons de la seconde moitié du XVIIe siècle ...63

c. Le renouvellement de l’air : effectifs et modularité ...72

d. L’exemple de Jacques Dubuisson ...76

1. Une différence marquée entre musique et texte poétique ...80

2. Dans le langage courant ...83

a. Airs et chansons ...83

b. Et la chansonnette ?...85

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1. Les pièces liminaires ...87

a. Généralités ...87

b. Les épîtres dédicatoires ...89

2. Répartition des pièces bachiques dans les volumes ...94

a. Les volumes mixtes, une disposition précise ? ...94

b. Une évolution des proportions et du nombre de pièces bachiques ? ... 101

c. La saisonnalité des volumes ... 106

3. Macro-ordonnancements et micro-ordonnancements ... 109

a. Macro-ordonnancements ... 110

b. Micro-ordonnancements ... 115

1. Les formes basiques ... 125

a. Forme ritournelle ... 125

b. Forme binaire ... 134

c. Forme rondeau ... 135

d. Autres formes ... 138

2. Formes ritournelles mixtes ... 142

a. Ritournelle-Binaire ... 142

b. Rondeau Ritournelle ... 145

3. Distribution dans notre corpus ... 149

1. L’effectif particulier de la chanson à boire ... 151

2. Le positionnement de l’air à boire face à l’arrivée de la basse-continue ... 153

a. Basse vocale et basse instrumentale ... 153

b. Les effectifs et tessitures ... 157

Second chapitre : L’empire de Bacchus... 162

I. Des textes poétiques particuliers ... 164

1. Thème A : la sphère personnelle ... 164

2. Thème C : la sphère collective ... 168

3. Thème B : le mariage de Bacchus et de l’Amour... 174

4. Thèmes D, E et F : l’univers des buveurs... 178

1. La métaphore et les images ... 185

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12

II. Un fort ancrage dans le réel ... 199

1. Les traces des circuits de distribution de vin et de nourriture ... 199

2. Des noms de lieux et de personnes issus de l’univers réel ... 207

III. Répartition des éléments thématiques et poétiques ... 217

Deuxième partie : le cénacle des buveurs-musiciens ... 223

Troisième chapitre : Les acteurs et leurs rôles ... 224

I. La vie professionnelle du musicien au XVIIe siècle ... 225

1. Différents régimes professionnels ... 228

2. Ce que nous apprennent les épîtres dédicatoires bachiques ... 231

3. Élèves et réseaux ... 234

II. Les musiciens bachiques et leurs réseaux ... 247

1. André de Rosiers ... 247

a. Les buveurs ... 253

b. Les mécènes ... 260

c. Pistes d’étude supplémentaires ... 278

2. François de Chancy ... 279

3. Jacques Dubuisson ... 283

a. Sa vie privée ... 284

b. Réseaux et ancrage dans le paysage parisien ... 289

c. Éléments de niveau de vie ... 301

1. Les autres compositeurs majeurs du corpus ... 307

a. Chastelet ... 307

b. Sicard ... 309

c. Bousset... 311

2. Des liens entre musiciens de cabaret et poètes de cabaret ? ... 312

Quatrième chapitre : Boire et chanter en société ... 319

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1. Dans les débits de boisson parisiens ... 328

1. Chez le particulier ... 334

a. L’approvisionnement... 334

b. Aux grandes tables : quelques spécificités ... 335

c. À domicile ... 344

2. Les fêtes privées et publiques ... 347

1. L’aversion pour toute autre boisson que le vin ... 349

2. Les vins dépréciés ... 351

3. Les types de vins consommés... 353

a. Quelques généralités ... 353

b. Bourgogne et Champagne ... 358

II. Au temple de Bacchus : la religion du cabaret ... 364

1. La mobilisation des sens ... 366

2. Une pratique circulante ... 371

3. Ressentir du plaisir ... 376

4. Les sociabilités de l’enivrement musical... 379

5. Le vin, le divin, et la recherche d’ataraxie ... 383

1. Un univers spécifique... 386

a. Un cercle sélectif ... 386

b. Une construction par opposition à l’univers courtois ... 389

c. Une mixité sociale ... 391

d. Une temporalité parallèle ... 392

e. Un refuge ... 393

2. La place des femmes ... 395

III. L’ostracisme de l’univers musical bachique ... 400

1. Le réquisitoire des autorités, de la morale et de la médecine ... 401

2. Un carcan légal contraignant ... 406

1. Entre contre-attaque, transgression, quête de reconnaissance et légitimité. ... 410

2. Une ouverture sur le monde ... 413

Conclusion ... 416

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I. Sources manuscrites ... 420

1. Site de Paris ... 420

a. Maison du roi ... 420

b. Châtelet de Paris, insinuations ... 420

c. Minutier central des notaires parisiens ... 421

2. Site de Pierrefitte-sur-Seine ... 424

a. Archives personnelles ... 424

Justices communales ... 424

État civil et registres paroissiaux ... 424

Justices seigneuriales du Beaujolais ... 424

1. Département des manuscrits occidentaux ... 424

a. Manuscrits français ... 424

b. Nouvelles acquisitions françaises (fichier Laborde) ... 424

2. Département de la musique ... 425

II. Sources imprimées ... 425

1. Recueils collectifs édités par la famille Ballard ... 425

2. Livres d’auteurs édités par la famille Ballard ... 426

3. Recueils émanant d’autres éditeurs ... 430

III. Bibliographie ... 434

Tables des documents ... 450

I. Table des figures ... 450

II. Table des graphiques ... 451

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I

NTRODUCTION

« […] aucuns vers ne peuvent plaire longtemps, ni vivre, s’ils ont été écrits par des buveurs d’eau »1

Depuis plusieurs années la musique vocale profane française, et particulièrement l’air français du XVIIe siècle, suscite un intérêt croissant : tant d’un point de vue musical que littéraire,

l’air fait l’objet d’études universitaires mais sert aussi de support à de nombreux spectacles, conférences ou enregistrements. Si grâce aux recherches et aux travaux d’interprétation on connaît maintenant mieux les airs de cour et airs sérieux autant que les noms de Lambert, Boesset, Moulinié, Le Camus, Gesdron ou encore d’Ambruis, un pan entier de l’air français est resté dans l’ombre, car toujours considéré – à tort – comme un genre mineur réservé à une faible frange de la société : les chansons et airs à boire. Pourtant, la diffusion, l’exécution et la réception de ces chansons et airs à boire dans la France du XVIIe siècle constituent un

phénomène social et musical de première importance, qui touche femmes et hommes comme de nombreuses strates sociales de la population. Ce phénomène, qui s’ancre de manière croissante dans les mœurs de la société française, naît et se nourrit de la croisée de deux domaines alors en pleine expansion et dont le public, notamment parisien, est friand : celui de la musique et celui du vin.

L’essor culturel français qui s’opère pendant le Grand Siècle n’est plus à démontrer. Rappelons du moins que musicalement parlant, c’est lors de ce dernier que naissent l’opéra, la cantate, et que l’avènement de la musique instrumentale et de la basse continue s’effectue ; dans un autre registre, l’évolution marquante de l’imprimerie, de la gravure musicale et de la facture instrumentale accompagne ces évolutions. C’est dans ce contexte d’effervescence culturelle que la chanson et l’air bachique français naissent, s’épanouissant en contrepoint des chansons à danser, des airs de cour ou airs sérieux.

Phénomène beaucoup moins connu des musicologues, le XVIIe siècle est aussi celui

où nombre d’aspects de la sphère viticole française croissent de manière significative2.

L’augmentation du régime de production, de distribution et de consommation de boissons enivrantes, soutenu grâce à des améliorations techniques notoires et à une volonté certaine de la part des pouvoirs locaux et étatiques en place de développer le marché, est attestée par de nombreuses sources et travaux d’historiens. Les goûts des consommateurs évoluent et la demande, tout comme le nombre de débits de boisson, est en constante augmentation. Tous les vignobles français subissent de nombreuses mutations et les grands noms s’affirment : au sein des hautes sphères parisiennes notamment, les vins de Bourgogne et de Champagne rencontrent un succès grandissant.

1 [HORACE], Œuvres de Horace traduction nouvelle par Leconte de Lisle, T. II, Épître XIX, Alphonse Lemerre, Paris 1887,

p. 221.

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C’est la rencontre de ces deux univers, issus de sphères a priori assez éloignées, qui génère le phénomène d’ampleur sans précédent que nous nous proposons d’étudier : celui des chansons et airs bachiques. Grâce à de précieux travaux entrepris dans ce domaine depuis les années 2000, il a été possible d’envisager ce travail qui relève de plusieurs disciplines et trouve sa cohérence à travers des thématiques poétiques et des pratiques socio-musicales très singulières. Situé aux confins de l’histoire sociale et de la musicologie, cette étude est transversale : elle prend racine tant sur des travaux et sources musicales ou littéraires qu’historiques.

Travaux antérieurs marquants

Notre étude s’inscrit dans la continuité de travaux musicologiques marquants, en premier lieu, ceux d’Anne-Madeleine Goulet, qui a soutenu sa thèse en 20021. Son travail sur les

Livres d’airs propose une riche analyse de la pratique de divertissement que constituent les

airs sérieux chantés dans les ruelles, centre de l’art de la conversation urbaine du XVIIe siècle.

Son travail a notamment permis de brosser le portrait d’une société mondaine particulière, d’identifier plusieurs foyers de mécénats majeurs ainsi que trente-sept compositeurs et quatre-vingts poètes. Notre thèse vient se placer en regard de ces travaux, dont elle se nourrit largement. En 2011 Clémence Monnier reprend le corpus des Livres d’airs afin d’en étudier cette fois le contenu musical. Sa thèse2 nous a permis de disposer de points de repère

indispensables pour comprendre de quelle manière notre corpus de musiques bachiques se positionnait face aux musiques sérieuses. Enfin, l’inestimable travail de Laurent Guillo, portant sur les publications Ballard et édité en 20033, est celui sur lequel nous nous sommes

majoritairement appuyés lors de l’élaboration de notre corpus transversal et de notre base de données, conçue en grande partie sur le critère des publications les plus représentatives éditorialement4.

L’histoire des chansons et airs à boire est intimement liée à celle de la sphère viticole française et de l’ivresse. Roger Dion, géographe, a été le tout premier à se pencher sur l’histoire viticole française : en 1959, son ouvrage fondateur Histoire de la vigne et du vin en

France5 pose les premiers jalons de la recherche dans ce domaine. S’appuyant sur des sources

variées (notamment judiciaires, fiscales et littéraires), il s’attache à décrire de la manière la plus large et précise possible comment le monde viticole est né puis a évolué des origines jusqu’au XIXe siècle. Second ouvrage majeur sur lequel nous nous sommes appuyés : Vins,

1 GOULET, Anne-Madeleine, Les « Livres d’airs de différents auteurs » publiés chez Ballard (1658-1694) : une musique de ruelles,

dirigée par Christian Biet, Université de Paris X-Nanterre, Études théâtrales, 2002. Thèse publiée en 2004 sous le titre : Poésie, musique et sociabilité au XVIIe siècle : les « Livres d’airs de différents auteurs » publiés chez Ballard de 1658 à 1694, Paris, H. Champion, 2004.

2 MONNIER, Clémence, Histoire et analyse d’une collection musicale du XVIIe siècle : les Livres d’airs de différents auteurs publiés

chez Ballard (1658-1694), dirigée par Raphaëlle Legrand, Université Paris-Sorbonne, 2011.

3 GUILLO, Laurent, Pierre I Ballard et Robert III Ballard, Imprimeurs du Roy pour la musique (1599-1673), Sprimont,

Mardaga-Éditions du CMBV, 2003, 2 vol.

4 Voir le point suivant de notre introduction.

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vignes et vignerons, de l’historien Marcel Lachiver, qui paraît en 19881 et dont les travaux

viennent compléter de ceux de Roger Dion. Marcel Lachiver concentre ses recherches sur la vie sociale des vignerons, les changements de cépages et de goût, mais surtout sur l’évolution des techniques de vinification. Plus récemment, et sous un angle analytique qui touche nos travaux de manière plus proche, l’historien Matthieu Lecoutre s’est intéressé au phénomène de l’ivresse et de l’ivrognerie dans la France moderne. Issu de sa thèse en 2010, son ouvrage Ivresse et ivrognerie dans la France moderne,publié un an plus tard2, nous a servi de

point de référence principal au sein de la discipline historique. Il se penche sur les aspects économiques, judiciaires, religieux, médicaux et socio-culturels du phénomène de l’ivresse et de l’ivrognerie dans la France de l’Ancien Régime. C’est en grande partie ce travail remarquable qui nous a permis de recontextualiser historiquement les pratiques musicales bachiques et de comprendre de quelle manière elles s’ancrent dans le paysage social français de cette époque. Sous un autre aspect, l’étude magistrale de Michel Surun, auteur du livre

Marchands de vin en gros à Paris au XVIIe siècle3, publié à la suite d’une thèse de doctorat en

droit soutenue en 2005, a été très précieux. En étudiant tous les aspects légaux qui encadrent le corps des marchands de vins en gros parisiens, Michel Surun a analysé quels étaient les circuits de distribution de vin dans le Paris d’Ancien Régime et de quelle manière ils rentraient en synergie avec la pratique musicale bachique, une des questions centrales dans notre étude.

Enfin, bien que n’étant pas spécifiquement axés sur le XVIIe siècle, les deux ouvrages

de la sociologue Véronique Nahoum-Grappe sur l’ivresse font référence4. Elle étudie cette

question sous l’angle d’une approche phénoménologique et se penche notamment sur les rythmes de l’enivrement individuel et collectif, l’effet que l’enivrement provoque sur les sens, ou encore quelles sont les interactions sociales qui se tissent lors des périodes d’enivrement ; autant de pistes analytiques qui ont pu être exploitées lors de notre travail sur les pratiques sociales bachiques.

Définition du corpus et méthodologie de dépouillement

Étudier dans son ensemble le phénomène de société que représentent les musiques bachiques dans la France du XVIIe siècle exige de procéder à l’examen d’une large sélection

de recueils de chansons et d’airs à boire. Ceci permet d’avoir accès à un nombre d’exemples conséquents, afin de donner l’image la plus représentative que possible de ce que sont ces musiques. Dans cette optique de travail macro analytique, un corpus d’étude transversal a

1 LACHIVER, Marcel, Vins, vignes et vignerons, Histoire du vignoble français, Paris, Fayard, 1988.

2 LECOUTRE, Matthieu, Ivresse et ivrognerie dans la France moderne (XVIème - XVIIIème siècles), Université de Bourgogne,

2010 et Ivresse et ivrognerie dans la France moderne, en coédition avec les Presses universitaires François-Rabelais de Tours, PUR, Rennes, 2011.

3 SURUN, Michel, Marchands de vin en gros à Paris au XVIIe siècle : Recherches d’histoire institutionnelle et sociale, Thèse de

doctorat en droit soutenue Université « Panthéon-Assas (Paris II) Droit-Economie-Sciences Sociales » le 17 mai 2005 et Marchands de vin en gros à paris au XVIIe siècle, Paris, L’Harmattan, 2007.

4 NAHOUM-GRAPPE, Véronique, La Culture de l’ivresse : essai de phénoménologie historique, Paris, Quai Voltaire, 1991 et

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été constitué, réunissant des chansons et airs issus de recueils variés, mais dont les textes poétiques sont centrés sur la consommation de vin et les arts de la table : c’est cette thématique commune qui tient lieu de fil conducteur dans le corpus d’étude.

Afin de cadrer ce travail, il a fallu tout d’abord établir des limites chronologiques et matérielles. L’intervalle de dates délimitant cette étude (1627-1710) a été choisi sur la base d’une logique éditoriale : suivre les jalons de dates de publication de recueils contribue à garder une cohérence d’ensemble et de générer des calculs fiables. Ainsi, la limite inférieure, qui correspond à la publication du premier volume des Chansons pour danser et pour boire dont le tout premier recueil paraît en 1627 chez Ballard, marque le début d’une très longue lignée de livres de chansons1. En partant du postulat que l’édition d’une collection sur le long

terme est le reflet de son succès commercial, cela permet de baser ce travail sur un des cycles de publications qui a été les plus populaires au XVIIe siècle. La limite supérieure, fixée

en 1710 (très précisément en mai), correspond quant à elle à la date de parution du dernier volume du Mercure galant publié sous la direction éditoriale de Jean Donneau de Visé, fondateur de ce périodique. Cet ultime volume clôt un cycle de publications2, entrepris en

1678, dans lequel Donneau avait proposé au public pas moins de 637 airs dont 107 airs à boire. Ces deux dates extrêmes (1627-1710) délimitent donc une étendue de presque un siècle, allant de la fin du règne de Louis XIII à la fin du règne de Louis XIV. Or, dans le cadre de cette étude sur les musiques à boire, cette période présente un intérêt pour plusieurs raisons. Tout d’abord, rappelons que celle-ci est particulièrement riche artistiquement : de nombreux genres musicaux profanes naissent (citons l’air et la chanson, la cantate française, les musiques de scène telles que la tragédie lyrique, le ballet de cour, la comédie ballet), tandis que des piliers institutionnels se développent (l’Académie royale de musique, les institutions musicales de la cour – la Chapelle, la Chambre, l’Écurie) et que des lieux de concerts, comme le Théâtre du Palais-Royal, apparaissent. S’épanouissant dans un premier temps à la cour, la musique devient progressivement un « mode de divertissement autonome »3, de grands foyers de mécénat privés participant à son développement de

manière de plus en plus prononcée. C’est dans le contexte fertile de cette émulation artistique que les musiques bachiques vont puiser leurs sources et prendre de l’ampleur. Mais le XVIIe siècle constitue également une période clé où un essor sans précédent de la

production et de la consommation d’alcool a lieu4 : le phénomène de l’ivresse5 s’amplifie,

offrant là aussi un terreau favorable à l’expansion des musiques bachiques.

1 Cette collection à l’ampleur inédite perdure sous ce nom jusqu’en 1669.

2 Le Mercure galant, périodique de parution mensuelle fondé en 1672 fournissait au public des nouvelles régulières de

la ville, de la cour, et rendait compte des principaux événements mondains et littéraires. À partir de 1678, quelques airs de musique sont publiés dans chaque volume.

3 HENNEBELLE, De Lully à Mozart, p. 70. 4 Voir notre quatrième chapitre.

5 Matthieu Lecoutre explique en effet que « la production et la consommation de boissons enivrantes augmentent

globalement en France du XVIe au XVIIIe siècle, du vin à la bière, du cidre au poiré, en passant par l’eau-de-vie »

LECOUTRE, Ivresse et ivrognerie, p. 26. Voir également DION, Histoire de la vigne et du vin, p. 423-650 ; LACHIVER, Vins, vignes et vignerons, p. 174-400 ; GARRIER, Histoire sociale et culturelle du vin, p. 101-190.

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La seconde limite de notre corpus d’étude est d’ordre matériel, puisque seule une partie des musiques imprimées chez Ballard et par Donneau de Visé dans le Mercure galant a été sélectionnée. Mais pourquoi laisser de côté les manuscrits et se concentrer uniquement sur les volumes parus chez ces deux éditeurs ? Rappelons dans un premier temps qu’au

XVIIe siècle « une intense circulation des manuscrits musicaux »1 est observée. Or, s’ils

étaient présents en nombre à cette période, une grande partie de ceux-ci est aujourd’hui perdue ou difficile à localiser et la plupart de ceux qui nous sont parvenus restent anonymes. Bien que ces documents présentent un intérêt certain, il semble plus judicieux d’étudier en premier lieu les sources imprimées, beaucoup plus complètes et mieux inventoriées. D’autre part, à la lumière des informations délivrées dans certaines préfaces des volumes de musique, on comprend qu’il n’est pas rare que les airs circulent à l’état de manuscrits avant d’être imprimés. Évoquant une logique de « sélection » lors de cette phase de transition, Anne-Madeleine Goulet explique que « La libre circulation des airs manuscrits permettait aussi de tester leur valeur : au regard de l’immensité de la production, on est en droit de penser que les éditeurs ne retenaient que les airs qui avaient reçu l’approbation générale »2.

Se centrer sur les musiques imprimées revient donc à s’intéresser précisément aux musiques les plus en vogue du moment : celles que les imprimeurs ou auteurs avaient jugées dignes d’être publiées. En outre, il faut prendre en compte le fait qu’en considérant uniquement les chansons et airs à boire imprimés par Ballard, ce corpus représente à lui seul un chiffre considérable avec environ 3 500 chansons et airs publiés dans l’intervalle chronologique sélectionné (1627-1710). Ainsi, au sein de ces musiques bachiques qui n’ont jamais été étudiées et dont le nombre est considérable, il a semblé logique de centrer cette étude sur les pièces qui ont manifestement été les plus chantées. Au-delà de la question du type de support, s’il est essentiellement question de la maison Ballard dans notre étude, c’est que cette dernière a gardé le monopole de l’édition musicale typographique3 tout au long du XVIIe siècle. L’histoire des musiques à boire est donc indissociable de celle de l’imprimerie

Ballard4 où les chansons et airs bachiques de cette période sont très majoritairement publiés.

Dernière contrainte enfin, nous n’incluons pas dans notre corpus d’étude les musiques de scène, qui ne relèvent pas du même style d’écriture musicale et qui ne concernent pas le même contexte d’interprétation. Ainsi, les airs issus d’opéras ou de comédies n’ont pas été pris en compte, y compris les quelques rares publiés dans les volumes collectifs des Recueils d’airs sérieux et à boire publiés à partir des années 1700. Les parodies ont également été laissées de côté, afin de centrer cette étude uniquement sur les musiques et textes poétiques à boire pensés originellement pour l’univers bachique.

1 GUILLO, Pierre I Ballard et Robert III Ballard, vol. I, p. 71. Dans la préface de son livre d’air de 1673, Pinard précise

même qu’il n’a fait publier ses airs « que pour éviter la peine d’en écrire plusieurs copies, que je suis obligé de donner à mes amis », cf. [PINARD], « Avertissement au lecteur », Premier livre d’airs à boire à deux parties contre les

incommodités du temps, 1673.

2 GOULET, Poésie, musique et sociabilité, p. 125.

3 Ce n’est qu’à la fin du XVIIe siècle que l’utilisation de la technique de la gravure en taille douce en musique va

permettre aux compositeurs les plus entreprenants (notamment Lambert en 1661 et Bacilly) de contourner ce monopole.

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22

Pour constituer ce corpus, nous avons réuni toutes les musiques à boire issues des recueils collectifs emblématiques du XVIIe siècle (les Chansons pour danser et pour boire, les Recueils d’airs

sérieux et à boire et les airs du Mercure galant), mais aussi celles proposées par les auteurs

bachiques les plus prolifiques de cette période (Rosiers, Sicard, Dubuisson, Bousset). Cette première sélection a ensuite été complétée par les productions de quelques auteurs secondaires, ce qui offre des points de comparaison supplémentaires lors des analyses. Le tableau ci-dessous liste, par ordre chronologique, les corpus dont ont été extraites ces musiques à boire. Le nombre d’airs et de chansons bachiques que chacun d’entre eux renferme est indiqué tout comme les intitulés variés des recueils et le type de pièces concernés. Entre 1627 et 1710, les dépouillements entrepris sont principalement exhaustifs, à l’exception de ceux effectués pour Chastelet et Pinard dont les corpus n’ont été sélectionnés que comme point de comparaison, et de celui de Bousset qui se limite aux années 1690-1699, période suffisamment représentative de sa production1 :

Corpus Qualité Recueil Pièces Dates Dépouillement Pièces

Chansons pour danser et pour boire Collectif Auteur Chansons pour

danser et pour boire Chansons 1627-1669 Exhaustif 231

Corpus Chastelet Auteur Siléniennes Chansons 1632-1639 Partiel 33 Corpus Rosiers Auteur Libertés/Alphabet Chansons 1634-1672 Exhaustif 720 Corpus Chancy Auteur Airs de

cour/Équivoques

Airs de

cour2/Chansons 1635-1655 Exhaustif 37

Corpus Sicard Auteur Airs sérieux et à

boire Airs à boire 1666-1683 Exhaustif 194

Livre d’airs contre les incommodités du temps [Pinard]

[Auteur] Airs [et] Chansons Airs à boire 1673 Partiel 24 Mercure galant Collectif Airs à boire Airs à boire 1678-1710 Exhaustif 108 Corpus Dubuisson Auteur Airs sérieux et à

boire Airs à boire 1686-1696 Exhaustif 163

Recueils d’airs

sérieux et à boire Collectif

Airs sérieux et à

boire Airs à boire 1694-1710 Exhaustif 796

Corpus Bousset Auteur Airs sérieux et à

boire Airs à boire 1690-1699 Partiel 119

Tableau 1 : Liste générale des publications dont sont issues les pièces bachiques de notre corpus d’étude Ce corpus totalise 2 425 chansons et airs à boire, publiés entre 1627 et 1710 et tirés des publications les plus représentatives et célèbres du temps, soit environ 80% de la production de cette période. Ceux-ci y sont classés par collection, auteur et par ordre chronologique ; sont également indiqués les codes du RISM correspondant au recueil ainsi que les années et le ou les mois de publication le cas échéant. Afin de permettre une identification rapide

1 Une nouvelle collection débute en 1702 et se poursuit après 1710. 2 Certains recueils d’airs de cour contiennent des pièces à boire.

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23

de ces pièces de musiques, un code alphanumérique unique, construit en deux parties, a également été attribué à chacune d’entre elles. La première partie est constituée du code RISM du recueil dont la pièce en question provient ; la seconde est un numéro en chiffres arabes, qui est attribué en fonction de l’emplacement de l’air ou de la chanson dans le volume. Par exemple, la première pièce bachique que l’on trouve dans le volume L’élite des

Libertés de Rosiers, publié en 1634 et inventorié par le RISM sous la cote R 2633, sera

étiquetée R 2633-01 ; la seconde pièce, R 2633-02, etc. Les pièces « sérieuses » publiées dans les volumes entre les pièces bachiques n’ont aucune incidence sur cette numérotation, seuls les chansons et airs bachiques sont pris en compte. Ce code est celui qui identifie chaque pièce sur notre catalogue général (an. I) ; c’est également celui que nous utiliserons dans le corps du texte pour désigner les pièces dont il est question.

Une fois les contraintes matérielles fixées, nous avons pu entamer un travail de dépouillement et d’analyse. Deux lectures intégrales du corpus ont été effectuées, notamment afin d’uniformiser les informations extraites. Des critères analytiques ont été établis en fonction des besoins de l’étude qui comporte, rappelons-le, deux pans intimement liés : un pan musical et un pan sociologique et historique. Dans ce cadre, nous avons choisi de procéder à une analyse musicale et poétique, à l’analyse thématique exhaustive des textes poétiques, à l’inventaire et à l’analyse des paratextes des volumes, au repérage des doublons poétiques et/ou musicaux et enfin à l’identification des auteurs des poèmes lorsque cela était possible. En définitive le catalogue analytique comporte une ligne par air (soit 2425 lignes) sur plus de 50 colonnes relatives aux critères de dépouillement. Un résumé des critères choisis est proposé dans le tableau ci-dessous :

Critères musicaux-poétiques

Critères littéraires Critères issus des paratextes et autres éléments • Métriques • Instrumentations et tessitures • Tonaux • Formels

• Liste exhaustive des thématiques • Liste de mots-clés • Relevé des figures de style

marquantes

• Noms d’auteurs, de dédicataires • Type de pièces liminaires, noms

des signataires • Articles introductifs

• Intitulés des volumes et des pièces

Tableau 2 : Critères de dépouillement généraux

Cette base de données générale permet de générer des calculs statistiques poussés, d’isoler des points de comparaison et d’effectuer des recoupements, autant d’éléments indispensables pour construire ensuite notre réflexion et contextualiser ces airs. Il est impossible de donner ici l’intégralité de ce tableau Excel ; néanmoins, plusieurs des pièces annexes – et notamment le catalogue général – en rendent compte.

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24

Démarche adoptée et perspectives d’étude

Parallèlement à la constitution de ce corpus, de l’analyse des pièces qui le composent, nous avons, pendant plusieurs années, effectué des recherches poussées aux Archives nationales au sein du minutier central et dans les documents du Châtelet de Paris. Celles-ci ont fourni des points d’éclairage précieux sur les réseaux de distribution de vin – et notamment les cabaretiers et marchands de vin en gros – dans Paris au XVIIe siècle, sur les sphères sociales

qui gravitent autour des musiques à boire, sur certains compositeurs bachiques emblématiques, mais surtout sur l’un des musiciens les plus représentatifs de l’air à boire français de la fin du XVIIe siècle : Jacques Dubuisson1 ; il a ainsi été possible d’identifier cet

interprète et compositeur dont aucun élément biographique n’était connu jusqu’à lors. Nous avons pu reconstituer son arbre généalogique, comprendre de quel milieu social il provenait, donner des éléments concernant son niveau de vie et le profil des personnes qu’il fréquentait et enfin montrer de quelle manière il était ancré dans le paysage social parisien. Dans le présent travail, notre analyse repose sur deux axes. En premier lieu, nous nous pencherons sur l’étude des pièces bachiques et des volumes de musique, en second lieu, nous verrons quels sont les réseaux sociaux qui font vivre les musiques bachiques puis essayerons de resituer cette pratique dans la société française d’Ancien Régime.

Le premier axe d’analyse est lui-même subdivisé en deux points. Dans un premier chapitre nous essayerons de comprendre de quelle manière les pièces à boire s’inscrivent dans le paysage musical français et tenterons de répondre à plusieurs questions : peut-on dégager des spécificités musicales ou poétiques formelles caractérisant les musiques bachiques ? Comment ces pièces construisent-elles leur identité ? Quelle place éditoriale réserve la maison Ballard à ces musiques ? Dans le second chapitre, nous étudierons les textes poétiques des pièces à boire, dont la nature bachique constitue la principale caractéristique. Au-delà de l’étude des formes poétiques – et poético-musicales – nous détaillerons quels sont les sujets qu’exploitent ces textes. Bien que le thème poétique central semble en apparence assez restreint, car renvoyant exclusivement à l’univers viticole, nous verrons que celui-ci se décline en une étonnante variété de thématiques secondaires ; celles-ci ont fait l’objet de la constitution d’un catalogue riche de plusieurs centaines d’entre-elles.

Dans le second axe d’analyse, nous nous pencherons sur le contexte historique et social qui environne les chansons et airs à boire. Le troisième chapitre porte sur les réseaux, les statuts sociaux des différents artistes bachiques et sur la manière dont ils se positionnent par rapport aux autres artistes et littéraires professionnels de cette époque. Parmi les acteurs qui font vivre ces musiques figurent aussi les mécènes, le public – régulier ou de circonstance – les élèves, les propriétaires des débits de boisson, etc. Là encore, il importe

1 Une partie de ce travail sur Dubuisson a été étudiée lors du Master ; voir BOURCERIE, Robin, Jacques Dubuisson, les

airs sérieux et à boire, étude historique et analytique, mémoire de Master 2 soutenu en juin 2015 à l’université de Paris IV

sous la direction de Théodora Psychoyou. De nouveaux documents portant sur Jacques Dubuisson ont été retrouvés dans les années suivant ce travail de Master, nous les présentons dans la présente étude, aux côtés d’une analyse plus poussée des actes précédemment retrouvés.

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25

d’étudier de quelles sphères sociales ces acteurs sont issus et de voir s’il est possible de dégager des spécificités marquantes. Enfin, dans le dernier chapitre, nous aborderons la question du cadre de réalisation de ces musiques et de la pratique bachique à proprement parler. Est-il possible de mettre en valeur l’existence de liens précis entre l’univers musical bachique et les circuits de distribution de vin Parisiens ? Quels sont les vins consommés par les buveurs ? Sont-ce ceux que boivent les autres Parisiens ? Nous tenterons ensuite de brosser le portrait de cette pratique si singulière et essayerons de montrer quelles sont les spécificités intrinsèques à la pratique bachique. Dans un dernier temps, nous nous attarderons sur la manière dont les buveurs musiciens sont perçus par les autres sphères parisiennes ; essuyant des critiques de toute part, transgressant les lois – de manière volontaire ou non – en permanence, les représentants de cet univers particulier vont devoir adapter leur pratique afin de faire gagner quelques lettres de noblesse à ce genre musical qu’il est de bon ton, parfois de manière incohérente, de déconsidérer dans la bonne société.

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P

REMIÈRE PARTIE

:

UNE MUSIQUE PENSÉE POUR

L

UNIVERS BACHIQUE

(28)

27

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28

I. Recueils d’airs ou de chansons ?

Les chansons et airs bachiques qui constituent notre corpus sont extraits de recueils aux intitulés variés, comme le montre le tableau 1 présenté dans l’introduction. Ces dénominations ne sont autre que le reflet des diverses formes musicales que revêtent ces musiques à boire. Il est donc nécessaire d’expliquer précisément à quelle réalité musico-poétique renvoient les qualificatifs employés par les auteurs. Il apparaît qu’au sein de cette diversité de dénominations, certains termes utilisés sont eux-mêmes polysémiques : ainsi, les mots « air » ou « chanson » renvoient à des définitions différentes qui varient selon leur contexte d’utilisation (période chronologique, source, contexte ou emplacement précis dans le recueil, etc.) et qu’il convient de détailler. L’étude lexicologique de ces vocables et de la réalité musicale à laquelle ils renvoient a déjà été partiellement effectuée par nos prédécesseurs1 et offre des éléments de réponse indispensables pour qui veut tenter

d’appréhender ce répertoire. Afin de pouvoir approfondir ces aspects plurivoques et de contextualiser notre corpus, nous devrons donc effectuer quelques rappels.

Afin de comprendre comment interpréter ces dénominations, il est nécessaire d’admettre qu’au XVIIe siècle plusieurs définitions des mots « chanson » et « airs » évoluent

concurremment et/ou se succèdent. Quatre dimensions particulières régissent ces différentes significations. Tout d’abord, une dimension éditoriale, qui est fortement liée à une évolution chronologique ; secondement, une dimension stylistique, où des échanges entre analyse émique et analyse étique vont permettre de procéder à une classification et créer des recoupements avec la « dimension éditoriale » ; une dimension descriptive ensuite, quand ces termes marquent une différence entre texte poétique et texte musical ; et enfin une dimension usuelle, lorsqu’il est fait référence aux airs et chansons de manière courante. Lexicalement parlant on remarque enfin que les différents vocables caractérisant nos pièces sont principalement générés grâce aux mots « chanson » et « air », ou constitués simplement de l’un de ces termes : ces deux mots sont donc employés soit en tant que termes hyperonymes – ou génériques – soit en tant que mot générateur. Précisons encore que les syntagmes air de cour2, airs sérieux et à boire, chanson pour danser et pour boire, qui semblent

pourtant définir plus précisément les pièces de musique, ne sont pas ceux qui sont préférablement utilisés dans les traités ou les pièces liminaires : on y trouve plus volontiers les termes génériques « chanson » et « air ».

1 Cf. notamment les travaux remarquables de Laurent Guillo : Pierre I Ballard et Robert III Ballard ; Clémence Monnier :

Histoire et analyse ; Anne-Madeleine Goulet : Poésie, musique et sociabilité et Georgie Durosoir : L’Air de cour en France.

2 Bien que pouvant être présent sur les pages de titre, on constate que le terme air de cour est quasi introuvable dans

les traités du XVIIe siècle tout comme dans les pièces liminaires des volumes de musique eux-mêmes. De rares

exceptions existent cependant ; citons deux pièces liminaires de Chancy où il est question d’airs de cour : « Aux censeurs » dans Les Équivoques…, Ballard, 1639, ainsi que l’épître « à Monsieur de Nyert », publiée dans le III. Livre

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Une dimension éditoriale

Les intitulés Livre de chansons pour danser et pour boire, Recueil d’airs sérieux et à boire, Airs de cour

à quatre et cinq parties apparaissant sur les pages de titre sont ce qui caractérise le mieux les

airs du XVIIe siècle, permettant ainsi au lecteur de s’orienter rapidement sur le type de

musique qu’il s’apprête à découvrir. Cela étant, dans cette partie nous nous centrerons sur la description des différentes terminologies rencontrées dans les recueils, tant sur les pages de titre que sur les titres courants, les lignes de pied ou les tables alphabétique, en réservant le pan analytique et stylistique des pièces au point suivant.

Deux périodes éditoriales peuvent être isolées pour les chansons et airs du XVIIe

siècle. Une première période s’étend du début du siècle jusque dans les années 1670 : c’est durant ces deux premiers tiers du siècle que les livres d’airs de cour, livres d’airs et recueils de

chansons sont publiés. La seconde période, qui dure jusqu’à la fin du siècle, est celle qui voit

les volumes d’airs sérieux et à boire se multiplier tandis que les livres d’airs de cour et recueils de chansons disparaissent progressivement.

1. Première période : L’air de cour, l’air et la chanson a. L’air de cour et l’air

L’air de cour, dont les prémices voient le jour à la fin du XVIe siècle, devient prédominant

dans la première partie du XVIIe siècle. Il trouve ses sources dans le vaudeville1 (terme cité

par Mersenne dans la Proposition XXIII du Livre Second des Chants) qui est, par opposition au contrepoint figuré imitatif et savant, une forme musicale légère présentant une polyphonie en contrepoint simple, note contre note2. Le syntagme air de cour apparaît pour la première

fois en 1571, avec la publication, chez Ballard, du Livre d’airs de cour mis sur le luth d’Adrian Le Roy. En 1596, un second recueil édité par Ballard porte le nom d’air de cour3 puis il faut

attendre 1602 et le premier recueil de Pierre Guédron4 pour voir à nouveau un volume

désigné par ce vocable. L’air de cour s’affirme rapidement et prend des formes variées, comme le souligne Laurent Guillo :

L’air de cour est la forme reine du premier XVIIe siècle, les recueils publiés s’élevant à plus d’un

cinquième du répertoire. La caractéristique la plus frappante reste que, dans ces sources imprimées ou manuscrites, cette forme présente plusieurs avatars : l’air polyphonique5, l’air au luth et l’air

réduit à une ou deux voix6.

1 L’étymologie de vaudeville n’aurait rien à voir avec la ville, mais viendrait plutôt du normand vau de vire, dans le

sens de « bouger ». Nous remercions Nicole Rouillé pour cette information.

2 DUROSOIR, L’air de cour en France, p. 33 et MONNIER, Histoire et analyse, p. 35. 3 Airs de court mis en musique à 4 et 5 parties de plusieurs auteurs, Paris, Ballard, 1596.

4 Voir l’Annexe 1 de DUROSOIR, L’air de cour en France, p. 342-344.

5 Couramment jusqu’à quatre ou cinq parties vocales.

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Plusieurs types d’air de cour peuvent être distingués en fonction de l’effectif musical. L’intitulé même des recueils d’airs peut être multiforme (nous pensons à des titres comme

Le printemps, Meslanges, Alphabet) tout comme leur contenu : y figurent un grand nombre

d’airs de ballets, mais aussi quelques airs à danser, des airs espagnols, des airs italiens et même deux airs turcs chez Charles Tessier en 1597 ou des airs pour voix, violes et basse continue publiés aux côtés de motets chez Du Mont en 16571. En outre, ces volumes d’air

contiennent un nombre non négligeable d’airs à boire : citons ceux des Airs de différents

auteurs publiés en 1621, des Livres d’airs de cour, et de différents auteurs2 mais aussi tous ceux

présents dans les livres d’airs de cour de Boyer3, Macé4, Chancy5 et Moulinié6 autour des

années 1625-1640, puis de Cambefort en 16517 et Laroche en 16588. Un recueil d’airs

polyphoniques à quatre parties vocales intitulé Airs à boire est même répertorié chez Lefébure en 16609.

En définitive, ces constatations mettent en lumière la grande diversité de l’air de cour. La seule constante qu’il est possible de dégager à son propos est que dans le tout premier

XVIIe siècle, tous les auteurs ayant composé ces pièces sont des musiciens au service de la

cour de France10. En effet, comme le précise Furetière :

On appelle aussi un air de Cour, une chanson qu’on chante à la Cour11.

Si le terme air de cour est dans un premier temps réservé aux compositions des musiciens travaillant au service de la cour de France, cette réalité tend à disparaître assez rapidement, comme le souligne Georgie Durosoir :

Avec Pierre Guédron, compositeur du roi, le terme d’ « air de cour » inauguré par Adrian Le Roy en 1570 se généralise ; il ne tardera pas à être utilisé par tous les compositeurs d’airs, qu’ils soient ou non rattachés au service royal, et ce malgré les mises en garde de Pierre Ballard12.

Georgie Durosoir évoque ici le Privilège du recueil de 1608 de Pierre Guédron où Pierre Ballard obtient qu’il soit défendu aux autres imprimeurs :

1 Cf. DU MONT, Meslanges, Paris, Ballard, 1657.

2 Une quinzaine d’airs à boire dans le VIIe Livre d’airs de différents auteurs, Paris, Ballard, 1626.

3 Trois airs à boire dans BOYER, IIe livre d’airs à 4 parties, Paris, Ballard, 1627. 4 Quatre airs à boire dans MACE, Airs à 4 parties, Paris, Ballard, 1634. 5 Quatre airs à boire dans CHANCY, Airs de cour à quatre parties, 1635.

6 Citons huit airs à boire dans le troisième livre d’Airs de cour avec la tablature de luth et de guitare, 1629, quatre dans les

Airs de cour avec la tablature de luth en 1633 et quelques airs à boire dans le Troisième livre d’airs de cour à quatre parties,

1635 et le Cinquième livre d’airs de cour à 4 et 5 parties, 1639.

7 CAMBEFORT,Airs de cour, Paris, Ballard, 1651. 8 LAROCHE, Ve livre d’airs, Paris, Ballard, 1658.

9 LEFEBURE, Airs à boire, Pairs, Ballard, 1660.

10 Citons parmi ces compositeurs Pierre Guédron, surintendant de la musique d’Henry IV, puis son gendre Antoine Boesset, surintendant de la musique de Louis XIII et Estienne Moulinié, intendant de la musique de Gaston d’Orléans.

11 FURETIERE, Dictionnaire universel, 1690, article « Cour ». 12 DUROSOIR, L’air de cour en France, p.78.

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[D’] extraire les paroles ou lettres, soit sur vieilles ou nouvelles copies, ny usurper le tiltre d’Airs de Cour comme ja quelques uns se sont emancipés de faire, auxquels sont faites défenses de continuer par quelque manière que ce soit1.

L’auteur de cet extrait pense très probablement au cas de quatre imprimeurs de province (Adrian de Launay, Théodore Reinsart, Pierre Brosat et Jacques Mangeant) qui, en 1600, 1602, 1606, 1607 et 1608 publient des recueils poétiques contenant des airs nommés airs de

cour, composés par des musiciens n’ayant aucune charge au service de celle-ci : le qualificatif

a été employé ici comme gage de qualité2. Ce n’est que plus tard que Ballard établit

clairement une distinction entre les airs écrits par les musiciens de la cour et les autres, dans la collection qu’il entreprend en 1615 et qu’il intitule Airs de cour et de différents auteurs.

Enfin, dans une dernière nuance, Anne-Madeleine Goulet signale que l’expression « air de cour » peut aussi désigner « des airs qui parlent de la cour et des personnes qui la constituent », comme dans « le recueil Airs et vaudevilles de cour publié en 1665 par Charles de Sercy, où de nombreuses pièces évoquent explicitement des figures de la cour »3. En

définitive et comme le résume Clémence Monnier :

Le simple mot « air » semble être le plus approprié pour désigner l’ensemble du répertoire vocal et profane de cette période. Terme générique, il est employé indifféremment pour désigner les polyphonies, les monodies avec tablature de luth ou encore les airs à voix seule. En revanche, l’expression « air de cour » est plus connotée puisqu’elle livre le statut et l’origine de son compositeur, ainsi que le milieu pour lequel l’air a été composé4.

Par la suite, lorsque dans les années 1650/1660 l’air polyphonique disparaît au profit de l’air à une ou deux voix, le qualificatif d’« Air de cour » disparaît également. L’air fait alors appel à des effectifs plus réduits (une ou deux parties vocales, éventuellement avec un accompagnement instrumental ou une basse continue), mieux adaptés aux nouveaux – et plus intimistes – espaces urbains qu’il investit :

Ce changement allait de pair avec un déplacement des foyers culturels, des fastes de la cour aux salons bourgeois de la ville5.

b. La Chanson

Parallèlement à l’air de cour puis à l’air, un autre genre de publication évolue : les Chansons

pour danser et pour boire. Présentant des chansons pour danser et des chansons pour boire, ce type de

volume de musique s’épanouit durant les deux premiers tiers du XVIIe siècle et comporte

un nombre impressionnant de pièces que Laurent Guillo estime à 25006. C’est au sein de

1 « Extrait du privilège », GUEDRON, Airs de Cour, 1608. 2 MONNIER, Histoire et analyse, p. 36.

3 GOULET, Poésie, musique et sociabilité, p. 12. 4 MONNIER, Clémence, Histoire et analyse, p. 37. 5 GOULET, Poésie, musique et sociabilité, p. 20.

6 GUILLO, Pierre I Ballard et Robert III Ballard, vol. I, p. 133 ; 1020 des 2500 pièces publiées environ constituent 42%

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32

ce répertoire peu étudié que l’on voit apparaître, en 1627, la collection des Chansons pour

danser et pour boire. Elle est reprise vers 1663 par Bacilly qui assure le rôle d’éditeur musical et

y publie ses œuvres. Cette collection accueille une trentaine de livres en une cinquantaine d’années. Enfin, un grand nombre de chansons est aussi publié dans des recueils monographiques ; à titre d’exemple, rappelons que l’on dénombre chez Rosiers pas moins de 720 chansons à boire.

C’est l’intitulé « Chansons » qui est proposé le plus souvent en page de titre de ces volumes, mais d’autres qualificatifs sont parfois utilisés, comme le tableau 1 présentant les recueils dont sont issues les pièces bachiques de notre corpus l’a montré (cf. p. 21). Ainsi, des dizaines de livres d’où sont tirées les pièces de notre corpus proposent d’autres intitulés tels les Libertés et Alphabet d’André de Rosiers ou les Équivoques de François de Chancy. Il faut alors parcourir le ou les volume(s) concerné(s) pour comprendre, le plus souvent grâce aux titres courants, qu’il s’agit effectivement de chansons. François de Chancy éclaircit ce point non seulement grâce au titre courant « chansons », mais également lorsqu’il modifie l’intitulé de ses recueils – les fameuses Équivoques – au cours de la publication de la suite de sa collection. Ce compositeur explique en effet, dans la pièce liminaire « au lecteur » de son troisième livre de 1649, qu’ayant été témoin d’une altercation entre une dame et un religieux à propos de ses équivoques et de leur caractère licencieux, il aurait pris la décision de renommer les « équivoques » en « chansons » :

Cher amy, je me rencontray il y a quelque temps en un lieu où un religieux & une dame disputoient sur un de mes livres d’equivoques, & bien que la dame prist mon fait & cause en main, le religieux neantmoins soustenoit fort & ferme que ce mot d’equivoques au commencement de mon livre pouvoit blesser ma conscience, parce que c’estoit advertir & comme obliger ceux qui le feuilletteroient, de s’arrester à chaque ligne pour la trouver ; j’advoüay qu’ils avoient tous deux raison, & pour finir leur different je me fis juge de ma propre cause, promettant à la dame de continuër mes chansons, & au religieux de bannir ce mot d’equivoques […]1.

Signalons par ailleurs que les titres courants des volumes de chansons abritent, de manière plus ou moins isolée, quelques précisions apportées à des pièces spécifiques. Donnons l’exemple du XIe livre de chansons de 1635 qui propose un dialogue de deux filles et celui du

XVIIIe livre de chansons de 1657 où figurent un dialogue pour danser et une courante pour danser. Une Chanson à baiser est même signalée dans le VIe livre de chansons de 1632.

La chanson disparaît ensuite sous cette forme éditoriale exclusive dans la décennie 1660/1670 avec les derniers livres de Libertés de Rosiers et des Chansons pour danser et pour

boire pour muter et se fondre, dans le dernier tiers du XVIIe siècle, au sein des recueils

monographiques ou collectifs que sont les airs sérieux et à boire.

Bien que formant un répertoire distinct de celui de l’air de cour2, ces chansons – et notamment

les chansons à boire de notre corpus – évoluent dans des sphères socio-culturelles assez

1 Pièce liminaire « Au lecteur », CHANCY, III. Livre des chansons, 1649, f. 3r.

2 Dans la majorité des cas en cette première partie de siècle, chansons et airs ne sont pas édités dans les mêmes

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33

proches de celles de l’air de cour, voire communes dans certains cas, comme les noms de dédicataires en commun1 au sein de ces deux pôles de publications le suggèrent. Or,

contrairement à l’air qui n’arrive dans l’espace urbain que tard dans le siècle, la chanson le précède d’une cinquantaine d’années. Elle prend en effet son essor plus loin de la cour, probablement dès les années 16202, dans un univers social plus ouvert, principalement dans

les sphères privées de la bourgeoisie, ou publiques des débits de boisson. Les réceptions ou grands dîners chez un riche aristocrate sont propices à son épanouissement tout comme les repas partagés au cabaret, entre amis ou réguliers, sont prétextes à son interprétation. Dans ce dernier cas, les agapes et chants des habitués sont volontiers partagés avec le client de passage – fût-il non musicien – à condition que celui-ci réponde aux critères imposés par les buveurs ; faute de quoi, la fenêtre d’acceptation au sein du cercle se referme :

C’est un plaisir délectable, / Maudit soit qui ne boira, Celui qui rechignera / Le faut chasser de la table :

Buvons donc mes amis le soir et le matin, / Puisque la terre a soin de nous donner du vin3.

c. Aux confins de l’air et de la chanson : quelques cas particuliers

Quelques zones floues concernant ces typologies sont néanmoins à indiquer. Dans deux des trois livres de musique à quatre parties vocales de Rosiers, Les Libertés publiées en 16384

et L’Alphabet et suite des Libertés publié en 16465, ainsi que dans le premier livre (à deux, trois

et quatre parties) des Siléniennes de Chastelet publié en 16326, nulle mention des mots

« chanson » ou « air » n’a pu être trouvée en titres courants, pieds de page ou dans les tables en fin de volume7. En revanche, dans le livre des Libertés de Rosiers (toujours à quatre

parties vocales) publié en 1634, la mention « Airs » est présente dans le titre de la table8. De

fait, Laurent Guillo classe dans son catalogue les volumes dans la catégorie des airs de cour polyphoniques9. En effet, outre cette mention « airs », la distribution vocale à quatre parties

et l’emploi des qualificatifs de « taille » ou « haute-contre » désignant des tessitures vocales précises place ces volumes dans la droite lignée de l’air polyphonique de la fin du XVIe et

début XVIIe siècle et non de la chanson du milieu du XVIIe siècle10.

1 Notamment à Mr de Niert, Mme de la Suze et Mr de Mortemart.

2 Les premiers recueils de chansons paraissent entre 1627 et 1629, chez Ballard, mais les chansons circulaient déjà

sous forme manuscrite avant leur parution « officielle », comme les auteurs le signalent souvent dans les pièces liminaires de leurs publications.

3 Extrait de la chanson 16374-13, Xe livre de chansons pour danser et pour boire, 1637. 4 ROSIERS, Second livre des Libertés, 1638.

5 ROSIERS, L’Alphabet et suite des Libertés, 1646. 6 CHASTELET, Les Siléniennes, 1632.

7 Nous n’avons sciemment pas tenu compte de la présence éventuelle des mots « chanson » ou « air » dans les pièces

liminaires, lieux où ces termes peuvent revêtir une toute autre signification, comme nous le verrons.

8 ROSIERS, Les Libertés, 1634, f. 25r.

9 GUILLO, Pierre I Ballard et Robert III Ballard, Vol. I, p. 136-137.

10 Une des différences stylistiques entre la chanson et l’air est que le répertoire de la chanson ne propose très

majoritairement que des pièces à une ou deux parties vocales, si l’on excepte le cas isolé des Meslanges de chanson d’Artus Aux-Cousteaux, pièces polyphoniques publiées en 1644 et survivance de la chanson XVIe.

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Cela étant, plusieurs éléments permettent de rattacher certaines pièces à l’univers de la chanson plutôt qu’à celui de l’air. Tout d’abord, dans la table de son Second livre des

Siléniennes1, Chastelet informe le lecteur de la présence de « Chansons a trois » parmi les airs

polyphoniques. Concernant ensuite le cas de Rosiers, on constate que ses recueils d’ « airs » et de chansons portent le même intitulé (Libertés et/ou Alphabet) et qu’ils ne contiennent très majoritairement que des pièces bachiques. Or, dans cette première partie du siècle, la grande majorité des pièces bachiques publiées chez Ballard se trouve dans les recueils de chansons et non dans les recueils d’airs. De plus, comme nous le verrons plus bas, l’analyse poético-musicale de ces pièces révèle qu’un certain nombre d’éléments relèvent plus du style d’écriture de la chanson que de celui de l’air : carrure musicale stricte, peu de répétitions poétiques dans le texte musical, absence de vers mêlés.

D’autre part, comme dans le cas des volumes d’airs, les volumes de chansons abritent des pièces aux intitulés variés ; des mutations sont alors observées au niveau même de l’intitulé des recueils. Dans une période de transition stylistique et éditoriale, un nombre conséquent d’« airs à deux » est publié dans les quatre Livres de chansons pour danser et pour boire édités par Ballard entre 1665 et 1668 – à la suite des vingt-sept volumes publiés de 1627 à 1664 et qui ne proposaient exclusivement que des chansons. Puis l’année suivante, en 1669, le nombre d’airs prend le pas sur le nombre de chansons. Tout en gardant une présentation et une organisation interne similaire2, cette série de publications revêt alors deux nouveaux titres

pour les deux dernières années de publication, en 1671 et 1674 : Mélanges d’airs à deux parties,

d’airs a boire et autres chansons puis II. livre des mélanges de chansons, airs sérieux et a boire, à 2 et 3 parties.

Dernier exemple, les trois Livres d’airs3 de Pinard4 (1673, 1685 et 1687) mêlent eux

aussi les termes chanson et air. Concernant le premier volume de 1673, Laurent Guillo signale que « Contrairement à ce qui figure sur le titre et la table, les pièces sont toutes dénommées Chansons à boire dans le titre courant »5. Dans ce cas présent, étant donné la

longueur de certains textes poétiques et l’originalité des pièces de titre6, nous émettons

l’hypothèse que la présence de l’intitulé « Chanson » soit dû à l’accent que l’auteur a voulu porter sur le texte poétique plutôt que sur la musique, le mot « chanson » pouvant parfois renvoyer au texte poétique7. A contrario, le livre d’airs de 1685 troque la dénomination

« Chanson » au profit de « Airs » dans son titre courant, tandis que les pièces de musique sont le plus souvent intitulées « Chanson » ou « Récit de basse ». Puis, en 1687, le titre du recueil annonce finalement les deux types de pièces : Troisième livre d’airs à boire à II. et III.

1 CHASTELET, Second livre des Siléniennes, 1639. 2 MONNIER, Histoire et analyse, p. 105.

3 [PINARD], Premier livre d’airs à boire à 2 parties, contre les incommodités du temps, 1673 ; Second livre d’airs à boire à II. et III.

parties, 1685 et Troisième livre d’airs à boire à II. et III. Parties, 1687.

4 L’attribution à Pinard est due à Laurent Guillo, voir Pierre I Ballard et Robert III Ballard, vol. II, p. 746. 5 Idem.

6 À titre d’exemple, citons ces : « Chanson à boire pour corriger les abus qui se commettent presque tous les jours

aux grands repas » ; « Chanson à boire contre ceux qui mettent toute la viande dedans un plat sur la table » et « Chanson à boire contre les grands chapeaux ».

Figure

Tableau 1 : Liste générale des publications dont sont issues les pièces bachiques de notre corpus d’étude
Figure I.1 : Exemple d’intitulés proposés par les Recueils d’airs sérieux et à boire d’avril 1707, p
Tableau I.1 : « Autres intitulés » n’apparaissant qu’une fois dans les Recueils d’airs sérieux et à boire
Graphique I.3 : Profil poétique des chansons, d’après l’échantillon d’étude choisi. Valeurs exprimées en pourcentage de chansons présentant chaque caractéristique.
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