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ETUDE LEXICOLOGIQUE DES DISCOURS

4.4.1. Révolution, facteur de l’indépendance économique

4.4.1.2. Qui mène la Révolution ?

Il y a dans le discours de Mobutu une référence obsessionnelle au Manifeste de la N’Sele. Cette "obsession" se justifie dans la mesure où le manifeste est la charte fondatrice de la Révolution. Il en constitue l’acte fondamental.

Suivant le prescrit du Manifeste de la N’Sele, la Révolution s’assimile au nationalisme dont le parti est le cadre d’encadrement et le peuple le centre d’action :

« La prise de conscience qui se manifeste dans toutes les couches de la population a été rendue possible par notre nationalisme, tel que défini dans le Manifeste de la N’Sele. Cette charte fondamentale de

notre Révolution nous enseigne de rester nous-mêmes […] » (Discours du 31 décembre 1969, D.A.M. , p. 484).

« Je vous salue. Et à travers vous, je salue la Révolution congolaise, le Parti, le peuple entier de notre cher Congo. » (Discours du 7 février 1968, D.A.M., p. 298).

C’est donc le peuple qui entreprend une Révolution conforme à l’authenticité ou au Nationalisme, qui s’organise dans un parti politique aux principes définis dans Le Manifeste de la N’Sele, comme nous le schématisons ici:

Manifeste

Parti

Révolution = authenticité/Nationalisme

Peuple

Peuple est un mot qui apparaît avec 121 occurrences, soit 0,10 de fr. rel.

Il est utilisé dans le discours de Mobutu à partir du 31 décembre 1965. Ses caractérisants sont les adjectifs qui, tantôt réfèrent à des nationalités : congolais/zaïrois (39 occurrences), angolais (1 occurrence), sénégalais (1 occurrence), britannique (2 occurrences) ; tantôt renvoient à l’action politique de changement entrepris au Congo/Zaïre sous la houlette de Mobutu : révolutionnaire (1 occurrence).

Le mot peuple, dans toutes ses occurrences, se manifeste comme un [N an + hum + concret], placé au centre des activités du Mouvement Populaire de la Révolution, de l’authenticité ou du Mobutisme. Mobutu sollicite l’identification du peuple au Mouvement Populaire de la Révolution et consacre l’identité significative et fonctionnelle entre celui-ci et celui-là, tous deux à la recherche de l’authenticité :

« […] le Mouvement Populaire de la Révolution s’identifie au peuple dont il cristallise la conscience nationale et dont il constitue le fer de lance. » (Discours du 21 mai 1970, D.A.M., p.27).

« Je voudrai parler de l’idéologie dont le Mouvement Populaire de la Révolution et le peuple ont besoin et que nous appelons l’authenticité. » (Discours du 15 août 1974, D.A.M., p. 526).

Dans le discours de Mobutu, il s’agit, selon toute vraisemblance, d’un peuple moins courageux, appelé à devenir fier ; un peuple désaliéné de l’influence néfaste de l’impérialisme. Il a le devoir de puiser les idées de son mieux-être dans une philosophie politique. Il est discipliné, épris de liberté, souverain et authentique:

« Un peuple peut être courageux, mais son courage ne suffit pas, il faut que le peuple ait une âme, il faut que ce peuple soit fier d’être lui-même, il faut que ce peuple se désaliène de l’influence néfaste de l’impérialisme. » (Discours du 15 décembre 1974, D.A.M., p. 543).

« Chaque peuple a donc besoin d’une philosophie politique dans laquelle il puise les idées de son mieux-être et de sa perfection. »

(Ibid, p. 544).

« Nous voulons que notre peuple soit discipliné. » (Ibid, p. 565). Ce peuple est congolais et se conforme aux exigences du parti. Il est victime des guerres fratricides et des ingérences extérieures. Il tient à l’unité nationale et il lutte contre la misère et le sous-développement. Son action consiste à servir et donc à travailler :

« Livré à des guerres fratricides et victime des ingérences extérieures, le peuple Congolais a pris conscience de la nécessité de s’unir et de ne compter avant tout que sur ses propres forces pour mener à bien le combat contre le sous-développement. » (Discours du 14 novembre 1969, D.A.M., p. 476).

« Vous invitez votre peuple à ne compter que sur lui-même, tandis que nous, nous l’appelons au "salongo", notre hymne au travail. » (Discours du 9 décembre 1974, D.A.M., p. 540).

« […] deux catégories de militants se créent au sein du Parti : d’une part, le peuple qui a compris et applique à la lettre le mot d’ordre du Parti "servir et non se servir […]" » (Discours du 24 novembre 1968, D.A.M., p. 364).

C’est de cette manière que se réalise l’harmonie entre le peuple et son Chef, une harmonie qui résulterait de la soumission inconditionnelle du peuple au Chef. Ne serait-ce pas pour étouffer le peuple ?

« Quand je demande à mon peuple de serrer la ceinture, il serre la ceinture ; quand j’exige la discipline, il se discipline […] » (Discours du 29 avril 1974, D.A.M. , p. 528).

Peuple, précédé du déterminant mon est un sujet au service du chef qui

lui dicte la conduite à suivre.

Sur le plan syntaxique, peuple apparaît en SN et en SP. Dans le SN, il est déclencheur de l’action verbale:

« […] un peuple révolutionnaire doit veiller sans cesse… » (Discours du 15 décembre 1974, D.A.M., p. 543) ;

« Le peuple congolais se réjouit toujours de constater que l’accession de son pays à l’indépendance nationale n’a pas été immédiatement précédée d’une guerre de libération » (Discours du 18 juin 1970,

D.A.M., p. 31) ;

« Le peuple congolais voudrait qu’il soit compris que, dans son pays, il n’y a ni opposition ni prisonniers politiques, mais une seule force unanimement orientée vers les tâches de reconstruction nationale » (Discours du 18 mars 1969, D.A.M., p. 432) ;

« […] le peuple congolais a pris conscience… » (Discours du 19 novembre 1969, D.A.M., p. 476).

« […] le nationalisme zaïrois authentique que je prêche sans relâche a été compris et apprécié par le peuple » (Discours du 15 août 1974,

D.A.M., p. 590).

Lorsqu’il remplit la fonction d’agent, peuple semble contribuer au maintien de l’idéologie du Mouvement Populaire de la Révolution. Néanmoins ses actions sont appréciées selon sa fidélité à l’idéologie qui régit le système en vigueur.

En tant que SP, peuple se transforme en source d’action positive pour la consolidation de la révolution, et de l’indépendance économique :

« Cette détermination exige de la part du peuple zaïrois, le respect de tous les compatriotes qui participent, à des échelons divers, à la consolidation de cette indépendance économique. » (Discours du 30 juin 1972, D.A.M., p. 226).

Nous pourrions réécrire cet énoncé de la manière suivante : - le peuple zaïrois doit respecter les compatriotes.

- le peuple congolais doit consolider l’indépendance.

« C’est pourquoi, l’heure est venue de rendre un hommage solennel au peuple congolais pour sa prise de conscience aiguë, pour son nationalisme, pour sa volonté de puissance qui l’anime et qui le conduit à être uni dans la lutte contre l’agression étrangère. » (Discours du 25 novembre 1966, D.A.M., p. 141).

- Le peuple congolais a pris conscience.

- Nous devons rendre hommage au peuple congolais.

L’histoire nous apprend qu’en 1966 le pays était déjà pacifié. Mais l’emploi du syntagme agression étrangère désignerait les pressions politiques que Mobutu subissait de la politique internationale.

Sur l’axe paradigmatique, peuple commute avec population et permet d’en établir l’identité sur le plan lexical :

« La Révolution s’est donc opérée dans la mentalité de notre peuple » (Discours du 24 mai 1972, D.A.M., p. 219).

« Nous sommes fier aujourd’hui de nous présenter à la face de l’Afrique et du monde sans complexe aucun, et cela grâce à une révolution profonde que nous avons opérée dans la mentalité de nos populations. » (Discours du 26 octobre 1972, D.A.M. , p. 238-239). L’établissement de cette identité explicite l’intérêt que Mobutu accorde à ces notions manipulables à souhait pour l’équilibre du régime. Peuple et

population ne seraient que des agents au service du Mouvement Populaire de la

Révolution.

Enfin, peuple, chez Mobutu, est un agent qui veille à la destruction de l’impérialisme et à l’affirmation de sa propre personnalité. Son rôle se concrétise dans son engagement à assurer la pérennité du Mobutisme par la pratique de la vigilance :

« Nous invitons le peuple à la vigilance révolutionnaire la plus absolue, afin de démasquer et de dénoncer tous ceux, nationaux ou étrangers qui se livrent à des actes de sabotage économique » (Discours du 24 juin 1967, D.A.M, p. 211).

Paraphrase : le peuple doit être vigilant. (Valeur déontique). Pratiquer la vigilance révolutionnaire, c’est servir la nation, mais aussi et surtout le parti de Mobutu, le Mouvement Populaire de la Révolution. C’est la raison pour laquelle Mobutu déclare :

« Le Mobutisme traduit avant tout le mariage entre le peuple zaïrois et son chef. […] C’est au peuple souverain qu’incombe le devoir d’assurer la continuité de l’œuvre que nous avons commencée ensemble. » (Discours du 15 août 1974, D.A.M. 1965-1975, p. 530).

Ainsi que nous l’avons déjà dit, le peuple est associé au MPR, allié à Mobutu qui prêche le nationalisme congolais/zaïrois authentique, soubassement de la continuité du Mobutisme.