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1. Impact du CAPI sur la durée de consultation des médecins généralistes français

1.1. Introduction

Le paiement à la performance (P4P) appliqué aux soins primaires a connu un fort développement ces dix dernières années (Rosenthal MB and Dudley R 2007). Au Royaume- Uni, pionnier en la matière, le P4P est généralisé à l’ensemble des médecins généralistes (MG) depuis le printemps 2004 avec le Quality of Outcomes Framework (Doran et al 2006). D’autres pays comme les Etats-Unis, l’Australie, la Nouvelle-Zélande ou encore Israël ont également adopté ce mode additionnel de paiement (Morgan and Dunbar 2011). Depuis 2009, un système national de P4P a été introduit en France à destination des médecins généralistes (MGs) au travers du Contrat d’Amélioration des Pratiques Individuelles (CAPI). Un des objectifs du CAPI est de fournir une incitation aux médecins à améliorer la qualité des soins mesurée au travers de 16 indicateurs couvrant trois principaux domaines : la prévention/dépistage, le suvi des maladies chroniques et l’optimisation de la prescription. Le CAPI a été inité par l’UNCAM en 2009 contre l’avis des syndicats de médecins. Ces derniers avaient la possibilité de signer le contrat à titre volontaire, leur permettant de recevoir un bonus représentant un montant maximal de 5 000€ (environ 7% du chiffre d’affaire moyen) conditionné à la réalisation ou l’amélioration des indicateurs définis par le contrat. Aucune sanction n’était prévue, et il était possible de quitter le programme à tout moment sur demande. Le choix des indicateurs et leur niveau ainsi que la formule permettant de calculer le montant des bonus ont été définis unilatéralement par l’Assurance Maladie (cf. figure A.1, Annexe A, pour une description du calcul des indicateurs). Entre le début et la fin du dispositif (i.e. Juillet 2009 et Décembre 2011), 38% des médecins éligibles ont souscrit au contrat. Les médecins non éligibles au contrat étaient les médecins remplaçants ou récemment installés et n’ayant pas une patientèle suffisemment grande. A la fin du mois de Juin 2009, 70% des signataires avaient reçu un bonus de 3 100€ en moyenne par an variant entre 1 500€ (premier décile) et 4 900€ (dernier décile) (Commission des comptes 2011).

L’efficacité des programmes de P4P fait l’objet de vifs débats, notamment concernant leur capacité à générer des soins de meilleure qualité (Mannion and Davies 2008; Ryan 2010;

2 Cette section a fait a fait l’objet d’un article coécrit avec Olivier Saint-Lary accepté dans la revue Health Policy sous le titre : « Impact of a pay-for performance programme on French GPs’ consultation length ».

15 Woolhandler et al 2012; Jha 2013; Eijkenaar et al 2013). Si de nombreux travaux ont tenté d’évaluer l’efficacité du P4P en termes d’amélioration d’indicateurs mesurés (Scott et al 1996; Campbell et al 2009; Ryan and Doran 2012) ou de réduction des coûts (Cheng et al 2012b), à notre connaissance, aucune étude n’a évaluté l’impact de ce type de dispositif sur la durée de consultation des médecins. Il a déjà été montré que la durée de la consultation est un facteur déterminant de la satisfaction des patients (Howie et al 1989; Wilson 1991; Wilson and Childs 2002), qu’elle est souvent associée au traitement de problèmes de santé chroniques et d’actions de prévention (Howie et al 1991) ainsi qu’à des soins de meilleure qualité dans les cas plus difficiles faisant intervenir des problèmes psychologiques et sociaux (Howie et al 1997; Freeman 2002; Gude et al 2013). Ainsi, dans leurs recommandations concernant les patients atteints de maladies chroniques, le Collège Australien des Médecins Généralistes encourage les médecins à prévoir des durées de consultation plus longues afin de déterminer les besoins des patients et de formuler un plan de gestion approprié (RACGP 2011). De plus, l’indice anglais de consultation de qualité (« Consultation Quality Index », CQI), qui est un marqueur globale de la qualité pour les MGs, repose sur trois dimensions parmis lesquelles figure la durée de consultation (Howie et al 2000; Mercer and Howie 2006).

Considérer la durée de consultation comme un indicateur de la qualité des soins semble particulièrement pertinent dans le contexte de paiement à l’acte qui a priori ne favorise pas l’allongement de la durée de consultation (Delattre and Dormont 2003; Rochaix 2004). Dans ce contexte, nous faisons l’hypothèse que la durée de consultation peut être considérée comme un proxy de la qualité des soins.

L’analyse de l’impact des incitatifs économiques sur le comportement des producteurs de soins a déjà fait l’objet d’une abondante littérature à la fois théorique et empirique (Ellis and McGuire 1986; Ellis and McGuire 1993; Whynes and Baines 1998; Eggleston 2005; Kaarboe and Siciliani 2011; Hennig-Schmidt et al 2011; Brosig-Koch et al 2013). Conformément à la théorie économique standard (modèle principal-agent) et à la théorie des contrats en particulier, l’introduction de bonus concernant la réalisation de certaines tâches fixées par le contrat permet, sous certaines conditions, d’augmenter le niveau d’effort consacré à ces tâches, effort qui peut représenter une durée du service produit qui s’allongerait sous l’effet de l’incitation (Dewatripont et al 2000; Eggleston 2005). Toutefois, il faut que certaines hypothèses soient vérifiées : dans le cas des modèles d’arbitrage travail-loisir, il faut notamment que le travail et le loisir soient substituables et que l’effet substitution du travail au loisir l’emporte sur l’effet revenu (Rizzo and Blumenthal 1994; Chanel et al 2010). Dans le

16 cadre des modèles multi-tâches, il est nécessaire que les indicateurs mesurent la qualité de façon exhaustive (Eggleston 2005). Ainsi, la littérature empirique a montré des résultats contradictoires. Chanel & al (2010) ont étudié de façon expérimentale la modification de l’offre de consultation (heures travaillées) suite à un changement hypothétique des honoraires des MGs, et ont montré que la plupart des médecins ne changeaient pas leur offre de travail et que certains la diminuaient, traduisant une élasticité nulle voire négative du travail au loisir. D’autres auteurs ont analysé l’impact du passage d’un mode contractuel moins incitatif et ont montré que ce changement a réduit la durée de consultation des médecins (Dumont et al 2008). L’opinion des médecins généralistes interrogés sur ce point en 2010 allait également dans ce sens, considérant le CAPI comme un moyen d'augmenter le temps consacré à certaines activités telles que les pratiques de prévention ou le suivi des maladies chroniques (Saint-Lary et al, 2011).

Le caractère volontaire de l’adhésion au CAPI peut engendrer des phénomènes d’auto- sélection. D’un côté, les signataires du CAPI pourraient être plus « productifs » en termes de nombre d’actes (Devlin and Sarma 2008) et donc pourraient avoir des durées de consultation plus courtes. D’un autre côté, les signataires du CAPI pourraient être ceux qui considèrent qu’ils font des soins de meilleure qualité, se traduisant par une durée de consultation plus longue. Cette étude constitue un travail préliminaire dont le but est d’étudier la relation entre signature du CAPI et durée de consultation des MGs français, de façon à générer des hypothèses quant à l’impact de mécanismes de P4P sur la qualité des soins. Du fait de la diversité des motifs de consultations engendrant une grande variété du contenu de la consultation et donc de sa durée, nous choisissons par ailleurs de nous concentrer sur certains motifs de consultation spécifiques ciblés par des indicateurs du CAPI, et associés au traitement de maladies chroniques (diabète, hypertension) ou des actions de prévention (vaccination). Nous décrivons les données et méthodes utilisées dans la section 2, les résultats sont présentés dans la section 3 et discutés dans la section 4.