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2.5 Réguler la dynamique de l’actine par les contraintes mécaniques

3.1.1 La locomotion

La locomotion cellulaire est impliquée dans de nombreux phénomèmes, incluant la cicatrisation ou la régénération de tissus [129] ; ou encore le développement du cône de croissance de neurones [21]. On peut également citer des processus intervenant dans l’immunité ou le développement tumoral, qui impliquent respectivement un déplacement de macrophages ou de cellules cancéreuses.

Plusieurs stratégies de locomotion à deux ou trois dimensions sont utilisées. Les sper- matozoïdes utilisent le battement de leurs flagelles pour se propulser ; des organismes comme les paramécies, eucaryotes unicellulaires, nagent grâce aux battements coordon- nés de plusieurs dizaines d’extensions cytoplasmiques, appelées cils. Le reste des cellules eucaryotes peut se déplacer grâce à des techniques basées sur la reptation.

Une étude pionnière a observé la locomotion, à deux dimensions, de fibroblastes [130]. Elle montre que lorsqu’une cellule commence à migrer [21], on observe tout d’abord la formation de protrusions membranaires, qui polarise la cellule et initie le mouvement directionnel. On distingue trois protrusions : le filopode, le lamellipode et le bleb. Après formation, la protrusion s’attache au substrat en divers points d’ancrages, appelés contacts focaux. Le reste de la cellule poursuit sa translocation, se servant de ces points d’appuis, aidé finalement par la rétraction de la membrane plasmique arrière. La formine est impliquée dans la nucléation des filaments initiaux engendrant les 3 types de protrusions.

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Le filopode

Le filopode est une protrusion très dynamique, en forme de doigt, d’environ 300 nm de diamètre, formée par un faisceau de 10 à 20 filaments d’actine orientés paral- lèlement [131] (voir figure 3.2.A). En s’allongeant, ce faisceau crée une protrusion qui déforme la membrane localement (revue ici [132]). Les filopodes sont très développés aux fronts de migrations de cônes de croissances neuronaux, guidant la direction de leur croissance [133].

Ils permettent à la cellule de sonder l’environnement, en terme de rigidité [134] ou de composition chimique telle que la qualité de l’adhérence [135] ou encore lorsque un macrophage veut capturer une proie [136]. Le filopode est également responsable de l’initiation des contacts focaux [137].

FIGURE 3.2 Le filopode : faisceau allongé par les formines et Ena/VASP. A : Image de

microscopie électronique d’un filopode de cellule de mélanome de souris. On observe le réseau branché (notamment en inset), en amont de la protrusion. Les filaments forment un faisceau très compact et linéaire par rapport au reste du réseau, formant le filopode. Barre d’échelle à 0.2µm. Adaptée de [103]. B : Schéma très simplifié du filopode déjà formé. Les protéines Ena/VASP et les formines allongent les filaments responsables de la croissance de la protrusion. Seuls 3 filaments sont représentés ici.

Le mécanisme de génération des filopodes reste une question ouverte [132]. "L’exten- sion convergente" décrit par exemple le filopode comme une extension du réseau branché du lamellipode [103]. Par effet stérique, certains filaments du réseau, allongés depuis la membrane par la formine ou ENA/Vasp, peuvent se rencontrer et croître parallèlement créant un pseudo-faisceau. Ce faisceau, stabilisé par des protéines de faisceaux telles

que la fascine [138], continue à s’allonger linéairement, jusqu’à déformer la membrane, créant ainsi un filopode [103] (voir figure 3.2.B). Cependant, d’autres études ont décrit des structures semblables aux filopodes malgré la suppression du complexe Arp2/3 et l’absence de réseau branché dans des cellules de fibroblastes [139]. Le mécanisme est donc encore à éclaircir [140].

Le lamellipode

Le lamellipode est une protrusion fine (≈ 0.2 µm d’épaisseur) qui se développe au front de migration de la cellule (ex : fibroblastes), dans le cadre d’une migration à deux dimen- sions. Cette protrusion est considérée comme un "membre" responsable du déplacement de la cellule.

Un exemple remarquable concerne les lamellipodes de kératocytes (cellules épider- miques de poissons), qui peuvent s’étaler jusqu’à 20µm [141]. La taille de leur lamellipode et leur faible adhérence au substrat permettent aux kératocytes de se déplacer avec une grande vélocité, jusqu’à 30µm/min [21].

Ce que l’on peut appeler globalement "lamellipode", inclut deux zones distinctes : le front du lamellipode et la lamella. Des images pionnières de 1971, prises en microscopie électronique, montrent la présence de deux réseaux d’actine, l’un densément branché au front du lamellipode et l’autre plus "lisse", en aval [141, 45]. L’intensité de l’adhé- sion au substrat [142] ou encore la dynamique moléculaire (quantifiée par imagerie de fluorescence en speckle [143]) dépendent de la zone du lamellipode que l’on observe.

Le front du lamellipode Partant de la membrane plasmique, le front du lamellipode

s’étale sur quelques microns seulement (1 à 3 µm [143]). C’est une zone hautement dynamique, comprenant un réseau branché. Les complexes Arp2/3, activés au niveau de la membrane, sont à l’origine de ce réseau. Ils assemblent les filaments à l’avant du lamellipode. S’appuyant sur le réseau branché grandissant, ces filaments exercent individuellement une force de l’ordre du piconewton [121] qui déforme la membrane plasmique au front avant, de manière à la pousser dans la direction de migration.

La protéine de coiffe est également présente dans ce réseau dense. Elle participe à la régulation du nombre de bouts barbés s’allongeant à partir du réservoir de monomères environnant. Son action contrôle aussi la longueur des filaments du réseau, inférieur en moyenne auµm dans la cellule [144]. Ils sont ainsi moins soumis au phénomène de flambage lorsqu’ils poussent contre la membrane.

De plus, on retrouve aussi la famille de protéines ADF/cofiline dans le lamellipode [141]. Selon des observations faites in vitro, la présence de protéines de coiffe au bout barbé [99]

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FIGURE3.3 Le lamellipode : la motilité par un réseau branché. Image de microscopie

électronique de cellule de kératocyte. On observe le réseau branché au front du lamelli- pode, très dense. Formé notamment grâce à l’action de branchement d’Arp2/3, c’est ce réseau qui peut exercer de grandes forces sur la membrane. Selon [45].

ou du complexe Arp2/3 au bout pointu [145] n’affecte pas l’action de désassemblage des protéines ADF/cofilines sur le réseau branché. Tous ces résultats indiquent que la famille de protéine ADF/cofiline stimule le désassemblage du réseau du lamellipode. Ce désas- semblage est impliqué dans le renouvellement des monomères d’actine pour alimenter les bouts barbés à l’avant du réseau, participant ainsi à son développement.

La lamella Selon Ponti et collaborateurs, la lamella s’observe derrière le front du la-

mellipode, où les filaments sont de plus en plus stables et le turnover de l’actine est beaucoup plus faible. Selon leurs observations, la lamella contient essentiellement de la tropomyosine et de la myosine [143]. La lamella possède donc des propriétés contractiles, permettant d’amplifier le turnover de l’actine lors de la migration [146]. La présence de la tropomyosine inhibe la liaison d’Arp2/3 et celle de l’ADF/cofiline de manière partielle. C’est notamment en se basant sur ces propriétés qu’en 2010, une étude propose un méca- nisme selon lequel la tropomyosine régule le réseau branché du lamellipode, et devient une protéine majeure pour contrôler la motilité [147].

L’initiation du lamellipode reste à clarifier. La génération initiale de filaments mères au front de migration, à partir desquels le réseau branché du lamellipode peut se développer, est sûrement due à l’activité de certaines formines. Comme récemment proposé, la for- mine de mammifère mDia1, s’ancrant au futur front avant du lamellipode, formerait les

premiers filaments sur lesquels se basent les premiers branchements, par action ultérieure du complexe Arp2/3 [148]. Chez les souris, la formine mDia2 pourrait également jouer un rôle d’initiation similaire pour les lamellipodes de cellules de mélanomes [149].

Les voies de signalisation

Les processus responsables de la locomotion décrits précédemment se déclenchent lorsque que la cellule est stimulée. Un signal de départ est traité à court et long terme, impliquant le remodelage du cytosquelette d’actine, nécessaire au déplacement. Cette stimulation peut s’accomplir par voie biochimique et/ou mécanique.

Signaux biochimiques Les facteurs de croissance, regroupant des protéines ou des

hormones, servent à initier le mouvement. Par exemple, l’acide lysophosphatidique (LPA), un phospholipide, peut se lier à des récepteurs membranaires, à l’extérieur de la cellule. Il est alors impliqué dans l’activation des GTPases de la famille Rho, facteurs pouvant lier des récepteurs transmembranaires [150]. Les GTPases de la famille Rho sont très impliquées dans l’initiation du filopode ou du lamellipode. On note Cdc42, Rac et RhoA comme GTPases essentielles [151].

Signaux mécaniques Telle qu’introduit dans le chapitre 2, la mécanotransduction tra-

duit la réponse de la cellule à la mécanique.

Initialement découverte, l’activation ou l’ouverture mécanique de canaux ioniques, permettant d’incorporer des ions calcium, joue un rôle dans la régulation du cytosquelette et des structures menant à la locomotion [152]. Récemment étudiée, la réponse de la cellule au calcium intervient sur plusieurs architectures à la fois, adaptant alors son comportement face aux contraintes, notamment mécaniques : le cortex se désassemblant, et la formine INF2 assemblant le réseau à proximité du réticulum endoplasmique [153].

La durotaxie [19, 154] est un exemple de signal mécanique influant sur l’état et le mou- vement cellulaire. Le réseau d’acto-myosine, composant les adhésions focales, participe à retransmettre la flexibilité du substrat, via les molécules transmembranaires intégrines. Cela serait lié à la phosphorylation de la tyrosine de protéines d’adhésions focales, partici- pant à une meilleure adhésion sur des substrats plus rigides [18]. Ce renfort d’adhésions focales est un phénomène majeur régulant la durotaxie [152].

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