• Aucun résultat trouvé

Mécanismes de surveillance et de reconnaissance des zoonoses

La séroprévalence de sept infections zoonotiques au Nunavik, Québec (Canada)

CHAPITRE 7 ENTREVUES QUALITATIVES

7.1 Mécanismes de surveillance et de reconnaissance des zoonoses

Il existe plusieurs niveaux de surveillance des zoonoses au Nunavik. Comme le mentionnait un des intervenants, le travail de surveillance débute tout d'abord sur le terrain par les observations des chasseurs et trappeurs eux-mêmes :

The primary surveillance is by the hunters themselves. When they notice, any sick animal, or they're butchering an animal, and they notice any abnormalities. So that's the first line, meaning they 've depend on subsistence food for a very long time. The older hunters, especially now, because of their experience. They are the ones that they notice any abnormality. It's changing a little bit now because there aren 't hunters that are full time, that are totally dependant on country food, so some of the knowledge has slipped away, but still it's the hunters, they know what a healthy carcass looks like, so some of the things that are obvious lesions or tumours, or anything like that, they would notice. (Intervenant en environnement, Kuujjuaq)

La majorité des intervenants questionnés s'entendent sur le rôle crucial joué par les chasseurs et trappeurs inuits dans la reconnaissance de tout animal malade ou de toute anomalie présente parmi leurs captures. On leur reconnaît de manière générale un sens de l'observation aiguisé, auquel s'ajoute une riche expérience de la faune et du comportement animal. Selon ce participant, les chasseurs examinent toujours les viscères des animaux qu'ils capturent afin de vérifier s'il n'y a pas de maladie ou quoi que ce soit qui ne devrait pas être là : « Once we get the animal, we inspect all the guts, and if there's abnormality, like lung disease or some kind of bad liver; all these things show obviously if there it's a sick animal. » (Représentant des chasseurs et trappeurs inuits, Akulivik).

L'exploitation du gibier marin et terrestre au Nunavik repose sur une longue tradition de chasse, ainsi que sur la transmission de connaissances qui, de génération en génération, ont permis la subsistance des habitants de ce territoire. Un des Inuit interrogés explique qu'une de leur tradition consiste à partager la viande, une partie de la chasse est donc réalisée pour les besoins de l'ensemble de la communauté. Ainsi, tel que relaté par ces deux intervenants, les chasseurs inuits eux-mêmes ressentent une grande responsabilité face à la qualité de la nourriture qu'ils collectent pour leurs semblables.

We all have to be careful with every animal, have to check if it's good or bad. [...] I think that all the hunters know that they have to be careful when they get, when they kill an animal, like I said before. All hunters know, that we know. All hunters try to help each other. (Représentant des chasseurs et trappeurs inuits, Kuujjuaq)

/ myself have never taken a sick animal to my house. I try to not get sick animal to my house. (Représentant des chasseurs et trappeurs inuits, Akulivik)

Les entrevues avec les chasseurs et trappeurs inuits nous ont permis d'obtenir plusieurs informations quant au type d'anomalies observées et aux maladies détectées. Il est bon de se rappeler à ce stade-ci que les activités de chasse et de pêche des Inuit suivent le rythme des saisons. Ainsi, certaines espèces ne seront récoltées qu'à certains moments précis de l'année. De même, certaines caractéristiques des animaux capturés font en sorte que ceux-ci ne seront pas conservés dépendamment de la saison à laquelle les observations ont été faites. Par exemple, pour la viande de phoque, un représentant des chasseurs et trappeurs de Tasiujaq nous rapporte que durant certaines périodes de l'année, surtout au printemps, la

119

viande de certains animaux capturés peut avoir une odeur particulière. Dans ces cas-là, la viande n'est pas gardée pour la consommation humaine, mais peut être donnée aux chiens. Dans le cas du caribou, un des chasseurs nous affirme qu'il n'est généralement pas chassé au printemps, compte tenu du fait que les animaux sont souvent plus maigres et plus faibles durant cette période. L'extrait suivant nous offre un aperçu de la saisonnalité de la chasse pour quelques-unes des espèces convoitées, ainsi que les avantages que cela présente pour cet Inuit.

[...] we sometimes wait for a particular season. Like for caribou, it becomes fat during fall, and the skin is very short, and we hunt the caribou during fall because it's very healthy and very fat and the skin is good. That time we usually go for caribou hunting, although we can have it year round. But we prefer to have it during fall. Same thing with seal. We don't kill seal during summer or spring, because they 're not too fat. We also hunt walrus only in fall. We do a lot of fishing during early winter, because all the fish are fat during that time and healthy. Everything is related seasonally. (Représentant des chasseurs et trappeurs inuits, Akulivik)

De manière plus générale, un participant de Kuujjuaq nous a fait part des observations suivantes concernant la viande de caribou. Premièrement, lorsqu'ils dépècent le caribou, ils ne gardent pas la viande si les poumons adhèrent à la cage thoracique ou s'ils observent des sécrétions jaunâtres dans les articulations. Aussi, si le foie ne semble pas bon, ils le retirent mais peuvent tout de même conserver la viande. Enfin, ils observent parfois des parasites, surtout au niveau de l'arrière-train de l'animal. Selon un des participants, la viande n'est rejetée que si elle contient un grand nombre de ces parasites, puisque ceux-ci sont détruits lors de la cuisson. De même, comme stipulé précédemment, si l'animal semble trop faible ou trop maigre, il ne sera pas conservé. Un autre exemple énoncé concerne les dépouilles de renards. Un répondant nous affirme que lorsqu'ils attrapent un renard, ils recherchent la présence d'aiguilles de porc-épic. D'après cet informateur, il existe un savoir à l'effet qu'un renard sain ne porte pas d'aiguilles de porc-épic, et que s'il en a, il peut être porteur de la rage. Ils doivent donc prendre des mesures contre cette maladie le cas échéant.

Nous avons tenté, dans les paragraphes précédants, de décrire des exemples précis de ce qui était recherché et détecté parmi le gibier récolté par les chasseurs et trappeurs inuits. Toutefois, les méthodes décrites peuvent comporter certaines limites. Elles reposent principalement sur l'expérience et l'observation directe que font les chasseurs et trappeurs

de leurs prises, et par conséquent elles tiennent compte essentiellement d'indices détectables à l'œil nu ou par l'entremise de l'un des cinq sens. Par exemple, cette intervenante en environnement nous informe que dans le cas du parasite Diphyllobothrium présent chez les poissons, les Inuit savent le reconnaître et ils l'enlèvent. Cependant, toutes les infections ne sont pas visibles. Dans le cas de la trichinellose, le parasite ne peut être distingué de visu. C'est pourquoi des analyses de laboratoires sont requises. De plus, il s'avère difficile de savoir s'il existe un réel consensus quant à l'identification d'un animal sain par opposition à un animal impropre à la consommation, puisque les renseignements fournis demeurent parfois flous. Lorsque l'on questionne les signes observés qui permettent de conclure que la viande n'est pas bonne pour la consommation, plusieurs y vont d'énoncés généraux sans énoncer de critères bien précis.

We all know that, by look, looking at the animal, if it's not safe to eat we know, we know that. [...JfFor caribou,] we butcher it, take the skin off, check if the meat is good or not. Only if we notice that it's abnormal, we always don't check all the animal. (Représentant des chasseurs et trappeurs inuits, Kuujjuaq)

[...JAnd also, a lot of animal species, any species, usually have diseases. But once the hunters carcass it, the hunter already knows it's not fit for consumption, so they just discard the meat if it obviously looks sick. (Représentant des chasseurs et trappeurs inuits, Akulivik)

En outre, on peut supposer que les savoirs dont il est question ne sont pas nécessairement partagés par tous. Tel que rapporté par certains répondants, les jeunes générations semblent moins versées dans la pratique de certaines activités traditionnelles dont la chasse, entre autres parce que ces activités occupent une moins grande partie de leur temps. Ils seraient donc moins informés et posséderaient moins de connaissances et de compétences quant aux risques associés à la faune et aux zoonoses. À titre d'exemple supplémentaire, durant l'une des entrevues, un représentant inuit interrogé a contacté l'un des aînés de sa communauté afin de répondre à une question qui lui était adressée sur le sujet. Ainsi, les connaissances des aînés en matière de santé et d'alimentation traditionnelle semblent toujours jouer un rôle primordial au sein des communautés. Selon un intervenant contacté, certains individus parmi les gens d'un certain âge possèdent un sens aigu de l'observation leur permettant de déceler les comportements anormaux. Ils possèdent également une expérience et des compétences leur conférant une meilleure connaissance quant à l'interface entre la santé

121

humaine et la santé animale. À titre d'exemple, une informatrice rapporte que les autorités de santé publique ont, par le passé, pris l'initiative d'interroger les aînés afin de documenter la bonne façon de préparer l'igunak, un mets traditionnel à base de viande de morse ou de phoque fermentée impliqué dans les éclosions de botulisme au Nunavik.

Les agents de protection de la faune constituent un autre groupe d'acteurs impliqués dans la surveillance de la santé animale. Ces derniers œuvrent dans certaines des communautés plus populeuses, et sont soutenus dans leurs tâches par des assistants à la protection de la faune, généralement des Inuit formés sur place, dans les plus petites agglomérations. Ils servent parfois d'intermédiaire pour soumettre des échantillons suspects. Ils peuvent aussi avoir à intervenir lorsque se présentent des cas de rage parmi les populations de chiens, renards ou loups, par exemple. Les représentants des associations locales de chasseurs, pêcheurs et trappeurs sont également impliqués à l'intérieur de leur rôle de soutien, de même que par l'entremise du programme de support aux chasseurs (Hunter Support Program) que l'on retrouve dans les communautés. Ce dernier a pour objectif de favoriser, encourager et perpétuer les activités traditionnelles de chasse, de pêche et de trappe des Inuit et de fournir les communautés avec des denrées tirées de ces activités.

Par ailleurs, il existe au Nunavik un centre de recherche financé par la Société Makivik, le Nunavik Research Center (NRC), muni d'un laboratoire et où des analyses spécifiques peuvent être réalisées pour la recherche de parasitoses. Le centre de recherche joue également un rôle conseil au sein du Nunavik Nutrition and Health Committee (NNHC), un comité ayant pour mandat d'informer et de sensibiliser la population sur des questions liées à la santé, à la nutrition et à l'environnement. Ce comité contribue, entre autres, à identifier les projets pouvant être utiles à la communauté et à déterminer les plans de communication permettant de disséminer l'information de façon simple et adaptée à la culture.

En ce qui concerne la trichinellose plus précisément, il existe un programme de surveillance, lancé officiellement en 1997, qui vise la viande de morse. Le NRC a un rôle important à jouer dans le programme de surveillance de cette zoonose. Pour tout animal capturé, un échantillon doit être soumis pour analyse avant que la viande ne puisse être distribuée au sein de la population. Les nombreux cas de trichinellose rapportés par le passé auraient contribué au succès rencontré par ce programme en termes de participation.

Également, dans certaines circonstances particulières, le NRC peut réaliser des études afin de documenter un événement spécifique ou un épisode de mortalité massive au sein d'une population animale donnée.

[...] generally, when there's a case of a mass die, or for a lot of animals that are dead in one place, we go and investigate, and we have a contingency fund to do that. That enables us to ... on some budgeted items. In some cases, we might go back the next year. If it's a specific item... cases there is die offs of caribou, in some way they are natural phenomenon. In some, would be mass drowning of caribou. Famous on this river. (Intervenant en environnement, Kuujjuaq)

Certains interlocuteurs nous ont cependant fait part d'un manque de financement afin de soutenir les activités de surveillance du NRC sur le terrain et de mettre sur pied de nouveaux projets, ce qui peut poser certaines limites du point de vue du suivi global des populations animales dans une optique de prévention.

[...] we do kind of routine monitoring on anything that's sick, meaning the abnormalities that are spotted. There is a lot of disease in animal that are not necessarily zoonotic diseases. We do that, but it's very difficult to get money for just ordinary monitoring programs, because unless there's a problem or an

issue, [...] why spend money on it. (Intervenant en environnement, Kuujjuaq) The Makivik RC is always lacking funds to research on our country food. So I would suggest that if there is to be improvement on the system, Makivik Research should get funds to research or to study how the animals are being affected by global warming. (Représentant des chasseurs et trappeurs inuits, Akulivik)

Pour le suivi des zoonoses à l'échelle humaine, on retrouve principalement la direction de la santé publique du Nunavik qui joue un rôle de surveillance et de prévention vis-à-vis de la population locale. Son mandat premier consiste à divulguer l'information reliée à toute problématique de santé susceptible d'affecter les communautés, et de mettre en œuvre les mécanismes de protection adéquats le cas échéant. À titre d'exemple, il existe depuis le début des années '90 au Nunavik un programme de prévention et de dépistage de la toxoplasmose congénitale, le seul au Québec. Ce programme se traduit par des conseils prénataux et par le dépistage sérologique systématique de la toxoplasmose chez les femmes enceintes qui se présentent en clinique.

123

Les centres de santé et le personnel médical ont pour leur part le rôle d'investiguer et de traiter tout individu se présentant avec les symptômes suggestifs d'une zoonose, et de déclarer les cas aux instances de santé publique lorsqu'un diagnostic de maladie à déclaration obligatoire est posé. C'est le cas pour la brucellose, la fièvre Q, la rage, la trichinellose et la tularémie. La leptospirose n'est à déclaration obligatoire que par les laboratoires réalisant les analyses sérologiques.

Finalement, un autre organisme digne de mention dans la gestion de la problématique des zoonoses est l'Administration régionale Kativik (ARK, aussi connue sous l'acronyme KRG en anglais). L'ARK est une organisation publique impliquée dans la prise de décisions et l'établissement des priorités au nom des résidants de la région Kativik, incluant les territoires situés au nord du 55e parallèle à l'exception des terres cries. Elle possède sur son territoire des compétences administratives, tout en remplissant certaines fonctions municipales. En plus de participer aux échanges avec les autorités des municipalités du Nunavik, cet organisme est impliqué directement dans la gestion de l'eau potable et dans le programme d'aide aux chasseurs inuits, notammant par l'entremise du financement octroyé.