• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE I : DISCOURS ET HISTOIRE

1.1. Le contexte socio-historique

1.1.4. L’avènement de Mobutu

La deuxième République sera fondée sur une décision du Haut-Commandement de l’Armée Nationale Congolaise. C’est cet organe qui a destitué le président Kasa-Vubu le 24 novembre 1965. C’est lui qui a confié le pouvoir au général Mobutu ; c’est lui aussi qui a démis le général Mulamba de ses fonctions de Premier ministre. C’est cette césure qui marque la fin du pouvoir civil.

Au moment où l’armée prend le pouvoir, le Congo vit dans ce qu’il est convenu d’appeler un régime démocratique, en ce sens que l’exercice de la souveraineté nationale est confié à une Assemblée élue, représentative, du moins en principe, de l’ensemble des citoyens.

Après une brève transition qui voit se maintenir ce système, le régime glisse, en raison de l’ascendant que prend le Chef de l’Etat, vers ce qu’on peut désigner sous le nom de "monarchie", puisqu’un seul homme rassemble sur sa

personne non seulement les pouvoirs institutionnels, mais encore le pouvoir de fait sous tous ses aspects. Et derrière cette personnalisation presque charismatique de l’autorité politique, se développe une oligarchie qui trouve sa meilleure expression dans le Bureau Politique du Mouvement Populaire de la Révolution (MPR).

La dynamique politique sous la seconde République est caractérisée par un double mouvement : d’une part se manifeste l’irrésistible ascension du Mouvement Populaire de la Révolution (MPR), qui, plus tard, deviendra le Parti-Etat, tandis que de l’autre sont éliminés progressivement tous les contre-pouvoirs, actuels ou potentiels, susceptibles de faire pièce à cette ascension.

Ainsi, le nouveau régime a interdit toute activité des partis politiques. Dans son discours programme du 12 décembre 1965, le général Mobutu est clair : depuis le coup d’Etat, il a été mis fin "à la stupide lutte d’influence que se livraient les partis politiques. Pendant cinq ans, on ne fera plus la politique des partis dans le pays". Du même coup, tout un champ de déclarations, de prises de position, d’allégations se trouvent clos pour l’observateur. De même, la réduction du nombre de provinces : les vingt-et-une provincettes de la constitution de 1964 sont ramenées à douze (Gérard-Libois, J., 1967 ; Vanderlinden, J., s.d.). De même l’évolution du rôle du parlement et l’instauration du régime présidentiel ont abouti à une centralisation et à une moindre diffusion de certains types d’informations comme les enquêtes parlementaires sur les abus des pouvoirs provinciaux ou les tentatives de complot.

Dès le 9 janvier 1966 se constitue à Léopoldville un Corps des Volontaires de la République (CVR). Créée sous l’instigation du nouveau régime, l’organisation nouvelle se donne pour objectif principal "de promouvoir la conscience nationale et d’intéresser la population congolaise à la reconstruction du pays". Les premières cartes d’adhérents sont délivrées le 5 février respectivement au général Mobutu, à son parent J. J. Litho et à P.-H. Kabayidi, qui devient le personnage principal et l’animateur du CVR. L’adhésion du Chef de l’Etat au mouvement gonfle d’importance ses organisateurs qui n’hésitent pas à requérir par écrit le concours des autorités civiles et militaires dans le développement de leur action. Celle-ci s’étend d’ailleurs rapidement dans tout le pays, l’accent étant particulièrement mis sur la vigilance, c’est-à-dire la poursuite

Le vocabulaire politique

systématique de tout comportement des autorités locales et des étrangers jugé peu souhaitable. L’allégeance au Chef de l’Etat, proclamé second héros national, demeure entière et inconditionnelle. Enfin, le CVR continue à souligner son apolitisme fondamental, tout en esquissant, dans certains documents du séminaire, son éventuel rôle futur : celui d’un parti unique, qu’il soit dit d’avant-garde ou de masse.

Trois mois exactement après les premières assises du CVR, le général Mobutu annonce son intention de créer "un mouvement et non un parti unique, un mouvement dont le CVR n’est nullement l’embryon". Moins d’un mois plus tard, soit le 17 avril 1967, la création du MPR est annoncée officiellement. Les dirigeants du CVR ont compris d’où souffle le vent et le 26 avril, ils font adopter par une assemblée extraordinaire l’adhésion en bloc et inconditionnelle de leurs millions de militants au MPR. Cette manœuvre aboutit à la fois au sabordement du CVR et à sa renaissance instantanée sous couvert du MPR, puisque l’assemblée extraordinaire ouverte le 19 avril s’inscrit dans le cadre du MPR. Cette souplesse vaudra au président-fondateur et au secrétaire général du CVR de se retrouver respectivement 3ème secrétaire et directeur à l’éducation civique et à l’information du premier Comité du MPR.

Au début du mois de mai 1967, le MPR se dote d’organe dont l’un au moins sera appelé à jouer un rôle déterminant dans l’avenir politique du pays. Ces organes sont au nombre de trois : le Congrès, le Bureau Politique et le Comité Exécutif National. On constatera pendant ce temps une certaine coïncidence entre le personnel gouvernemental et celui du mouvement.

En octobre 1967, lors du premier remaniement du Bureau Politique et de la première définition des organes locaux du Mouvement, ces derniers coïncident parfaitement avec les organes administratifs à chaque échelon de la hiérarchie, ce sont le Gouvernement de province, le Commissaire de district et l’Administrateur de territoire qui président les Comités exécutifs du Mouvement dans leur circonscription.

A cette insertion du Mouvement dans les cadres existants du pouvoir, correspond un effort, certes réduit, pour se donner un programme. C’est l’objectif du Manifeste de la N’Sele publié le 20 mai 1967. Ce Manifeste de la N’Sele

constitue un point de départ essentiel. Il affirmait sur ses aspects strictement politiques :

− la restauration de l’autorité de l’Etat ; − le respect des libertés démocratiques.

Il exposait ainsi la principale option du parti, le MPR, qui deviendra le cheval de bataille idéologique du régime : le nationalisme congolais/zaïrois authentique, l’authenticité, le mobutisme.

Les invasions manquées du Katanga, en 1977 et 1978, accusent la faiblesse de l’armée de Mobutu qui mobilise des troupes étrangères (françaises, belges et même marocaines et sénégalaises). L’administration américaine, sous Jimmy Carter, encourage alors l’opposition d’une dissidence au sein du parti unique : treize parlementaires s’adressent en novembre 1980 à Mobutu pour lui réclamer l’ouverture politique. Leur lettre de 52 pages, sous forme d’un réquisitoire implacable, est largement diffusée. Les treize parlementaires rebelles sont loin d’être des révolutionnaires : certains d’entre eux, nous l’avons déjà dit, Marcel Lihau et Etienne Tshisekedi notamment, ont été membres du Collège des commissaires généraux, mis en place par Mobutu en 1960 après la destitution de Lumumba.

Les auteurs de cette lettre ont été, sans autre forme de procès, déchus de leurs privilèges parlementaires et arrêtés.

Interné à la cité de l’OUA, le 31 décembre 1980, au soir, J. Ngalula, auteur de la lettre ouverte, est rejoint le lendemain par "cinq autres co-auteurs et inspirateurs de la lettre : Tshisekedi, Lusanga, Makanda, Kapita et Kanana venus se constituer prisonniers à la résidence même du Chef de l’Etat" (Willame, J.-C., 1987 : 42). Au moment de la comparution entre les 9 et 13 janvier 1981, sept des treize parlementaires - Ngalula, Tshisekedi, Makanda, Kyungu, Kapita, Kanana et Lumbu - déclarent assumer pleinement la teneur de la lettre ouverte, alors que les six autres affirment, soit qu’ils n’avaient pas eu ou vu le document, soit que leur bonne foi avait été surprise, soit qu’ils étaient prêts à retirer leur signature.

Libérés sous la pression des organismes internationaux des Droits de l’Homme, certains se laissent séduire par les charmes du pouvoir tandis que

d’autres, parmi lesquels Tshisekedi, choisissent de rester fidèles à leur idéal (Ndaywell, I., 1998 : 759).

S’inscrit alors dans cette optique, une nouvelle initiative : la création d’un parti politique d’opposition le 15 janvier 1982, l’Union pour la démocratie et le progrès social, U.D.P.S. Par nécessité autant que par vocation, ce parti, qui devient très vite la principale force d’opposition, fait le choix de la non-violence, et se réfère aux idéaux démocratiques et au respect des droits de l’homme.

Dans sa conférence du 15 juillet 1982 à Bruxelles, Dikonda souligne la spécificité de l’UDPS : rejeter toute lutte armée, privilégier la non-violence, la négociation et la lutte démocratique (Willame, J. C., idem : 67). Emprisonnés, battus, relégués en province, ses fondateurs ont fait preuve d’un courage incontestable, et Tshisekedi sera sans doute le plus téméraire d’entre eux.

Ce n’est qu’en janvier 1988 que l’ambassade du Zaïre à Bruxelles fournit à la presse la lettre adressée le 17 janvier 1987 au Chef de l’Etat par Ngalula, Mpindu, Kibassa-Maliba et Tshisekedi. Le document déclare que le groupe a adhéré aux principes suivants : « l’oubli du passé, l’affirmation et le respect de la diversité d’opinions de même que la nécessité de la mise en œuvre de l’exercice de cette liberté et de sa libre expression mais au sein du MPR, et enfin le respect de son Chef de l’unité national ». Le groupe accepte aussi l’article 33 de la Constitution qui prévoit que le « MPR est la nation zaïroise organisée politiquement », que sa doctrine est le « mobutisme » et que tout Zaïrois est membre d’office du MPR (Ibid., 107).

Cet accord, dit "de Gbadolite", donne cependant lieu par la suite à deux interprétations différentes par les membres de l’UDPS. Pour Tshisekedi :

« le mot parti politique cesse d’être d’usage, s’agissant du MPR […]. Il n’y a plus que l’UDPS comme parti à l’intérieur du Zaïre. Notre souhait serait donc de voir le MPR redevenir un parti politique au sens français du mot en vue de participer avec l’UDPS à des élections libres desquelles le vainqueur formerait le gouvernement […]. Le principal accord à Gbadolite a consisté en ceci : le président Mobutu avait toujours reproché aux leaders de l’UDPS, non l’exercice de leurs activités, mais l’exercice de celles-ci en dehors de la constitution à

laquelle il avait prêté serment de fidélité. Les leaders de l’UDPS se sont donc engagés à se conformer dorénavant à cette Constitution » (Ibid.).

Une seconde interprétation, moins juridique, fut donnée par Ngalula. Selon lui, l’UDPS en tant que tel n’existait plus, mais ses partisans restaient attachés aux idéaux et valeurs qu’il représentait. Kibassa-Maliba, président de l’UDPS, déclarait quant à lui vouloir œuvrer à l’intérieur du "parti unique zaïrois" pour obtenir des changements et exiger pour ce faire un droit d’expression. Ngalula et Kibassa feront alors leur entrée au Comité Central en octobre 1987 pour négocier avec leurs pairs du Comité Central les modifications à apporter à la Constitution zaïroise.

Après une tournée de consultations populaires, Mobutu sera convaincu de l’ampleur du mécontentement du peuple. Aussi décide-t-il le 24 avril 1990, bon gré mal gré, dans un discours demeuré célèbre, d’abandonner le parti unique et d’ouvrir la porte à une deuxième formation politique. Cette ouverture sera dépassée par l’apparition de dizaines, puis de centaines de nouveaux partis dont la plupart sont des "partis alimentaires" du pouvoir (Braeckman, C., op. cit. : 310). L’ouverture de la Conférence nationale souveraine (CNS) le 7 août 1991 et la mise en place de son bureau définitif en décembre 1991 viennent confirmer l’irréversibilité du processus de démocratisation déclenché depuis le 24 avril 1990. Le 15 août 1992, E. Tshisekedi, leader de l’UDPS, est élu Premier ministre par l’Assemblée plénière de la Conférence nationale souveraine, à la majorité absolue. Et ce, conformément à l’Acte portant dispositions constitutionnelles relatives à la gestion de la transition.

Au moment où la transition démarrait, s’ouvrait une période de crise. Le programme mis en place subit la contestation virulente du président Mobutu et de l’ensemble de sa famille politique. Ce qui aboutit à l’élaboration d’une nouvelle charte de transition et à la constitution d’un nouveau parlement, le Haut-Conseil de la République Parlement de Transition (HCR - PT) ainsi qu’à la désignation d’un nouveau formateur en la personne de monsieur Kengo wa Dondo.

En août 1996, de son lit de malade à Lausanne, alors que le pays était déjà morcelé par les troupes de l’Alliance des forces démocratiques pour la

libération du Congo, AFDL, Mobutu ne cesse de caresser son ambition de rester à la tête du pays jusqu’à sa mort. Le 21 novembre 1996, après le pèlerinage du leader de l’UDPS à Cap-Martin, au chevet de l’illustre malade, la population attend de voir celui-ci reconnaître Tshisekedi comme Premier ministre. Ce sera finalement en dernière minute, le 18 mars 1997, après le désaveu de Kengo par un Acte de l’assemblée du HCR-PT que Tshisekedi redeviendra, pour quelques jours, Premier ministre. Mais il sera presque aussitôt remplacé par le Général Likulia Bolongo.

1.1.5. L’avènement de L.D. Kabila

Le changement apparent de régime va alors venir de L.-D. Kabila, quelques mois après un protocole d’accord signé à Lemera, près d’Uvira, le 18 octobre 1996, entre le PRP (Parti Révolutionnaire du Peuple) et trois autres formations : le Conseil national de résistance pour la démocratie, C.N.R.D. d’André Kisase Ngandu, le Mouvement révolutionnaire pour la libération du Zaïre, M.R.L.Z. de Masasu Nindaga et enfin, l’Alliance démocratique des peuples, A.D.P., de Déogratias Bugera. Ce fut la création des Forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre, A.F.D.L. avec L.-D. Kabila comme "porte-parole", en raison de son multilinguisme. Cette Alliance avait pour objectif "le démantèlement du pouvoir fasciste en place au Congo et l’établissement d’un régime démocratique véritable dont le peuple congolais avait besoin, à savoir un régime fondé sur une légitimité réellement populaire". Le mouvement se dote d’un président de fait, en la personne de L.-D. Kabila. Le président du Conseil Constitutionnel, Déogratias Bugera en devient le secrétaire général. Ngandu Kisase, assassiné le 6 janvier 1997, est remplacé au Commandement des Forces de l’Alliance par Masasu Nindaga.

La chute de Kisangani, le 15 mars 1997, où avaient été concentrés carburants, armements et mercenaires serbes, dissipe les dernières illusions d’une possible reprise en main de la situation militaire par les forces loyales.

Le samedi 17 mai 1997, un miracle se produit : l’entrée en force des forces de l’Alliance, les "Kadogo", dans la ville de Kinshasa. L. D. Kabila se proclame ainsi, à partir de Lubumbashi, Chef de l’Etat de la République Démocratique du Congo après la suspension de toutes les institutions publiques préexistantes.

Une nouvelle page de l’histoire est donc tournée. Et quelques mois après sa fuite, le dimanche 7 septembre 1997, Mobutu meurt au Maroc.

Le président autoproclamé imprime sa marche sur le destin du Congo. Il lance un mot cher à la nation depuis la deuxième République : "la reconstruction nationale" :

« Nous entendons créer une nouvelle société, juste et prospère, à travers une stratégie, la mobilisation du peuple tout entier autour de la reconstruction nationale » (Discours du jeudi 29 mai 1997).

Le nouveau président gouverne le pays à partir de l’intérieur, cherchant à instaurer un "Congo uni, grand et fort au cœur de l’Afrique, tel que le rêvait Lumumba. Ces aspirations justifient son attachement au panafricanisme et au tiers mondisme" (Passou Lundula, 2000 : 60-61). Il voyage en premier lieu en Chine, en Libye et à Cuba, au nom de la fierté nationale, de la solidarité anti-impérialiste et de la coopération Sud-Sud. Il instaure la politique hardie de compter sur ses propres possibilités et sa propre personne. Cette politique de l’autosuffisance nationale, soubassement de l’indépendance totale, gêne l’Occident. C’est ainsi que le 2 août 1998, une offensive rebelle, éclate en pleine ville de Kinshasa, la capitale du pays et dans trois autres villes : Bukavu, Kisangani et Goma. Les soldats rwandais avaient aménagé de nombreuses caches d’armes. Mais ce coup de force a été mis en échec grâce au soutien de la population, et aux efforts du gouvernement. A en croire le président L.-D. Kabila, l’origine du conflit serait « la volonté des Rwandais de dominer le Congo, d’avoir les Tutsis partout, dans toute la région, en provenance du Rwanda, de l’Ouganda et du Burundi, des pays où il n’y a pas de démocratie » (Sakombi, I., 1998 : 318).

L.-D. Kabila renforcera par la suite son pouvoir par la création d’autres structures institutionnelles, notamment le Comité du pouvoir populaire, C.P.P. Selon Passou Lundula (op. cit. : 64), le président L.-D. Kabila instaure "le culte du moi". Tous les postes clés dans le gouvernement, l’armée, la police, la Banque centrale, les services de sécurité, la magistrature et les forces paramilitaires sont entre les mains des Balubakat. Sur six cents officiers qu’il a nommés en 1999, cinq cents sont ses frères de tribu. Cette primauté accordée aux Balubakat dans la gestion du pays paraît être un phénomène insolite dans les annales de l’Afrique

post-coloniale. On sait néanmoins que le président L.-D. Kabila a été diabolisé et présenté par les firmes occidentales comme étant l’obstacle au sauvetage économique et à la restauration de la démocratie au Congo (Sakombi, I., op. cit., 29). Et sans doute à l’instigation des Occidentaux, Kabila sera assassiné par la garde présidentielle au matin du 16 janvier 2001 dans son propre palais.