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Le côté obscur des faibles densités : captivité et dépendance automobile

Mobilité et faibles densités

1.2 Vivre et bouger dans le périurbain : entre liberté et dépendance

1.2.3 Le côté obscur des faibles densités : captivité et dépendance automobile

Des catégories sociales inégalement touchées par la « souffrance » périurbaine

Les modes d’habiter sont liées à l’identité sociale des individus (Dodier, 2013). En reprenant les grandes classes de la typologie d’habiter le périurbain présentée précédemment — à savoir lesfigures métapolitaines, les figures équi-

Table 1.6 – Importance des figures d’habiter périurbaines en fonction de la catégorie sociale

Souffrance Equilibrée Métapolitaine

Cadres 11 % 42 % 47 %

Prof. intermédaires 19 % 33 % 48 % Employés/ouvriers 20 % 52 % 28 %

Retraités 51 % 36 % 13 %

Autres inactifs 50 % 40 % 10 %

d’après Dodier, 2013. source : enquête periurb

librées et les figures de souffrance — on observe des différences significatives de schémas de mobilité entre les catégories sociales (tableau 1.6). Le niveau de revenu apparait alors comme un bon indicateur de la tendance au repli sur le logement et la cellule familiale (qui tend à augmenter quand le revenu diminue). Les cadres se démarquent ainsi par une forte surréprésentation des métapolitains, avec notamment beaucoup d’hypermobiles (12 % chez les cadres contre 4 % en moyenne) et une part faible des figures de souffrance. Les pro- fessions intermédiaires ont un comportement assez similaire à celui des cadres, fortement accès sur les opportunités de l’aire urbaine, mais avec un investisse- ment moindre du village. Le mode de vie des catégories aisées s’appuie donc sur une articulation importante des échelles de mobilité.

Les ouvriers et les employés ont des modes de vie similaires, à majorité équilibrés entre le logement et la ville, avec une part importante de villageois et de navetteurs (pour les employés) ou de périphériques (pour les ouvriers). La localisation préférentielle de l’emploi (au centre pour les employés et en périphérie pour les ouvriers) a donc une influence sur les modes d’habiter. Contrairement à certaines représentations simplistes, les ouvriers et employés ne sont pas massivement atteints par lesfigures de souffrance : la part est certes supérieure à celle des cadres mais équivalente à celle des professions intermé- diaires. Cependant, ils mettent en place des modes de sociabilités populaires, centrés sur le village et le logement, substituant la proximité à l’hypermobilité (Coutard et al., 2002).

Le repli quasi-exclusif sur le logement, marqueur desfigures de souffrance, s’explique par un effet d’âge. Il concerne plus de 50 % des retraités. Toutefois, les retraités sont aussi surreprésentés chez les villageois, lafin de la vie active s’accompagnant généralement d’un recentrage de la vie sociale et des pratiques spatiales sur le village périurbain ou ses alentours immédiats. Les autres ca-

tégories d’inactifs sont aussi fortement marquées par lesfigures de souffrance. Cela peut s’expliquer par l’absence ou des difficultés d’accès à l’automobile (adolescent, membre d’un ménage ne possédant aucune ou qu’une voiture. . .), et pose donc le problème de la dépendance automobile dans les espaces de faible densité et de sa conséquence malheureuse : la captivité périurbaine.

Le périurbain : un espace du monopole automobile

La place croissante et dominante de l’automobile a une influence sur la répartition spatiale de la population, des activités et des services, en effet l’hy- pothèse de l’accès automobile prévaut souvent sur les choix de localisation (Or- feuil, 2003). « L’automobilité » (Kaufmann et Guidez, 1998) a engendré une déconnexion importante entre lieux de résidence, de travail et de ressources urbaines. Par ailleurs, une étude de l’Insee (Champsaur, 2001), utilisant l’in- ventaire communal, met en évidence le recul de nombreux services et particu- lièrement des services de proximité depuis 40 ans. Ce recul peut être vu comme une conséquence du développement des supermarchés —lieux uniques d’appro- visionnement (Coutras, 1987)— mais aussi comme une mise à distance de la population et des services liée à l’affirmation de l’automobile comme norme de mobilité et d’accès aux services (Orfeuil, 2000; Motte, 2006). Ainsi Orfeuil (2004) affirme que « la distance-temps voiture a tendance à se substituer à la distance-temps à pieds, entrainant des évolutions fortes dans le maillage et la localisation des commerces et services ».

Dans les espaces peu denses, l’automobile n’est plus un choix mais une obligation. Surpassant les autres modes par sa vitesse et l’accessibilité qu’elle offre (Genre-Grandpierre, 2007b), elle est l’unique moyen de rapprocher dans l’espace temps les lieux de vie (habitat, travail, loisirs, consommation). Motte- Baumvol (2007) qualifie l’automobile dans ces espaces de « monopole radical », au sens de Illich (1973) : si dans un premier temps l’outil apporte un surplus de facilité d’usage et de bien-être en général, il est devenu contreproductif, aliénant les hommes à la société de consommation de masse au lieu de produire une « société conviviale »6. Pour Dupuy (1999), ce monopole radical est à

l’origine du phénomène de dépendance automobile. Sans voiture particulière, les populations ne seraient plus en mesure d’exercer leurs activités quotidiennes (travail, achats, loisirs. . .) ou d’assouvir leurs aspirations. Une frange entière de la population (les jeunes sans permis, les plus pauvres, les plus âgés) se

6. « Une société conviviale est une société qui donne à l’homme la possibilité d’exercer l’action la plus autonome et la plus créative, à l’aide d’outils moins contrôlables par autrui » Illich (1973), cité dans Orange (2009)

retrouve ainsi exclue de certaines pratiques à cause de leur non-accès (ou d’un accès limité) à l’automobilité.

Concernant l’accessibilité à l’emploi, Sandrine Wenglenski (2003) montre, qu’en Ile-de-France, les actifs ouvriers sont doublement victimes de la dépen- dance automobile et de ses effets spatiaux : d’une part, leur accessibilité aux emplois est moindre que celle des cadres à cause d’un plus faible accès à la voi- ture ; d’autre part, les lieux d’implantation des ménages et des emplois ouvriers rendent leur accessibilité par les transports collectifs moins performante que celle des emplois de cadres (Beaucire et Drevelle, 2013; Desjardins et Drevelle, 2013). Certaines stratégies doivent alors être mises en œuvre pour compenser les déficits d’accessibilité qu’engendrent les limitations d’accès ou d’utilisation de l’automobile.

Face à la dépendance automobile : adaptation de la mobilité, mobi- lisation des ressources locales et pratiques de relocalisation

L’attractivité de l’automobile réside dans son aptitude à assurer des dé- placements rapides, de porte à porte et à tout moment de la journée (Dupuy, 1991). Cependant si la possession d’une automobile introduit une différence significative en termes de potentiel de mobilité entre les individus motorisés et non motorisés, elle ne garantit pas pour autant la possibilité de tirer parti de l’ensemble ce potentiel. En effet, dans les ménages les plus pauvres, on observe que la faiblesse des revenus peut engendrer une limitation des déplacements automobiles (Hivert et Péan de Ponfilly, 2000; Chevalier, 2001). Cette limita- tion pose question car, sur-valorisées dans le mode du travail, la mobilité et la flexibilité sont présentées comme des conditions de l’intégration sociale et de l’autonomie individuelle (Lautier, 2000) ; en conséquence, la mobilité est devenue davantage une injonction qu’un droit (Bacqué et Fol, 2007).

Dans les ménages périurbains, on observe trois grands types de straté- gies pour répondre aux difficultés d’accès à la mobilité : la mobilisation de ressources personnelles ou de proximité (dépendance locale), l’adaptation des pratiques de déplacement et la relocalisation résidentielle dans des espaces moins exposés à la dépendance automobile.

La dépendance locale

L’étude des pratiques de mobilité des ménages pauvres en périphérie de l’Ile-de-France (Coutard et al., 2002) met en évidence un schéma alternatif à la dépendance automobile : la dépendance locale. Les ménages renoncent alors à l’automobile à cause du poids d’un éventuel budget-voiture jugé prohibitif.

Dans ce contexte, les déplacements sont peu nombreux et s’effectuent dans un rayon faible autour du domicile. Ces déplacement sont surtout contraints et se font au détriment des déplacements de loisir et des liens avec la ville-centre. Pour ces ménages, la restriction des territoires de mobilité peut être compensée par trois facteurs. Premièrement, le recours aux réseaux sociaux (notamment familiaux) situés à proximité du lieu de résidence est un « grand pourvoyeur de services et d’entraides » (Coutard et al., 2002) ; il permet d’éviter des dé- placements, notamment pour la garde d’enfant. Il permet aussi d’accéder à l’automobilité comme passager. C’est pourquoi, pour ces ménages, le choix du territoire de résidence (qui doit être au centre d’un système de ressources mobilisables) est très important (Jaillet et al., 2004). Deuxièmement, l’espace local offre certaines ressources (commerces, services publics) qui « viennent al- léger les contraintes de la pauvreté » (Coutard et al., 2002). Cette offre locale de services est typique d’un modèle français, malgré une tendance générale inquiétante sur les dernières décennies : fermetures d’hôpitaux, rationalisation des guichets sociaux et des services publics, concentration et redéploiement des commerces. Troisièmement, pour certains déplacements plus lointains, les transports en commun peuvent pallier l’absence de voiture. Ce modèle, qui permet de vivre sans voiture dans le périurbain, n’est possible qu’à deux condi- tions : que les pauvres aient des possibilités de trouver un logement dans des lieux ayant une certaine accessibilité aux services et aux emplois et que les structures de solidarité se maintiennent.

L’adaptation de l’usage automobile ou la ville sous contraintes

Les recherches de Lionel Rougé (2005, 2007) sur le périurbain lointain de Toulouse mettent en évidence une seconde stratégie d’adaptation aux coûts de mobilité : l’expérimentation de la ville sous contrainte dans un contexte de dépendance automobile. Cette solution semble davantage subie que la dépen- dance locale dans la mesure où elle résulte d’une négligence des coûts d’uti- lisation de l’automobile au moment de l’accession à la propriété (Baudelle et al., 2004). De plus, ces ménages, qui n’ont pas d’attache familiale dans la région, n’ont pas réellement choisi leur localisation périurbaine : en fonction de leur contraintes financières, ils se sont fait proposer une localisation par le prometteur (Rougé, 2007). Ne pouvant compter sur les relations sociales de proximité pour pallier la non motorisation, l’utilisation de la voiture n’ap- parait plus comme un choix mais comme le résultat de contraintes fortes : la perte de la voiture pouvant signifier la perte de l’emploi (Coutard et al., 2002). Par ailleurs, la possession d’une voiture n’est pas synonyme pour autant d’une

mobilité intense. Chez les pauvres, son utilisation peut se réduire au mini- mum indispensable (Cullinane et Gordon, 1998). Ces ménages mettent alors en placent des stratégies pour limiter le coût de l’usage de l’automobile : éta- blissement de règles du type « 5 litres d’essence par mois » (Chevalier, 2001) ; gestion tactique du premier véhicule pour palier à l’absence d’un second (ac- compagnement. . .) ; stratégies de choix d’itinéraires sans péage ; limitation des mobilités de loisir et repli sur le domicile, rationalisation des mobilités com- merciales (par exemple, n’aller faire les courses qu’une fois tous les 15 jours) ; limitation de l’entretien du véhicule ; réduction d’autres postes de dépense (nourriture, culture, logement. . .).

La relocalisation résidentielle

La dernière stratégie des ménages non-motorisés face aux difficultés de mobilité est de « fuir » les espaces où la dépendance automobile est trop im- portante. Les travaux de B. Motte-Baumvol (2007) montrent ainsi que les ménages non motorisés de grande couronne parisienne sont plus nombreux à quitter les communes n’offrant aucun équipement pour s’installer dans les communes de grande couronne proposant plus de services. Cette relocalisa- tion peut aussi prendre la forme d’un retour vers la ville-centre ou la petite couronne (mieux dotées en ressources de proximité). Cette relocalisation peut être provoquée suite à la disparition d’un service public ou collectif, comme un service d’autocar (Coutard et al., 2002) ; elles peuvent aussi relever de la sphère professionnelle (des mutations), de la sphère familiale (une séparation) et ou de considérations financières (les reventes, le surendettement) (Bonnin et Rougé, 2008; Rougé, 2009).

Différentes sur la forme (dépendance au local ou à l’automobile — donc au plus lointain —, attachement ou déménagement. . .), les différentes straté- gies des périurbains pauvres ou non motorisés semblent tendre vers un même objectif : maintenir un certain niveau d’accessibilité aux ressources urbaines et sociales. En effet, la ville créée par l’automobile ne « fait ville » que si la capacité de mobilité des ménages permet d’accéder aux différentes ressources dispersées sur le territoire.

1.3 Conclusion : la périurbanisation pose t-

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