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Les revendications pour la décolonisation du Congo

CHAPITRE I : DISCOURS ET HISTOIRE

1.1. Le contexte socio-historique

1.1.1. Les revendications pour la décolonisation du Congo

L’histoire du Congo belge, depuis la deuxième guerre mondiale, est celle d’une décolonisation longtemps manquée. (Ki-Zerbo, J., 1978 : 528). Les années 50 voient poindre l’autodétermination des pays africains colonisés entre la fin du 19e et le début du 20e siècle. (Mukendi, G., et Kasonga, B., 1997 : 23) Les événements se précipitent. Diverses revendications émanent des syndicats de travailleurs dans les mines. Les élites apprécient mal l’arrogance de certains fonctionnaires belges, ainsi que la ségrégation qui conditionne toujours les rapports entre Blancs et Noirs.

L’année 1958 sera ainsi riche en événements : elle est celle de l’exposition universelle de Bruxelles où, dans les salles du pavillon d’hébergement des Africains, les Congolais se reconnaissent entre eux en même temps qu’ils prennent contact avec le reste du monde et singulièrement avec les autres Africains. (Ki-Zerbo, J., op. cit. 530).

1958 connaît aussi la Conférence Panafricaine des peuples réunis à Accra, où Lumumba, ancien fonctionnaire au service postal de Stanleyville, ensuite agent commercial d’une des brasseries belges locales, mis brutalement en contact avec les courants les plus brûlants du nationalisme africain, s’écrie à la tribune :

« A bas l’impérialisme ! A bas le colonialisme ! A bas le racisme, le tribalisme ! Vive la nation congolaise ! Vive l’Afrique indépendante ! » (Discours du 11 décembre 1958 à la conférence d’Accra).

Tel serait désormais l’essentiel du programme de Lumumba qui, de retour au Congo, réclame l’indépendance immédiate (Ki-Zerbo, J., op.cit. : 531). Les salaires demeuraient modestes, mais relativement élevés, puisqu’à travail égal, un Congolais gagnait environ le tiers du traitement d’un Blanc, « ce qui, compte tenu d’une différence de besoins, est remarquable, disent les coloniaux ». (Brassine, J. et Kestergat, J., 1991 : 12)

1958, c’est enfin le temps où Léo Pétillon, gouverneur général, tente vainement de codifier un statut qui donnerait aux plus évolués des Congolais des droits comparables à ceux des Belges, et assouplirait un "apartheid" de fait entre Blancs et Noirs, afin que les uns et les autres soient réellement des Belges à part entière.

Lumumba lutte au travers de diverses associations d’ "évolués" pour arracher certains droits en faveur des autochtones : l’Adapes, qui regroupe les anciens élèves des Pères de Scheut, ainsi que l’Amicale des Postiers indigènes de la Province Orientale (APIPO). Il se distingue aussi dans la rédaction de quelques articles de Presse et finit par prendre la tête d’un mouvement qui canalisera les revendications d’ordre politique de manière à mieux s’organiser lors des élections de 1958, le Mouvement national congolais, (M.N.C.).

L’Association des Bakongo pour l’unification, la conservation et le perfectionnement de la langue Kikongo (Abako), une association à caractère culturel, mobilisera aussi ses membres lors des échéances électorales qui concernent les communes habitées par les Noirs. L’interdiction et ensuite la répression qui suit le rassemblement des partisans de Joseph Kasa-Vubu ravivera les esprits et radicalisera la position des leaders. « Le roi Baudouin, dans un

discours du 13 janvier 1959, assigna l’indépendance comme terme du processus politique en cours. Il promit la réunion d’un parlement congolais élu au suffrage indirect en 1960, ainsi que l’intégration raciale ». (Ki-Zerbo, J., op.cit. :531).

Un an après, une table ronde belgo-congolaise est convoquée à Bruxelles. Tous les leaders politiques congolais y participent. Lumumba, qui avait été arrêté après les émeutes d’octobre à Stanleyville, peut y participer grâce à la requête expresse de nombreux délégués. Deux problèmes figurent à l’ordre du jour : le calendrier de la décolonisation et la constitution de l’Etat indépendant du Congo.

A l’issue des discussions, la date du 30 juin est fixée pour l’indépendance. Mais deux thèses relatives au régime s’affrontaient à propos du statut constitutionnel : le fédéralisme soutenu par Kasa-Vubu, qui prônait les Etats régionaux assez forts, coiffés par un pouvoir fédéral modéré, et l’Etat unitaire et fort, soutenu par Patrice Lumumba dont les vues prévalaient pour l’essentiel. Le Congo, d’après la décision de la Table ronde, serait une République parlementaire, avec un gouvernement central fort et six gouvernements provinciaux. Une loi fondamentale devrait régler les rapports entre les pouvoirs, tandis que la Banque Centrale du Congo demeurait sous contrôle belge.

Les élections de mai 1960 confirment la prépondérance nationale du MNC. Patrice Lumumba devient chef du gouvernement en coalition avec Jason Sendwe (Luba-Katanga), Joseph Iléo (Mungala) et Kasa-Vubu, qui est élu président de la République.

La première des journées de trahison a trait au discours du Chef de l’Etat, Kasa-Vubu, devant le parlement, le 26 juin 1960 : « discours qui n’a pas été soumis au gouvernement. Lumumba est en droit de considérer cet acte comme un affront, puisque, dans son exposé, le nouveau Chef d’Etat a esquissé les grandes lignes d’un programme de gouvernement. » (Willame, J.-C., 1990 : 95).

Pourtant, au terme de la Loi fondamentale, dans son article 20, il est expressément stipulé d’une part qu’aucun acte du Chef de l’Etat ne peut avoir d’effet s’il n’est pas contresigné par un ministre responsable, d’autre part que le Premier ministre conduit la politique de l’Etat.

Le même jour, Kasa-Vubu prend l’initiative de renouveler l’invitation au roi Baudouin de présider la cérémonie de passation des pouvoirs au Congo, sous

l’instigation du ministre des Colonies, Auguste De Schrijver, invitation qu’il lui avait remise personnellement alors qu’il n’était que doyen du collège exécutif au début juin. (Ibid.). Lumumba, à l’époque, s’était opposé à cette invitation, arguant le fait que la visite de Kasa-Vubu à Bruxelles était une manœuvre belge au moment où un formateur de gouvernement devait être désigné.

Le 25 juin, les autorités belges sont informées d’un "plan de proclamation de l’indépendance du Katanga" qui devait être mis en oeuvre le 28 juin 1960. Un ancien agent de la sûreté belge, François Scheerlinck, reconverti dans l’immobilier et qui a été envoyé de Bruxelles par Moïse Tshombe, est découvert en possession d’un billet d’avion aller-retour Elisabethville-Washington et d’un document qui l’accréditait en qualité d’ambassadeur spécial, chargé de mission à l’ONU pour le compte du "gouvernement de l’Etat du Katanga". Le document précisait que l’arrêté de nomination de François Scheerlinck serait établi le 30 juin "immédiatement après la passation des pouvoirs de la Belgique au gouvernement légalement constitué de l’Etat du Katanga" (Ibid. : 96).

A Léopoldville, la menace de sécession est prise au sérieux par le gouverneur général Henri Cornelis et le ministre Ganshof van der Merssch. Et la démission soudaine, le 26, d’un des ministres Katangais du gouvernement central, Evariste Kimba, donnait l’impression que quelque chose d’irrémédiable se préparait. Le 29, au cours d’une réunion informelle avec quelques ministres, Lumumba déclare qu’il aurait préféré, quant à lui, que la délégation belge soit conduite par le frère du roi. Selon J.-C. Willame (op. cit. : 95), Lumumba estimait que le roi aurait dû postposer sa visite en République du Congo jusqu’à ce qu’il y ait une invitation officielle du gouvernement congolais. Lumumba aurait offert alors au roi Baudouin le privilège et l’honneur d’être le premier Chef d’Etat à être accueilli au Congo.

Un sentiment d’exclusion, une sensation de complot larvé contre Lumumba et son gouvernement commençait, au matin du 29 juin, à prendre le pas sur toute autre considération. Un rapport catégorique de Thomas Kanza, envoyé à Bruxelles pour sonder les milieux belges sur les tendances sécessionnistes au Kasaï et au Katanga certifie :

« Des groupes influents en Belgique -religieux et financiers- étaient convaincus que Lumumba allait favoriser l’expansion communiste au Congo. Ils étaient déterminés à le démettre du pouvoir aussi vite que possible après le 30 juin et à reconstruire le Congo sur une base fédérale avec la coopération de Kasa-Vubu, Tshombe et Kalonji » (Kanza, Th., in Willame, J.-C., op. cit. : 102).

Alors que les Congolais se préparent à fêter la journée du 30 juin, le Premier Ministre Lumumba, informé qu’il ne prendra pas la parole lors de la cérémonie officielle, déploie toute son énergie et sa diplomatie pour convaincre le président de la Chambre, Joseph Kasongo, de lui accorder la parole. Ce dernier finit par acquiescer à la demande. Le Premier Ministre parle alors du haut de la tribune d’un "Congo Uni, prospère, où il fera bon vivre" tout en soulignant "la capacité des Congolais à gérer eux-mêmes les richesses immenses de leur pays ".

Ce même 30 juin, les militaires demeurent corvéables et taillables à merci, à toute heure du jour et de la nuit, alors que triomphent des hommes politiques, qui deviennent des chefs salués respectueusement y compris par les Blancs. Les soldats, pour qui rien n’avait changé, devaient continuer à obéir aux officiers blancs et à bénéficier de soldes modestes. Ils devaient de plus présenter les armes à tous les "nouveaux messieurs" faisant étalage d’un luxe éclatant, et bien souvent, d’une provocante suffisance.