• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 1 REVUE DE LA LITTÉRATURE

1.3 Méthodes de mesure des contraintes résiduelles

1.3.1 Méthodes destructives

Ces méthodes sont assez variées mais ont toutes un point en commun : elles mesurent des déformations ou déplacements causés par le relâchement des contraintes résiduelles pour en déduire certaines composantes des contraintes initialement présentes dans l’échantillon (Ruud, 2002). Les méthodes destructives plus traditionnelles ne sont généralement applicables que pour des cas très particuliers (plaque, tige, tube) et nécessitent de poser des hypothèses simplificatrices notamment sur la nature des champs de contraintes à mesurer. Par exemple, il est possible de dissoudre progressivement des couches sur le dessus d’une plaque rectangulaire par électropolissage tout en mesurant l’évolution de la courbure de cette dernière par un indicateur à cadran ou une jauge de déformation (Treuting et Read, 1951). Les contraintes résiduelles initialement présentes dans la plaque peuvent alors être recalculées théoriquement à partir de ces mesures si on assume que le champ initial était parfaitement biaxial et que les contraintes ne varient que selon la profondeur. Il est évident que ce type de méthode traditionnelle présente de fortes limitations pour les géométries complexes et les champs de contraintes triaxiaux. Pour cette raison, d’autres méthodes destructives ont été développées. La méthode des contours (MDC) est la plus récente et intéressante de ces méthodes et sera donc décrite en détails dans cette section (Prime, 2000 et 2001).

Cette méthode est basée sur le principe de superposition élastique illustré à la Figure 1.6. Ce principe implique que l’état de contrainte initial est équivalent à celui obtenu en forçant la surface déformée après relâchement complet des contraintes résiduelles à redevenir plane (son état initial avant la coupe). Les étapes de la méthode des contours sont les suivantes : couper la pièce en question selon le plan d’intérêt par électroérosion à fil (WEDM), mesurer les déplacements normaux à ce plan sur les deux surfaces résultantes (les contours), traiter les données (réorganisation, filtrage, lissage, etc.) et calculer par éléments finis les contraintes résiduelles initiales ayant causé ces déplacements. Les trois hypothèses fondamentales de cette méthode sont : 1) le relâchement des contraintes résiduelles est parfaitement élastique, 2) la coupe WEDM n’introduit pas de contraintes résiduelles en elle-même et 3) le plan de la coupe est parfaitement droit par rapport à la pièce initiale (Prime, 2001; Zhang, Fitzpatrick et Edwards, 2002).

Figure 1.6 Principe de superposition élastique utilisé dans la méthode des contours.

Tiré de Prime (2001, p.163)

La coupe est faite par électroérosion à fil (WEDM) car ce procédé d’usinage introduit des contraintes résiduelles négligeables si les paramètres sont bien choisis (faible puissance,

vitesse lente, fil fin, etc.) et permet d’avoir une largeur de coupe très fine et constante (Prime, 2001). L’auteur mentionne que pendant le relâchement, la pièce doit être bridée le plus symétriquement possible des deux côtés de la coupe. Cela permet de respecter le plus possible l’hypothèse de la coupe droite. Le respect de cette hypothèse implique également que les paramètres machine doivent être fixes pendant la coupe afin de garantir une largeur de coupe constante. Le matériau doit bien évidemment être conducteur pour pouvoir utiliser l’électroérosion à fil.

La mesure des surfaces de coupe se fait par machine à mesurer tridimensionnelle (MMT) ou par une méthode optique pour plus de précision (Prime et al., 2004). Les déviations par rapport au plan supposé parfaitement plat à la coupe sont considérées comme étant causées entièrement par le relâchement des contraintes résiduelles. À cette étape, seuls les déplacements (hauteurs) de la surface sont mesurés et non les déformations.

Le traitement des données commence par une moyenne des hauteurs mesurées sur les deux surfaces à tous les points en vis-à-vis. Cette moyenne est nécessaire pour éliminer les erreurs dues aux contraintes de cisaillement qui sont également relâchées selon le plan de coupe en même tant que la contrainte normale (Prime, 2001; Murugan et Narayanan, 2009). En réalité, les cisaillements créent un déplacement perpendiculaire antisymétrique contrairement à la contrainte normale; c’est-à-dire que sur une surface le point se déplace vers l’extérieur et que sur l’autre il se déplace vers l’intérieur (la moyenne des deux mesures en vis-à-vis est donc nulle). Prime et Kastengren (2010) expliquent de façon détaillée en quoi faire la moyenne des deux côtés élimine complètement l’erreur due aux cisaillements. Rangaswamy et al. (2005) font remarquer que faire la moyenne des deux côtés devrait également en principe annuler les erreurs causées par une trajectoire de coupe qui n’est pas parfaitement droite car cela cause des erreurs antisymétriques également. Ces auteurs stipulent par contre qu’il vaut mieux tenter de couper le plus droit possible. Ce point a été confirmé plus tard par Prime et Kastengren (2010).

La matrice des hauteurs mesurées est généralement filtrée et lissée avant le calcul par éléments finis pour enlever le bruit introduit par la méthode de mesure et la rugosité de surface. Cette étape est généralement considérée nécessaire car une erreur dans les déplacements mesurés sera amplifiée lors du calcul des contraintes par éléments finis car elles dépendent des dérivés de ceux-ci. Différentes approches sont proposées dans la littérature pour cette étape : lissage avec une série de Fourier à deux variables (Prime, 2001; Prime, 2005), lissage avec des surfaces polynômiales d’ordre élevé (Nasri, 2007), aucun lissage (Hacini, 2008), courbes de lissage (smothing splines) morceau par morceau (Prime et

al., 2006; Hosseinzadeh, Toparli et Bouchard, 2012), etc. Finalement, après toutes ces étapes

de traitement, les contraintes résiduelles peuvent être calculées en appliquant l’opposé des déplacements mesurés comme condition frontière dans un modèle d’éléments finis élastique représentant une des deux moitiés. Notons qu’il n’y a qu’une seule solution possible pour l’état de contrainte initial étant donné l’hypothèse élastique. Le modèle d’éléments finis permet donc la détermination de la contrainte résiduelle normale au plan σRS partout le long de la surface de coupe avec une résolution spatiale très intéressante. Cette cartographie 2D complète des contraintes représente un avantage considérable par rapport aux méthodes plus traditionnelles; même dans un cas relativement simple comme celui d’une plaque d’acier trempée (Prime, 2005).

La méthode des contours ne présente pratiquement pas de limite en terme de profondeur maximale de mesure (Withers et al., 2008). Rangaswamy et al. (2005) font remarquer qu’elle n’est pas affectée par la présence de plusieurs phases, l’absence de cristallinité, la taille de grain, etc. Il est seulement nécessaire de pouvoir définir un module de Young E et un coefficient de Poisson ν pour le matériau coupé. Cette méthode a été appliquée avec un certain succès dans différents cas : traitement de surface au laser (Evans et al., 2007; Hill et

al., 2005), martelage (Hacini, Lê et Bocher, 2009), soudage (Prime et al., 2002; Zhang et al.,

2004; Prime et al., 2006; Turski et al., 2006; Nasri, Lanteigne et Champliaud, 2007; Woo et

al., 2008; Kartal et al., 2008; Murugan et Narayanan, 2009; Hatamleh, Mishra et Oliveras,

2009; Thibault, Bocher et Thomas, 2009), pièces de prototypage rapide (Rangaswamy et al., 2005), joint serré entre deux matériaux différents (Sebring et al., 2003) et trous déformés à

froid (Zhang, Fitzpatrick et Edwards, 2002). Les inconvénients sont l’effort expérimental considérable à faire pour mettre la méthode en œuvre (coupe, mesure, traitement des données, modélisation) et le manque de précision notable près des bords dû principalement aux bavures d’usinage (Prime, 2001; Zhang et al., 2004; Hatamleh, Mishra et Oliveras, 2009). Cette méthode n’est donc pas bien adaptée pour les pièces trop minces.

Lévesque (2010) a proposé récemment une autre approche plus performante pour l’étape des calculs des contraintes résiduelles à partir des déplacements mesurés. En effet, cet auteur utilise la méthode des cellules de pression constante au lieu des éléments finis. Cette technique permet un gain en temps de calcul considérable à précision égale mais n’est pas implantée dans une multitude de logiciels commerciaux comme la méthode des éléments finis; rendant ainsi son application moins directe.

Prime et Kastengren (2010) ont publié un article fort intéressant dédié spécifiquement aux sources d’erreur possibles de la méthode des contours et aux façons de les minimiser. Mis à part les sources d’erreur plus classiques mentionnées plus tôt, ces auteurs mentionnent que la méthode assume naturellement une rigidité constante des deux côtés de la coupe en faisant la moyenne des deux surfaces mesurées. Si la géométrie de la pièce diffère significativement des deux côtés de la coupe ou si la rigidité du matériau n’est pas homogène, des erreurs seront engendrées. Un cas de ce type sera traité dans la présente thèse. Selon ces auteurs, plusieurs autres sources d’erreur sont associées au procédé de coupe par électroérosion : irrégularités locales de la coupe, changement de largeur de coupe dus à un matériau non- homogène ou à un changement d’épaisseur, vibration du fil, contraintes résiduelles induites par la coupe et fermeture des lèvres de la coupe derrière le fil. Prime et Kastengren (2010) soutiennent toutefois que l’expérience a montré que ces erreurs sont négligeables ou dans les pires cas corrigeables en soustrayant les mesures d’une coupe dans une pièce similaire mais exempte de contraintes résiduelles. Ils mettent de l’avant qu’il ne reste seulement que deux types d’erreur plus critiques actuellement : 1) l’erreur causée par la déformation du ligament de matériau en bout de fil juste avant le passage de ce dernier (bulge error) et 2) l’erreur causée par la déformation plastique en bout de coupe (plasticity error). La première est due

au fait que durant la coupe, le matériau bouge légèrement et se déforme par rapport à l’état initial juste avant le passage du fil et donc la coupe n’est pas tout à fait de largeur constante par rapport à l’état initial. L’idéal serait donc une coupe de largeur nulle pour éviter cette erreur. Concernant l’erreur due à la plasticité, il est évident que la présence de déformation plastique pendant le relâchement des contraintes viole une des hypothèses fondamentales. Prime et Kastengren (2010) affirment qu’un bridage sévère et symétrique réduit grandement ces deux sources d’erreur. Cette affirmation est soutenue par des simulations éléments finis de la méthode des contours faites par d’autres chercheurs (Dennis et al., 2008).