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Mobilité et faibles densités

1.1 De l’agglomération à l’aire urbaine : re tour sur 50 années de périurbanisation

1.1.2 Les mécanismes de production des nouveaux pay sages urbains

L’analyse globale du processus d’étalement et d’émiettement urbain per- met de définir et quantifier le phénomène de périurbanisation. Il parait cepen- dant intéressant d’analyser plus en détail les mécanismes et les acteurs de la croissance périurbaine : comment fonctionne la périurbanisation ? Pourquoi les couronnes s’étendent ?

Le logement individuel : un outil de l’émiettement urbain encouragé par les institutions

La production des espaces périurbains ne peut pas être dissociée de la pro- duction de logements individuels. La croissance périurbaine est réalisée presque totalement sous la forme de maisons individuelles : sur les 866 000 logements construits dans les couronnes des grandes aires urbaines entre 2001 et 2010, 79 % sont des logements individuels. Ce chiffre monte à 88 % dans les communes périurbaines de moins de 2 000 habitants (tableau 1.3). Dans les moyennes aires urbaines, 93 % des logements construits dans les couronnes sont des logements individuels.

et 29 février 2012 à Paris), Colloque international « territoires périurbains dans les pays du Sud » (19 Décembre 2013 à Lièges)

Dans les discours des hommes politiques, la propriété d’une maison indivi- duelle serait plébiscitée, de manière innée, par les français qui y verraient un facteur d’ascension sociale (Jaillet, 1982; Giscard-d’Estaing, 1976). Haumont (2001) considère que le désir d’une maison individuelle est « l’une des normes de la francité : l’amour du pavillon est communément attribué au Français en tant qu’élément du caractère national ». Par ailleurs, Séverine Bonnin Oliveira (2012), dans son travail de thèse, présente les résultats d’un sondage de 2007 sur la forme d’habitat désirée des français : 86 % plébiscitent la maison individuelle (56 % pour la maison individuelle isolée, 20 % pour la maison individuelle dans un ensemble pavillonnaire et 11 % pour le petit habitat individuel en ville). Bourdieu et al. (1990) est plus critique en évoquant une demande construite : si « habiter » est un besoin, l’offre standardisée (le pavillon en propriété) « tend à annuler tout ou partie des autres manières possibles de satisfaire le besoin d’habiter (comme par exemple la location de maisons individuelles ou d’ap- partements dans des immeubles collectifs de qualité) [et] contribue à imposer une manière particulière de satisfaire ce besoin, sous apparence de respecter les goûts du consommateur-roi ». Ainsi, les promoteurs ont une préférence pour la construction de maisons individuelles en accession, y voyant la réalisation d’opérations moins risquées par rapport à des projets plus denses — habitat groupé ou intermédiaire (Castel, 2005a) — et ont imposé ce produit qui leur offre « de substantielles marges bénéficiaires » (Brun, 2001).

Au delà des discours récents sur le développement durable, le dévelop- pement de la propriété périurbaine et du logement individuel est fortement encouragé par les institutions publiques. Bourdieu et al. (1990) évoquent un marché « non seulement contrôlé, mais véritablement construit par l’Etat ». En effet, afin de stimuler ou de maintenir les marchés de la construction et de l’immobilier, les gouvernements n’hésitent pas à intervenir directement pour entretenir la demande. Les outils privilégiés de la politique de logement en France sont, entre autres, les politiques d’accession à la propriété qui se suc- cèdent depuis le début du xxe siècle. Ainsi, le rêve de la maison individuelle

est régulièrement instrumentalisé non seulement par les constructeurs, les pro- moteurs et les lotisseurs mais aussi par les hommes politiques pour légitimer leurs dispositifs d’aides à la propriété. En effet, les aides à la pierre ne sont pas dénuées d’intérêts politiques : être propriétaire est une valeur supposée stabiliser, en les sédentarisant, les ménages modestes.

Si les orientations de l’Etat en faveur du logement collectif et des villes nouvelles ont été très marquées dans les années 1950–1960, le vote de la Loi d’Orientation Foncière en 1967 a radicalement changé la donne. Le logement

Figure 1.6 – Configurations élémentaires de l’enclavement résidentiel

d’après Gosset, 2006

individuel et l’initiative privée ont été remises sur le devant de la scène. La loi a permis l’ouverture à l’urbanisation d’un grand nombre de terrains, tant et bien qu’il est devenu possible de construire une maison individuelle « presque partout » (Bauer et Toux, 1976). Différents dispositifs d’aide à la construction de logements individuels vont se succéder : prêt d’accession à la propriété (1977), prêt à taux zéro (1995), nouveau prêt à taux zéro (2005), pass foncier (2008), prêt à taux zéro plus (2011). . . Certaines mesures revêtent même une appellation proche du marketing (péri)urbain comme par exemple la « maison à 100 000 euros » (2005) ou « ma maison pour 15 euros par jour » (2008). Ainsi, alors que la loi Solidarité et renouvellement urbain de 2000 affirme une volonté de lutte contre l’étalement urbain, les politiques d’aides au logement mises en place semblent au contraire le favoriser (Renard, 2006).

Les promoteurs et constructeurs profitent de cette demande stimulée par les politiques publiques en proposant des produits standardisés (mais avec dif- férentes « gammes ») aux ménages s’installant dans les couronnes périurbaines (Callen, 2010). Les formes de la périurbanisation sont souvent assimilées à celles du lotissement. L’influence des théories du new urbanism et des defen-

sive spaces ressort dans la morphologie viaire de ces lotissements, avec des culs

de sac, des boucles et des raquettes (Newman, 1973, 1996; Gosset, 2006). Elle engendre des structures urbaines peu perméables tendant vers la privatisation, ou du moins la clubbisation, de l’espace public (figure 1.6). Cette logique com- munautaire de production de l’urbain atteint son paroxysme avec les gated

communities (lotissements fermés) que l’on observe en France dans les espaces

périurbains les plus dynamiques (Le Goix, 2006).

Le lotissement ne représente qu’une partie minoritaire de la production de la ville périurbaine (Castel, 2010), souvent concentré dans les territoires ayant un fort potentiel de développement (Carvalho et al., 2009). En France, la majorité de l’urbanisation périurbaine donc reste le fait de constructions

isolées : seulement 15 % des maisons individuelles des grandes couronnes péri- urbaines sont construites au sein d’une opération groupée. La production de la ville périurbaine tient donc davantage du saupoudrage de pavillons sur le territoire que d’opérations planifiées. Toutefois, que la croissance se fasse par développement de lotissements ou construction de maisons isolées, cela n’em- pêche pas d’observer des schémas types dans le processus de périurbanisation des communes rurales.

Le cycle de développement d’une commune périurbaine : de la revi- talisation rurale à l’entre-soi pavillonnaire

S’inspirant des travaux de Vilmin (2006), Charmes (2009) résume le proces- sus de périurbanisation d’une commune, qu’il qualifie d’urbanisme malthusien, en quatre étapes :

1. La périurbanisation de la commune est amorcée par la croissance de la demande en logements, provoquée par l’extension de l’aire d’influence d’une ville. De manière générale, les populations rurales et les élus ré- pondent à cette demande avec bienveillance dans la mesure où elle est perçue comme un moyen de revitaliser la commune, notamment l’école. L’urbanisation est aussi intéressante pour les propriétaires fonciers (sou- vent influents dans les conseils municipaux) qui font pression pour classer certains terrains en zone urbanisable.

2. Conséquence de cette logique foncière, la population de la commune peut croitre de manière importante. Lorsque l’urbanisation s’effectue de ma- nière diffuse la population augmente relativement régulièrement. Tou- tefois, la croissance peut s’effectuer par à-coups lors d’implantation de lotissements ou d’opérations d’habitat groupé. L’urbanisation modifie les équilibres locaux : démographique, sociologique (la structure de la po- pulation change), politique et financier (besoin de fournir de nouveaux équipements).

3. Assez rapidement, la commune entre dans une phase de stabilisation, voire de déclin démographique due à l’affirmation politique d’une logique de préservation du cadre de vie au détriment de la valorisation foncière. En effet, lorsqu’ils atteignent une proportion suffisante, les propriétaires de maisons individuelles (qui ne possèdent pas de terrains agricoles et préfèrent être entourés d’espaces verts plutôt que de nouveaux pavillons) peuvent prendre le contrôle de la municipalité et imposer leurs exigences. 4. Dans un dernier temps, une croissance plus faible peut demeurer, por-

tée par les propriétaires fonciers et souvent appuyée par la nécessité de maintenir les classes de l’école ouvertes. En effet, au bout de quelques années les enfants des périurbains atteignent l’âge d’aller au collège et il faut donc attirer de nouveaux ménages avec des enfants afin de mainte- nir l’équilibre de la commune. Cette croissance reste cependant modeste sauf en cas de projets urbains pour les communes plus importantes (re- structuration du tissu bâti ou affirmation d’une centralité).

La périurbanisation à l’échelle une commune peut s’appréhender comme une transformation du village rural (avec un fort pouvoir des propriétaires fonciers) en un club de propriétaires de pavillons cherchant à maintenir un entre-soi protecteur (Donzelot, 2009).

Un protectionnisme périurbain qui alimente l’éloignement des mé- nages et la stratification sociale

La limitation de la croissance des communes périurbaines permet de main- tenir une ceinture verte autour des espaces urbanisés. Cette ceinture verte est un élément identitaire fort de l’identité périurbaine (Charmes, 2009) qui différencie nettement le périurbain de la banlieue (et ses « cités »), perçue comme un espace de l’entre-soi contraint, d’immobilisme, d’insécurité et de paupérisation (Donzelot, 2009). ll s’agit alors de maintenir l’idéal d’une iden- tité villageoise dans des territoires qui, sur le plan fonctionnel, ont des modes de vie plutôt urbains. L’illusion villageoise est alors garanti par un proces- sus visuel : faire en sorte que le lieu d’habitation ressemble à un village en englobant l’espace bâti dans un écrin vert (Charmes, 2009). Le maintien de cette ceinture verte est garantie par le verrouillage des règlements d’urbanisme qui interdisent la construction dans les zones naturelles et agricoles. Certaines communes cherchent aussi à protéger leurs espaces naturels en initiant des démarches en vue de faire classer leur territoire en espace naturel sensible, Znieff, zone Natura 2000 ou en créant un Parc Naturel Régional (PNR) : en 2008, plus d’un tiers des communes des PNR étaient périurbaines (Roux et Vanier, 2008).

L’émergence d’un urbanisme défensif des périurbains est rendue possible par la clubbisation des institutions municipales, en réaction à l’étalement ur- bain, par les résidents de pavillons ou de lotissements. Le Goix (2009) relate ainsi le cas de la Plaine de Versailles, un territoire offrant d’excellentes opportu- nités d’investissement, qui est devenu un territoire no growth (sans croissance) quand les résidents les plus aisés ont pris le pouvoir. La volonté de maintenir l’illusion villageoise incite aussi les communes périurbaines à se regrouper au-

tour de Scot (Schéma de Cohérence Territorial) pour défendre leurs intérêts et peser face à l’agglomération. C’est ainsi qu’autour du Scot de l’aggloméra- tion (qui intègre parfois les communes périurbaines les plus proches), se sont mis en place des Scot qui couvrent essentiellement des territoires périurbains (Helluin, 2006; Desjardins, 2009).

Ces mesures de protectionnisme territorial (dont le but est d’éviter d’être

rattrapé par la banlieue) ont des conséquences fortes en ce qui concerne l’élar-

gissement des couronnes périurbaines. En effet, sous l’effet des restrictions d’urbanisation, l’offre foncière ne pouvant plus répondre à la demande de nou- veaux logements, les prix immobiliers augmentent dans les premières couronnes périurbaines. Les ménages modestes et les primo-accedants ne peuvent donc plus accéder à un logement à proximité de l’agglomération et doivent s’installer à une distance plus élevée, au delà les PNR ou des Scot défensifs. Ainsi, l’ex- tension spatiale des banlieues reste modeste (2 % des communes périurbaines ont été intégrées dans un pôle urbain entre 1990 et 1999 ) alors que que les couronnes périurbaines s’agrandissent fortement : la superficie des couronnes périurbaines a augmenté de 44 % entre 1999 et 2008 (à comparer avec une croissance de 22 % pour les pôles urbains) (Floch et Levy, 2011).

L’entre-soi protecteur des communes périurbaines n’a pas pour objectif uniquement de préserver un paysage idéalisé. Sous couvert de la défense du cadre de vie, certaines communes périurbaines limitent leur urbanisation pour

préserver le niveau social de la commune, au risque de créer une stratification sociale des espaces périurbains (Berger et Saint-Gérand, 1993; Berger, 2006; Préteceille, 2006). Donzelot (2009) explique en effet que « la jouissance d’un cadre naturel parait de plus en plus déterminée par les règles d’un marché qui s’est organisé de façon à dispenser les aménités environnementales en stricte fonction du niveau de revenu des prétendants à de tels bienfaits ». Les ménages les plus modestes se retrouvent donc aux franges des couronnes périurbaines, ce qui pose un certain nombre de questions sociales et de mobilité.

1.2 Vivre et bouger dans le périurbain : entre

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