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CHAPITRE 1 REVUE DE LA LITTÉRATURE

1.4 Endommagement des métaux par fatigue

1.4.1 Domaines de sollicitation

Afin d’étudier la fatigue des métaux, on soumet généralement une éprouvette de laboratoire à des cycles de contrainte et déformation jusqu’à rupture. En répétant cet essai à plusieurs niveaux de chargement, on obtient généralement une courbe d’amplitude de contrainte en fonction du nombre de cycles à la rupture (courbe S-N ou de Wöhler) comme représentée à la Figure 1.9.

Figure 1.9 Courbe S-N typiquement obtenue pour les aciers

Précisons d’abord que les nombres de cycles délimitant chaque zone sont donnés à titre indicatif seulement et varient d’un matériau à un autre. Le plateau aux alentours de 106 et 107 cycles n’est parfois pas observé; notamment dans le cas des matériaux non-ferreux en général (Bathias et Paris, 2004). De plus, la chute de contrainte à très grand nombre de cycles n’est

elle aussi pas nécessairement observée pour tous les matériaux (Zhang et al., 2011). Ceci étant dit, la Figure 1.9 permet d’identifier trois domaines de sollicitation bien distincts qui sont observés dans les aciers tels que celui étudié dans la présente étude :

• jusqu’à 105 cycles : le domaine de fatigue oligocyclique dit à faible nombre de cycles (low cycle fatigue ou LCF);

• de 105 à 108 cycles : le domaine de fatigue mégacyclique dit à grand nombre de cycles (high cycle fatigue ou HCF);

• à plus de 108 cycles : le domaine de fatigue gigacyclique dit à très grand nombre de cycles (very high cycle fatigue ou VHCF).

Dans le domaine LCF, les contraintes et déformations imposées dépassent souvent la limite élastique du matériau. Les matériaux subissent alors une chute ou une augmentation évidente de leur limite élastique dès les premiers cycles (Hertzberg, 1996). On dit alors qu’il y adoucissement ou durcissement cyclique respectivement. Le matériau atteint généralement un état stabilisé après un certain nombre de cycles mais accumule quand même de la déformation plastique à l’échelle macroscopique à chaque cycle; on parle alors d’accommodation des déformations (Pineau, 2008; Doquet, 2009). L’accommodation précède ou chevauche l’apparition d’une fissure (Pineau, 2008). Dans ce domaine de sollicitation, on retrouve souvent plusieurs sites d’amorçage en surface (Pineau, 2008; Doquet, 2009). La déformation plastique cyclique est considérée comme étant assez homogène car plusieurs systèmes de glissement peuvent être activés en même temps et ce dans plusieurs grains favorablement orientés pour celui-ci. La variation statistique des durées de vie d’une pièce à l’autre est assez faible en LCF car plusieurs sites s’endommagent en même temps. L’amorçage se fait généralement très tôt dans la durée de vie et ce domaine de sollicitation est donc dicté en majeure partie par la propagation (Hertzberg, 1996; McDowell, 2007). L’amorçage peut quand même représenter une portion non-négligeable de la durée de vie dans certains cas précis (Pineau, 2008). Peu de composantes de machines réelles sont sollicitées dans ce domaine de chargement en temps normal mais il peut apparaître certaines conditions souvent transitoires et temporaires où la fatigue oligocyclique est mise à l’œuvre

(Pineau, 2008). Les chercheurs étudient généralement ce domaine pour simuler les conditions qui prévalent en bout d’une entaille sévère, c’est-à-dire plastification cyclique locale limitée en déformation par les régions voisines qui restent en domaine élastique (Hertzberg, 1996; Rabbe et Anquez, 2008), ou tout simplement pour étudier plus finement certains mécanismes (ex : réarrangement des dislocations) et établir une loi de comportement élasto-plastique ou d’écrouissage (Pineau, 2008).

Dans le domaine HCF, les contraintes et déformations sont assez faibles et ne causent que peu, voire aucune déformation plastique cyclique à l’échelle macroscopique. Le matériau atteint, dès le premier cycle en général, un régime stable et on dit alors qu’il y a adaptation des déformations (Doquet, 2009). À ce niveau de sollicitation, le nombre de sites d’amorçage est généralement plus limité; même souvent unique. La déformation plastique cyclique locale est grandement hétérogène, c’est-à-dire qu’elle se concentre à certains endroits isolés et plus faibles dans la microstructure (McDowell, 2007). La forte dépendance du comportement en fatigue avec la microstructure aux endroits critiques ainsi que l’hétérogénéité de la plasticité locale font que la variation statistique est plus grande en HCF et mérite alors d’être étudiée (Hertzberg, 1996; Morel et Flacelière, 2005). L’amorçage de fissure se fait dans plusieurs cas très tard dans la durée de vie et pilote alors la résistance en fatigue (Baïlon et Dorlot, 2000; Gonçalves, Araújo et Mamiya, 2005; McDowell, 2007; Rabbe et Anquez, 2008). La Figure 1.9 montre le plateau dans la courbe S-N qui survient normalement aux alentours de 106 ou 107 de cycles pour les aciers. Il s’agit de la limite d’endurance conventionnelle (Hertzberg, 1996; Baïlon et Dorlot, 2000). On sait aujourd’hui que cette contrainte est une limite de non- propagation des microfissures au-delà des premières barrières microstructurales et non une limite de non-amorçage (McDowell, 1996; Banvillet, Palin-Luc et Lasserre, 2003; Doquet, 2009). Il est fréquent en HCF d’observer l’arrêt définitif ou momentané des microfissures de fatigue lorsque les charges sont suffisamment basses à cause notamment de la microstructure, des contraintes résiduelles microscopiques (McDowell, 1996) ou du frottement entre les lèvres de la microfissure (Doquet, 2009).

Les ingénieurs mécaniques ont longtemps pensé qu’aucune rupture ne pouvait survenir en dessous de la limite d’endurance mais plusieurs études plus récentes dans l’histoire de la fatigue ont prouvé le contraire. En effet, en présence de contraintes et déformations plus faibles que les conditions obtenues à la limite d’endurance conventionnelle, il est possible d’observer des ruptures pour la plupart des alliages métalliques à des durées de vie de l’ordre du milliard de cycles (Tanaka et Akiniwa, 2002; Bathias, 2008; Hong et al., 2012, Lai et al., 2012). On atteint alors le domaine de la fatigue gigacyclique (VHCF). Bathias (2008) indique que l’étude de la fatigue gigacyclique est plus récente malgré son importance pratique évidente pour la conception des machines modernes car elle a nécessité le développement de machines d’essai à haute fréquence (jusqu’à 20 kHz) dites piézoélectriques et la mise au point de techniques d’essai particulières. Sohar et al. (2008) décrivent en détails l’équipement de test requis (circuit de refroidissement, générateur haute fréquence, transducteur, etc.). Dans ce domaine, la déformation plastique cyclique n’est observée qu’à un ou quelques défauts de la microstructure très isolés qui produisent une concentration des contraintes très locale. Il convient de différencier les domaines HCF et VHCF car pour un alliage donné les mécanismes d’amorçage de fissure sont souvent différents dans les deux cas.