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3.2 Quelle attractivité du secteur de la prise en charge de la dépendance ?

3.2.1 Une forte concentration locale

La mesure de la concentration locale. Le secteur des EHPAD en France est relative-

ment atomisé puisque 7 648 établissements (hors Corse et DOM)5 se partagent le marché

en 2011. Il n’en est cependant pas pour autant concurrentiel.

4. Les taux de marge brute pourraient avoir évolué en raison d’une modification des stratégies immo- bilières des EHPAD, si ces derniers étaient passés d’un mode locatif du bâtiment, dont les charges seraient alors comptabilisées en charges externes réduisant l’EBE, au rachat et à la propriété des murs générant des dotations aux amortissements non intégrées à l’EBE. Nous observons néanmoins ces dernières années une stratégie inverse d’externalisation des murs qui ralentit par conséquent la progression du taux de marge brute.

"Indep." : établissements indépendants (<5 EHPAD) ; "Groupe 1" : groupes comportant entre 5 et 49 EHPAD ; "Groupe 2" : groupes dont la taille est supérieure à 50 EHPAD

Source : DIANE, échantillon de 433 EHPAD privés lucratifs

Figure 3.1 – Evolution des valeurs médianes du taux de marge nette et du taux de marge brute des EHPAD privés lucratifs entre 2008 et 2011

Le marché pertinent de chaque EHPAD semble d’une part limité à une zone géogra- phique restreinte. Le tableau 3.1 montre en effet que plus de 75% des résidents en EHPAD ont leur ancien lieu de vie distant de l’établissement de moins de 15 km. Cette distance est légèrement plus élevée pour les résidents des EHPAD privés lucratifs : 75% d’entre eux viennent de moins de 21 km. Les EHPAD bénéficieraient ainsi d’une situation de concur- rence monopolistique liée à une différenciation horizontale. D’autre part, au sein de ces marchés pertinents, plusieurs établissements peuvent appartenir à une même entité ju- ridique. Le secteur des EHPAD privés lucratifs est en effet fortement concentré. Quatre

grands groupes d’établissements (Korian, Orpéa, Medica et DVD) se partagent 45%6 des

lits du secteur privé lucratif en 2011. Or il n’est pas rare que plusieurs établissements d’une même chaîne soient présents sur un même territoire. Ces implantations rapprochées

d’établissements peuvent même parfois être au coeur d’une véritable stratégie de groupe,

à l’instar de la chaîne Korian qui construit ses nouveaux établissements par "grappes"7.

Table 3.1 – Distribution statistique des distances (en kilomètres par la route) entre les communes des domiciles précédents des résidents et leur établissement

10 % 25% 50% 75% 90%

Tous statuts confondus 0 1,4 4,3 15 36 EHPAD lucratifs uniquement 0 2,1 7,1 21 87 Echantillon de 333 778 résidents en EHPAD ; données non redressées

Source : enquête EHPA 2011 (DREES) - Calculs C.Martin et M.Ramos-Gorand

Les indicateurs de mesure de la concentration les plus couramment utilisés sont la part de marché des établissements, calculée comme le ratio du nombre de lits de chaque

EHPAD8 sur le nombre total de lits du marché pertinent, et l’indicateur d’Herfindhal-

Hirschmann (HHI) correspondant à la somme des parts de marché au carré des établis-

sements du marché pertinent sur la somme au carré de ces parts de marché9. Outre la

question de la taille du marché pertinent, qui semble être inférieure à 20 km d’après les statistiques présentées dans le tableau 3.1, une autre question qu’il est nécessaire de se poser afin de pouvoir construire les indicateurs de concentration est celle des types d’éta- blissements appartenant au marché pertinent. Compte tenu des spécificités de revenus de leurs résidents (cf. section 3.3.2), les EHPAD privés lucratifs ne semblent a priori pas ou

peu en concurrence avec les EHPAD publics et associatifs10. Nous présentons dans les ta-

bleaux 3.2 et 3.3 les statistiques des parts de marché et des indicateurs HHI des EHPAD privés lucratifs, calculés à 5 km, 10 km et 20 km (par la route), en prenant en compte soit tous les secteurs, soit uniquement le secteur lucratif. Le marché semble relativement concentré si l’on se réfère aux indicateurs calculés uniquement à partir des EHPAD lucra- tifs, et ce d’autant plus lorsque l’on adopte une taille restreinte pour le marché pertinent. Plus de 25% des établissements privés lucratifs seraient ainsi seuls, et donc en situation de monopole local, dans un rayon de 5 km. Le marché est naturellement plus concurrentiel si l’on fait l’hypothèse d’une concurrence inter-sectorielle (i.e. entre EHPAD de différents

7. Source : Activité et résultats 2011/2012, Korian.

8. Deux établissements d’une même chaîne sont considérés dans ce calcul comme ne constituant qu’un seul EHPAD.

9. 𝐻𝐻𝐼 =

∑𝑛

𝑒=1𝑠2𝑒

(∑𝑛

𝑒=1𝑠𝑒)2, avec 𝑠𝑒la part de marché d’un établissement e au sein de son marché pertinent,

et n le nombre d’EHPAD e intégrés au marché pertinent de l’établissement à partir duquel est calculé l’indicateur HHI. L’indicateur HHI est compris entre 0 et 1 : plus il est proche de 1 et plus le marché est concentré ; à l’inverse, l’indicateur tend vers 0 lorsque le marché est parfaitement concurrentiel.

10. Au sein du "risque de concurrence" étudié dans la plupart des rapports annuels des grands groupes d’EHPAD, seule la concurrence intra-sectorielle des autres EHPAD privés lucratifs est mentionnée.

statuts).

Table 3.2 – Statistiques des parts de marché des EHPAD privés lucratifs

Relativement aux autres EHPAD lucratifs Relativement à tous les EHPAD

25% 50% 75% 25% 50% 75%

𝑝𝑑𝑚5𝑘𝑚 15,1% 38,3% 100% 6,1% 15,1% 36,4%

𝑝𝑑𝑚10𝑘𝑚 9,3% 22,3% 49,2% 3,4% 7,7% 15,5%

𝑝𝑑𝑚20𝑘𝑚 4,0% 12,2% 24,6% 1,5% 3,7% 6,5%

Echantillon de 1 674 EHPAD privés lucratifs ; données non redressées

Source : enquête EHPA 2011 (DREES) - Calculs C.Martin et M.Ramos-Gorand

Table 3.3 – Statistiques des indicateurs HHI des EHPAD privés lucratifs

Relativement aux autres EHPAD lucratifs Relativement à tous les EHPAD

25% 50% 75% 25% 50% 75%

𝐻𝐻𝐼5𝑘𝑚 0,15 0,36 1 0,08 0,18 0,47

𝐻𝐻𝐼10𝑘𝑚 0,07 0,20 0,50 0,04 0,09 0,19

𝐻𝐻𝐼20𝑘𝑚 0,04 0,11 0,22 0,02 0,04 0,07

Echantillon de 1 674 EHPAD privés lucratifs ; données non redressées

Source : enquête EHPA 2011 (DREES) - Calculs C.Martin et M.Ramos-Gorand

Les explications de la concentration des EHPAD. Les mouvements récents de

consolidations horizontales observés dans le secteur lucratif sont probablement encouragés par la hausse des profits qu’ils permettent. Nous observons en effet sur la figure 3.1 des taux de marge plus élevés pour les établissements appartenant à de grands groupes. La taille du groupe serait ainsi un facteur clé de succès dans ce secteur, et ce pour plusieurs raisons.

Selon le cabinet Ernst&Young (2008)[50], les établissements pourraient bénéficier d’éco- nomies d’échelle liées à la taille du groupe, en raison du "regroupement des achats, mais également grâce à la mise en place d’un meilleur modèle opérationnel dans l’ensemble des établissements et d’un pouvoir de négociation accru à mesure que les volumes augmentent." Ceci sous réserve néanmoins "d’éviter le risque d’un développement hypertrophié du siège (donc des frais de structures)".

Outre la baisse des coûts, les profits des groupes sont aussi probablement plus élevés en raison d’une hausse de leur chiffre d’affaires. Les établissements peuvent, d’une part,

bénéficier d’une notoriété commerciale grâce à la bonne réputation de leur chaîne11, ce qui leur permet d’augmenter leurs tarifs sans que cela ne soit justifié par de plus grandes dépenses en qualité. Dans cette perspective, le groupe Korian exige de ses filiales qu’elles

apposent le nom du groupe sur leur enseigne12. D’autre part, le pouvoir de marché natu-

rellement plus élevé de ces établissements peut également être un facteur d’augmentation de leurs prix. Enfin, les EHPAD affiliés à des groupes peuvent plus aisément optimiser leur

remplissage, en pratiquant un "yield management"13 (i.e. via une adaptation des prix) ou

en créant des synergies avec les services d’aide à domicile dans lesquels plusieurs d’entre eux sont diversifiés.

L’appartenance à un groupe pourrait également permettre aux établissements d’assurer une meilleure qualité ou, tout au moins, d’atteindre plus facilement le niveau de qualité qu’ils recherchent. Les EHPAD font tout d’abord face à une difficulté de recrutement et de fidélisation du personnel soignant, "qui peut affecter la gestion des plannings et donc

influer sur l’organisation et le bon fonctionnement des établissements"14. L’appartenance à

un groupe permet de contourner partiellement ce problème : d’une part, puisque cela permet de disposer de ressources financières nécessaires pour ajuster plus aisément les rémunéra- tions ; d’autre part, grâce à la mise en œuvre d’une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) à l’échelle du groupe. Le groupe Medica demande ainsi à ses filiales "de définir des viviers de remplacement, d’identifier leurs futurs besoins en fonction de la pyramide des âges de leurs salariés et de travailler sur les réseaux de professionnels, en vue

d’anticiper et de gérer au mieux le risque de pénurie de ressources et de compétences"13.

Certains groupes créent également des partenariats avec des écoles spécialisées dans le do- maine de la santé, voire possèdent leurs propres instituts de formation. Le groupe Orpea

a ainsi créé sa propre école d’aides-soignants DOMEA14. Toujours en termes de qualité,

les établissements affiliés à des groupes sont plus à même d’augmenter leurs dépenses d’in- vestissement pour répondre aux nouvelles réglementations du secteur. La multiplication récente des normes imposées aux EHPAD (loi de rénovation du secteur médico-social en 2002, loi "Accessibilité 2015") engendre des charges fixes importantes, "liées à l’adapta- tion des installations [...], la mise en place de procédures ou de contrôles et de surveillance

supplémentaires"13, qui ne peuvent être couvertes que par des établissements disposant de

11. Selon une récente enquête réalisée auprès de 1 802 résidents en EHPA (Résidents EHPA 2009, DREES ), un résident sur trois a choisi son établissement selon sa bonne réputation (DREES, 2011 [49]).

12. Source : Activité et résultats 2011/2012, Korian. 13. Source : Document de référence 2011, Medica. 14. Source : Document de référence 2011, Orpea.

fortes capacités financières. Contrairement aux établissements indépendants qui peuvent rencontrer des difficultés de financement, les établissements appartenant à des groupes dis- posent d’importants fonds propres apportés par leurs actionnaires. Certains groupes ont

récemment augmenté leur capital social en choisissant d’entrer sur le marché boursier15.

Outre l’accès direct à de nouveaux capitaux, ceci leur permet également de réduire leur taux d’endettement financier et d’obtenir ainsi plus aisément des emprunts bancaires.

Toutes ces raisons peuvent expliquer la course à la taille récemment observée entre les principaux groupes du secteur. Ces groupes s’agrandissent soit par croissance interne (croissance organique) en créant leurs propres établissements, soit par croissance externe par le rachat d’établissements existants. Plus une chaîne est de grande taille, plus son dé- veloppement est aisé, ce qui génère ainsi un cercle vertueux. Les projets de création ex nihilo d’EHPAD doivent en effet répondre depuis juillet 2009 à des appels d’offres lancés par les Agences Régionales de Santé (ARS) (cf. encadré 1). Les projets soumis sont compa- rés selon leur crédibilité financière et leur conformité au cahier des charges. Compte tenu d’une importante capacité financière et d’une forte visibilité auprès des ARS, les grands groupes d’EHPAD bénéficient de ce système d’appels d’offres. Les relations entretenues avec les autorités locales sont devenues un levier stratégique pour ces groupes. Medica a ainsi créé une "Direction Tutelles et Développement" chargée "des relations permanentes

avec les autorités locales"13. Le groupe Korian organise quant à lui "des rencontres ré-

gulières entre les directeurs régionaux de chaque région et les ARS" afin de "définir des

champs de coopération"12. La croissance externe par fusion ou acquisition est également

d’autant plus accessible que la taille du groupe est importante. Seule une autorisation des autorités locales est nécessaire pour un transfert d’activité (cf. encadré 1), les rachats sont donc souvent privilégiés afin de contourner le cadre normé et restrictif des appels à pro- jets. Mais une croissance externe nécessite des investissements lourds, et par conséquent une forte capacité financière des groupes. Outre le rachat d’établissements indépendants, privés ou publics, les chaînes d’EHPAD procèdent également à des fusions de groupes - DomusVi a par exemple fusionné avec Dolcéa au 1er janvier 2011 pour créer le groupe DVD - ce qui renforce fortement la concentration du secteur.

15. Le groupe Orpea est coté sur le marché Euronext Paris depuis avril 2002, le groupe Le Noble Age depuis juin 2006, le groupe Korian depuis novembre 2006, et enfin le groupe Medica s’est récemment introduit en Bourse en février 2010.

Encadré 1 : Réglementation des créations, extensions et regroupements des EHPAD

L’exploitation d’un EHPAD nécessite une autorisation (loi no75-535 du 30 juin

1975, modifiée par la loi 2002-2 du 2 janvier 2002), qui est délivrée par les autorités de tutelle (Président du Conseil Général et Directeur Général de l’ARS) et qui est renouvelable tous les 15 ans. Cette autorisation doit être obtenue lors de la création d’un établissement, mais également lors d’une extension, d’une transformation (mo- dification des bénéficiaires) ou d’un transfert d’activité (rachat par une autre entité juridique).

Outre cette autorisation, un EHPAD ne peut être créé que dans le cadre d’une sé- lection lors d’un appel à projets lancé par l’ARS. Les critères de sélection des projets reposent sur leur conformité au cahier des charges, ainsi que sur des "critères d’éva- luation propres au projet soumis tels que la qualité du projet, les aspects financiers du

projet, l’expérience du promoteur"a. Ces appels d’offres, devenus obligatoires depuis

juillet 2010 par la loi Hôpital, Patients, Santé et Territoires (loi "HPST"), avaient ini- tialement pour objectif d’introduire une logique concurrentielle. Mais contrairement à l’effet souhaité, ils encouragent à l’inverse la concentration du secteur puisqu’ils ne favorisent qu’"un nombre relativement limité d’intervenants constitué notamment des grands acteurs du secteur privé commercial déjà présents sur le marché et disposant

de l’expérience et des ressources adéquates"b.

a. Source : Document de référence 2011, Medica. b. Ibid.