• Aucun résultat trouvé

Mécanisme de polymérisation de l’actine seule

2.3 Le filament d’actine

2.3.2 Mécanisme de polymérisation de l’actine seule

Spontanément, les monomères, chargés négativement, se repoussent entre eux. La présence d’ions Mg2+ ou Ca2+ en solution permet d’écranter l’effet des répulsions élec- trostatiques [48] et une force ionique élevée favorise l’assemblage des monomères en oligomères [52].

La nucléation d’un filament d’actine est le processus de formation d’un oligomère minimal se comportant comme un filament. Celui-ci correspond à un tétramère [62], très stable par rapport au trimère et dimère, qui se dissocient respectivement avec des taux de 100 s−1et 106s−1[52].

La nucléation est l’étape limitante dans l’assemblage et la génération de novo de filaments d’actine. Elle dépend très fortement de la concentration, qui à forte valeur augmente les interactions entre monomères et donc la probabilité de formation d’un tétramère [52]. Les concentrations physiologiques d’actine de l’ordre de 100µM [63], donneraientt lieu, in vitro, à une trop importante nucléation spontanée. Dans le contexte cellulaire, la nucléation est régulée, et nous en verrons les mécanismes plus tard.

Élongation/Polymérisation

L’association et la dissociation À partir du tétramère, les monomères peuvent s’ajouter

aux deux bouts, ce qui est un processus limité par la diffusion [64]. À trop faible concentra- tion, l’arrivée des monomères aux extrémités ne compense pas le désassemblage favorisé par l’agitation thermique.

L’élongation se fait de manière dynamique. Considérant l’élongation d’un seul bout, la vitesse d’élongation est définie par la différence nette entre l’arrivée et le départ de mono- mères. L’arrivée ou la liaison de monomères au bout est décrite par la constante cinétique d’association, représentée par kon. L’arrivée dépend également de la concentration en

monomère, notées C . Le départ de monomères est décrit par la constante cinétique de dissociation, représentée par ko f f. On a donc Vpol = konC − ko f f. On peut alors définir

une concentration critique, définie par le rapport entre ces deux constantes, Cc = ko f f

kon,

pour laquelle le vitesse d’élongation (Vpol est en s−1) du bout considéré devient nulle :

Vpol= konC − ko f f = kon× (C −

ko f f

kon ) = kon× (C −Cc

) (2.1)

Différences entre bout barbé et bout pointu Dans des conditions standards, en pré-

sence de monomères d’actine ADP (MgCl2(1 mM), KCl (50 mM), EGTA (1 mM) et ADP (0.2

mM)), le filament peut s’allonger. Fujiwara et collaborateurs en 2007, mesurent alors que l’actine ADP se lie beaucoup plus facilement au bout barbé qu’au bout pointu,

konb,ADP = 2.9 µM−1.s−1 comparé à konp,ADP = 0.09 µM−1.s−1. Pour la dissociation, cette

différence entre les deux bouts est également très notable [65]. L’exemple pris de mono- mères ADP, nous montre que le bout barbé est plus dynamique que le bout pointu, les monomères "vont et viennent" plus rapidement. Toujours en ne considérant que des monomères ADP, les concentrations critiques aux deux bouts sont pourtant du même ordre de grandeur (Ccb,ADP= C

p,ADP

c ≈ 1.8 µM [52]). Dans ce cas, Vpol est similaire aux

deux bouts.

Hydrolyse de l’ATP au sein du filament Cette différence d’activité entre les deux bouts

est vrai également pour des monomères sous forme ATP, que nous devons prendre en compte pour nous rapprocher du contexte cellulaire. Dans ce cas, l’étude de la dyna- mique est plus complexe car ces monomères d’actine-ATP voient leurs activités ATPases stimulées lorsqu’ils s’incorporent au sein du filament. Cette stimulation n’est pas encore bien comprise, mais serait reliée à l’aplanissement des sous-unités lors de la transition monomère-filament [56]. Celui-ci faciliterait la réaction d’hydrolyse, en contraignant encore plus le nucléotide et les molécules d’eau dans la poche nucléotidique [66].

Dans la dynamique d’assemblage, la nature du nucléotide doit donc être considérée. Il faut bien noter que l’hydrolyse n’est pas nécessaire pour la polymérisation du filament d’actine [67]. Mais elle crée une différence énergétique entre les deux bouts du filaments : Les deux états monomèriques ont des taux d’association, de dissociation ainsi que des forces de liaisons inter-monomériques différentes [68]. L’hydrolyse va donc jouer un rôle dans la dynamique de polymérisation.

Dynamique d’assemblage Lorsque les monomères ATP s’ajoutent au filament par le

2.3 Le filament d’actine 35

de l’ATP vers l’ADP au sein du filament est irréversible, aucune molécule d’ADP ne peut s’échanger avec de l’ATP en solution. De plus l’hydrolyse se fait en deux étapes. En effet, l’ATP est rapidement clivé lors de l’hydrolyse, résultant en une molécule d’ADP et un groupement phosphate (ATP →ADP.Pi demi-vie≈ 0.4 secondes [69]). Mais la structure de la poche nucléotidique dans le filament ralentit énormément le relargage du phosphate (ADP.Pi→ADP demi-vie ≈ 100 secondes [69]). Cet état intermédiaire ADP-Pi est donc fortement présent au sein du filament, surtout à proximité du bout barbé, correspondant à quelques secondes après l’incorporation du monomère (voir figure 2.5.c).

À proximité du bout pointu, une majorité de monomères d’actine est devenue ADP. Ce sont de "vieux" monomères, qui ont eu le temps de relarguer leurs phosphates-γ. L’actine-ADP forme des liaisons inter-monomèriques plus faibles que celles formées par l’actine-ATP ou l’actine ADP.Pi [68]. Illustrant cela, un "vieux" filament composé uni- quement d’actine-ADP est plus flexible, LpAc t i ne−ADP= 9 µm, comparé à LAc t i ne−ADP.Pip =

13.5µm [70]. Comme nous le verrons, cette différence d’âge des filaments influe sur

leurs régulations. Cette partie du filament est donc plus instable : au bout pointu, les monomères ADP ont tendance à se désassembler. Une fois relâchés, ces derniers sont recyclés en actine-ATP. Cela se fait lentement à partir de solutions de monomères puri- fiés seuls, le taux de renouvellement du nucléotide étant de 0.2 sec−1. Dans la cellule, la protéine profiline, liée au monomère, accélère ce renouvellement nucléotidique jusqu’à 24 sec−1[71].

Régime stationnaire et tapis roulant Pour un monomère, cette polymérisation dyna-

mique peut se résumer par une association sous l’état ATP au bout barbé ; son hydrolyse menant alors à sa dissociation du bout pointu sous l’état ADP ; puis son renouvellement menant à une nouvelle association (voir figure 2.5). Cette situation est bien plus complexe en vérité, puisqu’il faut aussi considérer les potentielles associations ou dissociations de monomères ATP au bout pointu par exemple.

Ce processus stationnaire, initialement théorisé, est appelé "polymérisation de la tête à la queue" [72] ou plus récemment "tapis roulant" (de l’anglais "treadmilling" [73]). Malgré une dynamique aux deux bouts, ce processus permet d’obtenir une longueur constante au cours du temps, ou l’élongation au bout barbé compense exactement la dépolymérisation au bout pointu. Ce processus a été observé in vitro [74].

La concentration stationnaire, notée Cs, peut se calculer dans une situation de tapis

roulant. Pour celle-ci, nous considérons des monomères d’actine ATP en solution. Glo- balement, ces derniers sont considérés, puisqu’en solution, comme pouvant également s’ajouter au bout pointu (association représentée par konp,AT P), ou se dissocier du bout

FIGURE2.5 Mécanisme stochastique d’hydrolyse de l’ATP et du renouvellement de mo-

nomère ATP lors du processus de tapis roulant [69]. Les monomères incorporés au bout

barbé passent rapidement de l’état ATP à ADP.Pi, puis lentement de l’état ADP.Pi à ADP, de manière stochastique. Ils finissent par tous devenir ADP, et par se désassembler au bout pointu. Le renouvellement (0.2 sec−1) se fait lentement in vitro, pour de l’actine seule. Constantes cinétiques issues de [65], constantes d’hydrolyse d’ATP issues de [69], constante de renouvellement (ADP → ATP) issue de [71].

barbé (dissociation représentée par kb,AT Po f f ). Ainsi, pour le filament dans sa globalité, la concentration stationnaire est définie comme tel :

Cs= kb,AT Po f f + ko f fp,ADP konb,AT P+ k p,AT P on (2.2)

Prenant les valeurs effectives de ces constantes, mesurées par Fujiwara et collabora- teurs [65], on obtient une faible concentration stationnaire, Cs≈ 0.13 µM.

Les simplifications faites pour ce calcul ne s’appliquent pas dans la cellule puisque des protéines régulatrices modifient la situation, notamment les constantes cinétiques. Mais conceptuellement, il est important de comprendre ce processus et de l’étudier quantitativement, puisque qu’il concerne la stabilité du filament et la conservation de sa longueur au cours du temps, se reposant sur le renouvellement d’état nucléotidique des monomères (actine-ADP → actine-ATP), qui alimentent le réservoir d’actine-ATP nécessaire à une réactivité efficace de la cellule.