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DES DISCOURS 3.0 Introduction

3.1. Situation de communication

3.2.1. Discours de Lumumba

Le discours de Lumumba se construit aussi sur l’alternance de je

-vous, qui réfère respectivement au locuteur et à l’allocutaire dans des énoncés. Ici

existe aussi l’opposition je vs vous vs nous. Et de cette opposition découle une équivalence entre nous et je par rapport à vous ; tant et si bien qu’on peut avoir la formule

Nous = Je vs vous :

« Je vous remercie au nom du Mouvement National Congolais d’être venus nombreux au premier meeting que nous tenons depuis la constitution de notre Mouvement » (Discours du 28 décembre 1958,

PPL, p. 13).

« Nous avons eu des difficultés pour faire comprendre au Général Janssens que l’indépendance du Congo ne serait pas totale si l’africanisation n’était pas complète, tant dans l’Administration qu’à l’armée. Nos propositions constructives ont été systématiquement écartées. C’est à la suite d’un refus identique de la part du collège exécutif général que j’ai été amené à donner ma démission de ce collège. J’ai toujours protesté contre l’incompréhension de l’Administration qui voulait donner au Congo une indépendance sans changer le moins du monde l’ancienne structure colonialiste » (Discours du 11 juillet 1960, PPL, p. 209).

Le pronom Je réfère au locuteur L. en tant que chef ou en tant que citoyen, mais, en tous cas, en tant que détenteur du pouvoir, Premier ministre. Je dénote les sentiments personnels et les sensations volontaires qui reflètent la désolidarisation du locuteur d’avec les participants à l’acte communicatif.

« Je veux attirer l’attention de tous qu’il est hautement sage de déjouer, dès le début, les manœuvres possibles de ceux qui voudraient profiter de nos rivalités politiques apparentes pour nous opposer les uns aux autres et retarder ainsi notre libération du régime colonialiste » (Discours du 22 mars 1959, PPL, p. 25).

« Il nous faut de la véritable littérature et une presse libre dégageant l’opinion du peuple et non plus ces brochures de propagande et une

presse muselée. J’espère que le "Congrès pour la liberté de la culture"

nous aidera dans ce sens » (Discours du 22 mars 1959, PPL, pp. 28

-29).

Ici apparaissent aussi les formes d’intimation à travers les expressions impersonnelles il est hautement sage de…, il nous faut…, qui traduisent l’engagement dans l’énoncé réalisé. Ces formules manifestent la volonté du locuteur de se poser en chef, en conseiller, en supérieur.

Nous pouvons remarquer que, dans le discours de Lumumba, je équivaut à l’énonciateur, président du MNC. Nous représente je + tu/vous (ils). Il s’agit dès lors d’un nous idéologique, qui se veut toujours collectif.

Cette alternance de je - nous du locuteur opposé à vous et l’emploi des tournures impersonnelles fondent dans ce discours une fonction polémique. Vous est ici le participant à l’acte de la communication : c’est avant tout le peuple et ses représentants réunis en Chambre des Représentants. C’est aussi les Occidentaux, les représentants de la presse internationale et l’ONU comme nous pouvons le trouver dans :

« La révolution française vous la connaissez, c’est avec le travail de chaque citoyen, de chaque citoyenne, que la France a été construite […]. Chers frères, chères sœurs, chers citoyens, voilà le message que

je vous adresse quelques heures avant le départ pour les Etats-Unis :

restez unis, buvez, amusez-vous, fêtez ce soir notre victoire […] » (Discours du 22 juillet 1960, PPL, p. 259).

« Messieurs les représentants de la presse, c’est avec plaisir que je me

trouve parmi vous pour vous parler des problèmes du Congo. Je suis venu aux Etats-Unis pour prendre contact avec le Secrétaire Général

des Nations Unies, lui exposer avec objectivité les causes des événements du Congo et demander son appui pour que les troupes belges quittent immédiatement le territoire de notre République […] » (Discours 25 juillet 1960, PPL, p. 261).

Lumumba considère l’objet du discours comme le concernant, lui et les siens, et marque sa volonté dans l’assomption des productions discursives : nous peut être l’équivalent de je ou de je + ils ; ou encore de je + vous + ils ; et référer

soit au président du MNC, soit au président et au peuple non favorable au régime, soit au Premier ministre et à tout le peuple congolais sans distinction. Par cet emploi inclusif de nous, le locuteur opère le voilement politique (Baechler, J., 1976 : 80), c’est-à-dire qu’il laisse passer les opinions personnelles comme appartenant au groupe auquel il appartient :

« Nous croyons pour notre part et nous nous basons ici sur

l’expérience vécue par d’autres pays africains -pourtant moins

développés que le nôtre au moment où ils prirent les rênes de leurs pays en mains- nous croyons donc que l’accession du Congo à l’indépendance stabilisera l’économie congolaise de même qu’elle constituera une garantie certaine pour les investissements étrangers » (Discours 28 décembre 1958, PPL, p. 17).

Il peut aussi représenter je + lui. Le je discursif exprime ainsi l’engagement personnel de l’individu Lumumba :

« Personnellement, j’ai beaucoup d’estime pour mon ami Kasa-Vubu.

Nous avons lutté ensemble pour la libération du Congo du régime

colonial » (Discours du 6 février 1960, PPL, p. 56).

« Pour moi, il n’y a qu’une voie. Cette voie, c’est le rassemblement

de tous les Africains au sein des mouvements populaires ou des partis

unifiés » (Discours du 22 mars 1959, PPL, p. 25).

A travers les fonctions expressives et métalinguistiques, les discours rapportés et les modalisateurs, Lumumba prend position et explique :

« Le Gouverneur avait cru que son règne était fini, parce qu’au lieu de l’acclamer, les Noirs de sa province m’acclamaient : « "Vive Lumumba ! Vive notre Ministre !" », il a été blessé dans son amour-propre, c’est pourquoi il a ordonné la répression ainsi que mon arrestation » (Discours du 3 novembre 1959, PPL, p. 91).

Ici le je est opposé à il qui réfère au "Gouverneur". Ce il est un représentant, un vrai pro-nom, qui anaphorise1 son antécédent.

1 Ici nous désignons "anaphorisation", à l’instar de Michèle Perret, (1994 : 63), la saturation référentielle par un élément du discours antérieur.

Mais il apparaît aussi dans le discours un nous prudemment général, un

nous a- référentiel, opposé au nous inclusif, et qui peut être équivalent de je + vous ou de je + ils :

« Pour ce qui concerne le Congo et les autres territoires non-autonomes, il n’y a pas de contrôle et chaque fois, par exemple, que la Belgique ou un autre pays est interrogé à ce propos, il est répondu "ce sont des affaires intérieures". Cela peut évidemment camoufler certains abus et nous avons dit : ce n’est pas parce que ces Africains ont été colonisés par les Allemands, et que les Allemands ont été chassés par d’autres après, que maintenant ce sont eux qui sont les mieux colonisés, parce qu’ils sont sous tutelle de l’ONU. Et nous avons demandé qu’un même statut régisse tous les territoires africains. Il faut qu’on puisse modifier la charte dans ce sens, parce que nous sommes des êtres humains au même niveau que les peuples des autres territoires africains » (Discours du 25 avril 1959, PPL, p. 37).

La structure syntaxique des énoncés permet aussi d’apprécier le degré de prise en charge, d’assomption des énoncés par Lumumba. Il s’agit ici de la segmentation en si… c’est que ou en c’est. Et à travers les éléments métalin-guistiques (notamment la focalisation) se construit un discours motivant :

« Si je m’adresse aujourd’hui au peuple belge au nom de la nation congolaise et du premier gouvernement que cette nation s’est donné, c’est pour parler comme on parle à un peuple ami, c’est pour faire connaître à vous tous qui m’écoutez, ce qui est vraiment le -Congo indépendant- c’est aussi pour apaiser les inquiétudes que la marche rapide des événements au cours de ces derniers mois, a pu faire naître dans vos cœurs (Discours du 29 juin 1960, PPL, p. 194).

« Ces réalisations magnifiques, qui font aujourd’hui la fierté du Congo indépendant et de son gouvernement, c’est aux Belges que nous les devons » (Allocution compensatoire du 30 juin 1960, PPL, p. 202).

Nous noterons aussi que l’emphase qui s’exprime par divers procédés textuels, porte ici sur les membres des phrases grâce à l’adjonction d’expression emphatique. Nous avons alors une emphase oppositive, portant sur Belges opposé à Nous (Congolais).

La récurrence des directifs et l’emploi des formes d’intimation déterminent aussi la tension. Ces formes d’intimation s’associent à la syntaxe pour provoquer une action du destinataire. Le désir du locuteur apparaît ainsi clairement : obtenir l’indépendance et continuer la lutte pour la paix, la construction du pays. Ceci est frappant dans l’emploi des modalités devoir et

pouvoir.

Le locuteur recourt aux déontiques en vue d’exprimer la nécessité de lutte pour conserver l’unité et l’indépendance nationale :

« Nous devons former un bloc pour prouver au monde notre fraternité […]. Les barrières territoriales doivent aussi être supprimées dans le sens d’une libre circulation des Africains » (Discours du 22 mars 1959, PPL, p. 29).

« Il faut que dans toute l’Administration territoriale les chefs de service soient des Congolais et que les Européens qui restent avec nous soient des conseillers techniques » (Discours 15 juillet 1960,

PPL, p. 216).

« En conclusion, la Conférence demande l’indépendance immédiate de toute l’Afrique et proclame qu’aucun pays en Afrique ne peut

rester sous la domination étrangère au-delà de 1960 […]. Nous

adressons un vibrant appel à tous les patriotes congolais, à toutes les associations et groupements organisés de s’unir autour du Mouvement National Congolais, sans distinction de tribu, de sexe ou de religion » (Discours du 28 décembre 1959, PPL, p. 16). Et davantage le locuteur suscite de l’espoir chez l’allocutaire à travers les promesses qui sont un moyen de l’engagement gouvernemental du processus de paix :

« Le gouvernement congolais ne tolérera pas que les troupes belges viennent au Congo sans notre consentement. En outre les troupes

qui s’y trouvent ne peuvent pas intervenir sans notre consentement et ne peuvent agir qu’avec l’approbation du gouvernement congolais » (Discours du 11 juillet 1960, PPL, p. 210).

Les promissifs se manifestent non seulement par l’emploi du futur dans ne

tolérera pas, mais aussi par l’usage de ne peuvent pas, un auxiliaire de mode du

possible en construction avec les verbes d’action intervenir et agir.

L’histoire nous apprend qu’une fois le Premier ministre informé de l’intention de la Belgique d’envoyer des troupes au Congo, il a pris contact avec les représentants de l’ONU et même de la Belgique au Congo pour leur exprimer l’opposition du Gouvernement à cet engagement militaire.

C’est donc engager sa responsabilité sur "l’existence d’un état de choses, sur la vérité de la proposition" (Kerbrat-Orecchioni, C., 1998 :20). Aussi apparaît nettement le caractère non seulement informatif mais aussi directif du discours.

Enfin, le discours politique de Lumumba est motivant. La tension est marquée par le jeu des pronoms, par des constructions emphatiques et par les modalités devoir et pouvoir. Mais la récurrence des directifs le rend informatif.

Lumumba veut amener les Congolais à s’engager dans la lutte pour sauvegarder l’indépendance nationale.