• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 1 REVUE DE LA LITTÉRATURE

1.6 Fatigue de flexion des engrenages

1.6.2 Approches de modélisation existantes en amorçage

Traditionnellement, les ingénieurs mécaniques en industrie utilisent des méthodes empiriques basées sur les normes AGMA en Amérique du Nord ou ISO en Europe pour éviter l’amorçage des fissures de fatigue de flexion. Le principe est de calculer une charge appliquée et de s’assurer que cette dernière reste inférieure à la charge admissible. À titre d’exemple, la norme ANSI/AGMA 2001-D04 recommande la formule suivante :

1

≤ (1.3)

où :

WT = force transmise tangentiellement KO = facteur de surcharge en service

KV = facteur dynamique (erreur de transmission, débalancement, désalignement, résonance, etc.)

KS = facteur de taille reflétant la non-uniformité des propriétés matériau b = largeur de dent

m = module de l’engrenage

KM = facteur de distribution de charge (contact non-uniforme causé par des erreurs de fabrication, déflection sous charge, variation d’assemblage, distorsions thermiques, etc.) KB = facteur d’épaisseur de jante (pour tenir compte de la diminution de résistance avec une jante mince)

J = facteur géométrique en flexion

sAT = contrainte de flexion admissible en creux de dent

YN = facteur correctif pour un nombre de cycles différent de 107 SF = facteur de sécurité en flexion

KT = facteur de température de l’huile en service

Ce type d’approche est largement utilisé vu la facilité d’application et la prise en compte de plusieurs facteurs. Par contre, ces équations ne couvrent pas bien les cas des engrenages traitées superficiellement. Par exemple, pour les engrenages traités par induction cette norme ne fait que la différence entre les cas durcis au creux (type A) ou non (type B). Cette définition semble un peu trop simplifiée et vague ne contenant aucune information sur les variables du procédé notamment. De plus, les contraintes résiduelles n’apparaissent nulle part explicitement et l’amorçage en sous-couche n’est pas considéré. Le succès de l’application de cette méthode dépend fortement de l’expérience de l’industriel qui tente d’ajuster les coefficients de l’équation précédente le mieux possible. Étant donné que les traitements superficiels sont maintenant appliqués à la presque totalité des engrenages en automobile et en aéronautique, des chercheurs ont donc tenté de modéliser plus finement l’amorçage des fissures de flexion en creux de dent des engrenages au cours des dernières années.

Benedetti et al. (2002) ont essayé de prédire la limite d’endurance en flexion d’engrenages cémentés avec ou sans grenaillage en utilisant une relation empirique pour la résistance locale fonction de la dureté et le critère multiaxial de Sines qui s’exprime comme suit :

+ ≤ (1.4)

Le premier terme du critère décrit le cisaillement en se basant sur l’amplitude du deuxième invariant du tenseur des contraintes déviatorique. Les termes σHMOY, α et β sont respectivement la contrainte hydrostatique moyenne et deux paramètres du matériau. Ce type de critère de fatigue sera traité en détails au Chapitre 5. Ces auteurs ont calculé les contraintes appliquées par la méthode des éléments finis (2D en contrainte plane) et ont essayé de trouver la charge limite pour éviter le domaine de rupture si ces contraintes appliquées étaient superposées aux contraintes résiduelles mesurées. Notons que les contraintes résiduelles mesurées par DRX ont été corrigées pour enlèvement de matière avec les formules des plaques de Moore et Evans (1958), ce qui représente une grossière approximation pour un creux de dent d’engrenage (Hornbach, Prevéy et Mason, 1995). Ces auteurs comparent alors la contrainte équivalente de Sines à une estimation de la limite

d’endurance locale. Cette approche a le mérite de tenter de considérer les contraintes résiduelles par l’entremise de σHMOY et le gradient de propriété d’un engrenage durci superficiellement. L’amorçage sous la surface est considéré et la stabilité des contraintes résiduelles a été vérifiée expérimentalement pour le domaine de sollicitation étudié. Ces chercheurs ont observé des différences entre les limites d’endurance prédites par le modèle et celles obtenues par des essais expérimentaux sur de vrais engrenages de l’ordre de 50 MPa pour les engrenages cémentés et de 200 MPa pour les engrenages cémentés et grenaillés.

D’un point de vue critique, le critère de Sines est un classique parmi les critères basés sur les invariants mais son utilisation est questionnable. En effet, ce critère implique que le ratio de la limite de fatigue en torsion et de celle en flexion complètement renversée est une constante pour tous les matériaux (ce qui s’avère être faux expérimentalement) et requiert souvent l’utilisation d’une relation empirique de type Goodman pour estimer les paramètres du critère (Papadopoulos et al., 1997; Benedetti et al., 2002). Le critère de Crossland, identique à celui de Sines sauf au niveau de l’utilisation de σHMAX au lieu de σHMOY, permet d’éviter ces deux problèmes (Crossland, 1956; Papadopoulos et al., 1997). Mentionnons aussi que plusieurs autres critères plus performants existent dans la littérature comme les approches énergétiques plus récentes (Banvillet, Palin-Luc et Lasserre, 2003) ou les approches mésoscopiques (Papadopoulos et al., 1997; Morel, 2000 et 2002). L’application d’un tel critère de fatigue multiaxiale au cas d’une dent d’engrenage en flexion sera discutée au Chapitre 5.

Dans le même ordre d’idées, Kramberger et al. (2004) ont proposé une approche de modélisation de l’amorçage et de la propagation de fissures dans des engrenages d’acier homogène, isotrope et considéré sans défaut. Ces auteurs calculent les contraintes appliquées avec une charge au HPSTC par la méthode des éléments finis (2D en déformation plane) comme illustré à la Figure 1.12.

Figure 1.12 Modélisation par éléments finis d’une fissure de fatigue de flexion. Reproduit et adapté avec l’autorisation de

Kramberger et al. (2004, p.2265 et 2266)

Pour la portion amorçage, ce modèle utilise une approche basée sur les déformations classique (équation de Basquin-Coffin-Manson) :

2 = (2 ) + (2 )

(1.5)

Il est important de noter que cette équation est généralement utilisée pour calculer le nombre total de cycles à la rupture NTOT (Suresh, 1998) et n’est acceptable pour estimer le nombre de cycles à l’amorçage Ni que si les paramètres du matériau ont été déterminés avec des courbes d’amorçage; ce qui n’est pas clairement énoncé dans cet article. De plus, cette équation a été développée pour le domaine de fatigue à faible nombre de cycles et son application pour des engrenages en domaine d’endurance peut être remise en question (Cardou, 2006; Lalonde, 2008). En fait, le deuxième terme du membre de droite représente la déformation plastique et

sera donc pratiquement nul pour les engrenages en fatigue à grand nombre de cycles. Notons également que cette équation ne tient aucunement compte des contraintes résiduelles présentes au site d’amorçage. De plus, en creux de dent le chargement est multiaxial. Hors, les auteurs n’expliquent pas s’ils ont utilisé uniquement une composante de l’état des contraintes ou une déformation équivalente calculée avec un critère de type von Mises par exemple pour traiter l’aspect multiaxial du chargement comme d’autres auteurs l’ont fait (Baragetti et Tordini, 2011). Encore une fois, seul l’amorçage surfacique est considéré. Ces auteurs comparent les prédictions du modèle (amorçage et propagation) avec des données expérimentales sur le nombre de cycles NTOT rendant impossible une évaluation de l’efficacité de la portion amorçage du modèle.

Podrug, Jelaska et Glodež (2008) ont également utilisé des approches basées sur les déformations considérant soit un mode d’endommagement dominé par la contrainte normale maximale ou le cisaillement maximal pour prédire l’amorçage en creux de dent. Ces travaux ne considèrent pas non plus explicitement les contraintes résiduelles, les gradients de microstructure ou l’aspect multiaxial du chargement en pied de dent.

Lalonde (2008) a lui proposé une approche 2D basée sur une version modifiée de la méthode de la ligne critique utilisant un critère d’amorçage combinant les contraintes normales et de cisaillement et la méthode des équations frontières. Notons que la méthode de la ligne critique a été développée au départ pour modéliser l’amorçage près d’un concentrateur de contraintes dans un matériau homogène (Susmel, 2008). Cette étude était axée sur la propagation de fissure de flexion dans les engrenages et l’idée était donc plus de calculer une fissure amorcée réaliste pour débuter les calculs de mécanique de rupture. Ces travaux considéraient l’amorçage en surface dans des engrenages droits sans contraintes résiduelles. L’acier était considéré homogène, isotrope et sans défaut. À partir des contraintes appliquées à la position critique de l’engrènement (plus haut point de contact simple), la démarche proposée permettait de calculer la position de la fissure initiale, son orientation, sa taille (avec la mécanique de la rupture) et le nombre de cycles à l’amorçage Ni par une approche de type courbe S-N. Cette méthode n’est malheureusement pas applicable dans le cas des

engrenages traités par induction comportant des gradients de contraintes résiduelles, de dureté et de microstructure.

Wang et al. (2010) ont publié récemment quelques résultats de prédiction de la durée de vie en fatigue d’engrenages en acier sans traitement superficiel. Ces auteurs ont comparé des résultats expérimentaux aux prédictions de trois critères de fatigue multiaxiale : cisaillement maximal (aucune référence dans l’article), McDiarmid (1991 et 1994) et Findley (1958). Ils rapportent les contraintes équivalentes sur une courbe S-N du matériau pour estimer le nombre de cycles total à la rupture. L’amorçage et la propagation ne sont donc pas distingués dans le modèle. Plusieurs points ne sont pas précisés dans cet article; notamment aucun détails n’est donné sur le dispositif expérimental de flexion des engrenages ni sur le modèle d’éléments finis utilisé pour calculer les contraintes appliquées. Les erreurs sur la durée de vie totale entre les prédictions du modèle et les mesures expérimentales varient grandement de 11 à 233 %.

Olmi, Comandini et Freddi (2010) ont de leur côté proposé deux approches de modélisation pour la fatigue de flexion d’engrenages grenaillés. Ils ont d’abord calculé les contraintes appliquées au creux de dent pour leur banc d’essai en flexion à l’aide de la méthode des éléments finis (3D). Les contraintes résiduelles mesurées ont ensuite été superposées directement aux contraintes appliquées pour obtenir les contraintes totales. Notons que les contraintes résiduelles mesurées ont encore une fois ici été corrigées de façon très approximative par les formules de Moore et Evans (1958). De plus, cette approche suppose implicitement qu’il n’y aura aucun relâchement des contraintes résiduelles lors de la sollicitation en fatigue; hypothèse qui peut être discutée au vu de la tendance de redistribution cyclique assez commune pour des pièces grenaillées (McClung, 2007). La première approche proposée est d’utiliser une relation pour la limite d’endurance locale fonction du gradient de contraintes et de corriger la valeur obtenue avec une relation uniaxiale de type Goodman pour tenir compte de l’effet d’une contrainte moyenne. Cette façon de faire est approximative car le chargement est multiaxial en creux de dent. Les contraintes résiduelles interviennent donc dans les calculs du gradient réel de contraintes et

de la contrainte moyenne. Les calculs ne sont faits que pour la surface et ne considèrent donc pas l’amorçage interne. Les auteurs ont observé une erreur moyenne de 4 % par rapport aux limites d’endurance expérimentales avec cette approche. La deuxième approche proposée dans cet article utilise la théorie des distances critiques pour estimer la limite d’endurance en flexion de la dent. Certaines hypothèses fondamentales de cette méthode n’étant pas respectée dans ce cas, les erreurs observées varient de 20 à 30 %. Les auteurs n’ont pas utilisé la version multiaxiale de la méthode de la distance critique telle que proposée dans la littérature pour ce genre de cas (Susmel, 2008).