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2.4 Méthodologie

2.4.2 Méthodes d’estimation

Nous avons montré dans une précédente étude (Dormont et Martin, 2013 [46], cha- pitre 1) qu’une part non négligeable des coûts des maisons de retraite serait liée à de l’inefficacité. Ne pas prendre en compte ces inefficacités dans notre modélisation pour- rait biaiser nos résultats d’estimation. Si la taille est par exemple corrélée positivement à

l’inefficacité14, cela conduirait à surestimer l’effet de la taille sur les coûts et par consé-

quent à sous-évaluer la taille critique. Nous comparons les résultats d’estimation obtenus par moindres carrés ordinaires (MCO) avec ceux obtenus par des méthodes d’estimation de frontière. Nous choisissons une méthode d’analyse stochastique de frontière (SFA - Sto- chastic Frontier Analysis), ainsi qu’une méthode d’estimation non paramétrique d’envelop- pement de données (DEA - Data Envelopment Analysis) n’imposant pas de spécification de la fonction de coût.

Analyses paramétriques : analyse stochastique de frontière et moindres carrés

ordinaires. Nous menons dans un premier temps une analyse stochastique de frontière.

La spécification retenue dans le cadre de cette méthode décompose l’erreur en deux com-

posantes : une composante qui correspond à l’inefficacité de l’établissement e (𝑢𝑒), et une

autre qui caractérise le bruit (𝑣𝑒). Des hypothèses paramétriques différentes des distribu-

tions de 𝑢𝑒 et de 𝑣𝑒 permettent d’identifier ces deux composantes.

𝑙𝑛𝐶𝑇𝑒=𝑙𝑛𝐶𝑇 (𝑋ˆ𝑒) + 𝑢𝑒+ 𝑣𝑒

13. Soient CV le coût variable associé à une production y, k et k’ deux niveaux de capital ; si 𝑘′ > 𝑘, la propriété de non croissance des coûts en 𝑘 implique que 𝐶𝑉 (𝑦, 𝑘′) ≤ 𝐶𝑉 (𝑦, 𝑘). Or les résultats de nombreuses études empiriques de fonctions de coût de court terme ne respectent pas cette propriété. Ce problème peut être engendré par la forte multicolinéarité qui existe souvent entre 𝑦 et 𝑘 (Guyomard et Vermersch 1989 [76]).

14. Cet exemple est probable dans la mesure où les établissements publics rattachés aux hôpitaux sont souvent de grande taille et nous avons montré qu’ils sont relativement plus inefficaces que les établissements d’autres formes institutionnelles (Dormont et Martin, 2013 [46], chapitre 1).

avec 𝑢𝑒 ≥ 0, 𝑙𝑛𝐶𝑇𝑒 le logarithme du coût réel de l’établissement e, 𝑙𝑛𝐶𝑇 (𝑋ˆ𝑒) son coût

estimé et 𝑋𝑒 le vecteur des variables explicatives de l’établissement. Nous obtenons alors :

𝐶𝑇𝑒= ˆ𝐶𝑇 (𝑋𝑒) ∗ 𝑒𝑥𝑝(𝑣𝑒) ∗ 𝑒𝑥𝑝(𝑢𝑒) 𝑒𝑡 𝐶𝐸𝑒= 𝐶𝑇𝑒 ˆ 𝐶𝑇 (𝑋𝑒) ∗ 𝑒𝑥𝑝(𝑣𝑒) = 𝑒𝑥𝑝(𝑢𝑒) ≥ 1

avec 𝐶𝐸𝑒 le score d’efficacité-coût de l’établissement e. Si l’établissement est pleinement

efficace, alors 𝑢𝑒=0 et 𝐶𝐸𝑒=1. 𝑢𝑒 et les scores d’efficacité 𝐶𝐸𝑒sont estimés en utilisant la

formulation suggérée par Jondrow et al. (1982) [86].

Cette méthode d’estimation par maximisation de vraisemblance, proposée en 1977 par Aigner et al. [2] et Meeusen et Van den Broeck [106], requiert des hypothèses fortes sur la forme fonctionnelle du modèle de coût ainsi que sur la distribution du terme d’inefficacité. La forme de la fonction de vraisemblance, et de ce fait les résultats d’estimation, vont

en effet dépendre de la distribution du terme 𝑢𝑒 (Newhouse, 1994 [111]). Nous optons

pour une distribution de la perturbation normale-normale tronquée, avec 𝑣𝑒∼ 𝑖𝑖𝑑𝑁 (0, 𝜎𝑣2),

𝑢𝑒 ∼ 𝑖𝑖𝑑𝑁+(𝜇, 𝜎𝑢2) et 𝜇 = 𝛿𝑚𝑒 + 𝜂𝑒 (𝑚 : variables environnementales explicatives de

l’efficacité, et 𝜂 : bruit statistique). Nous utilisons ainsi une approche en une étape (Battese et Coelli, 1995 [10]) pour laquelle le terme d’inefficacité est remplacé dans la fonction de coût par ses variables explicatives. Nous aurions pu utiliser une autre approche rencontrée dans la littérature (Pitt et Lee 1981 [122], Vitaliano et Toren 1994 [139]) qui consiste à estimer en première étape la frontière stochastique de coût et les scores d’efficacité en supposant ces derniers indépendamment et identiquement distribués, puis à régresser ces scores sur diverses variables explicatives. Cette deuxième étape vient de fait contredire l’hypothèse d’indépendance des termes d’inefficacité. Une approche en deux étapes peut ainsi mener à des estimations non efficaces (Battese et Coelli, 1995 [10]), voire des estimations biaisées des scores d’inefficacité (Wang et Schmidt, 2002 [140]).

Compte tenu des contraintes sur la distribution du terme d’erreur et sur la forme de la fonction de coût qui doivent être retenues pour estimer une frontière stochastique, il est important d’examiner la robustesse des résultats d’estimation en les confrontant à d’autres méthodes d’estimation paramétriques, par moindres carrés ordinaires, mais également non paramétriques.

Analyse non paramétrique : méthode d’enveloppement de données. Nous confron- tons nos résultats d’estimation paramétriques à ceux obtenus par analyse non paramétrique d’enveloppement de données (Data Envelopment Analysis, DEA). Cette méthode, inspirée des travaux de Farrell (1957) [52], a été développée par Charnes et al. en 1978 [26]. Elle consiste à définir une frontière de production ou de coût à partir d’une programmation

linéaire mesurant la distance entre chaque unité de décision15 (DMU, Decision-Making

Unit ) et cette frontière d’efficience. Le critère d’efficacité de Pareto-Koopmans, découlant du concept d’optimalité parétienne, est donc au coeur de cette programmation linéaire.

La modélisation d’une frontière de production permet d’évaluer l’inefficacité technique des établissements, c’est à dire leur capacité à produire plus d’outputs avec moins d’in- puts. L’inefficacité d’échelle est une composante de l’inefficacité technique ; l’évaluation des économies d’échelle peut par conséquent être réalisée à partir de la comparaison des inefficacités techniques obtenues avec diverses frontières de production correspondant à des hypothèses de construction différentes (rendements constants, rendements variables

et rendements non croissants)16. La modélisation d’une frontière de coût permet d’al-

ler plus loin dans l’analyse : elle ajoute à la mesure de l’inefficacité technique celle de l’inefficacité allocative dans le choix des inputs, c’est à dire la possibilité de réduire les coûts pour un niveau de production donné en choisissant les inputs en fonction de leurs prix. L’inefficacité-coût caractérise le produit des inefficacités techniques et allocatives.

L’inefficacité technique est évaluée soit en termes d’inputs utilisés (input-oriented mea- sure), soit en termes d’outputs produits (output-oriented measure). Lorsque le critère d’in- puts est choisi, un établissement est considéré comme inefficace s’il peut réduire ses inputs sans diminuer son niveau de production. A l’inverse, selon le critère d’outputs, un établis- sement est inefficace s’il peut augmenter sa production sans modifier la quantité d’inputs utilisés. Dervaux et al. (2006) [40] utilisent dans leur étude une mesure d’inefficacité liée aux outputs. Une telle mesure suppose néanmoins que les organisations puissent faire va- rier leurs niveaux de production. Or, ceci ne semble pas être le cas des maisons de retraite en France : leur taux d’occupation est proche de 100% et toute hausse du nombre de lits

est soumise au préalable à l’avis et à la décision des autorités régionales17. Nous préférons

15. L’unité de décision peut être un individu, un établissement, une entreprise, etc.

16. La méthode d’enveloppement de données et l’évaluation des économies d’échelle à partir de cette méthode sont présentées plus en détails en annexe.

17. La procédure d’autorisation d’extension a été alourdie par la loi no2002-2 de rénovation de l’ac-

tion sociale et médico-sociale : un avis du Comité Régional de l’Organisation Sociale et Médico-Sociale (CROSMS) est désormais nécessaire avant toute décision du Conseil Régional et de l’Agence Régionale de Santé.

donc utiliser une méthode DEA avec une mesure d’inefficacité liée aux inputs, sur lesquels les établissements ont plus de latitude.

Nous décomposons dans notre modélisation l’output en trois catégories : nombre de journées-résidents en forte dépendance (résidents de GIR 1 et 2), en dépendance moyenne (résidents de GIR 3 et 4) et en faible dépendance (résidents de GIR 5 et 6), de manière à prendre en compte les différences de besoins en termes de personnel des résidents. Trois in-

puts sont introduits : le nombre d’équivalents temps plein (ETP) des infirmiers (𝐿𝐼𝑛𝑓), des

aides-soignants et des aides médico-psychologiques (𝐿𝐴𝑆) et le nombre d’ETP des agents

de service hospitalier (𝐿𝐴𝑆𝐻). Les salaires bruts moyens par établissement de chacune de

ces catégories de personnel sont également intégrés au programme de minimisation de ma- nière à calculer, en plus de la frontière de production, une frontière de coût. Nous pouvons ainsi étudier, non seulement les inefficacités techniques et les économies d’échelle, mais également les inefficacités allocatives et de coûts.

Si cette méthode non paramétrique de construction de frontière a l’avantage de ne pas nécessiter de spécification a priori de la technologie de production, elle présente néanmoins quelques inconvénients. Elle est d’une part très sensible à la présence d’observations ex- trêmes (Jacobs et al. 2006 [85], Knox et al. 2007 [90]). D’autre part, il est difficile d’ajouter des variables de contrôle qui pourraient avoir un effet sur la production ou sur les coûts. Enfin, son principal inconvénient réside dans l’impossibilité de distinguer ce qui relève du bruit et ce qui relève de l’inefficacité (Newhouse, 1994 [111]). Compte tenu des avantages et des limites de chacune de ces méthodes d’estimation de frontière, paramétrique et non paramétrique, il nous semble important de confronter leurs résultats. Nous regardons donc, dans cette étude, si la taille optimale estimée diffère selon la méthode utilisée.