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2. Construction du questionnaire

2.2. Méthodes de révélation des préférences

Nous désignons par attributs les dispositifs proposés aux médecins, par niveaux les différentes modalités de ces attributs, par scénario toute association des attributs et de leurs niveaux selon un design expérimental, et par épreuve de choix les modalités de comparaison des attributs ou des scénarios entre eux.

2.2.1. Synthèses des méthodes de révélation des préférences

La méthode des choix discrets (DCE)

Différentes méthodes ont été développées pour révéler les préférences des individus dans le domaine de la santé. La méthode des choix discrets (Discrete choice Experiment,

DCE) a connu un fort développement ces 10 dernières années et est très plébiscitée dans le

domaine de la santé (Ryan and Gerard 2003; Berchi and Launoy 2007; Ammi and Peyron 2010; de Bekker-Grob et al 2012). Cette méthode consiste à présenter à chaque individu, différents scénarios hypothétiques, où chaque scénario est décrit par chacun des attributs auquel est associé un niveau particulier. Chaque individu doit ensuite choisir le scénario qu’il préfère. La répétition de ces « épreuves de choix » permet in fine d’observer les arbitrages que les individus effectuent, en situation de choix, entre les attributs des scénarios qui leurs sont présentés.

La méthode des choix discrets repose sur un certain nombre d’hypothèses dérivées de la théorie économique du consommateur (Lancaster K 1966). Elle permet donc d’estimer des utilités associées à un bien (un scénario dans notre cas), l’impact de chaque attribut sur l’utilité associée à un bien (scénario) ou encore des taux marginaux de substitution entre attributs (Berchi and Launoy 2007). Pour cela, le cadre théorique généralement utilisé est celui de la Théorie de l’Utilité Aléatoire (Random Utility Theory, RUT) développé par Thurstone (1927) et reposant sur trois principaux axiomes : (1) l’individu cherche à maximiser son utilité (ou sa satisfaction) et choisit donc le scénario assurant le niveau d’utilité le plus élevé ; (2) le chercheur n’est pas en mesure de mesurer l’utilité réelle procurée par le scénario sélectionné, ce qui nécessite la mise en œuvre d’une approche probabiliste du comportement de choix; (3) l’utilité réside dans les caractéristiques du scénario c'est-à-dire dans ses attributs. Le nombre nécessaire d’épreuves de choix ainsi que le contenu des scénarios sont généralement définis à partir de méthodes expérimentales, permettant d’identifier l’impact de chaque attribut de façon indépendante et efficiente (Street and

85 Burgess 2007). Le nombre de scénarios présentés dans les épreuves de choix dépend de la situation décisionnelle à présenter et de sa difficulté cognitive. Pour une décision médicale comme un traitement, il s’agit le plus souvent d’un scénario unique (ex : « si on vous proposait ce traitement, accepteriez-vous de le prendre ? » : oui/non) ou d’une paire de scénarios (ex : « préférez-vous le traitement A ou le traitement B ?) (Krucien 2012).

Les méthodes de Best-Worst Scaling (BWS)

Récemment, d’autres méthodes de préférences révélées ont été développées. Les méthodes de classement du meilleur au pire (Best-Worst Scaling, BWS) ont pour objectif de révéler davantage d’information par épreuve et de mesurer de façon plus précise l’impact respectif de chaque attribut (Flynn et al 2007; Marley et al 2008). Ces méthodes ont en commun avec la DCE de présenter aux individus différentes épreuves de choix, mais diffèrent dans la conception de ces épreuves. Dans le cas de BWS, il est demandé aux individus de sélectionner l’attribut ou le scénario qu’ils préfèrent le plus (« best ») et celui qu’ils préfèrent le moins (« worst »). Il existe trois types de méthodes de classement du meilleur au pire (Lancsar et al 2013), dont seulement deux peuvent s’appliquer à notre contexte d’étude : la méthode de classement des attributs du meilleur au pire (Best-Worst Attribute Scaling,

BWAS) d’une part, et la méthode de classement des scénarios du meilleur au pire (Best- Worst Discrete Choice Experiment, BWDCE) d’autre part 28.

La méthode BWAS consiste à présenter les scénarios un à un aux individus, chaque scénario étant décrit par chacun des attributs auquel est associé un niveau particulier. Au lieu d’évaluer et de comparer l’utilité de différents scénarios, le répondant évalue les utilités de chaque niveau d’attribut proposé en choisissant pour chaque scénario, l’attribut avec le niveau qui lui procure la plus grande utilité (« meilleur » ou « préféré ») et celui qui lui procure la plus faible utilité (« pire » ou « moins préféré »). De fait, la référence est un seul niveau d’attribut et non un scénario tout entier. Cette approche permet d’estimer l’effet des niveaux d’attributs sur une même échelle et donc l’utilité moyenne de l’attribut sur tous ses niveaux, soit l’impact de l’attribut à proprement parler (Flynn et al 2007). L’inconvénient de cette méthode par rapport à la DCE est que, dans la mesure où le répondant ne donne pas

28 La méthode de classement du meilleur au pire omise à la méthode dite de type 1 ou « Best-Worst Object Scaling » (Lancsar et al 2013) qui permet de comparer les caractéristiques d’un bien entre elles (exemple : les caractéristiques d’un bien alimentaire (Finn and Louviere 1992) ou encore les caractéristiques de la relation médecin-patient (Krucien 2012).

86 d’information sur ses préférences pour le scénario dans son ensemble et donc pour des combinaisons de dispositifs, elle ne permet pas d’estimer des interactions entre dispositifs.

La méthode BWDCE est la méthode « alternative » la plus proche la DCE mais ayant le format de la BWS, permettant ainsi de collecter davantage d’information. En effet, elle consiste à présenter aux répondants plusieurs scénarios (au moins 3), pour lesquels l’individu choisit le scénario qu’il préfère et celui qu’il préfère le moins (Lancsar et al 2013). Il y a encore peu d’applications de la méthode BWDCE en santé, les propriétés mathématiques de cette méthode n’ont été établies que récemment (Marley and Islam 2012).

2.2.2. Choix d’une méthode

A priori, il ne semble pas y avoir de méthode qui « domine » les autres en termes de capacité à répondre à nos questions de recherche. Un critère de choix de méthode crucial est la difficulté cognitive attendue des épreuves, une trop grande difficulté pouvant engendrer des réponses inconsistantes. En effet, les arbitrages demandés aux médecins dans le cadre de notre problématique sont complexes : sélectionner des attributs/scénarios hypothétiques permettant d’améliorer la pratique peut être considéré comme difficile, notamment lorsqu’il existe déjà des interventions pour améliorer les pratiques. Cognitivement, choisir l’attribut préféré et moins préféré au sein d’un même scénario (épreuve BWAS) apparaît plus « facile » que choisir la combinaison d’attributs préférée et moins préférée parmi plusieurs scénarios distincts (épreuve BWDCE). Ces considérations nous conduisent à privilégier, parmi les méthodes de classement du meilleur au pire, la méthode BWAS par rapport à la méthode BWDCDE.

Une solution intermédiaire proposée par certains auteurs (Flynn et al 2007) a été explorée dans le but de combiner les avantages des méthodes DCE et BWAS. Appliquée à notre contexte, cette solution consiste à interroger les médecins sur les attributs qu’ils préfèrent le plus et le moins pour chaque scénario/situation (épreuve BWAS), puis à leur demander s’ils « accepteraient » de changer le contexte de leur pratique de dépistage habituelle pour la situation proposée (épreuve DCE à scénario unique). Cette combinaison des deux méthodes a un double intérêt : elle permet (1) d’estimer un modèle de choix discret traditionnel dont les estimations peuvent être comparées à celles du best-worst scaling et (2) d’estimer des interactions entre attributs à partir du modèle de choix discrets.

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