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Exposition aux nitrates liée à la consommation de fruits et légumes

Encadré 1.1-3. L'étude EPIC

1.10. Exposition aux nitrates liée à la consommation de fruits et légumes

Philippe Verger

Les nitrates et les nitrites sont des substances faisant partie du cycle de l’azote et donc naturellement

contenues dans l’environnement. Depuis le début du 20e siècle, l’utilisation intensive de nitrates en

agriculture comme fertilisants ainsi que les rejets dans l’environnement des déjections des animaux d’élevage ont considérablement accru leur concentration aussi bien dans les sols que dans l’eau et les plantes notamment destinées à l’alimentation humaine.

Les légumes et en particulier les légumes feuillus sont la source principale d’exposition alimentaire aux nitrates, que ces végétaux captent et concentrent à des concentrations variables mais toujours importantes en fonction des pratiques agricoles et du climat. Les autres sources de l’exposition humaine sont l’eau de boisson, les fruits, les céréales et les charcuteries auxquelles les nitrates (mais aussi les nitrites) sont ajoutés comme additif (E249, E250, E251, E252) à des fins de conservation et de coloration.

Dans des conditions normales de stockage (durée limitée et obscurité) les fruits et les légumes ne sont pas un vecteur majeur des nitrites comparativement aux produits de charcuterie. On estime que 5% des nitrates ingérés sont convertis en nitrites par l’organisme : ce pourcentage en apparence faible peut

constituer in fine une source non négligeable d’exposition aux nitrites en cas d’ingestion de quantités

importantes de nitrates.

1.11.1. Effets nocifs des nitrates et nitrites

. Effets non carcinogènes

Le principal effet toxique des nitrates est la méthémoglobinémie, qui est un effet aigu correspondant à la capacité réduite du sang à transporter l'oxygène dans l'ensemble de l'organisme. Elle résulte le plus souvent de la consommation par de jeunes enfants d’eau très contaminée. La concentration naturelle des nitrates dans l’eau est habituellement de quelques milligrammes par litre alors que ce sont des concentrations supérieures à 50 mg/litre qui ont été associées à la méthémoglobinémie chez des nouveau-nés nourris au biberon (Fan and Steinberg, 1996).

Sur la base d’expérimentations de toxicologie étudiant l’exposition chronique de rongeurs, des Doses Journalières Acceptables ont été établies pour les nitrates et les nitrites à respectivement 3,7 et 0,06 mg/kg de poids corporel (WHO, 2002). Les effets retenus respectivement pour les nitrates et les nitrites sont la diminution de mobilité spermatique et l’hypertrophie des surrénales.

. Effets carcinogènes

En dépit de nombreuses études épidémiologiques, i.e. 7 études cas-témoin (Risch, Jain et al., 1985; Buiatti, Palli et al., 1990; Boeing, Frentzel-Beyme et al., 1991; Gonzalez, Riboli et al., 1994; Hansson, Nyren et al., 1994; La vecchia, Ferraroni et al., 1994; Pobel, Riboli et al., 1995) et 2 études de cohorte (van Loon, Botterweck et al., 1997; van Loon, Botterweck et al., 1998; Knekt, Jarvinen et al., 1999)

ayant analysé l’association entre l’ingestion de nitrates par l’alimentation et les cancers gastriques et 1

étude cas-témoin ayant analysé l’association entre l’ingestion de nitrates par l’alimentation et les cancers œsophagiens (Rogers, Vaughan et al., 1995), aucune corrélation positive n’a été retrouvée. Une relation inverse retrouvée dans plusieurs des études cas-témoin est probablement attribuable à une forte consommation de légumes plutôt qu’à l’ingestion de nitrates eux-mêmes.

L’analyse de l’association entre exposition alimentaire aux nitrites et cancer de l’estomac est basée

sur 7 études témoin et 2 études de cohorte. Parmi ces travaux épidémiologiques, 6 études cas-témoin montrent une association positive alors que les études de cohorte ne montrent pas de

corrélation significative lorsqu’elles sont ajustées pour les facteurs confondants et en particulier la vitamine C (van Loon, Botterweck et al., 1997; van Loon, Botterweck et al., 1998; Knekt, Jarvinen et al., 1999). Enfin, 2 études cas-témoin ont montré une relation positive mais non significative entre ingestion de nitrites et cancer de l’œsophage (Rogers, Vaughan et al., 1995; Mayne, Risch et al., 2001).

Les études analysant la relation entre nitrates ou nitrites provenant des légumes et cancer du côlon et du rectum sont moins nombreuses et contradictoires : une étude cas-témoin conduite aux Etats-Unis (De Roos, Ward et al., 2003) montre une augmentation significative du risque de ces localisations de cancers associée à l’exposition aux nitrites par les aliments, alors qu’une étude de cohorte conduite en Finlande ne montrait pas d’association (Knekt, Jarvinen et al., 1999).

De même, 2 études cas-témoin ont analysé la relation entre l’exposition alimentaire aux nitrites et l’apparition de lymphome non-hodgkinien (LMNH) aux Etats-Unis : une étude montrait une élévation du risque (Ward, Cerhan et al., 2006) et l’autre pas (Ward, Mark et al., 1996).

De nombreuses études épidémiologiques ont étudié la relation entre nitrates ou nitrites provenant des légumes et différentes localisations cancéreuses dont le cerveau, le tractus urinaire, le pancréas, la bouche, le larynx, le poumon, l’utérus, le sein… et aucune n’a montré une relation positive claire. Cependant, s’agissant de l’association des nitrates et nitrites avec ces localisations de cancers, plusieurs études ont observé une relation positive entre plusieurs types de cancers et un apport élevé en nitrates et/ou nitrites provenant de l’eau de boisson combiné à un apport faible en vitamine C (cerveau (Lee, Wrensch et al., 1997); cerveau (Schwartzbaum, Fisher et al., 1999) ; LMNH (Ward, Mark et al., 1996) ; côlon (De Roos, Ward et al., 2003)). La plupart de ces études ont été conduites dans des régions où les nitrates dans l’eau de boisson sont élevés du fait de l’utilisation intensive de fertilisants azotés.

1.11.2. Exposition via la consommation de fruits et légumes

. Concentration des nitrates dans les fruits et les légumes

La concentration des nitrates dans les fruits et les légumes est très variable en fonction du type de légume, de la saison de récolte et des durées de stockage (Walker, 1990; Gangolli, Vandenbrandt et al., 1994; European Commission, 1997). Sur la base de la littérature disponible, les légumes peuvent être divisés en 3 catégories en fonction de leur teneur en nitrates : faible teneur (<100 mg/kg), teneur intermédiaire (100-1000 mg/kg) et forte teneur en nitrates (>1000 mg/kg) (Chilvers, Inskip et al., 1984).

Les légumes feuillus tels que les salades et les épinards par exemple ont les concentrations les plus élevées en nitrates (>1000 mg/kg). En Italie (De Martin and Restani, 2003), les concentrations en nitrates dans les légumes feuillus ont été analysées entre 80 et 6250 mg/kg, avec des concentrations plus fortes dans les légumes issus de l’agriculture biologique à la fois pour les salades vertes (1680 versus 3009 mg/kg) et les endives (3232 versus 4629 mg/kg). En France (Malmauret, Parent-Massin et al., 2002), la concentration médiane des nitrates plus nitrites obtenus par agriculture conventionnelle ou biologique a été mesurée à respectivement 1591 et 1135 mg/kg, pour les épinards, et à respectivement 804 et 1221 mg/kg, pour les laitues. En Pologne, la concentration en nitrates dans les laitues a été mesurée jusqu’à 3500 mg/kg (Nabrzyski and Gajewska, 1994). Enfin au Royaume Uni, entre 1996 et 1998 (Ysart, Miller et al., 1999), la teneur moyenne en nitrates des laitues produites sous serre était de 2382 et 3124 mg/kg respectivement en été et en hiver, alors que les concentrations en nitrates des laitues produites en extérieur étaient de 1085 mg/kg. Dans la même étude, la concentration en nitrates des épinards était de 1900 mg/kg. Dans une étude plus récente (Food Safety Inspection Service, 2004), la concentration moyenne en nitrates des laitues produites sous serre durant l’été était

de 2999 mg/kg (intervalle : 676-4382 mg/kg; n = 18) ; en hiver la concentration moyenne était de 3617

mg/kg (intervalle : 1945-5720 mg/kg; n = 33). Pour les laitues produites à l’extérieur, les

concentrations étaient plus basses aussi bien en été (moyenne : 1140 mg/kg; intervalle : 181-2656 mg/kg) qu’en hiver (moyenne : 1997 mg/kg; intervalle : 810-3100 mg/kg). En 2004 et dans la même

étude, la concentration moyenne en nitrates dans les épinards était de 1815 mg/kg (intervalle : 141-3909 mg/kg).

Une seconde catégorie de légumes inclut les pommes de terre, les choux et les haricots, dans lesquels la concentration en nitrate varie de 100 à 1000 mg/kg. En Pologne, des concentrations allant jusqu’à 800 mg/kg (Nabrzyski and Gajewska, 1994) ont été mesurées dans des haricots verts. En France, les concentrations en nitrates dans les carottes étaient de 113 et 394 mg/kg, respectivement, pour les produits issus de l’agriculture traditionnelle ou de l’agriculture biologique (Malmauret, Parent-Massin et al., 2002). Dans la même étude, des concentrations de 711 et 561 mg/kg de nitrate, ont été mesurées respectivement dans des haricots issus de l’agriculture conventionnelle ou biologique.

Les légumes comme les asperges, les oignons, les tomates et les autres fruits frais contiennent moins de nitrates que les catégories précédentes, avec des concentrations inférieures à 100 mg/kg. La concentration moyenne en nitrates dans les fruits frais a été mesurée à 27 mg/kg (intervalle : 12-46 mg/kg) (FSA, 1998). En France (Malmauret, Parent-Massin et al., 2002), la concentration des nitrates dans les tomates a été mesurée à 19 et 1 mg/kg respectivement dans les produits issus de l’agriculture conventionnelle et biologique. Enfin, en Pologne (Nabrzyski and Gajewska, 1994), les concentrations en nitrates des fruits était comprise entre 1,3 et 36 mg/kg et une concentration de 58,7 mg/kg de nitrates a été mesurée dans les fraises.

. Concentration des nitrites dans les fruits et les légumes

La concentration moyenne en nitrites des légumes est en général inférieure à 2 mg/kg. Une concentration moyenne de 0,5 mg/kg a été mesurée au Royaume-Uni dans une Etude de l’Alimentation Totale (FSA, 1998) pour tous les légumes.

. Exposition alimentaire aux nitrates

L’exposition moyenne aux nitrates pour un adulte est estimée entre 60 et 90 mg par jour, dont 90% proviennent de l’alimentation lorsque l’eau de boisson n’est pas fortement contaminée. Pour les forts consommateurs de légumes, cette exposition peut atteindre 200 mg par jour (Grosse, Baan et al., 2006). Pour un individu de 60 kg cette exposition correspond à 30 à 90% de la Dose Journalière Admissible.

. Exposition alimentaire aux nitrites

L’exposition alimentaire aux nitrites est estimée entre 0,75 et 2 mg par jour, correspondant à 20 à 55% de la Dose Journalière Admissible sachant que les sources majeures d’exposition à ces composés sont la consommation de produits de charcuterie contenant des nitrites utilisés comme additifs et la conversion endogène des nitrates.

1.11.3. Conclusions

L’évaluation du risque lié aux nitrates contenus dans les légumes est complexe. En effet, il est bien établi que la toxicité des nitrates en eux-mêmes est faible et que leurs effets toxiques sont liés en majeure partie à leur conversion en nitrites. En ce qui concerne les effets non cancérigènes des nitrites, leur Dose Journalière Admissible peut être atteinte ou même dépassée pour certains consommateurs, mais dans ce cas, les contributeurs majeurs à l’exposition humaine sont les produits de charcuterie et les nitrites issus de la consommation des nitrates et transformés par l’organisme. En ce qui concerne les effets carcinogènes des nitrites, il existe des indices significatifs en toxicologie expérimentale montrant que ceux-ci ne sont pas directement cancérigènes même si les études épidémiologiques ont produit des résultats contradictoires. Le lien de causalité entre nitrites et cancer retrouvé dans certaines études pourrait être lié à la transformation des nitrites en nitrosamines, qui sont quant à elles, des composés reconnus comme cancérogènes probables (Classe 2A) par le Centre International de Recherche sur le Cancer. A l’inverse, la relation négative entre nitrates et cancers pourrait être liée au

ceux contenus dans l’eau - grâce à leur contenu en vitamine C et anti-oxydants pouvant inhiber cette transformation..

En tout état de cause ces conclusions, si elles ne permettent pas de quantifier de manière certaine les risques pour la santé liés aux nitrates contenus dans les légumes, ne doivent pas masquer le fait que le rejet massif de nitrates dans l’environnement depuis plus de 50 ans est à l’origine de l’augmentation de l’exposition humaine à des composés toxiques qui en dérivent et que l’on retrouve à des concentrations croissantes dans l’eau et dans les aliments.