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Encadré 1.1-3. L'étude EPIC

1.4. Fruits et légumes et cancers

1.4.3. Mécanismes plausibles

Rappelons que les cancers sont des maladies complexes, multi-étapes, dont le développement (cancérogenèse) requiert généralement plusieurs décennies. Grâce aux études sur animaux on a pu identifier plusieurs phases clés qui ont été appelées : initiation, promotion tumorale et progression tumorale. Schématiquement, l’initiation correspond aux premières altérations du génome qui induisent l’apparition de cellules transformées ; la promotion tumorale consiste en la multiplication des cellules transformées jusqu’à l’obtention d’une tumeur ; la progression tumorale correspond à l’acquisition de nouvelles anomalies génomiques, de la vascularisation de la tumeur et de la capacité de migration des cellules vers d’autres tissus.

Pour que le processus de cancérogenèse aille à son terme, on constate qu’il faut à la fois que des mécanismes activateurs soient déclenchés ou accentués et que des mécanismes protecteurs soient affaiblis ou annihilés (cf. Figure 1.4-1).

Figure 1.4-1. Mécanismes activateurs et protecteurs impliqués dans la cancérogenèse (source : brochure WCRF/NACRe, 2002)

Ces mécanismes opposés sont tous deux sous l’influence de facteurs endogènes et de facteurs exogènes. Ainsi, on considère actuellement que les cancers résultent d’une interaction gènes/environnement au sens large (c’est-à-dire incluant tous les facteurs auquel l’organisme biologique peut être exposé, y compris les facteurs alimentaires). Le terrain génétique joue un rôle primordial pour les cancers héréditaires (présence d’une prédisposition génétique), tandis que les facteurs environnementaux ont un poids plus important dans le cas des cancers sporadiques (cancers les plus nombreux) (Lacave, Larsen et al., 2005).

Propriétés biologiques des composants des fruits et légumes

Les F&L contiennent plus de 25000 constituants différents. De nombreux travaux réalisés à l’aide de modèles cellulaires ou de modèles animaux ont exploré les propriétés biologiques de certains de ces constituants (Milner, 2004; Aggarwal and Shishodia, 2006). Le tableau 1.4-4 donne une illustration des composants pouvant exercer des effets protecteurs à l’égard de la cancérogenèse et des mécanismes impliqués.

On constate qu’un même constituant des F&L peut exercer divers effets protecteurs, aux différents stades de la cancérogenèse. Par exemple, des polyphénols ou des sulfures d’allyle peuvent, grâce à leurs propriétés biochimiques, exercer des effets antioxydants en piégeant des radicaux libres ; étant reconnus par l’organisme comme des xénobiotiques, leur consommation régulière induit l’expression des gènes qui codent pour les enzymes de détoxication, avec pour conséquence l’accroissement de la

capacité de l’organisme à détoxifier des substances cancérogènes auxquelles l’organisme pourrait être exposé dans le même temps ; des polyphénols interviennent dans le contrôle de la multiplication et/ou de la mort cellulaire, améliorent les communications intercellulaires, inhibent l’angiogenèse ou les processus inflammatoires, etc.

Tableau 1.4-4. Exemples d’effets protecteurs des composants des F&L à l’égard de la cancérogenèse

Phases de la

cancérogenèse Effets protecteurs Exemples de composants

Induction des enzymes du métabolisme des xénobiotiques (en particulier les glutathion-S-transférases)

Polyphénols, sulfures d’allyle, glucosinolates

Amélioration des défenses antioxydantes (piégeage des radicaux libres)

Polyphénols, vitamines C et E, caroténoïdes, sélénium Stimulation de la réparation de l’ADN Polyphénols

Initiation

Inhibition de la formation de nitrosamines Vitamine C

Inhibition de la multiplication cellulaire Polyphénols, lycopène, métabolite des fibres (butyrate)

Induction de la différenciation cellulaire butyrate Amélioration des communications intercellulaires par

les jonctions communicantes β-carotène, lycopène, flavonoïdes, sulfures d’allyle

Induction de la mort cellulaire programmée (apoptose) Polyphénols, butyrate

Promotion tumorale

Modulation de l’état de la chromatine Sulfures d’allyle, butyrate Induction des réparations de l’ADN Polyphénols

Régulation de la méthylation de l’ADN Vitamines B9, B6, B12 Inhibition de l’angiogenèse Polyphénols

Stimulation des défenses immunitaires Vitamines E et C, β-carotène, sélénium

Progression tumorale

Inhibition des processus inflammatoires Polyphénols, vitamine C

On constate donc non seulement l’existence d’un très grand nombre de molécules potentiellement actives mais aussi une multiplicité de cibles biologiques pouvant contribuer à un effet protecteur global. Certaines de ces propriétés semblent pouvoir s’exprimer à des doses nutritionnelles tandis que d’autres sont obtenues à des doses pharmacologiques (cf. Figure 1.4-2).

Figure 1.4-2. Illustration de la diversité des effets exercés par des constituants alimentaires en fonction de la dose. Exemple du sélénium (Combs and Gray, 1998)

Etudes d’interventions avec des composants des F&L

Quelques essais d’intervention ont été mis en œuvre pour vérifier les propriétés protectrices de certains

composants des F&L : β-carotène, lycopène, vitamine E, vitamine C, fibres, etc. En particulier, les

essais d’intervention portant sur le β-carotène, en combinaison avec d’autres composés, et le risque de

cancer ont donné des résultats controversés qui, en fin de compte, ont été riches d’enseignements (cf. Tableau 1.4-5).

Tableau 1.4-5. Caractéristiques des principaux essais d’intervention avec le β-carotène

Essai d’intervention Linxian ATBC CARET PHS Su.Vi.Max.

Référence (Blot, Li et al.,

1993) (ATBC, 1994) Goodman et (Omenn, al., 1996)

(Hennekens, Buring et al.,

1996)

(Hercberg, Galan et al., 2004) Dose de β-carotène (mg/j) (composants associés) 15 (sélénium, α -tocophérol) 20 -tocophérol) 30 (vit A) 25 (aspirine) 6 mg (vit C, α-tocophérol, zinc et sélénium) Durée de suivi (années) 5 6 4 12 7,5

Population Chinois ayant des déficiences nutritionnelles ; 30% de fumeurs Finlandais (100% fumeurs) Américains fumeurs (98%) exposés à l’amiante Médecins américains (50% fumeurs) Français (population générale, H plus faibles consommateurs

de F&L que les F) Concentration plasmatique finale de β-carotène (ng/mL) Groupe Témoin Groupe Intervention 120 860 3000 180 2100 170 1200 300 330 (H) 570 (F) 540 (H) 920 (F) RR cancer de l’estomac 0,79* (incid)

RR cancer du poumon 1,18* (incid)

1,08* (mort) 1,28* (incid)1,17* (mort) 0,95 (incid) 1,02 (mort)

RR tous cancers 0,87 (mort) 0,69* (incid hommes) 1,04 (incid femmes) H : hommes ; F : femmes ; * : résultat significatif ; incid : nouveaux cancers ; mort : mortalité

Le risque relatif de cancers a été réduit dans l’étude "Linxian" et dans l’étude française "Su.Vi.Max", alors qu’il a augmenté pour le cancer du poumon dans les études "ATBC" et "CARET", et n’a pas va-rié dans la "Physicians’Health Study". Ces différences d’effets peuvent trouver plusieurs explications :

- différence de statut nutritionnel initial de la population : intérêt d’un apport nutritionnel

supplémentaire en cas de déficience nutritionnelle dans l’étude Linxian ou du fait du statut en β

-carotène faible chez les hommes dans l’étude Su.Vi.Max. ;

- différence dans les niveaux d’apport de β-carotène : doses très supérieures (x5, x10) aux doses

nutritionnelles dans le cas des études ATBC, CARET, PHS ; effet favorable d’une combinaison de molécules à activités antioxydantes fournies à dose nutritionnelle (étude Su.Vi.Max) ;

- différence d’exposition à des cancérogènes : populations sélectionnées à haut risque de cancer

dans deux des quatre études : fumeurs (étude ATBC) et fumeurs exposés à l’amiante (étude CARET) ;

- effet pro-oxidant du β-carotène à forte dose se révélant délétère chez les sujets déjà exposés au

tabac (études CARET et ATBC).

Une méta-analyse récente portant sur des essais randomisés de supplémentation vitaminique montre

une augmentation significative du risque de mortalité pour la supplémentation en β-carotène, vitamine

A et vitamine E (Bjelakovic, Nikolova et al., 2007). Une autre méta-analyse portant sur la vitamine E observe un effet qui diffère selon la dose : la vitamine E à dose supérieure à 400 UI/j augmente la mortalité, ce qui n’est pas le cas pour les doses inférieures (Miller, Pastor-Barriuso et al., 2005).

L’importance de tenir compte du statut tabagique est confirmée par les observations de l’étude

cas-témoins nichée dans la cohorte de femmes françaises E3N. Dans cette étude, l’apport en β-carotène

(alimentaire ou sous forme de compléments) est associé, chez les non-fumeurs, à une diminution des

cancers dont le tabac est un des facteurs de risque reconnu, alors qu’un apport élevé en β-carotène est

associé à une augmentation du risque chez les fumeurs (Touvier, Kesse et al., 2005).

D’autres essais d’intervention portant sur les folates ou les fibres donnent lieu à des résultats controversés (Hursting, Forman et al., 2006; Kim, 2006). Un essai randomisé récent mené chez 1210 sujets ayant des antécédents récents d'adénome ou de carcinome du côlon testant l’effet d'une supplémentation en acide folique à 1 mg/j pendant 3 ou 5 ans a trouvé une absence d’effet significatif sur le risque de survenue de nouvel adénome du côlon et en revanche une augmentation du risque de lésions avancées chez les sujets ayant été suivis 5 ans (Cole, Baron et al., 2007). Là encore, de nouvelles études contrôlant les facteurs suspectés d’induire ces divergences seront nécessaires.

Au total, ces divers essais d’intervention révèlent non seulement la difficulté de mimer l’effet protec-teur des F&L avec des compléments alimentaires, mais aussi l’effet délétère d’un apport excessif de composants isolés (notamment pour les sujets exposés à des cancérogènes). Elles suggèrent que l’apport de F&L serait préférable du fait d’un apport optimal et diversifié des composants, propice à l’expression de leurs effets synergiques (Eberhardt, Lee et al., 2000; Liu, 2003; Liu, 2004).

1.4.4. Effets propres des fruits & légumes : analyse critique et pistes