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Eléments de méthodologie sur l’évaluation du risque

Encadré 1.1-3. L'étude EPIC

1.9. Exposition aux pesticides liée à la consommation de fruits et légumes

1.9.2. Eléments de méthodologie sur l’évaluation du risque

Il existe un paradigme pour l’évaluation du risque des substances chimiques pour la santé humaine. Il peut être divisé en 4 étapes principales présentées ci-après dans le cas des pesticides (Renwick, 2002).

- Identification du danger : Quel est l’effet toxique du pesticide ?

- Caractérisation du danger : Quelle est la relation dose-effet ? Quelle peut être la dose de sécurité

pour l’homme ?

- Evaluation de l’exposition : Quelle est la dose de pesticide ingérée par l’homme ? - Caractérisation du risque : Quel est le risque associé à l’ingestion de cette dose ?

1.9.2.1. Identification et caractérisation du danger

Les pesticides représentent un nombre important de molécules (environ 400 dont l’usage est actuellement autorisé), classées dans plusieurs familles chimiques et dont les effets toxiques sont spécifiques et peuvent être multiples. Ces substances actives sont utilisées dans plusieurs centaines de préparations commerciales.

Aucun pesticide utilisé pour la production agricole ne peut être mis sur le marché sans avoir fait

l’objet d’une évaluation de risque a priori (Cf. ci-avant, Directive 91/414/CEE). L’identification du

danger pour l’homme passe par une série de tests in vitro et in vivo, sur modèle animal, selon des

lignes directrices bien définies. Ces tests de toxicité explorent notamment les effets génotoxiques, immunotoxiques, neurotoxiques, sur la reproduction, la toxicité aiguë (effet d’une dose) ou de court terme (répétition des doses sur plusieurs jours), la toxicité de long terme (chronique) et les effets cancérogènes. On distingue deux types d’effets, les effets avec seuil, pour lesquels le mécanisme d’action nécessite la présence d’une concentration suffisante de substance pour obtenir un effet, et les effets sans seuil, comme peuvent l’être les effets génotoxiques et cancérogènes, pour lesquels il

n’existe pas de seuil dans la relation dose-réponse. Dans le cas des effets avec seuil, ces tests associés à l’exploration de la relation dose-réponse et à l’utilisation de facteurs de sécurité, permettant l’extrapolation des résultats de l’animal à l’homme et prenant en compte la variabilité interindividuelle, aboutissent à l’établissement de valeurs toxicologiques de références (VTR). Les VTR sont des niveaux d’exposition de sécurité pour la santé humaine. Pour les effets sans seuils, il est admis qu’aucun niveau d’exposition n'est exempt de risque. Les substances qui présentent ce type d’effets ne devraient pas se trouver dans les aliments ou du moins à des concentrations les plus faibles possibles. Cependant, il existe des méthodes d’extrapolation des effets aux faibles doses qui permettent de quantifier le risque et qui sont notamment utilisées par l’Union européenne (Feinberg et al., 2006).

On distingue deux sortes de VTR pour l’exposition alimentaire aux pesticides (effets à seuil) :

• La dose journalière admissible (DJA, ou ADI en anglais) qui est la dose toxicologique de

référence utilisée pour mesurer le risque chronique de long terme. C’est la quantité estimée de substance présente dans l’aliment exprimée sur la base du poids corporel qui peut être ingérée chaque jour, pendant toute la durée de la vie, sans risque appréciable pour la santé.

• La dose de référence aiguë (ARfD, en anglais) qui est la dose toxicologique de référence utilisée

pour mesurer le risque à court terme. C’est la quantité estimée de substance présente dans l’aliment exprimée sur la base du poids corporel qui peut être ingérée pendant une courte période (un repas ou un jour) sans risque appréciable pour la santé.

Les tests et les méthodes permettant l’identification et la caractérisation du danger évoluent. Des effets tels que les effets de type perturbateur endocrinien font l’objet de recherches et du développement de nouveaux tests, notamment au niveau de l’OCDE qui développe ou révise les lignes directrices

d’essais pour la détection des perturbateurs endocriniens. Mais beaucoup d’incertitude existe sur les

effets des faibles doses, les effets à long terme (différés) et les effets des mélanges de substances

auxquelles l’homme est exposé via son alimentation ou d’autres sources et voies d’exposition.

Le danger peut être identifié a posteriori, après que les pesticides aient été mis sur le marché. Un cas

historique, dans le domaine de l’écotoxicologie, est celui du DDT, un insecticide organochloré, dont le

métabolite, le DDE, par son action sur la reproduction des oiseaux - via la diminution de l’épaisseur

des coquilles d’œufs - sa persistance et ses propriétés de bioaccumulation, a été responsable dans les années 1950/60 de la chute de populations de rapaces, espèces placées en sommet de chaîne alimentaire. Cet insecticide, interdit depuis les années 70 (1972, pour la France), s’est avéré, depuis, être un perturbateur endocrinien ayant notamment une action anti-androgène (Kelce et al., 1995). Des études expérimentales sur animaux ont ainsi mis en évidence de nouveaux effets neurotoxiques, de type perturbateur endocrinien ou cancérogènes de certains pesticides. Parallèlement, des risques pour l’homme semblent se dessiner, notamment dans les populations d’utilisateurs professionnels de ces produits. Des études épidémiologiques sont en cours au niveau national pour identifier le danger (par exemple, certains projets du programme de recherche Environnement et Santé de l’AFSSET et du programme de recherche du MEDD sur les perturbateurs endocriniens). Citons le cas du chlordécone, un insecticide organochloré, identifié comme perturbateur endocrinien et dont les effets sur la reproduction ont été mis en évidence dans des études expérimentales sur animaux de laboratoire. Cet insecticide persistant, potentiellement bioaccumulable, a été employé en culture bananière aux Antilles jusqu’en 1993. Ses résidus peuvent contaminer les denrées alimentaires et la population locale (AFSSA, 2005). Une étude épidémiologique est en cours pour étudier les conséquences d’une exposition prénatale à ce perturbateur endocrinien (Multigner L., INSERM, colloque de lancement du

Programme national sur les perturbateurs endocriniens (PNRPE), 2006)6.

Il est à noter que les effets éventuels des pesticides sur la survenue de cancers font actuellement l’objet d’une expertise collective à l’INSERM dans le cadre plus global d’une approche "cancers et environnement".

1.9.2.2. Evaluation de l’exposition alimentaire et caractérisation du risque

. Schéma classique

L’évaluation de l’exposition s’effectue à partir des données de contamination et des données de con-sommation des aliments. La plupart du temps par pesticide et par produit, ou pour plusieurs produits alimentaires si le pesticide est utilisé pour le traitement de (ou se trouve dans) plusieurs produits.

. Cas de la construction des LMR et du processus d’autorisation des pesticides

L’exposition est évaluée dans le processus d’édification des limites maximales de résidus autorisées (LMR) en utilisant les concentrations de résidus de pesticide issues d’essais en plein champ réalisés selon les bonnes pratiques agricoles et servant à définir les LMR (Cf. Annexe) afin de confronter les valeurs issues de ces calculs aux VTR (DJA et, plus récemment, ARfD). Le pesticide ne peut être admis à l’utilisation que dans les conditions d’usage pour lesquelles les concentrations de ses résidus

dans les produits végétaux ne conduisent pas à dépasser les VTR qui lui sont spécifiques. La LMR

n’est pas un seuil toxicologique et la plupart du temps le produit de la LMR par la consommation potentielle du produit végétal conduit à une exposition bien en dessous de la DJA.

. Cas des programmes de surveillance

Les aliments préparés à partir de produits végétaux ne dépassant pas les LMR sont considérés comme acceptables du point de vue toxicologique. De manière générale, les évaluations d’exposition sont réalisées à partir des données issues des programmes de surveillance lorsque la LMR est dépassée sur un produit et les doses d’exposition sont confrontées aux VTR.

. Approche déterministe de l’évaluation de l’exposition

L’approche déterministe est largement reconnue et généralement utilisée par les instances réglementaires et l’industrie pour évaluer l’exposition des consommateurs aux pesticides. La méthode déterministe usuelle utilise une valeur fixe d’estimation par variable (consommation, contamination) conduisant à une seule valeur d’estimation de l’exposition, selon généralement des scénarios de "pire

cas" afin de protéger la santé du consommateur. Cette approche est ci-après illustrée dans le cas de

l’évaluation de l’exposition à partir des données de surveillance communautaires pour un produit d’origine végétale.

. Exposition chronique

Cette évaluation est basée sur un scénario de "pire cas" qui correspond à la concentration en résidus du

90e percentile de la distribution des concentrations en résidus pour le pesticide et le produit considérés,

y compris les échantillons sans résidus détectables. La consommation de produit considérée est la consommation moyenne, définie par l’OMS pour la "zone Europe", et l’évaluation est réalisée pour un individu adulte de 60 kg. La valeur obtenue est comparée à la DJA afin de caractériser le risque.

. Exposition aiguë

Cette évaluation nécessite des données de consommation sur un jour. Elle est effectuée selon le

modèle utilisé au Royaume-Uni7 dans lequel l’évaluation de l’exposition est réalisée à partir du 97,5e

percentile de la consommation afin d’inclure les forts consommateurs d’un produit (protocole OMS). Le modèle permet de considérer plusieurs catégories de consommateurs en fonction de leur âge ou de leurs habitudes alimentaires (ex : végétariens). L’évaluation a été faite sur la base d’un adulte (16-64+ ans) de 70 kg et d’un jeune enfant (1,5 à 4,5 ans) de 14,5 kg jusqu’en 2003. En 2004, les groupes petits enfants (6-12 mois) et enfants de 4-6 ans ont notamment été différenciés. Les données de consommation et les poids corporels utilisés sont ceux du Royaume-Uni, qui possède une base de données très complète. Le scénario de "pire cas" considéré est le cas de la concentration maximale de résidu trouvée dans un échantillon de produit. Il faut signaler qu’un échantillon est un échantillon composite, c'est-à-dire constitué de plusieurs unités (exemple : 10 pommes pour l’échantillon de pomme), un facteur de variabilité multiplicateur, qui est fonction de la taille des unités, est donc appliqué pour tenir compte de la répartition non homogène des résidus dans les éléments constitutifs

de l’échantillon.La valeur obtenue est confrontée à l’ARfD afin de caractériser le risque. L’exposition

aiguë ne concerne pas tous les pesticides et, par ailleurs, les valeurs de référence ne sont pas toutes

disponibles(en 2004 : 18 pesticides sur 47 recherchés).

Il est à noter que les résidus de pesticides sont dosés dans l’échantillon de produit tel qu’il est récolté. Des facteurs de correction peuvent donc être introduits dans les calculs d’exposition (chronique ou aiguë) afin, par exemple, de ne tenir compte que de la partie comestible du produit ou bien de prendre en compte des traitements (lavage, cuisson…) pouvant conduire à une modification de la teneur en résidus (cf. § 1.9.3.2). Cet affinage de l’évaluation de l’exposition peut être effectué dans un deuxième temps si l’évaluation conduite selon le scénario le plus défavorable conduit à dépasser les VTR.

. Exposition à plusieurs pesticides. Comment cumuler ?

En réalité, il est possible, d’une part que certains produits contiennent plusieurs pesticides et d’autre part que le consommateur soit exposé au cours d’un repas ou d’une journée à plusieurs types de résidus de pesticides provenant des différents produits qu’il a consommés. L’identification du danger et sa caractérisation sont effectués par pesticide et peu de choses sont connues sur les effets des mélanges de substances qui pourraient avoir notamment des interactions synergiques (ou antagonistes). Cependant, des approches sont entreprises, au niveau européen et international, pour évaluer le risque lié à l’exposition à plusieurs pesticides.

Aux Etats-Unis, en 1996, la loi sur la protection de la qualité de l'alimentation (Food Quality Protection Act) conduisit l'agence américaine pour la protection de l'environnement (EPA) à considérer l'effet cumulatif pour la santé humaine qui pourrait résulter de l'exposition à des substances

qui auraient un mécanisme commun de toxicité8. L'effet de tels mélanges de substances est considéré

comme additif (addition des doses). La caractérisation du risque repose sur le pouvoir toxique relatif de chaque substance du groupe par rapport à l’une d’entre elles retenue comme référence. Les insecticides organophosphorés, affectant le système nerveux, constituent le premier groupe étudié et

retenu pour agir par un même mécanisme de toxicité, l’inhibition de l’acétylcholinestérase (via sa

phosphorylation) dans le système nerveux central et périphérique (Mileson et al., 1998). L’EPA a identifié trois autres groupes de pesticides agissant par un mécanisme commun de toxicité : les insecticides N-méthyl carbamates (affectant le système nerveux), des herbicides de la famille des triazines (effets sur le développement et la reproduction) et des herbicides de la famille des chloroacétanilides (pouvant provoquer des tumeurs nasales).

D’autres approches sur le risque cumulatif aigu de pesticides présentant un même mécanisme d’action ont été entreprises en Europe (cf. § 1.9.3.4).

L’évaluation de l’exposition cumulative aux pesticides à travers plusieurs produits est réalisée selon

une approche probabiliste qui nécessite d’utiliser des logiciels appropriés. Cette approche, plus

réaliste que l’approche déterministe, permet de prendre en compte tous les niveaux de consommation et tous les niveaux de contamination et génère une distribution de l’exposition. L’approche probabiliste permet de quantifier l’incertitude et la variabilité et d’estimer la probabilité de dépasser une VTR.

L’évaluation de l’exposition cumulative aux pesticides est une préoccupation de l’Union européenne (UE). Dans le nouveau règlement CE N° 396/2005, concernant les limites maximales applicables aux résidus de pesticides présents dans ou sur les denrées alimentaires, il est demandé d’œuvrer à l’élaboration d’une méthodologie permettant de tenir compte des effets cumulatifs et synergiques possibles des pesticides sur la santé humaine. A l’heure actuelle, il n’y a pas d’approche commune consensuelle au niveau européen ou international pour évaluer ces risques. C’est pourquoi l’Autorité européenne de sécurité alimentaire (AESA ou EFSA, en anglais) a organisé, en novembre 2006, un

colloque9 visant à faire le point sur les méthodologies existantes et, si nécessaire, à identifier de

nouvelles approches.

8http://www.epa.gov/pesticides/cumulative/index.htm 9

1.9.3. Evaluation de l’exposition aux pesticides via la consommation