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La séroprévalence de sept infections zoonotiques au Nunavik, Québec (Canada)

CHAPITRE 8 DISCUSSION GÉNÉRALE

8.2 Entrevues qualitatives

Il semble que pour une majorité des représentants des chasseurs et trappeurs inuits interrogés, l'observation d'anomalies ou de maladies chez les animaux capturés est un phénomène plutôt rare. L'identification des prises impropres à la consommation semble découler d'un savoir partagé par les chasseurs et qui s'appuie sur l'observation du comportement de l'animal, de son aspect général et de l'examen des organes lors de 1'evisceration. Un mécanisme complémentaire de surveillance réside dans l'envoi de toute pièce, animal ou organe, jugée suspecte au laboratoire du Centre de recherche du Nunavik basé à Kuujjuaq. En ce qui concerne la trichinellose, le programme de surveillance de la viande de morse semble être bien implanté au sein des communautés, et était connu de tous les répondants inuits.

Les principaux acteurs impliqués dans la surveillance et la prévention des zoonoses au Nunavik sont la Direction de santé publique et la Régie régionale de santé et des services sociaux du Nunavik, le centre de recherche du Nunavik financé par la Société Makivik, le Ministère des Ressources naturelles et de la Faune du Québec (MRNF) et Faune Québec (représenté sur place par les agents de la protection de la faune), le ministère de TAgriculture, des Pêcheries et de lAlimentation du Québec (MAPAQ), l'Administration régionale Kativik (ARK), l'Agence canadienne d'inspection des aliments (ACIA), et les municipalités. Des comités régionaux participent également à l'information et aux prises de décision en matière de santé humaine et animale. Il s'agit du Nunavik Nutrition and Health Committee, ainsi que du Nunavik Hunting Fishing and Trapping Association.

Par ailleurs, une surveillance passive de certaines zoonoses (trichinellose, brucellose, rage, etc.) s'opère via le système gouvernemental de surveillance des maladies à déclaration obligatoire. Pour les populations animales, il semble que le MRNF (Faune Québec) soit impliqué dans le suivi de certaines espèces, mais plutôt dans une optique d'aménagement faunique (ex. pour le caribou : niveaux de population, condition physique, contamination par le cadmium). Pour la gestion de la population de béluga, elle se fait par l'entremise de Pêches et Océans Canada. En dehors du morse, il n'existe pas de programme de surveillance réalisé de routine. Les autres données disponibles découlent donc le plus souvent d'études et de projets ponctuels.

Il ressort des entrevues que l'exposition aux aliments traditionnels, et donc à la viande crue de gibier, est tributaire premièrement de la nécessité d'utiliser les ressources du milieu pour des besoins de subsistance. Néanmoins, elle découle aussi du rôle des aliments traditionnels et des activités de chasse, pêche et piégeage comme identifiant culturel. Les Inuit eux- mêmes associent la nourriture provenant de ces activités à une notion de santé, un message que les autorités de santé publique tentent également de promouvoir. Le prix élevé des denrées importées favorise également la consommation d'aliments produits localement. Cependant, malgré les améliorations apportées par les programmes de surveillance et de prévention mis sur pied au cours des dernières décennies, certains mets traditionnels sont apprêtés d'une manière qui ne permet pas d'éliminer totalement les risques microbiologiques inhérents à ces aliments, dont le risque de transmission de la trichinellose et de la toxoplasmose associé à la consommation de viande crue de plusieurs espèces de gibier sauvage par exemple.

Pour les mesures préventives employées lors du dépeçage et de la préparation du gibier, il ne semble pas y avoir de mesures employées de manière systématique lorsque la prise semble saine. On rapporte l'utilisation occasionnelle de gants pour la manipulation des carcasses et des fourrures, mais cela semble être une pratique marginale, restreinte aux situations où il y a une forte suspicion de zoonose (ex. la rage). Néanmoins, l'importance de bien cuire certaines viandes (ours noir, ours polaire, loup, renard) semble être une notion partagée par plusieurs. De même, il semble y avoir une conception répandue à l'effet que le foie du caribou doit être évité, probablement en lien avec les recommandations du

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Ministère des ressources naturelles et de la faune (MRNF) stipulant que le foie et les reins de cervidés ne doivent pas être consommés en raison du haut taux de cadmium qu'ils peuvent contenir. Le MRNF conseille aussi d'éviter de consommer des viandes ou des abats dont la couleur, l'odeur ou la texture sont anormales. De plus, il recommande de bien faire cuire la viande de gibier, idéalement à 77°C, particulièrement pour les viandes d'ours et de lièvre en raison des parasites et bactéries responsables de zoonoses qu'elles peuvent héberger, respectivement la trichinellose et la tularémie (MRNF, 2010). Toutefois, on comprend qu'au Nunavik cette précaution n'est pas toujours appliquée pour des raisons culturelles.

Par ailleurs, il ne semble pas y avoir de règles précises dictant la manière de disposer des carcasses ou abats infestés ou jugés impropres à la consommation. Les répondants rapportent que ceux-ci sont généralement laissés sur place pour les charognards, ou encore offerts aux chiens. À cet effet, le MRNF recommande de ne pas donner de viande ou d'abats de gibier aux animaux domestiques, notamment les poumons et le foie, afin de limiter leur infestation et la propagation de certains parasites dans l'environnement (MRNF, 2010). De fait, bien que moins utilisés de nos jours pour la pratique des activités traditionnelles de chasse et pour les expéditions, les chiens domestiques sont toujours omniprésents dans plusieurs communautés du Nunavik. Ces derniers sont souvent attachés et rassemblés autour d'un plan d'eau aux limites du village, surtout en ce qui concerne les équipages de chiens de traîneaux. Par contre, il n'est pas rare d'en voir circuler librement dans les rues et autour des résidences. Leur contribution potentielle à l'épidémiologie et la transmission de certains pathogènes au nord est donc à prendre en considération. Ainsi, il y aurait place à un certain renforcement dans les communautés inuites quant aux mesures adéquates pour disposer de manière sécuritaire de la viande ou des abats mis de côté.

Pour l'eau potable, les participants inuits rapportent parfois faire bouillir l'eau brute dont ils s'approvisionnent lorsqu'ils sont sur le terrain, mais la pratique de consommer de l'eau non traitée semble plutôt répandue. Outre les avis périodiques pour faire bouillir l'eau municipale, il ne semble pas y avoir de précautions systématiques prises contre les risques microbiologiques associés à l'eau de surface.

Plusieurs moyens de communication existent dans les communautés du Nunavik pour la diffusion d'informations sur les zoonoses. Parmi les plus fréquemment mentionnés, notons les messages diffusés sur les ondes des radios locale et régionale, ainsi que les communiqués adressés à la communauté par le centre de recherche du Nunavik et la DSP, par l'entremise des maires des municipalités et lors des rencontres des associations de chasseurs, pêcheurs et trappeurs. Des renseignements sont également diffusés sous forme de dépliants et de posters disposés dans les endroits stratégiques. Les principaux organismes impliqués dans la production et la diffusion de ces informations sont le centre de recherche (NRC) et la direction de santé publique du Nunavik, le MAPAQ, le MRNF (Faune Québec), et le Nunavik Nutrition and Health Committee. Cependant, le fait que certains dépliants d'information soient produits en français ou en anglais uniquement peut constituer un obstacle à leur diffusion.

Le bouche à oreille est aussi décrit comme une pratique toujours active et efficace pour faire circuler l'information. Selon l'un des informateurs, il existe divers systèmes de croyances à saveur locale partagés par un certain nombre d'individus, sans toutefois être répandue à l'ensemble de la population inuite, qui guide les pratiques entourant les activités tradtionnelles de chasse et de pêche. Cet aspect n'a pu être exploré dans le cadre de ce projet, mais on peut cependant supposer que la teneur des connaissances partagées par les individus est influencée par le contexte socioculturel, économique, géographique et environnemental propre à chacune des communautés.

Finalement, l'effritement des connaissances et des compétences touchant la faune et les zoonoses, particulièrement parmi les jeunes générations, semble être une préoccupation importante pour plusieurs intervenants. La portée de cette étude ne nous permet pas d'émettre des hypothèses explicatives quant à cette autre problématique, mais elle permet néanmoins l'émission de certaines pistes d'action. Ainsi, il semble que la population ait de plus en plus accès à diverses sources d'information par l'intermédiaire de la télévision et d'internet. Ceci ouvre la voie à de nouveaux modes de communication qui pourraient être davantage utilisés afin d'accroître la visibilité et de faciliter la diffusion des informations sur les zoonoses, la faune et l'environnement. Ainsi, l'utilisation de sites internet et de documents audiovisuels, la rencontre avec les aînés, de même que l'implication des élèves

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en milieu scolaire font partie des pistes suggérées par les répondants pour mieux sensibiliser la population.