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D’une simplicité originelle à un premier compromis

Article 2 – L’innovation managériale résiste-t-elle à un changement de cap stratégique ? Une

5. Discussion

5.1. Analyse des systèmes conventionnels et de leur évolution

5.1.1. D’une simplicité originelle à un premier compromis

Sans aucun doute, la maison médicale s’inscrit majoritairement dans un paradigme où prévaut le collectif, la solidarité et la mission commune, en d’autres termes le monde civique. Ce dernier se manifeste non seulement dans la garantie d’un accès équitable aux soins sur base d’un forfait solidaire, mais aussi dans les principes d’autogestion où chacun est supposé s’investir dans la gestion de la structure considérée comme bien commun. Une seconde tendance marque les relations tant professionnelles qu’avec les patients : le monde domestique empreint de bienveillance et de familiarité. Les fondateurs, profondément respectés et appréciés, incarnent particulièrement cet esprit. Le fournisseur d’énergie, pour sa part, poursuit une mission inspirée (rendre le monde plus vert en chamboulant les codes) bien que marchande (le profit reste la norme), et ce sur base d’un fonctionnement agile, résolument connexionniste (polyvalence, flexibilité et ajustement en sont les maîtres mots). La suppression avant-gardiste des frais de résiliation de contrat témoigne de cet agencement des mondes, entre secousse originale du marché et opportunité commerciale. En outre, comme dans le premier cas, les

fondateurs et la petite équipe qu’ils ont réunie personnifient le monde domestique, sa proximité et sa convivialité. Comparativement à la maison médicale, davantage de complexité caractérise donc le système conventionnel originel.

La croissance au sein des deux cas, bien que présentant des rythmes foncièrement dissemblables, engendre une dissonance entre les conventions à l’œuvre et le contexte (M. Amblard, 2003) dont la résolution, pour plusieurs acteurs, se traduit par un impératif d’introduction du monde industriel. Le prix de la survie semble être celui de la formalisation, du moins dans certaines situations. Toutefois, cette dernière ne chamboule pas complètement les équilibres à l’œuvre, mais les déstabilise jusqu’à s’immiscer de façon durable dans les pratiques.

Au fur et à mesure des années, l’équilibre civique et domestique entre les membres de la maison médicale perdure, mais s’étiole depuis quelques temps. L’autogestion, véritable projet politique lors de la création, semble changer de statut et ne plus être une fin mais un moyen pour une part du personnel. Cette forme de dissidence (M. Amblard, 2003) amorce le recul du monde civique – au profit du monde domestique – à différents niveaux : plusieurs se désinvestissent de la gestion ; un déséquilibre dans la charge de travail est dénoncé ; des revendications individuelles ou des conflits interpersonnels troublent les débats jusqu’à les rendre occasionnellement stériles ; un corporatisme et une loyauté sectorielle prennent le pas sur le bien commun institutionnel, parfois au détriment de la mission.

Pour pallier ces difficultés, sources de dissonance et aiguisées par le départ des fondateurs, et tenter de fortifier les fondements fragilisés, un groupe de réflexion voit le jour mais ne parvient pas à asseoir sa légitimité. La première dénomination, groupe stratégique, fait instantanément l’objet d’un dévoilement car l’appropriation du pouvoir qu’elle recèle – a priori dans une logique industrielle – n’a pas sa place au sein d’une organisation toujours éminemment civique gouvernée par l’AG et le CA. La seconde tentative, assimilable à une réorganisation de l’épreuve, n’est pas invalidée, mais tout de même disqualifiée au regard du monde civique dans lequel le groupe désormais méthodologique, autoproclamé et peu représentatif, demeure petit. L’émergence de ce groupe peut par ailleurs être analysée comme une suspicion (Gomez, 1995) qui

amoindrit la cohérence des conventions applicables. En termes de contenu, les thématiques sur lesquelles se penche le groupe et son ambition laissent présager une apparition du monde industriel. Initier une réflexion autour de l’historique, la mission et la professionnalisation n’est pas aisé, malgré le soutien du CA. L’équipe perçoit effectivement l’initiative comme une ingérence et une menace pour les us domestiques tels que, notamment, la personnalisation des fonctions et rôles. Au risque de disparaître, le groupe méthodologique semble donc procéder précautionneusement, voire lentement. La croissance fulgurante du fournisseur d’énergie et l’injection de capitaux en 2012 requièrent la mise en place d’un suivi plus précis et plus constant. Cet enjeu de professionnalisation sans dénaturation de la culture originelle est complexe et amène la direction de l’entreprise à s’adjoindre plusieurs consultants externes, dont les chercheurs de notre centre universitaire. L’accomplissement de notre mandat concourt au développement d’outils de communication interne et d’opérationnalisation de la stratégie – i.e. de formes d’industrialisation – nés en réponse à l’inconfort des membres du personnel face à la volatilité extrême de l’agilité. Cette dernière, au centre du modèle et largement plébiscitée au-delà des murs de l’entreprise, semble devenir une fin en soi et non plus un moyen au service de la mission. Dès lors, une opposition persistante entre les mondes inspiré et connexionniste traverse l’organisation au rythme des changements de priorités et de stratégies, souvent incompréhensibles pour nombre de collaborateurs. Le monde industriel modère ce désaccord sans toutefois le résoudre complètement dans la mesure où son implémentation est peu imposée et laissée essentiellement à l’appréciation de chacun. L’usage variable du POP en est un exemple flagrant.

Comme pour la maison médicale, le départ des fondateurs est une épreuve déchirante qui signifie une perte de repère domestique. Des années plus tard, la nostalgie des débuts est toujours présente dans les deux structures. Cependant, la figure du CEO, successeur au charisme incontestable, assure un relais au sein de l’entreprise de distribution d’énergie, contrairement à la maison médicale où personne ne peut prétendre à l’aura des fondateurs et où prédominent les logiques collectives et a-hiérarchiques.

Dans les deux cas, l’évolution du contexte fragilise l’équilibre initial dans un premier temps et conduit à introduire le monde industriel pour répondre, tant que faire se peut,

aux difficultés et incohérences. De part et d’autre, les innovations managériales composites ainsi construites peinent à se stabiliser et motivent une intervention externe. Au sein de la maison médicale, la précarité de l’équilibre et les problématiques organisationnelles qui en résultent conduisent à recourir à notre centre de recherches, bien que le mandat ne soit évidemment pas formulé en ces termes mais davantage par rapport à une élucidation et une résolution des malaises et blocages perçus (Gomez, 2003). Du côté du fournisseur d’énergie, la consolidation initiée est bouleversée par l’acquisition qui remet profondément en cause les modes de fonctionnement et suscite un nouvel appel à nos services, centré sur les adéquations possibles des cultures d’entreprise et surtout la survivance de celle de la filiale belge.