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Méthodologie particulière de la recherche-intervention

Article 2 – L’innovation managériale résiste-t-elle à un changement de cap stratégique ? Une

3. Méthodologie particulière de la recherche-intervention

La question de recherche est abordée avec un positionnement épistémologique constructiviste (Berger et Luckmann, 1966 ; Charreire et Huault, 2001 ; Thietart, 2007) selon lequel les représentations sont construites avec les acteurs, en l’occurrence grâce à des recherches-interventions commanditées. Dans cette perspective, connaissance et action sont indissociables (Detchessahar, Gentil, Grevin et Stimec, 2012). Relativiste, l’épistémologie constructiviste confère une place centrale au contexte (Girod-Séville et Perret, 2002) et poursuit une visée praxéologique, i.e. utile à l’action : « faire progresser les connaissances sur les organisations, leur gestion, tout en proposant aux praticiens des outils et des savoirs instrumentaux. » (Girod-Séville et Perret, 2002, p. 4).

L’épistémologie constructiviste est couplée à un raisonnement abductif basé sur des allers-retours permanents entre les surprises du terrain et les perspectives théoriques susceptibles d’être mobilisées pour en rendre compte (Koenig, cité par David, 1999 ; Thietart, 2007). Tous deux sont concrétisés dans un dispositif de recherche-intervention (Capgras, Guilhot, Pascal et Claveranne, 2011 ; David, 1999 ; Detchessahar et al., 2012 ; Grenier et Pauget, 2007 ; Pichault, 2006 ; Xhauflair et Pichault, 2011) au sein de deux organisations.

Pichault, s’inspirant des travaux d’Argyris et de Friedberg, définit la recherche- intervention comme « un processus opérationnel, déclenché par l’expression d’un problème particulier, dont il s’agit de gérer le bon déroulement, et dont les objectifs sont la production de connaissances, l’aide à la décision et l’implication active des différents protagonistes » (2006, p. 65). Le chercheur participe à la recherche-intervention et la façonne (Grenier et Pauget, 2007). À travers cette posture, une tension existe entre l’objectif poursuivi par le commanditaire (l’action) et l’objectif poursuivi par le chercheur (la connaissance) (Detchessahar et al., 2012), à relier l’un à l’autre (Capgras

et al., 2011). Selon Detchessahar et al. (2012), le design de la recherche peut résoudre

cette tension à trois niveaux : cognitif (rassemblement de suffisamment d’acteurs et d’informations), politique (adhésion des acteurs ayant le pouvoir) et éthique (respect de chaque acteur, sujet et non objet de la recherche-intervention).

En l’occurrence, deux organisations constituent le cœur de cet article : une entreprise belge pionnière dans le secteur de l’énergie acquise par un géant français et la maison médicale, une structure autogestionnaire belge en croissance. Les investigations ont été menées de 2016 à 2019 avec des méthodes propres, variables selon les temps du projet et articulées de façon longitudinale dans la mesure où des interventions successives ont pris place, sur des sujets divers mais convergents.

Le premier cas concerne la maison médicale, un centre de santé pluridisciplinaire belge à but non lucratif comptant entre 35 et 40 collaborateurs et œuvrant dans la médecine de première ligne. L’originalité de ce cas réside dans le mode de gouvernance choisi par l’institution, à savoir l’autogestion. En bref, selon un principe égalitaire, ce projet politique et organisationnel veut que chaque membre participe à la gestion d’ensemble et possède une voix au même titre qu’un autre, quel que soit son métier. La croissance et le départ des fondateurs mettent à mal ce mode de fonctionnement participatif, raison pour laquelle est entreprise une démarche de professionnalisation. La sollicitation de notre centre de recherche entre dans ce cadre, à savoir résoudre les difficultés organisationnelles, professionnaliser les pratiques de gestion, et ce tout en préservant la philosophie originelle et ses principes fondamentaux. La recherche-intervention, centrée sur la structuration et les modes de fonctionnement de l’organisme, a pris place en trois temps correspondant chacun à un contrat commandité à l’initiative de la maison médicale. En plus d’un suivi régulier avec le Conseil d’Administration (CA), une restitution synthétique des résultats et une discussion étaient organisées avec l’ensemble du personnel au terme de chaque étape.

Premièrement, en vue de redéfinir la structure d’ensemble et le mode de prise de décision, 10 membres issus des différents secteurs (accueil, administratif, infirmier, kinésithérapique, médical, psycho-social) ont été rencontrés pour des entretiens semi- directifs entre avril et juin 2016.

Deuxièmement, les positionnements individuels et collectifs au sein de la maison médicale ont été sondés (31 répondants à une enquête par questionnaire de mars à juin 2017). Ils ont ensuite fait l’objet d’un travail par secteur à travers 6 focus groups (l’ensemble des membres du personnel était convié et 25 personnes ont pris part à ces

réunions, dont 4 à plusieurs reprises vu leur appartenance à deux secteurs) suivi d’un travail interdisciplinaire à travers deux réunions (avec 12 participants volontaires, 2 par secteur), et ce jusqu’octobre 2017. Simultanément, les membres de la maison médicale ont exprimé leurs visions, souhaits et besoins pour le futur de la structure grâce à une enquête Delphi (méthodologie particulière destinée à construire un consensus à travers plusieurs allers-retours d’un questionnaire enrichi à chaque étape) à laquelle 27 répondants ont pris part de juillet à octobre 2017.

Troisièmement, de juin à novembre 2019, une évaluation des changements mis en place dès 2016 a été menée. Tout d’abord, une enquête par questionnaire a permis de sonder les perceptions de 25 répondants. Suite à cela, 5 focus groups ont pris place de fin octobre à novembre 2019 et ont regroupé au total 18 personnes, 13 d’entre elles participant à plusieurs reprises en raison de leurs multiples responsabilités ou de leur intérêt pour les sujets.

Le deuxième cas investigué est une entreprise privée belge active principalement dans la distribution d’énergie verte et comptabilisant environ 300 collaborateurs – jusqu’à son acquisition en 2016 par un géant pétrolier français. L’intérêt de ce cas provient de la culture d’entreprise atypique, agile et participative, et de la place de cette dernière au gré des évolutions successives du contexte. Dès ses origines, l’entreprise se caractérise par une forte culture de transparence, de flexibilité et d’implication qui fédère les collaborateurs et fait la fierté de tous. La croissance de l’entreprise constitue une première pierre d’achoppement pour le maintien de cet esprit. L’acquisition par le Groupe français est une seconde étape clé où se cristallisent les tensions et oppositions entre valeurs initiales et impératifs de formalisation. Trois recherches-interventions commanditées ont eu lieu ainsi qu’une recherche pédagogique dont les apports complètent opportunément notre matériau empirique.

La première recherche-intervention est sollicitée fin 2014 pour éclaircir et améliorer des résultats à une enquête de satisfaction interne jugés insatisfaisants. À cette fin, en novembre et décembre 2014, 11 focus groups, un par équipe, sont organisés. À partir des pistes de solution alors esquissées, deux thèmes, le management anticipatif et le

2015. En outre, trois débats relatifs à l’autonomie au travail et à l’employabilité prennent place en octobre 2015, deux en ligne sur le réseau social d’entreprise, le troisième en présentiel. Ce dispositif contribue notamment au développement d’un outil d’opérationnalisation de la stratégie au niveau des équipes grâce à une déclinaison d’objectifs, nommé Plan d’Objectifs et de Performance (POP).

Le deuxième projet, centré sur l’évaluation de la mise en œuvre des POP, a été déployé de septembre à décembre 2016 à travers des méthodes variées telles qu’une analyse documentaire approfondie, l’observation non participante de 21 réunions, la réalisation de 18 entretiens individuels et de 3 entretiens collectifs.

La troisième recherche-intervention, organisée entre mars et mai 2018 était consacrée à la culture d’entreprise et aux outils de communication interne suite à l’acquisition. Il s’agissait essentiellement d’un accompagnement de la fonction RH en vue d’un séminaire résidentiel de deux jours en mai 2018 réunissant les plus hautes fonctions du nouveau périmètre d’activités ainsi que quelques profils clés (41 personnes au total issues de six pays). Préalablement au séminaire, une enquête sur la culture organisationnelle a été menée auprès des participants dont 24 ont répondu.

Enfin, une recherche à visée pédagogique, à savoir la production d’une étude de cas sur la gestion de la croissance et du changement, a permis de mener 14 entretiens semi- directifs auprès d’une variété d’acteurs de septembre à novembre 2018.

Le cadre épistémologique et méthodologique clarifié, penchons-nous à présent sur le récit de chacun des cas.