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CHAPITRE II : ETAT DE L’ART SUR LA GESTION DES

E.2 De l'explicite à l'explicite : le partage

II- 3-2 Les méthodes de découverte

(Alberti 2009) définit la créativité comme "une faculté de l'esprit de réorganiser et d'exprimer de façon intelligible les éléments du champ de perception de façon originale et susceptible de donner lieu à des opérations dans un quelconque champ phénoménal". De nombreux modèles théoriques de créativité existent. Ils s'appuient sur deux phases essentielles (Alberti 2009). La première phase, intitulée divergence, explore des solutions originales. La seconde phase, dite de convergence, évalue et retient une solution acceptable.

La créativité émerge généralement d'une bonne coordination entre le savoir-faire interne à une organisation, selon l'hypothèse évolutionniste, et les savoirs extérieurs accessibles par la veille technologique (Bezard 2007). L’une des pathologies cognitives des entreprises réside souvent dans leur manque de gestion des connaissances qui leur sont extérieures. (Le Boterf 2008) met en avant que le savoir se partage autant qu'il s'accumule. Les idées nouvelles émergent ainsi du croisement de disciplines diverses et par analogie. On notera que le modèle SECI de Nonaka fait porter ce brassage par l'organisation, mais également (Nonaka 1994) par les individus qui interfèrent chacun avec le monde extérieur (voir Figure II-2). Le modèle de la marguerite de Jean-Louis Ermine (voir Figure II-3) donne pour sa part à l'organisation un rôle plus volontaire dans la recherche d'information par la pratique de l'intelligence économique.

L'épistémologie des inventions (Altshuller 1984; Hatchuel et Weil 2002; Alberti 2009) fournit des outils et des méthodes pour orienter l'inventeur, en quelque sorte pour l'aider à découvrir. Cette rationalité s'affranchit du processus essais-erreurs qui est pourtant à la base de la plupart des inventions. Or, le processus essais-erreurs mobilise beaucoup de temps et d'énergie. Les processus combinatoires, les évolutions systématiques autour d'un sujet et les mémoires numériques participent de ces outils possibles pour un inventeur (Moles 2008). Dans certaines configurations expérimentales, des outils

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numériques multiplient les expériences à moindre coût avant la réalisation d'un prototype nécessairement plus coûteux (Thomke 2001). L'innovation a une dimension supplémentaire puisqu'elle repose sur son acceptabilité par le corps social. Même si le processus de déploiement d'une innovation a des fondements peu rationnels, son acceptabilité est mesurée par des outils marketing (Pichat 2008) ou par des outils évaluant l'innovation par exemple d'un point de vue social, économique et environnemental.

(Alberti 2009) a recensé un certain nombre de méthodes d'aide à la créativité. Elles croisent cinq logiques de fonctionnement de la créativité (Vadcard 1996): associative, analogique, combinatoire, onirique et aristotélicienne ("démarche logique d'organisation arborescente des idées et des concepts" selon (Alberti 2009)). Cinq méthodes sont particulièrement connues et diffusées.

Dans une séance de brain-storming, les participants proposent leurs idées librement. Le groupe accepte d'examiner toutes les idées sans manifester de jugement sur ceux qui les ont exprimées.

La démarche Six Sigma pour sa part est une recherche permanente de la perfection (Billam et Pathy 2002). Cette méthodologie est bien adaptée au processus. Elle est proche conceptuellement de la qualité totale. Cinq étapes structurent Six Sigma: définir, mesurer, analyser, améliorer, contrôler.

La méthode Triz et l'analyse de la valeur sont plus spécifiquement décrites dans les deux paragraphes qui suivent.

La théorie C-K de (Hatchuel et Weil 2002) est également abordée ci-dessous à travers les processus de conception réglée ou innovante.

A La méthode Triz

Durant la seconde moitié du XXe siècle, son concepteur russe, Guenrich Altshuller, étudie l'évolution des systèmes techniques (Cavallucci 1999) à partir de quatre sources: des dizaines de milliers de brevets, les comportements psychologiques des inventeurs, les outils et méthodes existants, enfin la littérature scientifique. Il fait émerger un processus rationnel de la créativité. Une invention s'appuie sur ce qui a déjà été inventé mais pas nécessairement dans le domaine de compétence de l'inventeur (Altshuller 1984). Elle s'inscrit dans des règles. La méthode Triz cherche à atteindre un Résultat Idéal Final (RIF) avec méthode en s'appuyant sur les connaissances selon le principe de l'entonnoir illustré dans la Figure II-6.

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Figure II-6 : le principe de l'entonnoir de la théorie TRIZ

La théorie Triz présentée ci-dessous est décrite dans (Altshuller 1984; Altshuller 1997). Cette approche est systémique. Le système technique est l'objet de cette théorie. Il est constitué de sous-systèmes et il s'inscrit lui-même dans un super-système. Chaque système a une fonction utile. Il a une durée de vie. Son évolution obéit à des lois. A défaut, il est non viable. Guenrich Altshuller distingue huit lois évolutives.

Triz propose la méthode cadre ARIZ75 pour résoudre un problème d'un système technique (Cavallucci 1999). Cette méthode contient trois phases principales (Figure II-7 : résoudre un problème par Triz). Un problème complexe est reformulé en un problème simple. Des solutions ayant fait leurs preuves sont recherchées. Enfin, la solution la plus pertinente est recontextualisée.

Figure II-7 : résoudre un problème par Triz (Cavallucci 1999)

Guenrich Altshuller identifie deux obstacles majeurs à la créativité i.e. à l'évolution des systèmes techniques: des contradictions apparemment insurmontables, ainsi qu'une inertie psychologique (Cavallucci 1999).

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La contradiction: Une amélioration d'un des éléments du système se confronte souvent à la détérioration des autres éléments du système. Cette contradiction doit être dépassée non pas par un compromis mais par une solution originale. La méthode Triz comporte des outils pour surmonter ces contradictions.

o La matrice de résolution des contradictions technologiques porte trente-neuf paramètres, les mêmes en abscisse et en ordonnée. Chaque cellule recense les conflits possibles entre les paramètres d'origine. Pour régler ces conflits, Guenrich Altshuller a distingué quarante principes fondamentaux génériques de résolution des problèmes (Altshuller 1997). Pour exemple, une solution consiste à créer une asymétrie sur le système technique qui pose problème. Certains de ces quarante principes -mais pas tous- sont proposés pour résoudre les conflits mis en évidence entre deux paramètres.

o Les contradictions physiques s'expriment sur un même paramètre. Ainsi, si un système technique doit être à la fois froid et chaud, un procédé de résolution de cette contradiction est de séparer chronologiquement les deux états de température du système technique. La méthode Triz énonce onze procédés pour résoudre ce type de contradiction physique.

L'inertie psychologique: La méthode Triz s'appuie sur le principe que l'essentiel d’un problème peut être débloqué par le recyclage des connaissances. Cependant, celles-ci sont parfois étrangères à l'inventeur qui ne fera par l'effort, par inertie psychologique, d'y accéder. Des outils Triz ont pour vocation de briser cette inertie (Cavallucci 1999) en favorisant la curiosité interdisciplinaire.

o Ainsi les opérateurs DTC76 conduisent l'inventeur à se poser six questions: et si le système technique était minuscule, immense, opérait instantanément, en un temps infini, était très cher ou au contraire très bon marché? Rechercher des réponses à ces questions force l'inventeur à changer de modèle mental.

o Un autre outil est celui des hommes miniatures. A l'intérieur d'un système technique, la zone de conflit est remplie d'hommes miniatures. Ceux-ci regardent le problème et cherchent à trouver une solution.

D'autres outils existent comme l'analyse Vépole qui modélise les interactions entre plusieurs éléments du système ou bien la matrice des 9 écrans qui étudie l'évolution des systèmes. Tous ces outils s'intègrent dans la méthode cadre ARIZ.

Triz regroupe un ensemble de dispositifs plus ou moins indépendants adaptés à la résolution de problèmes (Hatchuel 2004). De fait, des bureaux d'études se sont appropriés Triz et des logiciels77 se sont développés à partir de Triz, car cette méthode marche (Ameglio 2005). Mais malheureusement, Triz manque d'une base théorique (Hatchuel 2004). Les scientifiques ont donc peu adhéré à Triz.

B L'analyse de la valeur

Cet outil méthodologique a pris naissance aux Etats-Unis au lendemain de la seconde guerre mondiale. Cette démarche sert à concevoir ou à reconcevoir un produit industriel, un produit immatériel, voire des processus industriels (AFNOR 1985). La logique

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DTC: Dimension, Temps, Coût

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En particulier, l’outil Goldfire, développé par la Société Invention Machine, est connu des grandes entreprises.

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générale de l'analyse de la valeur est d'atteindre le meilleur rapport qualité/prix par rapport à l'attente du client. L'analyse de la valeur est largement diffusée dans les entreprises mais aussi dans les services.

La définition normalisée de la méthode (AFNOR 1990) est la suivante: "Méthode de compétitivité, organisée et créatrice, visant la satisfaction du besoin de l'utilisateur par une démarche spécifique de conception à la fois fonctionnelle et pluridisciplinaire". Cette définition insiste sur le caractère multidisciplinaire et créatif de la démarche. Elle a également une dimension organisée et économique. Elle considère un produit ou un service comme un ensemble de fonctions. Les fonctions sont identifiées, évaluées et hiérarchisées selon les besoins du client. La créativité de la méthode s'applique autant à la recherche de nouvelles fonctionnalités qu'à des solutions innovantes de production (Alberti 2009).

L'analyse de la valeur est le fruit d'un travail collectif (AFNOR 1985). Un décideur valide une thématique, un animateur ainsi qu'un groupe d'étude constitué de personnes compétentes. Le plan de travail comprend usuellement sept phases (AFNOR 1990; Jouineau 1993) :

1. orientation de l'action ;

2. recherche de l'information; ce terme est générique et il peut être confondu avec celui de la connaissance ;

3. analyse des fonctions et des coûts, validation des besoins et des objectifs; cette étape aboutit à la rédaction du cahier des charges fonctionnelles. Ce document est précis sur ce qui est attendu. Le document exprime une exigence de résultats et non une exigence de moyens. La démarche autorise également la flexibilité avec des fonctions légèrement variantes par rapport aux fonctions attendues ;

4. recherche d'idées et de voies de solutions; la liberté technique prévaut dans la recherche de solutions, sous réserve de la prise en compte des contraintes préalablement identifiées. La phase quatre est conduite en parallèle de la phase cinq. Durant ces deux phases, le dialogue est organisé entre ceux qui conçoivent, fabriquent et commercialisent ;

5. étude et évaluation des solutions ;

6. bilan prévisionnel, présentation des solutions retenues, décision ; 7. réalisation, suivi, bilan.

L'analyse de la valeur a fait ses preuves. Quoique ancienne, cette démarche est toujours d'actualité dans le monde professionnel, car elle a été en partie rénovée (Jouineau 1993). Elle est très centrée sur la conception au sein d’une entreprise.

C Vers une organisation orientée conception : la théorie C-K

Nous allons décrire la théorie unifiée de la conception proposée par une équipe d'enseignants chercheurs de l'école des mines de Paris dans (Le Masson, Weil et al. 2006). (Hatchuel, Le Masson et al. 2002) critiquent une gestion des connaissances trop repliée sur elle-même. Pour un même bien ou service, pouvoir générer et évaluer des voies de conception est un atout pour une entreprise (Rianantsoa, Yannou et al. 2008). L'état instable du monde industriel contemporain, la remise en cause permanente des connaissances et des fonctionnements internes de l'entreprise impliquent un changement de paradigme. Le nouveau capitalisme serait un capitalisme de l'innovation intensive (Hatchuel, Le Masson et al. 2002). L'innovation ne s'y inscrirait plus comme une bonne coordination entre recherche et développement dans une logique classique de R&D. De

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plus, la gestion des connaissances ne croiserait pas uniquement la gestion de projet et l'animation de communautés professionnelles (voir définition dans le paragraphe II-4-2 sur Les communautés professionnelles). Elle serait plus dynamique en accompagnant la conception même du produit (Hatchuel, Le Masson et al. 2002). L'innovation serait au cœur de la mobilisation de la recherche et du développement pour produire "en permanence et simultanément de nouvelles sources de valeurs et des compétences inédites" (Le Masson, Weil et al. 2006). L'espace d'organisation de l'innovation serait à l'échelle de l'entreprise et non plus à la seule dimension du projet. A la R&D, ces auteurs substituent la RID. Elle associe étroitement Recherche, Innovation et Développement à travers le processus de conception. Ils distinguent ainsi deux conceptions: la conception réglée et la conception innovante.

Dans la conception réglée, les objectifs de conception, les compétences ainsi que les processus de validation sont bien définis et stables. Une conception réglée n'est pas nécessairement innovante.

Dans la conception innovante, le raisonnement s'applique à un champ d'innovation. Les objectifs de conception, les compétences ainsi que les processus de validation deviennent instables. La conception s'inscrit dans un cadre de renouvellement simultané des objets et de leur identité même, des savoir-faire, des savoirs et des compétences ainsi que des relations au sein de l'entreprise. La conception innovante active la recherche et le développement. Les produits sont regroupés en lignées. Elles s'organisent autour de compétences-clés. La conception innovante mobilise un grande diversité d'acteurs comme par exemple les designers, les agents du marketing, les clients (Le Masson, Weil et al. 2006) à tous les niveaux de l'entreprise et hors de celle-ci. Cette approche souple des équipes de projet est partagée par (Drucker 1998). Ces partenaires s'associent dans un contexte où la coordination autour d'objets aux identités indéterminées ainsi que la cohésion, i.e. l’intérêt à travailler ensemble, sont incertaines. Tous les acteurs n'y ont, bien entendu, pas le même rôle tant en termes d'expertise, d'autorité que de prescription (Hatchuel, Le Masson et al. 2002). Le modèle de la conception innovante est ainsi très éloigné du taylorisme où la vision de la conception est descendante depuis ceux qui pensent (la recherche) vers ceux qui produisent (le développement). Dans ce processus de conception innovante, les connaissances sont produites en excès par rapport au produit développé. Mais ces connaissances sont réutilisées dans le cadre d'autres innovations, en particulier à travers la lignée du produit développé mais aussi entre lignées.

Ces deux conceptions ne s'opposent pas. Elles sont complémentaires. La théorie C-K développée par (Hatchuel et Weil 2002) formalise cette théorie unifiée de la conception. Elle est issue de la méthode de séparation et d'évaluation (Branch and bound). Pour pouvoir innover, il faut dépasser le cadre des connaissances car une logique d'expansion est en œuvre. Une conception a alors besoin d'un espace des concepts distinct de l'espace des connaissances pour formaliser des idées nouvelles. La théorie C-K repose donc sur deux espaces:

l'espace des connaissances K; K est une proposition ayant un statut logique ;

l'espace des concepts C; C est une proposition ayant un statut non logique. La dynamique d'échange entre ces deux espaces abstraits va marquer le processus de conception. L'un des intérêts de la théorie C-K est de tracer le raisonnement associé à la conception et d'y joindre la mobilisation des connaissances voire la production de nouvelles connaissances.

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Concepts (C) Connaissances (K) K2 K1 K3 C Concept initial C C C C Nouvelle connaissance Conjonction Arbre de conception Brique de connaissances Objet sans propriété logique Disjonction Départition Partition restrictive Partition expansive Concepts (C) Connaissances (K) K2 K1 K3 Concepts (C) Connaissances (K) K2 K1 K3 C Concept initial C C C C Nouvelle connaissance Conjonction Arbre de conception Brique de connaissances Objet sans propriété logique Disjonction Départition Partition restrictive Partition expansive

Figure II-8 : espace des concepts et des connaissances

Nous allons expliciter les différentes opérations développées dans le diagramme C-K et illustrées dans la Figure II-8.

La disjonction K-C: elle marque le début du raisonnement de conception. Nous explorons les connaissances existantes pour résoudre un problème. Lorsque les connaissances les plus proches du problème posé n’apportent pas de solution, un problème donné est alors transformé en concept. Ce concept a une propriété non logique.

La départition: si ce premier concept est sans solution apparente, la départition mobilise des connaissances pour établir un second concept sur lequel des raisonnements sont possibles.

La partition comprend deux opérateurs: la partition restrictive ainsi que la partition expansive. La partition expansive assure l'expansion de l'espace des concepts. La partition restrictive restreint l'espace des possibles. Des propriétés sont rajoutées au concept. Ce processus est créatif mais ces propriétés, pour être crédibles, sont issues de connaissances. Celles-ci sont parfois très éloignées du sujet traité. L'invention ou la surprise peuvent alors surgir du raisonnement. Ce processus aboutit à une ou plusieurs propositions.

La conjonction C-K arrête le raisonnement de conception. Si la proposition finale est évaluée positivement, elle acquiert un statut logique. Elle transite de l'espace des concepts vers celui des connaissances. La dernière proposition devient une connaissance. L'expansibilité s'applique donc également aux connaissances. Ce processus heuristique illustre le lien entre concept et connaissance. L'expansion de l'un ou l'autre des deux espaces est liée à leur dynamique de relations. La conception innovante appelle un travail à la fois conceptuel et documenté. Elle n'est pas sans rappeler les méthodes par la mémorisation de construction de projet présentée au paragraphe II-2-2E "Du tacite à l'explicite : l'explicitation". Elle est cependant originale car elle combine tous les raisonnements aboutissant ou non à des connaissances. Elle

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assure ainsi la traçabilité de la conception et de la connaissance mobilisée. Elle affiche aussi clairement ce qui procède des connaissances admises de ce qui est du domaine des connaissances nouvelles.

II-3-3 Conclusion sur la gestion des connaissances pour la