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Le secteur de la prise en charge de la dépendance semble attractif pour les établisse- ments lucratifs puisque les opportunités de profit y sont importantes. Les EHPAD disposent en effet d’un fort pouvoir de marché en raison de leurs regroupements juridiques, d’une différenciation horizontale liée à leur localisation, ainsi que d’une faible contestabilité du marché due à de fortes barrières à l’entrée. Leur pouvoir de marché peut en outre être accentué par une différenciation verticale inter-sectorielle : les EHPAD privés lucratifs ne semblent en effet pas cibler la même clientèle que les EHPAD publics et associatifs. Les résidents qu’ils accueillent sont des personnes âgées relativement aisées, recherchant des prestations haut de gamme à prix élevés dans de grandes villes ou dans des zones touris- tiques. Ces établissements ne sont pour le moment pas accessibles pour un grand nombre de personnes âgées en France, ni géographiquement ni financièrement. L’ouverture du sec- teur aux EHPAD privés lucratifs peut par conséquent être problématique si les nouveaux

lits créés ne le sont plus que dans ces établissements. Pour l’instant, elle profite d’ailleurs peu aux résidents, du moins en termes de qualité de la prise en charge, puisque les taux d’encadrement y sont plus faibles.

Cette étude est purement descriptive. D’une part, elle ne permet pas d’identifier avec précision les raisons expliquant le phénomène de concentration observé dans le secteur lucratif. Nous avons énuméré certains avantages repérés dans les rapports annuels des groupes d’EHPAD, mais nous ne pouvons pas évaluer l’ampleur de chacun de ces avantages. Une étude plus approfondie des facteurs de profit des groupes pourrait dans cette optique être intéressante (cf. chapitre 4). D’autre part, cette analyse descriptive ne permet pas d’analyser les raisons à l’origine des stratégies concurrentielles des établissements. Or, les conséquences observées du développement des EHPAD privés lucratifs, tant en termes de prix que de qualité, sont peut-être dues à un contexte particulier qui pourrait évoluer. Il est tout d’abord possible que la supériorité des prix observée dans le secteur lucratif ne soit pas la conséquence d’une différenciation verticale poussée mais tout simplement de coûts salariaux et de charges d’investissement plus élevés. De même, les faibles taux d’encadrement en personnel soignant constatés dans ce secteur sont peut-être le reflet de difficultés de recrutement. Il est enfin probable que la structure de marché influe sur les stratégies concurrentielles de ces établissements. Afin de savoir si l’ouverture du secteur aux EHPAD lucratifs pourrait être profitable aux résidents dans un contexte différent et notamment plus concurrentiel, il importe d’étudier comment sont déterminés les prix et la qualité dans les établissements privés lucratifs et l’impact du degré de concentration du marché sur leurs stratégies concurrentielles, des questions que nous abordons dans le chapitre 5.

L’efficacité des groupes d’EHPAD

privés lucratifs

Nous analysons dans ce chapitre les sources des profits plus élevés dont bénéficient les EHPAD appartenant à des groupes, afin d’expliquer le phénomène de concentration actuellement observé dans le secteur de la prise en charge de la dépendance en France. Pour réaliser cette étude, nous disposons de données comptables de 370 EHPAD privés lucratifs en France en 2011. La qualité est évaluée par des indicateurs d’encadrement et de qualification du personnel, ainsi que par le confort hôtelier de l’institution. Nous estimons des frontières de coût et de profit par analyse stochastique de frontière. Nous pouvons ainsi mesurer et comparer les inefficacités en termes de coût et de profit des établissements selon leur affiliation à une chaîne d’EHPAD. Contrairement à ce qui est couramment pensé, il semble exister des déséconomies d’échelle liées à la taille du groupe. Plus cette taille est importante, plus les établissements sont inefficaces en termes de coûts. Les EHPAD regroupés juridiquement bénéficient néanmoins de profits plus élevés que les établissements indépendants, leurs surcoûts étant plus que compensés par des chiffres d’affaires plus élevés.

4.1

Introduction

La croissance récente de la part des établissements privés lucratifs dans le secteur de

la prise en charge de la dépendance en France1 s’accompagne d’une forte concentration.

Les quatre plus grands groupes d’EHPAD (Orpéa, DVD, Korian et Medica) comptent en

2011 entre 136 et 198 établissements2 et possèdent environ 45% des places en EHPAD

privés lucratifs (environ 10% des places tous statuts confondus). Ils sont suivis par plu- sieurs groupes de taille intermédiaire intégrant jusqu’à 40 établissements (Le Noble Age, Emera, Colisée Patrimoine, Groupe Imbert, Domidep, etc.) et détenant environ 25% des lits d’EHPAD privés lucratifs en France. Ce phénomène de concentration va de pair avec des profits plus élevés pour les établissements regroupés que pour ceux indépendants (Martin et Ramos-Gorand, 2013 [102], chapitre 3).

Nous nous interrogeons sur les raisons expliquant la supériorité des marges des établis- sements appartenant à des groupes d’EHPAD. Il est souvent supposé que la constitution de grands groupes permettrait de réduire les coûts en raison d’économies d’échelle présentes

au niveau de l’entité juridique3. Jean-Claude Marian, président du Groupe Orpéa, estime

ainsi que les chaînes d’EHPAD, "grâce à la mise en place de fonctions transversales, peuvent

maitriser les coûts"4. Dans un récent rapport, le cabinet Ernst&Young (2008) [50] suggère

également que "les synergies entre opérateurs dans le cadre du mouvement de regroupe- ment/concentration, peuvent être source d’améliorations opérationnelles". Si tel est le cas et dans l’hypothèse où les prix s’ajusteraient aux coûts des établissements, la constitution des groupes pourrait éventuellement profiter aux résidents en permettant une réduction des prix d’hébergement et donc de leur reste à charge. Peu de preuves théoriques ou empiriques soutiennent néanmoins cette hypothèse. En principe, si les groupes ont des caractéristiques spécifiques pouvant permettre de réaliser des économies, des surcoûts peuvent également exister en raison d’une coordination et de processus de décision plus complexes.

L’objectif de ce chapitre est d’expliquer l’origine des profits réalisés par les groupes d’EHPAD. Nous souhaitons savoir si les avantages dont bénéficient les établissements sont

1. La part de marché des établissements privés lucratifs dans le secteur des EHPAD est passée de 18,5% en 2007 à 19,9% en 2011 (Source : enquêtes EHPA 2007 et 2011 (DREES) - Calculs C.Martin).

2. Source : Le mensuel des maisons de retraite, Le classement des groupes commerciaux, 2011. 3. Les économies d’échelle correspondant à l’entité juridique et calculées à partir du nombre d’éta- blissements du groupe ("firm-level economies of scale") doivent être distinguées des économies d’échelle calculées au niveau de l’établissement à partir de sa taille ("plant-level economies of scale") qui ont été étudiées au chapitre 2 (Dormont et Martin, 2013 [47]). Nous nous intéressons dans cette étude uniquement aux économies d’échelle liées au nombre d’établissements du groupe.

liés à des coûts plus faibles ou (et) à des recettes plus élevées pour un niveau de coût donné. Ces dernières pourraient résulter de prix ou (et) de taux d’occupation plus élevés, eux-mêmes générés soit par des caractéristiques observables de l’établissement (situation géographique, variables de qualité, etc.), soit par des caractéristiques non observables (ré- putation de l’établissement, situation concurrentielle, capacités managériales, etc.). Pour mener cette étude, nous estimons une frontière de coût et une frontière de profit par analyse stochastique de frontière. Nous disposons des données comptables de 370 établissements pour l’année 2011, ainsi que d’informations sur leurs caractéristiques : intégration à un groupe, situation géographique, rémunérations moyennes du personnel par niveau de qua- lification dans l’établissement et degré de dépendance des résidents. Nous ajoutons égale- ment plusieurs variables de qualité de structure dans nos modèles de coût et de profit : le taux d’encadrement, la qualification du personnel et un indicateur de confort hôtelier.

Nos résultats montrent que les coûts moyens sont plus élevés pour les établissements ap- partenant à des chaînes d’EHPAD. Ces surcoûts sont dus à des caractéristiques spécifiques (localisation en ville, bâtiment en location) mais aussi et surtout à une plus faible efficacité- coût. Cela n’empêche cependant pas ces mêmes établissements de profiter de marges plus élevées, et ce d’autant plus lorsque la taille du groupe est importante.