• Aucun résultat trouvé

Éléments de synthèse autour du processus d’innovation managériale

Article 2 – L’innovation managériale résiste-t-elle à un changement de cap stratégique ? Une

1. Éléments de synthèse autour du processus d’innovation managériale

Une question de recherche principale sous-tend ce projet doctoral, à savoir : « Comment se déroule le changement induit par une innovation managériale visant à s’éloigner des fonctionnements et structures hiérarchiques classiques ? », et est déclinée en trois questions de recherche plus précises. Penchons-nous sur chacune d’entre elles avant de revenir à une vision d’ensemble.

(1) Quel est le processus de changement à l’œuvre pour parvenir à une innovation managériale ?

Dans un premier temps, notre interrogation porte sur le processus par lequel une innovation managériale aboutit à un relatif succès, en l’occurrence la libération d’un organisme public aujourd’hui largement médiatisée. Ce projet, porté par le président du

comité de direction, naît d’une stratégie entrepreneuriale essentiellement délibérée (Mintzberg et Waters, 1985) qui vise à réaménager les espaces et le temps de travail et à instiller une nouvelle culture organisationnelle fondée sur la responsabilisation. La mobilisation de la sociologie de la traduction pour l’analyse a mis en évidence les pierres d’achoppement, points d’attentions et acquis.

Dans le respect des phases – non nécessairement séquentielles – du processus de traduction, apparaissent en filigrane plusieurs composantes clés pour prétendre à une innovation managériale durable. La problématisation fonde véritablement la démarche et ne peut reposer uniquement sur une partie des acteurs, sous peine de créer un sentiment fort d’imposition et de décalage entre les discours et les actes. L’enrôlement, s’il n’exclut pas toute forme de violence et de rejet, risque d’induire des adhésions factices, plus proches de l’apathie (Bajoit, 1988) que de la loyauté (Hirschman, 1972), voire des dénonciations (voice, Hirschman, 1972). À travers la convergence, un degré d’irréversibilité variable est atteint, plus robuste au niveau des dispositifs concrets – notamment les aménagements spatio-temporels du travail – et conditionné par une responsabilisation au niveau des changements culturels, par essence plus évanescents.

In fine, le faible ancrage des acquis intangibles entretient leur dépendance au porteur de

projet – dans le cas considéré, presqu’assimilé à un leader libérateur – dont le départ inopiné fragilise la démarche.

Cette première avancée dans la compréhension du processus d’innovation managériale mérite d’être approfondie. Pour ce faire, décrypter l’échec – relatif – de l’introduction d’une innovation managériale semble tout indiqué.

(2) Qu’advient-il d’une innovation managériale lorsque le processus est bouleversé par un changement stratégique ?

À travers un second article, l’analyse de deux cas industriels confirme les premières conclusions quant aux enjeux de la traduction pour un processus d’innovation managériale. Le premier cas concerne une démarche de responsabilisation et de transformation managériale, nommée « Ensemble Autrement », qui soutient l’autonomie et l’initiative à tous les niveaux de l’entreprise chocolatière et qui motive des changements depuis les conditions de travail jusqu’au droit à l’erreur. Appuyée par

le directeur général et portée par le management intermédiaire, cette initiative prend corps dans plusieurs projets au sein d’une stratégie cadre à la fois délibérée, émergente et surtout délibérément émergente (Mintzberg et Waters, 1985). La latitude conférée par le cadre maintient un fonctionnement à deux vitesses entre anciennes et nouvelles pratiques managériales, jugé parfois indispensable et parfois préjudiciable. Le second car porte sur le pan innovation sociale d’une « Factory of the Future », instigué et mûri par un chef de projet entouré d’un comité de pilotage et accompagné par notre équipe de recherche. La stratégie planifiée, fondamentalement délibérée (Mintzberg et Waters, 1985), ambitionne de renouveler tant l’organisation du travail que la gestion des ressources humaines dans cette usine du futur.

La fragilité engendrée par une problématisation morcelée ou un intéressement manqué est notamment mise en exergue. À l’opposé, émergent les soubassements solides conférés par une controverse approfondie et modélisée dans deux ensembles cohérents – relatifs respectivement aux dimensions de l’organisation du travail et de la gestion des ressources humaines – et par de multiples concrétisations traduites dans une implication des collaborateurs et un empowerment à différents niveaux. Disséqué plus en profondeur, un des cas met à jour une autre source de vulnérabilité d’un processus d’innovation managériale, à savoir l’absence de controverse autour de l’innovation managériale en tant que telle et non uniquement à propos des enjeux qu’elle entend résoudre. La problématisation serait insuffisante dès lors qu’elle s’accompagne d’une naturalisation de la solution.

Nonobstant l'accomplissement – bien qu’imparfait – des étapes de traduction, des changements stratégiques bouleversent les démarches en cours et laissent présager un funeste destin pour les innovations managériales. Le revirement s’avère d’autant plus brutal lorsqu’une naturalisation a empêché de prendre la mesure des écarts entre les positions des uns et des autres. Ainsi, la question du pouvoir (Crozier et Friedberg, 1977) et, plus particulièrement, de l’asymétrie du rapport de forces offre un nouvel éclairage sur la pérennité – ou plutôt la précarité – d’un réseau pourtant en voie de consolidation. Dans le cas le plus stabilisé, la disparition probable des acquis de l’innovation managériale augure de vives réactions (voice), jusqu’au départ des plus convaincus (exit).

Au vu de ces conclusions, d’aucuns jugeraient que l’innovation managériale se heurte à une impasse lorsque le rapport de force n’est pas en sa faveur, singulièrement lorsqu’elle ne fait pas l’objet d’une mise à l’épreuve. Sonder le contenu et le maintien d’une innovation managériale devient alors un enjeu intéressant sur le plan de la connaissance.

(3) Quel compromis maintient-on autour d’une innovation managériale face à un changement de contexte ?

Une troisième investigation empirique contraste deux cas, issus du secteur privé des services et du secteur non marchand des soins, à l’aune de la théorie des conventions. Originellement fondées sur la base d’une innovation managériale, respectivement une culture atypique et un fonctionnement en autogestion, ces organisations voient leur contexte évoluer sensiblement jusqu’à mettre en péril de telles spécificités. D’un côté, la gouvernance d’une maison médicale repose sur l’égalité et l’implication de tous. Cette stratégie idéologique initialement délibérée (Mintzberg et Waters, 1985) et ancrée dans un projet socio-politique est mise à mal par la croissance de l’association et l’évolution de son contexte sociétal. D’un autre côté, la culture d’une petite entreprise de fourniture d’énergie se caractérise par une grande agilité, une participation de chacun et une recherche de la transparence. Cette culture organisationnelle provient d’une stratégie entrepreneuriale délibérée car insufflée par les fondateurs et émergente car appropriée par les collaborateurs (Mintzberg et Waters, 1985). L’expansion de la firme et ensuite son acquisition par un Groupe, imposant tant par sa taille que par sa culture rivale, questionnent l’avenir du modèle originel.

Inscrit dans l’histoire organisationnelle, le contenu des innovations managériales est d’abord examiné et démontre, outre une hétérogénéité, une complexité croissante au fil du temps. En réponse aux modifications du contexte, l’introduction du monde industriel semble inévitable bien qu’aux antipodes de toutes les prescriptions contemporaines quant aux innovations managériales à mettre en œuvre. Cette « industrialisation » est opérée par le truchement de dispositifs de coordination et de gestion tels qu’un comité de gestion et une fonction de gestionnaire au sein de la maison médicale ainsi qu’un outil de déclinaison d’objectifs et des moyens de communication interne au sein du

fournisseur d’énergie. Cette apparente dénaturation n’éradique cependant pas l’innovation originelle, reconfigurée au sein d’un nouveau compromis.

L’enjeu est alors celui du maintien de ce compromis et repose tant sur ses composantes que sur les caractéristiques de son contexte. Essentiellement complexe, le compromis – ou système conventionnel – doit faire preuve de cohérence. Celle-ci peut être alimentée par des objets composites, des qualités équivoques ou encore des profanations entre mondes. Une autre stratégie vise à réduire la complexité et présuppose donc une certaine malléabilité des conventions. Le rapport de forces détermine alors le chemin à suivre, à condition de préserver la légitimité de l’accord. Si ce n’est pas le cas, le compromis peut être dénoncé comme compromission (voice) et, à nouveau, susciter un assentiment de façade (entre loyalty et apathy) ou un retrait (exit). À cet égard, le chercheur-intervenant, à travers sa propre légitimité, celle du dispositif qu’il met en œuvre et les résultats qu’il atteint, peut jouer un rôle non négligeable et participer à la légitimité du compromis et donc à sa stabilité. Selon l’usage qu’en font les acteurs, la complexité, la malléabilité et la légitimité deviennent des sources de maintien du compromis construit autour de l’innovation managériale.

Somme toute, notre apport quant à l’appréhension du concept d’innovation managériale démontre que la seule considération du contenu est lacunaire et que son ancrage dans un cadre contextualiste (Pettigrew, 1985 ; Pettigrew et al., 2001) est riche d’enseignements. D’une part, la sociologie de la traduction a élucidé la construction d’un contenu selon le processus mis en œuvre. D’autre part, la théorie des conventions a mis à jour l’évolution et le maintien d’un contenu selon le contexte dans lequel il s’inscrit. Comme esquissé, les résultats peuvent donc être intégrés au sein d’un même ensemble, en réponse à notre question de recherche principale.