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Mémoire et apprentissage

La mémoire est la faculté de l’esprit permettant de se souvenir des expériences vécues, elle garde une trace des états de conscience passés, les associent à d’autres, et les restituent21. La capacité à stocker des informations, à les conserver sur le long terme et à les restituer permise par la mémoire est essentielle pour apprendre22. Les recherches sur la mémoire ont mis en évidence plusieurs types de mémoire et ont produit des modèles pour rendre compte de leur rôle et de leur fonctionnement.

Types de mémoire

Parmi les modèles qui ont été élaborés, celui proposé par Atkinson et Shiffrin (1968) puis révisé par Baddeley (1986) offre une vue synthétique des connaissances accumulées sur la mémoire depuis les années 1960.

Le modèle de Atkinson et Shiffrin (1968) distingue la mémoire sensorielle, la mémoire à court terme et la mémoire à long terme. La mémoire sensorielle enregistre pendant une courte durée les informations jugées pertinentes issues des sens. Les modalités visuelles et sonores sont traitées par des sous-mémoires distinctes, dont la mémoire iconique qui conserve les stimuli visuels pendant une demi-secondes. Identifiée après le modèle de Atkinson et Shiffrin, la mémoire échoïque stocke les stimuli sonores pendant plusieurs secondes (Darwin, Turvey, & Crowder,1972).

La mémoire à court terme à une capacité de conservation plus longue que la mémoire sensorielle (de 10 à 20 secondes) et elle enregistre les informations nécessaires à la tâche en cours (Peterson & Peterson, 1959). Outre la durée, Miller (1956) montre que la capacité de la mémoire à court terme est de sept, plus ou moins deux, chunks d’information. Un chunk désigne un paquet d’informations (e.g. chiffres, noms, dates, concepts) regroupées de façon à faciliter la mémorisation à court terme (dans la mémoire de travail) à l’exemple du regrou- pement par deux ou trois des chiffres d’un numéro de téléphone. Le paquet d’informations n’est pas déterminé par le nombre d’informations, mais par leur familiarité pour l’individu : une suite de chiffres ou un poème appris par cœur peuvent constituer un chunk. En réponse à certaines faiblesses du modèle de Atkinson et Shiffrin (1968), Baddeley (1986) remplace la mémoire à court terme par la mémoire de travail. Elle est constituée des sous-systèmes suivants (voir Figure1.5) :

— le calepin visuo-spatial, pour le stockage des informations visuelles ; — la boucle phonologique, pour les informations auditives et verbales ;

— l’administrateur central, qui coordonne le calepin visuo-spatial et la boucle phonolo- gique ;

— le buffer épisodique, dont le rôle est de mettre en relation la mémoire de travail avec la mémoire à long terme.

21. Source :http://www.ac-grenoble.fr/savoie/pedagogie/docs_pedas/memoire_apprentissage/. Consulté le 3 septembre 2020.

22. Mnémosyne, déesse de la Mémoire, a donné naissance aux neuf muses des arts et des savoirs faisant de la mémoire une condition nécessaire de leurs maîtrises : éloquence, histoire, poésie, musique, chant, rhé- torique, danse, comédie et astronomie. Source :https://books.openedition.org/cdf/5495?lang=fr. Consulté le 20 décembre 2019.

Administrateur central Calepin visuo-spatial Buffer épisodique Boucle phonologique Informations visuelles Mémoire à long terme Informations verbales

Figure 1.5 – Modèle de Baddeley. Adapté de Durand (s. d.)23.

Plusieurs dichotomies ont été proposées pour les contenus de la mémoire à long terme : mémoire procédurale et mémoire déclarative (Cohen & Squire, 1980) , mémoire explicite et mémoire implicite (Graf & Schacter, 1985). Dans le cadre de cette thèse, nous adoptons la distinction la plus commune entre une mémoire déclarative (ou mémoire explicite) et des mémoires non déclaratives (ou mémoires implicites) (voir Figure 1.6).

Mémoires à long terme

Déclarative (explicite) Episodique Sémantique Non déclarative (implicite) Procédurale Conditionnements classiques Apprentissages

non associatifs Amorçage

Figure 1.6 – Les mémoires à long terme. Adapté de Squire (2004).

La mémoire déclarative est mobilisée lors du rappel conscient d’informations et se com- pose d’une mémoire épisodique et d’une mémoire sémantique (Squire, 2004; Tulving, 1995). La mémoire épisodique conserve les événements autobiographiques, les souvenirs et leurs contextes, tandis que la mémoire sémantique est une base de connaissances, de définitions et d’explications sur le fonctionnement du monde.

Les mémoires non déclaratives correspondent à des processus inconscients, elles s’ex- priment à travers les actions et les routines automatiques (Squire, 2004). La mémoire pro- cédurale est liée aux automatismes et aux compétences sensori-motrices (e.g. faire du vélo) (Martins, Guillery-Girard, & Eustache,2006). Les conditionnements classiques correspondent aux réactions émotionnelles et musculaires survenant immédiatement après la perception de stimuli dans l’environnement. Par exemple, le bruit d’une voiture freinant brusquement dé- clenche une réaction inconsciente et immédiate d’alerte. Les apprentissages non associatifs désignent les phénomènes d’habituation et de sensibilisation qui déterminent la réaction d’une personne à un stimulus particulier. Dans le cas de l’habituation, la personne s’accoutume au stimulus et finit par ne plus y prêter attention. Tandis qu’au contraire, la sensibilisation signi-

fie que la réaction de la personne est plus intense lorsqu’elle perçoit le stimulus. L’amorçage correspond aux effets de la reconnaissance perceptive et peut être compris comme un biais cognitif : lorsqu’un stimulus (prendre un café avant un entretien d’embauche) en influence un autre (la décision d’embaucher ou non la personne)24.

Des modèles plus récents ont été proposés pour décrire les interactions entre les différentes mémoires à l’exemple du Modèle NEo-Structural Inter-Systémique de la mémoire humaine (MNESIS) (Eustache, Viard, & Desgranges, 2016). MNESIS définit des boucles de rétroac- tions entre les systèmes des mémoires déclaratives et non déclaratives. L’une des boucles de rétroaction relie la mémoire épisodique à la mémoire sémantique pour rendre compte de l’effet de consolidation : les événements vécus sont rejoués pour en extraire des informations sur le monde.

De façon générale, ces modèles nous renseignent sur les limites des mémoires en termes de capacité de stockage, en particulier pour la mémoire de travail, et sur la différenciation des traitements en fonction des types de stimuli (e.g. visuel, auditif). De ce fait, la création d’ac- tivités ou de dispositif d’apprentissage doit tenir compte de la quantité et de la présentation des informations transmises à l’apprenant afin de ne pas surcharger ses capacités mnésiques.

Apprendre, c’est mobiliser sa mémoire pour anticiper le futur

La consolidation, l’un des piliers de l’apprentissage, portait sur l’un des rôles des mémoires dans l’apprentissage. L’un des piliers de l’apprentissage, la consolidation, portait sur l’un des rôles de la mémoire. En réalité, les recherches menées sur le fonctionnement de la mémoire ont identifié trois processus différents (McDermott & Roediger,2018) :

1. encodage : transformation des informations provenant des différentes aires du cerveau (e.g. sensorielles, fonctions cognitives supérieures) en une trace mnésique ;

2. consolidation : stockage dans la mémoire à long terme de la trace mnésique, ce qui se traduit par une modification des connexions neurones dans le cerveau ;

3. restitution : récupération des informations, de manière directe et explicite ou indirecte et implicite, de la mémoire à long terme vers la mémoire de travail.

La nature de l’encodage et la qualité de la consolidation influencent la facilité de rappel des informations (Croisile, 2009). Dans la mémoire, les informations sont stockées en les mettant en relation les unes aux autres, par exemple, en reliant une mélodie à une émotion ou en associant une odeur à un souvenir. Par conséquent, la qualité de l’encodage et de la consolidation peut être améliorée en associant les nouvelles informations à des connaissances acquises ou à des épisodes autobiographiques (Croisile,2009; McDermott & Roediger,2018). La mémoire, au sens général du terme, est communément associée au passé puisqu’elle est le siège des connaissances apprises, des souvenirs et des expériences vécues. Cependant, la mémoire est aussi un moyen pour comprendre et anticiper le futur (Dehaene, 2018). Les mémoires de travail et à long terme sont impliquées lorsque le cerveau formule des hypothèses pour anticiper le déroulement des événements dans l’environnement. Cette anticipation, et les hypothèses qui en découlent sont élaborées à partir des expériences passées et des connais- sances acquises, donc en mobilisant les mémoires. La Figure 1.7 illustre le lien entre les 24. Ce biais cognitif est connu sous le nom d’effet d’ancrage (Kahneman,2018). Il est, entre autres, respon- sable de la difficulté à se défaire de la première impression que l’on a eue d’une personne.

processus mnésiques de rappel et de consolidation ainsi que l’apprentissage selon la règle de Rescorla-Wagner. Données sensorielles Hypothèses Mémoire de travail (informations, faits, nombres, etc.) Erreur ?

Retour sur erreur

Mémoire à long terme (connaissances, expériences souvenirs, etc.) Rappel Consolidation

Figure 1.7 – Rôles des mémoires pour anticiper l’environnement. Adapté de Dehaene (2018) et McDermott et Roediger (2018)

À partir des données sensorielles, le cerveau récupère des informations utiles stockées dans la mémoire à long terme afin d’élaborer des hypothèses. En fonction de l’erreur commise en comparant la réalité avec les hypothèses, le cerveau intègre le retour sur erreur et va ajuster les connaissances stockées dans la mémoire à long terme. Ainsi, apprendre signifie mobiliser les informations en mémoire à long terme pour formuler des hypothèses et anticiper son environnement.