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La séroprévalence de sept infections zoonotiques au Nunavik, Québec (Canada)

CHAPITRE 7 ENTREVUES QUALITATIVES

7.2 Facteurs conditionnant l'exposition aux zoonoses

Lorsque questionnés sur l'importance des zoonoses comme problématique au Nunavik, nos interlocuteurs nous ont donné des réponses plutôt variées. Tout d'abord, trois des cinq représentants des chasseurs et trappeurs inuits nous ont affirmé que l'observation d'anomalies ou d'animaux malades était plutôt rare. Malgré cela, deux d'entre eux ont exprimé en ces termes qu'il s'agissait d'une question digne d'intérêt.

People should be aware of that, what you eat. It would be better. It is something to know about. (Représentant des chasseurs et trappeurs inuits, Kuujjuaq) Yeah, mainly the walrus meat, that has to be tested, every time you kill it. Same I say for polar bear and black bear. [...] But they all know that, it's not safe to eat if it's not cooked. Everybody knows that, all hunters know that. [Trichinosis is important] because it makes people sick, that's why. (Représentant des chasseurs et trappeurs inuits, Kuujjuaq)

La réponse de ce troisième participant quant à l'importance des zoonoses était davantage nuancée par le spectre des changements climatiques.

Climate related changes are occuring, and the behaviours of the animals are changing. The way the meat is affected is very personal to me. I think research should be done if there is to be any effects on my diet. [...] Special issue, important issue, I don 7 know. I think it's the climate change that's the one thing that could affect our country food. Yes, everybody worries about the effects it will have on their local diet. [...] So far, the system is working to our satisfaction, but things change, and the weather changes. Animals are always not healthy, and any species of animal can become sick. (Représentant des chasseurs et trappeurs inuits, Akulivik).

Cette autre répondante décrit également l'inquiétude de la population inuite quant à l'impact potentiel des changements climatiques et des contaminants sur la santé animale et la qualité de la nourriture traditionnelle.

They take it very seriously, especially knowing very much about global warming and its impact, environmental contamination and its impact, people are very concerned. Global warming constantly: they see the effects of it, they wondering "is it affecting the health of the animal, and in turn how the health of the animal affects us. " (Représentante inuite en santé et environnement, Montréal)

De plus, parmi les facteurs conditionnant l'utilisation de la viande de gibier, il semble que le prix des aliments achetés au magasin peut constituer un incitatif à la consommation de nourriture traditionnelle par les habitants du Nunavik.

La nourriture est chère; entre un steak à 10$ et le béluga qui nourrit pour 2-3 mois et qui ne coûte rien, les gens préfèrent le béluga. Ils vont à la pêche, cueillent les bleuets, ce sont des aliments qu 'ils n 'ont pas à acheter au magasin. (Intervenante en environnement, Kuujjuaq)

Aussi, bien que certains savoirs risquent de se perdre avec les nouvelles générations, moins dépendantes des ressources du milieu pour leur survie, on considère encore de nos jours que les activités de subsistance traditionnelles demeurent essentielles au peuple inuit. En ce sens, tout ce qui peut affecter la santé des populations animales revêt une grande importance aux yeux des Inuit.

[...] there is still a dependency on wildlife for subsistence food [...], if anything happens to wildlife, there is a great concern within the community about wildlife. (Intervenant en environnement, Kuujjuaq)

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[...] people are concerned about their health when it comes to eating. They're concerned about the health of their wildlife, first of all, because they depend on the wildlife for food. (Représentante inuite en santé et environnement, Montréal)

Selon une représentante en environnement basée à Kuujjuaq, la clé de la réussite dans la mise en place de programmes de prévention, notamment en matière de zoonoses, réside dans la capacité de savoir « adapter la recherche aux traditions ». Selon elle, c'est important car la population inuite tient à garder ses traditions, comme manger la viande crue ou utiliser des méthodes de préparation traditionnelles, par exemple. Ainsi, il pourrait sembler plus simple de dire à la population de bien cuire les aliments avant de les consommer, ce qui contribuerait à réduire considérablement le risque de contracter une zoonose par la voie alimentaire. Néanmoins, le défi est de réussir à faire en sorte qu'ils puissent conserver leurs habitudes et traditions sans risquer d'être infectés. C'est ce que permet entre autres le programme de surveillance de la viande de morse pour la trichinellose. En d'autres mots, selon cette intervenante il faut trouver le moyen de rendre les pratiques traditionnelles sécuritaires, comme pour la préparation de l'igunak, par exemple, qui doit être conservé sous 4°C selon les découvertes d'un vétérinaire du NRC afin de réduire le risque de botulisme.

Un des intervenants du secteur de la santé affirme que les zoonoses constituent un enjeu de santé publique assez important à cause, précisément, de la nature des problèmes et de la culture de côtoiement de l'homme et des animaux. Cela devient selon lui un enjeu régional, dans la mesure où il touche la symbolique du Nunavik et de son lien avec l'environnement. D'où l'importance de maintenir des hauts niveaux de surveillance, par l'ajout des outils scientifiques modernes, la recherche de vecteurs et le développement d'outils de prévention efficaces, entre autres. Il cite également l'exemple de la trichinellose, possiblement la zoonose la plus importante en raison de la morbidité qui lui est associée et de l'impact culturel important qui a suivi l'éclosion d'une centaine de cas associés à du morse contaminé dans les années '80, entraînant presque l'arrêt de la chasse au morse. Selon lui, cette zoonose a fait l'objet d'une démarche cohérente sur le plan de la prévention et constitue un exemple de succès et de ralliement de la population.

Deux autres interlocuteurs considèrent que l'accès aux médias et à l'information en général fait en sorte que les gens sont plus inquiets, posent davantage de questions par rapport aux zoonoses. Selon un représentant du ministère des ressources naturelles et de la faune, cela devient une préoccupation de plus en plus importante car les gens savent ce qui se passe ailleurs dans le monde, comme par exemple la présence du virus du Nil et le risque associé aux moustiques. Selon lui, la nouvelle génération, les moins de 40 ans, est plus « consciente » et plus soucieuse des risques communiqués par les médias. Cet autre intervenant y va en termes plus colorés pour décrire l'impact que peuvent avoir les médias sur la perception de la population quant à la problématique des contaminants, utilisée ici à titre d'exemple. Selon lui, l'accès à l'information est susceptible de générer davantage d'inquiétudes et d'appréhension injustifiées.

But sometimes they may hear that there's contaminants, they 11 all be watching David Suzuki on TV or something and hear it '$ full of mercury or something [...] But the public apprehension [travels] very fast within the regions, because there's local FM station, and they also get new through CBC North on anything that happens. (Intervenant en environnement, Kuujjuaq)

Concernant les préoccupations soulevées par la question des zoonoses plus spécifiquement, ce même répondant affirme que le fait que les pathogènes dont il est question ne sont pas visibles à l'œil nu constitue un facteur plus inquiétant dans la mesure où l'on ne peut distinguer ce qui est bon de ce qui ne l'est pas. On nous rappelle ici encore une fois que le savoir par expérimentation a ses limites.

There may be more a fear about things that they now know about, but they can't see. If you cut open a seal and its liver is all covered with smashes and beetles, you won 7 touch that. Whereas, if you hear it has something, they might have something that you can 7 see, either contaminants or some disease, that is probably more a worry in people's mind. Because before [...], what they felt is that when they look at something and that looks ok, it is ok. Whereas now science is telling them all these other secrets about things you should be looking or be aware of. (Intervenant en environnement, Kuujjuaq)

En ce qui concerne plus précisément l'identification de mesures préventives pour réduire les risques d'infection, elles se présentent sous deux principales formes, soit les mesures préconisées par la population locale, incluant les chasseurs et les trappeurs, et celles mises de l'avant par les autorités de santé publique de manière permanente ou ponctuelle.

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7.2.1 Mesures préventives - chasseurs et trappeurs

Premièrement, il est important de noter qu'aucun des cinq chasseurs et trappeurs interviewés n'a rapporté avoir été lui-même infecté par une maladie d'origine animale. Par contre, quatre d'entre eux nous relatent qu'ils ont eu connaissance que d'autres personnes ont été malades suite à la consommation de nourriture traditionnelle, notamment des cas de trichinellose associés à de la viande de morse et d'ours noir insuffisamment cuite, et de botulisme associé à une mauvaise préparation de l'igunak de morse.

/ think, couple of years ago, 3-4 years ago, hunters got sick from black bear meat (3-4 hunters, from Kuujjuaq), maybe from trichinosis, but didn 'I test the meat because it was already gone, destroyed. [...] a lot of people know now and they got the meat cooked well. (Représentant des chasseurs et trappeurs inuits, Kuujjuaq)

[...] two people, long time ago, before walrus was checked, that have been sick from eating walrus; both are ok now. (Représentant des chasseurs et trappeurs

inuits, Tasiujaq)

Some guy who had trichinosis in his system after eating walrus, his muscles were contracting abnormally, and had to be treated at the clinic. But eventually healing from it. (Représentant des chasseurs et trappeurs inuits, Akulivik)

[...] some people (some here in Kuujjuaq) who had botulism, because of poor handling of meat: meat aged too fast, use of plastic bag, too rotten. (Représentant des chasseurs et trappeurs inuits, Kuujjuaq)

Dans le cas du botulisme, un des répondants nous indique qu'il est impossible de reconnaître la viande contaminée. En outre, deux personnes nous informent qu'il peut être dangereux pour la santé de mélanger alcool et viande fermentée. Ce répondant nous affirme également que la viande d'oiseaux migrateurs occasionne parfois des problèmes intestinaux.

In my experience, I myself have never been infected from meat related disease, but I know ... maybe I once had from Canada goose or snow geese, when they first arrive up north their very fat and, maybe it's because we don't eat them often, maybe sometimes they give us diarrhea, They give us diarrhea, but it's only once after eating it first time it gives us stomach ache. Maybe from too much fat, it's my assumption. [...] Even if they're fully cooked, they tend to do that. It happened to me directly after eating country food. (Représentant des chasseurs et trappeurs inuits, Akulivik)

Lorsque questionnés sur les mesures qu'eux-mêmes appliquaient pour prévenir les zoonoses, voici ce que les représentants des chasseurs et trappeurs inuits nous ont répondu. Tout d'abord, ces cinq répondants nous ont mentionné que la viande de morse devait être testée avant d'être consommée. Un d'entre eux affirme également avoir envoyé des échantillons provenant de bélugas capturés pour qu'ils soient analysés. Par contre, en dehors du fait que certains spécimens jugés suspects sont envoyés au NRC, il ne semble par y avoir de consensus pour les autres mesures appliquées. Les extraits suivants résument assez bien l'idée générale :

Maybe we already mentioned the trichinosis. Everybody knows that, now since there is a system, that once you caught a walrus you got to send it to Makivik research to screen it [to see if it has] parasites. It's the only animal that is automatically sent for testing. But if you find anything that's very abnormal, an animal that's not healthy or looks sick, you send it to Makivik Research [Centre]. (Représentant des chasseurs et trappeurs inuits, Akulivik)

If they see abnormal animal, they just send a piece of meat. [...] we all know that as a hunter, when we see something that is not normal. That is why they want to have it tested, to know what is wrong with it. [...] [But] if we see abnormal [animal], we don 7 bother to shoot or kill the animal. Just let it go. (Représentant des chasseurs et trappeurs inuits, Kuujjuaq)

Par ailleurs, un intervenant de Kuujjuaq mentionne qu'il a déjà reçu le vaccin contre la rage lors d'une saison où il y avait beaucoup de cas de rage rapportés parmi la population de renards et où il avait à manipuler de nombreuses fourrures. Selon lui, lorsqu'un animal est suspecté, ils doivent utiliser des gants de caoutchouc, mais il admet qu'ils les utilisent rarement. Deux autres répondants rapportent l'usage de gants par certaines personnes, ou dans certaines circonstances, en présence d'un animal trouvé mort ou malade par exemple. Toutefois, on ne mentionne pas si cela constitue une mesure systématique ou non. Un autre représentant de Kuujjuaq affirme qu'il n'est plus sécuritaire de consommer le foie de caribou et que la population locale a été avisée de cela par le passé. De même, il nous informe qu'en ce qui concerne la viande d'ours polaire, d'ours noir, de morse, de renard ou de loup, elle doit être bien cuite avant d'être consommée, une connaissance maintenant bien ancrée parmi la population générale selon un intervenant en santé publique interrogé. Enfin, cet autre répondant nous indique qu'il préfère consommer la viande de phoque congelée durant la période hivernale pour les raisons suivantes:

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And during winter I eat raw seal, seal meat; frozen seal meat. It freezes very fast during winter time, because it's very cold on the ice; it freezes immediately. The new thin ice is very salty, and it cleans the seal meat, and the microorganisms. It cleans the seal meat and making it tastier. (Représentant des chasseurs et trappeurs inuits, Akulivik)

Selon un intervenant de Kuujjuaq en environnement, il semble exister plusieurs croyances et rituels à saveur locale entourant la récolte et la préparation du gibier. Malheureusement, la portée de cette étude ne nous permet pas d'explorer davantage toutes les caractéristiques régionales entourant la manière d'aborder et d'apprêter les prises lors de la collecte du gibier.

En ce qui concerne la manière de disposer des carcasses et des organes jugés suspects, un des répondants indique qu'il existe des mesures spéciales pour disposer des chiens, renards et loups infectés par la rage. Toutefois, pour les autres espèces et autres anomalies ou maladies, les participants ne nous mentionnent pas de recommandations précises, bien qu'ils s'entendent généralement sur le fait que des échantillons sont parfois envoyés au NRC pour analyse. La majorité des répondants nous rapportent également que la viande et les prises jugées impropres à la consommation sont simplement laissées sur place, i.e. à l'endroit où l'animal a été dépecé.

When we find an animal that looks sick or full of parasites, we just discard it right away. Long time ago, the hunters usually go on dog teams, and the dogs were able to consume even sick animals, so they used to be food for dogs. But nowadays we don 7 go hunting on the dogs, and we just have to discard it and throw it on the land, and leave it for the predators or scavengers. Just leave it there. (Représentant des chasseurs et trappeurs inuits, Akulivik)

Toutefois, contrairement au propos tenu par ce dernier participant, trois autres personnes nous ont affirmé que la pratique d'offrir les abats et la viande douteuse aux chiens était toujours d'actualité. Ce représentant apporte quelques précisions quant au régime alimentaire réservé pour les chiens: « For dogs, they do collect dog food for winter, mainly the leftovers (mostly fat); they give them practically anything, in any form (fresh, frozen, raw, fermented) » (Représentant des chasseurs et trappeurs inuits, Kuujjuaq)

Pour l'eau potable, trois représentants des chasseurs et trappeurs seulement y ont fait référence durant les entrevues. Selon un premier répondant de Kuujjuaq, pour l'eau potable

distribuée dans les communautés, les habitants sont avisés par la voie de la radio locale de faire bouillir l'eau lorsqu'elle est impropre à la consommation, surtout au printemps. Par contre, lorsqu'ils vont camper, ils utilisent surtout la glace des lacs ou encore la neige provenant des couches inférieures, plus près du sol, où celle-ci est plus dense, qu'ils font bouillir pour le thé. Selon un second intervenant, lui aussi de Kuujjuaq, l'eau ne semble pas présenter d'inquiétude particulière, sauf pour des problèmes gastro-intestinaux qu'elle pourrait parfois occasionner :

/ never heard of anybody who got sick from the water, but we got that stomach ache sometimes, maybe from the water. [...] We don 7 have lot of problem with water here. [...] When we go hunting, we can take water from anywhere we see that. That lake down south, there is no contaminated water here. (Représentant dse chasseurs et trappeurs inuits, Kuujjuaq)

Enfin, ce troisième point de vue vient compléter les deux premiers en précisant certaines autres précautions employées avec l'eau non traitée :

[...] for other things like water, during time there is a lot of bacteria growing. So we just use snow or ice for drinking, and try to avoid as much as possible melting water. We avoid the small ponds. We try to take as much water from creeks or rivers. But if you have no choice but to take water from a small pound, you use some kind of a filter to bring in the water. We have some kind of

a clothe to filter the microscopic animals (particles). That's what we do. (Représentant des chasseurs et trappeurs inuits, Akulivik)

7.2.2 Mesures préventives - santé et environnement

Les mesures mises de l'avant par les autorités en matière de santé publique et d'environnement se présentent dans l'ensemble de manière un peu plus complexe puisqu'elles font appel à une multitude de ressources et d'intervenants composant les réseaux locaux. Elles se caractérisent plus particulièrement par le rôle de détection et de support en cas de suspicion d'une éclosion infectieuse ou d'un risque à la santé, et de communication des informations à la population. Les paragraphes qui suivent résument comment les représentants des deux secteurs nous ont décrit leurs interventions.

Encore une fois, le programme de la trichinellose se démarque comme étant un exemple de succès en matière de prévention, puisque selon plusieurs intervenants, il y a eu ralliement de la Société Makivik, de la DSP et de la population. D'après cette intervenante, travaillant

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maintenant depuis Montréal, l'expertise des chasseurs en matière de santé animale joue aussi un rôle important:

For trichinosis, community, KRG (through hunter support program), the public health department and Makivik Research Centre work hand in hand. Hunters are very well aware and they know how a healthy animal looks like. Any type of abnormality will be sent to Makivik research centre. Inuit are very well aware [of] human health and wellbeing of animal. Inuit use science to make sure that what we eat is good. (Intervenante inuite en santé et environnement, Montréal)

Malgré le succès connu par le programme de la trichinellose, un des répondants rappelle qu'il y a parfois des difficultés à maintenir l'embargo sur la viande avant l'arrivée des résultats. Toutefois, le délai court (de 12 à 24 heures) et la réalisation des analyses sur place, i.e. à Kuujjuaq, constituent des éléments favorables au programme. Selon lui, il y a parfois distribution de la viande de morse malgré l'embargo en disant de bien la faire cuire,