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CHAPITRE I : DISCOURS ET HISTOIRE

1.4. Le discours tshisekedien

Le discours tshisekedien est né de la détermination farouche du leader de l'UDPS de chasser Mobutu du pouvoir au moment où le pays aspirait ardemment à un réel changement politique.

Au départ, Tshisekedi n'était pas un opposant au régime de Mobutu au sens strict du terme. Il a travaillé aux côtés de Mobutu depuis l'accession du pays à l'indépendance jusqu'en 1980, l'année de son exclusion de l'organe législatif et de sa relégation dans son village natal. N'a-t-il pas contribué efficacement au renforcement du régime dictatorial de Mobutu ?

Dans sa lettre du 10 avril 1967 au Président de la République, E. Tshisekedi ministre de l'intérieur écrit. :

Conformément à vos directives et à la lettre de votre message du 24 décembre 1966 au Congrès, j'ai l'honneur de vous soumettre un projet d'ordonnance-loi portant organisation territoriale, administrative et politique des provinces.

Le régime d'autonomie provinciale instauré d'abord par la loi fondamentale sur les structures du Congo, puis repris par les

constituants de Luluabourg n'a pas donné dans la réalité les résultats que l'on pouvait normalement en attendre [...]. Aussi est-il indispensable d'étendre davantage l'autorité centrale sur les provinces. La volonté du pouvoir central doit pouvoir être ressentie jusque dans le dernier des territoires [...]. Toutefois, l'exemple des actuelles entités décentralisées soumises à la tutelle du pouvoir central, nous apprend que le régime de la décentralisation n'est pas encore bien compris pour en escompter les bons résultats et que les autorités décentralisées ne se soumettent à la tutelle administrative qu'avec beaucoup de réticence. Aussi, le présent projet centralise-t-il entièrement les provinces. Celles-ci seront confondues dans la personnalité juridique unique de l'Etat. Leurs autorités seront nommées par le pouvoir central et soumis à son pouvoir hiérarchique.

Dans cette optique, le rôle de l'assemblée provinciale devient tout à fait différent. Elle n'exercera plus le pouvoir législatif. Le pouvoir législatif deviendra unique pour toute la République.

L’objet de ce projet est de mettre à la disposition du président de la République […] et du Gouvernement central des instruments puissants qui puissent rendre leur autorité et leur action efficace jusque dans les points les plus reculés du pays. (Moniteur congolais, no 8, du 15-4-1967, pp.293-294).

Membre du Collège des commissaires généraux en 1960, Tshisekedi fut un allié puissant de Mobutu. Et de la prise du pouvoir par le lieutenant-général Mobutu en 1965 jusqu'à la fin des années 70, il est considéré comme la deuxième personnalité du Nouveau Régime après le président. Il est d'abord ministre de l'intérieur, ensuite ministre de la justice avant de participer avec Marcel Lihau à la rédaction de la Constitution dite révolutionnaire de 1967. Cette constitution accordait des prérogatives à Mobutu et s'opposait à la réinstauration du pluralisme politique intégral au Congo.

En 1980, la lettre de 52 pages n'avait pas revendiqué l'instauration du multipartisme politique au Congo, mais « simplement le droit de créer une tendance au sein du MPR, tout en fustigeant la mégestion de la chose publique »

(Passou Lundula, op. cit.: 257). Ne serait-ce pas plus légitime de parler de dissidence ?

De la création de l'UDPS à l'entrée de l'AFDL, en passant par les assises de la Conférence nationale souveraine, le discours tshisekedien se réfère à la lutte, mais à une lutte véritable pour l'instauration de la démocratie par le respect des valeurs humaines. Il l’exprime lui-même en ces termes :

« Car, j'entends par gouvernement de la démocratie, celui où le peuple est associé directement à la gestion de ses intérêts suprêmes » (Discours du 15 août 1992, Z–A, n° 267, p.392).

Aussi, c’est grâce au procédé méthodologique de la non-violence que le discours tshisekedien préconise la lutte de libération du peuple de la dictature. Et il s’en explique :

« Comme tout pouvoir qui s'acquiert par la force, le régime qui s'ensuivrait serait une dictature sans Mobutu. C'est la raison pour laquelle nous n'avons pas été tentés de prendre les armes. Nous avons été obligés de mettre notre peuple dans la situation où il devait lui-même se défendre contre la dictature, lui-lui-même, avec la conséquence que cette lutte, qui devait lui coûter cher allait lui procurer la culture dont j'ai parlé. C'est-à-dire la maturité politique pour pouvoir exercer sa fonction de souverain primaire. Un peuple qui n'est pas passé par ce stage que nous avons appelé non-violence ne peut pas, après, désigner lui-même tous les dirigeants du pays à tous les niveaux » (Discours du 27 juin 1997, L. Pal., n° 965, p. 7).

Enfin, le discours tshisekedien dévoile que l'UDPS s'associe au peuple dans sa lutte pour chasser la dictature. Cette lutte pour le triomphe des aspirations profondes du peuple congolais devra aboutir au changement radical, symbole de défense de la démocratie, d'explosion du progrès social. C'est donc une aspiration légitime à la liberté et à la justice ; une aspiration vers l’avènement de la démocratie, la vraie, où le peuple serait associé directement à la gestion de la res publica.

CONCLUSION

Le cadre socio-politique du Congo / Zaïre favorise l’intelligence des faits discursifs par l’établissement des liens logiques entre le politique et le discursif. Lumumba a marqué la politique congolaise depuis 1958. Ses partisans Gbenye, Soumialot et Kabila ont emprunté théoriquement ses principes idéologiques : ils ont foulé aux pieds le neutralisme positif, corollaire de la non-violence. Mobutu a privilégié l’autocratie aux valeurs démocratiques traçant ainsi sa voie à partir des fondements idéologiques de Lumumba. Pour celui-ci, la démocratie supposait l’absence de colonialisme ; tandis que pour Tshisekedi c’était l’absence de dictature. Le leader de l’UDPS pensait ainsi matérialiser la notion de démocratie à travers sa lutte. Il estimait faire de l’état de droit, de la réconciliation et de la paix, ses préoccupations majeures.

Les discours des leaders nationalistes congolais portaient sur les mêmes notions ou concepts, mais l’histoire donnait à ceux-ci d’autres portées. Ce qui signifie que les mots fonctionnent selon les époques, l’idéologie, l’espace, les aspirations des peuples à un moment de leur histoire.

CHAPITRE II : ETABLISSEMENT DU VOCABULAIRE