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CHAPITRE I : DISCOURS ET HISTOIRE

1.2. Le discours lumumbien

A la date du 30 juin 1960, Lumumba prononce son discours historique à la séance solennelle de passation de pouvoir, devant le roi Baudouin. Ce discours paraît aux yeux des coloniaux comme un cri de guerre blasphématoire :

« Cette indépendance du Congo, […] c’est par la lutte qu’elle a été conquise, une lutte de tous les jours, une lutte ardente et idéaliste, une lutte dans laquelle nous n’avons ménagé ni nos forces, ni nos privations, ni nos souffrances, ni notre sang. Cette lutte, qui fut de larmes, de feu et de sang, nous en sommes fiers jusqu’au plus profond de nous-mêmes, car ce fut une lutte noble et juste, une lutte indispensable pour mettre fin à l’humiliant esclavage qui nous était imposé de force.

Ce fut notre sort en 80 ans de régime colonialiste ; nos blessures sont trop fraîches et trop douloureuses encore pour que nous puissions les chasser de notre mémoire, car nous avons connu le travail harassant exigé en échange de salaires qui ne nous permettaient ni de manger à notre faim, ni de nous vêtir ou nous loger décemment, ni d’élever nos enfants comme des êtres chers. Nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir parce que nous étions des Nègres […]. Qui oubliera enfin les fusillades où périrent tant de nos frères, les cachots où furent brutalement jetés ceux qui ne voulaient plus se soumettre au régime d’injustice, d’oppression et d’exploitation ». (P.P.L. :198).

Ce discours incendiaire fut une invitation du pouvoir à la masse populaire qui devait se libérer totalement de la soumission, de l’obéissance servile et de l’exploitation étrangère. C’est un réquisitoire contre l’impérialisme, une volonté

d’engagement à la lutte pour une indépendance sans restriction, une indépendance complète et totale.

Patrice Lumumba avait un idéal tel qu’il le déclarait le 6 février 1960 : « On a tout fait pour briser mon moral mais je sais que, dans tous les pays du monde, la liberté est l’idéal pour lequel de tous les temps, des hommes ont su combattre et mourir et j’ai fait le choix : celui de servir ma patrie ». (P.P.L., p.136).

Aussi le lumumbisme est-il considéré comme « le siège du nationalisme congolais, le seul : il est le centre nerveux de la conscience et le bras droit du Congo» (Passou Lundula, op.cit.: 251).

Dans son discours du 28 décembre 1958 à Léopoldville, Lumumba assigne au M.N.C. un objectif et une finalité :

« L’objectif du MNC est d’unir et d’organiser les masses congolaises dans la lutte pour l’amélioration de leur sort, la liquidation du régime colonialiste et l’exploitation de l’homme par l’homme […]. Le Mouvement National Congolais d’inspiration typiquement africaine a pour but fondamental la libération du peuple congolais du régime colonialiste et son accession à l’indépendance […]. Nous combattons pour la vérité et la justice ». (P.P.L., p.16 et 18).

Pour mener cette lutte de libération, le MNC utilise une arme susceptible de faciliter la victoire : la politique de la non-violence. C’est ce que Lumumba, prisonnier, affirme devant quelques journalistes peu de temps avant sa mort :

« Nous avons choisi pour notre lutte une arme : la non-violence. La seule arme qui permette une victoire dans la dignité et dans l’honneur. Notre mot d’ordre durant la campagne de libération a toujours été l’indépendance immédiate et totale du Congo ». (P.P.L., p.395). Cette non-violence dans la politique du neutralisme positif (Passou Lundula, op. cit : 396 ) constitue la base fondamentale de la doctrine de Lumumba comme il le dit à la tribune des Amis de Présence Africaine le 6 février 1960 à Bruxelles :

« Nous avons revendiqué l’indépendance immédiate du Congo. Toute la population était debout, toute la population exigeait l’indépendance immédiate et nous avons dit qu’à travers le pays, les hommes, les femmes et les enfants, nous allions tous nous mobiliser au service de la révolution congolaise, au service de la révolution pacifique, parce que notre doctrine, […] notre doctrine fondamentale est basée sur la non-violence ». (P.P.L., p.134).

Et il explique en août 1960, et avant son assassinat en 1961, le principe du neutralisme positif :

« Nous avons (également) opté pour la politique de neutralisme positif et dans ce neutralisme positif nous entendons entretenir des relations d’amitié avec toutes les nations qui respectent notre souveraineté et notre dignité sans s’ingérer dans nos affaires de quelque manière que ce soit » (Van Lierde, J., 1963 : 321/396).

Lumumba soutient ensuite que l’application efficiente de ces principes moteurs ne peut se concevoir en dehors d’un régime démocratique et de la vraie démocratie. Ce qui inspire le respect de la souveraineté et de la dignité de chaque peuple :

« Notre politique, c’est le neutralisme positif […]. Nous ne voulons pas sortir du régime colonial pour tomber sous une autre dictature. Nous ne voulons pas la dictature chez nous, nous voulons la démocratie, la vraie démocratie […] » (P.P.L. :271).

Le MNC dans son évolution a donné naissance à une multitude de partis qui se réclament de Lumumba. Leurs discours vont refléter de manière générale, dans leur diversité, les marques des options fondamentales de l’idéologie prônée par Lumumba ou, peut-être, entretenir des liens lâches avec celles-ci. Toutefois, la pensée du leader du MNC sera perpétuée par ses compagnons les plus fidèles retranchés dans le maquis après le 17 janvier 1961. Et le discours de Pierre Mulele le 2 décembre 1961, au Caire, reste opérant et suggestif :

« Nous ne pouvons affirmer que le Congo a pu véritablement bénéficier de son indépendance […]. L’impérialisme belge ne cesse de susciter des troubles et d’inciter ses agents au Katanga à œuvrer pour séparer cette province de la mère patrie congolaise. Grâce à cette

action, le colonialisme s’est installé au Congo sous le couvert des Nations Unies […]. Le peuple livre un combat héroïque en vue de sauvegarder son unité et son indépendance » (in Martens, L., 1985 : 108).

Ce discours réaliste constitue le clairon de la pensée lumumbiste sous la houlette de Christophe Gbenye, de Gaston Soumialot et, peut-être, de L.-D. Kabila pour son intransigeance sur le chapitre de l’indépendance nationale.

Déjà, en septembre 1964, Christophe Gbenye, président de la République Populaire du Congo, déclare :

« Nous, vos chefs, nous sommes là, notre devoir est de sauver la nation. Aussi, notre action n’est qu’une fidèle application du programme de Lumumba. Faites-nous confiance. » (L. M. n° 6, du mercredi 9 et jeudi 10 septembre 1964, p. 4).

De la même manière, en novembre 1964, dans son adresse à la population en vue de dénoncer les manœuvres belgo-américaines contre le peuple congolais, il affirme :

« Nous restons toujours sur notre ligne de conduite nous laissée par Patrice Emery Lumumba, celle d’assurer la sécurité des biens et des personnes. » (L. M., n° 17 du samedi 14 et dimanche 15 novembre 1964, p. 2).

Pour sa part, après avoir dégagé les erreurs (1) qui, selon lui-même et ses collaborateurs, étaient à la base de l’échec des rébellions de 1964, L.-D. Kabila crée le 24 décembre 1967 le parti de la révolution populaire, P.R.P. Ce parti préconise « les pensées et les idées démocratiques et socialistes-léninistes dans les esprits de ses partisans » (Wilungula B. Cosma, 1997 : 47-48). Il réunit tous les Congolais qui combattent la dictature, le capitalisme et l’exploitation sous toutes ses formes, et propose de faire du Congo-Zaïre un Etat socialiste.

1( ) Wilungula B. Cosma esquisse ces erreurs, dans FIZI 1967 - 1986. Le Maquis Kabila, à la page 47 et 48. Lui-même les tire de l’œuvre de C. Kabuya Lumuna Sando, ZAIRE : Quel

changement pour quelles structures ? Misère de l’opposition et faillite de l’Etat, Bruxelles, éd.

Africa, 1980, pp. 141 - 142. Les erreurs sont ainsi présentées :

1° manque d’éducation politique précise ; 2° compter sur les forces extérieures plutôt que sur ses propres forces ; 3° mener une guerre dénuée de sens et d’objectif ; 4° mener une guerre à caractère tribaliste et sectariste ; 5° manque de discipline, d’esprit d’équipe et d’entente ; 6° manque de compréhension mutuelle entre les combattants et la masse ; 7° mener une guerre sans parti révolutionnaire.