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Méthodes de conception

Dans le document Les technologies persuasives adaptatives (Page 59-69)

Les principes de persuasion sont nombreux. Aussi, il est difficile pour un concepteur d’identifier aisément le ou les principes à employer pour un problème donné. Pour les aider dans leur tâche, des méthodes ont été créées qui facilitent l’identification des principes de persuasions à même de répondre au problème, et offrent parfois aussi des guidelines

pour la mise en œuvre du principe et plus globalement de la technologie persuasive. Le

Behavior Wizard et le Persuasive Systems Design sont deux de ces méthodes.

3.5.1 Le Behavior Wizard

Fogg [51] propose le Behavior Wizard comme méthode de conception de systèmes persuasifs. Elle se compose d’une grille de classification des comportements cibles et d’un questionnaire (figure 3.5) pour identifier la catégorie à laquelle appartient le comportement visé par le système en cours de conception. La grille de comportement s’articule autour de deux axes :

3.5. Méthodes de conception

— L’évolution du comportement en cinq valeurs : — "green" : pratiquer un nouveau comportement — "blue" : pratiquer un comportement connu — "purple" : renforcer un comportement — "gray" : affaiblir un comportement — "black" : supprimer un comportement

— La durée du changement de comportement en trois valeurs : — "dot" : un acte unique

— "span" : pour une période de temps déterminée — "path" : permanent.

Pour chaque catégorie de cette grille, Fogg propose des exemples de mise en œuvre et des principes de conception. Le Behavior Wizard est accessible en ligne sur le site http ://www.behaviorwizard.org/.

Ainsi, pour un comportement de type "purple path", c’est-à-dire le renforcement d’un comportement sur le long terme, Fogg propose dans un premier temps d’utiliser des simples rappels du comportement cible, si possible à des moments opportuns (principe de suggestion). Si cela ne suffit pas, il faut alors chercher à simplifier le comportement cible, en diminuant le temps, l’argent ou les efforts physiques, intellectuels ou sociaux requis par le comportement (principe de réduction). Enfin, en dernier recours, Fogg conseille d’agir sur la motivation en soulignant les conséquences agréables du comportement (ou à défaut en les créant), source de plaisir, d’espoir ou d’acception sociale (principe de conditionne-ment, principe de cause et effet, principe de récompense virtuelle, principe de louange, ...).

3.5.2 Le Persuasive Systems Design

Oinas-Kukkonen [119] propose une méthode de conception pour les BCSS, le Persua-sive Systems Design, constituée de trois étapes (cf. figure 3.6).

La première étape se focalise sur la compréhension de la persuasion dans le système à concevoir, à travers sept postulats que le système doit respecter :

— Les technologies de l’information ne sont jamais neutres, elles ont toujours une influence sur l’utilisateur.

— Les gens aiment que leurs visions du monde soient organisées et consistantes comme l’indique la théorie de la dissonance cognitive.

— La persuasion est souvent incrémentale : il est plus facile d’inciter un utilisateur à se lancer dans une série d’actions par des suggestions incrémentales plutôt que par un message persuasif unique.

— La persuasion peut emprunter un chemin direct ou indirect jusqu’à l’utilisateur : ceci s’appuie sur le modèle de la probabilité d’élaboration.

3.6. Conclusion et positionnement

— Le système persuasif doit être à la fois utile et utilisable : il doit être de bonne qualité, et répondre aux besoins de l’utilisateur.

— La persuasion doit toujours être discrète et laisser la tâche principale au premier plan.

— La persuasion doit toujours être transparente et afficher clairement ses intentions. La deuxième étape du PSD est une analyse du contexte de persuasion. Elle comporte trois phases :

— Analyse de l’intention persuasive par :

— l’identification du porteur de l’intention de persuasion (cf. chapitre 3.2) qui peut être le concepteur (persuasion endogène), le distributeur (persuasion exogène) ou l’utilisateur lui-même (persuasion autogène)

— l’analyse du type de changement souhaité : attitude et / ou comportement, ponctuel ou permanent.

— Analyse de l’événement persuasif qui caractérise la situation de persuasion, c’est-à-dire :

— le contexte d’usage et les caractéristiques propres au domaine de l’application (par exemple, santé, sport, ...).

— le contexte utilisateur : ses intérêts, besoins, objectifs, capacités, attitudes exis-tantes, son engagement, son style de vie, sa culture, sa personnalité, ...

— le contexte technologique : les forces et faiblesses, risques et opportunités, de chaque plateforme, et élément logiciel doivent être identifiés.

— Analyse de la stratégie persuasive : quel message va être délivré par le système pour atteindre l’intention de persuasion, par quel moyen ?

La troisième étape propose quatre catégories de principes de persuasion, que l’on a vu dans la section précédente (chapitre 3.4.2). Chacune de ces catégories répond à une fonction des principes de persuasion (soutenir la tâche principale, renforcer la crédibilité, ...). Elles restreignent ainsi le choix que doit effectuer le concepteur à un sous-ensemble des principes de persuasion au regard de la fonction qu’il souhaite renforcer.

3.6 Conclusion et positionnement

Trois domaines de recherche ont pour ambition d’étudier les technologies persuasives, la Captologie, les BCSS, et la persuasion ambiante, mais malgré cet objectif commun, ils se distinguent par la manière de définir ces technologies, et ainsi d’intégrer ou non certains dispositifs à leur champs de recherche. Dans le cadre de cette thèse, nous n’embrassons aucun de ces domaines pleinement, mais empruntons à chacun certaines caractéristiques : — A l’image de la Captologie, nous choisissons de nous limiter à l’étude de la per-suasion endogène, c’est-à-dire aux technologies conçues pour être persuasives. En tant qu’informaticien, le cœur de notre activité consiste à concevoir et mettre en

Figure 3.6 – Les trois étapes de la méthode de conception Persuasive System Design

[119]

œuvre des systèmes, pas à les détourner de leur usage premier.

— Toujours en s’inspirant de la Captologie, nous choisissons aussi de ne pas nous intéresser à la persuasion médiée par ordinateur qui met peu en avant le rôle persuasif de la technologie.

— En revanche, nous faisons le choix de nous limiter à la macrosuasion (contraire-ment à la Captologie), c’est-à-dire aux technologies ayant une finalité persuasive. Notre intérêt pour les technologies persuasives étant avant tout motivé par le dé-sir d’apporter une aide au quotidien des utilisateurs, nous nous focalisons sur les technologies qui visent explicitement leurs comportements.

— A l’image des BCSS, nous portons une attention toute particulière à l’expérience utilisateur, à la fois en terme d’utilité et d’utilisabilité.

— De plus, comme les BCSS, nous voyons le changement de comportement comme l’unique finalité de la persuasion technologique, le changement d’attitude n’étant qu’un moyen pour renforcer et pérenniser ce changement. Nous faisons ce choix pour les mêmes raisons que celles justifiant la restriction à la macrosuasion, mais aussi parce que l’étude des théories de psychologie nous ont montré que l’attitude n’est qu’un facteur parmi de nombreux autres, d’influence du comportement. — Enfin, nous faisons nôtre la principale caractéristique et préoccupation de la

per-suasion ambiante : la prise en compte du contexte en vue d’optimiser l’efficacité de la persuasion.

Les technologies persuasives sont donc pour nous des technologies conçues pour faire adopter un comportement déterminé par leur utilisateur, sans uti-lisation de la coercition ni de la tromperie. Le sujet de travail présenté dans ce document est l’optimisation de leur efficacité à court et long terme en se focalisant sur l’expérience utilisateur, principalement donc leur utilité et leur utilisabilité, en tenant compte du contexte d’usage à la conception comme à l’exécution.

3.6. Conclusion et positionnement

Dans le chapitre dédié à l’éthique des technologies persuasives (chapitre 3.3), nous avons pu voir que le respect du cadre d’étude - celui de la Captologie, des BCSS, de la persuasion ambiante, ou encore celui que l’on vient de définir - n’est pas suffisant pour garantir l’innocuité des effets de ces technologies. Plusieurs précautions sont nécessaires lors de la conception et de la distribution d’une technologie persuasive pour en limiter les conséquences nuisibles :

— Les motivations qui guident la création de la technologie ne doivent pas être au détriment de l’utilisateur ou d’un tiers.

— Le concepteur doit s’assurer de la véracité des informations fournies par le système. — Le concepteur doit s’assurer de la confidentialité des données personnelles traitées

par le système.

— Préalablement à l’acquisition du système, il est important de communiquer la fi-nalité et les conséquences probables de l’usage de la technologie au potentiel utili-sateur.

— L’utilisateur doit avoir le choix d’acquérir ou non le système persuasif. Il ne doit pas lui être imposé.

— L’utilisateur doit avoir le choix de suspendre, temporairement ou définitivement, le système persuasif, à tout moment.

Nous choisissons de suivre l’ensemble de ces précautions, notamment denous limiter à l’étude des systèmes persuasifs autogènes.

La conception des technologies persuasives se caractérise par un grand nombre de principes de conception, mais des méthodes et des frameworks

limités et perfectibles quant à l’identification du principe le plus adapté à une situation donnée.La triade fonctionnelle de Fogg [50] propose d’identifier les principes de persuasion à partir du rôle que joue la technologie auprès de l’utilisateur, mais il est parfois difficile de déterminer ce rôle ou de restreindre la technologie à un seul rôle. Un concepteur souhaitant mettre en œuvre un système d’aide à l’arrêt du tabac doit-il privilégier le rôle d’outil, celui de média ou plutôt celui d’acteur social ? Peuvent-ils (et doivent-ils) être combinés pour adresser cette problématique particulière ? La réponse à ces questions n’est pas immédiate.

Avec le PSD [118], Oinas-Kukkonen propose une nouvelle catégorisation, qui semble en effet plus applicable. Chaque catégorie représente un domaine d’action potentiel pour la persuasion (soutien de la tâche principale, renfort de la crédibilité, ...) qui peuvent aisément se compléter. Avec par exemple l’arrêt du tabac comme finalité, un système persuasif peut mettre en œuvre le principe d’auto-surveillance (catégorie soutien à la tâche principale), et renforcer sa persuasion par des éloges au cours de l’interaction (principe d’éloge de la catégorie support à l’interaction homme - machine), ou en confortant le sentiment d’expertise qui exhale du système (principe d’expertise de la catégorie renfort de la crédibilité). Reste que le choix d’un principe au sein d’une catégorie, ou la décision

d’employer une catégorie en particulier (ou toutes à la fois) n’est pas documenté dans la méthode.

Plus globalement, c’est l’apport des méthodes de conception qui est questionné. A la fin des années 2000 [71] [118], Oinas-Kukkonen et Harjumma identifiaient deux défis à relever dans l’étude de la conception des systèmes persuasifs :

— rendre les théories et modèles issus de la psychologie accessibles aux designers et aux informaticiens

— proposer des outils et des méthodes performants pour la conception et la mise en œuvre de technologies persuasives

C’est dans cette optique qu’ils ont proposé le PSD [118], surement la méthode de conception des technologies persuasives la plus populaire. Sa première étape propose par exemple un résumé intéressant des principaux enseignements de la psychologie sur la persuasion, mais inévitablement, ne peux offrir toute la richesse et la subtilité des connaissances apportées par cette discipline. De plus, elle ne met pas en avant les facteurs d’influence du comportement, et n’offre pas de transition avec les étapes suivantes de la méthode dans le but d’établir un lien entre ces connaissances et le contexte de la per-suasion (i.e. les données de la deuxième étape), mais aussi entre ces connaissances et les principes de persuasion (i.e. les données de la troisième étape). La phase suivante de la méthode met en exergue l’importance du contexte sur l’efficacité persuasive. Elle offre une méthode et un cadre d’analyse de ce contexte. Mais là encore, il n’y a aucune indication sur la manière de retranscrire le résultat de cette analyse en choix de conception et d’im-plémentation (notamment le choix parmi les principes de persuasion de la dernière étape). Enfin, la troisième étape du PSD, en dehors de la nouvelle catégorisation des principes, propose pour chacun d’eux un exemple et l’exigence fonctionnelle correspondante, dans le but de faciliter leur mise en œuvre. Cependant, dans les faits, l’exigence se résume souvent à une paraphrase de la description du principe. Par exemple, la description du principe de personnalisation ("un système qui offre des contenus ou des services personnalisés a une plus grande capacité de persuasion") est très proche de l’exigence proposée ("Le système doit fournir des contenus et des services personnalisés à ses utilisateurs"). Les apports de cette méthode de conception sont tout de même nombreux, comme par exemple le rappel qu’un système persuasif est avant tout un système interactif, qui doit se préoccuper de son utilité et de son utilisabilité, ou encore l’importance accordée au contexte de la persuasion et son influence prépondérante sur l’efficacité du dispositif.

Fogg propose avec le Behavior Wizard d’utiliser le type de changement de comporte-ment souhaité comme critère d’identification de la stratégie persuasive la plus adaptée. Il caractérise le changement de comportement suivant deux axes, l’évolution du com-portement (renforcer, affaiblir, supprimer, ...) et la durée du changement (acte unique, permanent, ...). Pour chaque catégorie de changement de comportement, il propose une stratégie composée de principes de persuasion et de conseils sur leur mise en œuvre.

Ce-3.6. Conclusion et positionnement

pendant, les éléments susceptibles d’influencer l’efficacité persuasive ne semblent pas se limiter au type de changement de comportement. Par exemple, en analysant l’efficacité de huit principes de persuasion, Kaptein [83] a mis en évidence une sensibilité variable à ces derniers, propre à chaque individu pour un même type de changement de comportement (nous reviendrons sur les travaux de Kaptein dans le chapitre 7).

Chapitre 4

Systèmes interactifs adaptatifs

L’adaptation en informatique est peut être aussi vieille que l’informatique elle-même. Dans son article posant les bases de l’informatique moderne en 1936, Turing décrit une "machine de calcul universel" dont la principale propriété est d’être programmable [142]. Avant cela, les machines avaient des programmes fixes, qui obligeaient à revoir totale-ment leur structure physique pour le traitetotale-ment d’une tâche différente. Turing propose le principe de programmes stockés en mémoire pouvant être modifiés pour traiter des problématiques différentes, sans affecter la machine elle-même. C’est la première capacité d’adaptation des ordinateurs, l’adaptation à la tâche à traiter.

Dans la suite de ce chapitre, nous nous intéresserons plus particulièrement à l’adapta-tion des systèmes interactifs, notamment aux nol’adapta-tions de plasticité et de contexte.

4.1 L’adaptation des systèmes interactifs

L’adaptation s’est trouvée au cœur de nombreux travaux, allant de l’informatique distribuée (adaptation aux ressources, à la topologie) à l’intelligence artificielle (l’appren-tissage est une forme d’adaptation). Dans le domaine des interactions homme-machine, c’est d’abord l’autonomie du système qui a été poursuivie. Avec la multiplication des dis-positifs d’interaction, les systèmes ont cherché à s’y adapter au mieux pour permettre leur exécution sur une grande variété de plateformes, et pour simplifier le travail des dévelop-peurs d’applications. C’est particulièrement visible avec l’évolution du plus emblématique des systèmes de ces trente dernières années : Windows. Microsoft a ainsi multiplié les API et les outils à disposition des développeurs pour faciliter la prise en compte de la diversité des dispositifs d’interaction et de l’hétérogénéité des équipements de restitution (cf. figure 4.1). On peut ainsi citer les MFC [109], introduits en 1993, qui favorisent l’utilisation du patron document - vue ; lesWindows Form, une API managée de gestion d’IHM qui intro-duit de nouveaux mécanismes de prise en compte des caractéristiques de l’écran, tels que les ancres [107], les docks [108] et différents containers; ou l’API Windows Presentation Foundation qui propose un moteur de rendu vectoriel, indépendant de la résolution du dispositif de restitution, et un langage unifié de description d’IHM, XAML. Les dernières évolutions de Windows (windows 8 et Windows 10) proposent la notion d’Application Windows Universelle (UWP). En unifiant les API de l’ensemble de ses plateformes (PC, tablettes, téléphones, Xbox, HoloLens, Surface Hub, ...), Microsoft propose aux

dévelop-peurs de factoriser ses développements, le système prenant en charge les différentes tailles d’écran et modèles d’interaction, qu’il s’agisse d’impulsions tactiles, de la souris et du clavier, d’une manette de jeu ou d’un stylet [110].

Figure 4.1 – Les API de gestion d’IHM de Windows depuis 2000

Les besoins d’adaptation dans le domaine des interactions homme-machine ne se li-mitent cependant pas à l’adaptation aux caractéristiques d’interaction de la plateforme d’exécution. Déjà, parce que, dans la quête d’une machine plus autonome, de nombreux autres critères sont à prendre en compte à commencer par l’espace technologique (les outils proposés successivement par Microsoft ne sont d’aucune utilité pour adresser les plateformes des concurrents). Mais surtout parce que la principale motivation à l’adapta-tion des interacl’adapta-tions des systèmes informatiques est leur capacité à répondre aux besoins de l’utilisateur, à l’assister dans sa tâche. Or ce besoin est influencé par de nombreux facteurs, dont bien sûr l’utilisateur lui-même, qui ne sont pas pris en compte dans les mécanismes mentionnés plus haut.

L’étude de l’ensemble de ces problématiques dans le champ des interactions homme-machine porte le nom de plasticité des interfaces homme-homme-machine. Nous détaillons ce champs de recherche dans la section suivante, avant de décrire les critères d’adaptation, c’est-à-dire le contexte.

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