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DES DISCOURS 3.0 Introduction

3.1. Situation de communication

3.2.4. Discours de Mobutu

Dans le discours de Mobutu, le nous et le je sont récurrents. L’énonciateur recourt à nous lorsqu’il prend la parole au nom du groupe, c’est-à-dire au nom du Mouvement Populaire de la Révolution, parti unique, au nom du gouvernement ou du peuple congolais tout entier comme nous pouvons le remarquer dans les énoncés ci-après :

« Nous devons voir l’avenir au Congo avec confiance » (Discours du 25 novembre 1965, D.A.M., tome 1, p. 14).

Nous correspond à je (= Mobutu) + vous (= le peuple, la communauté

« Nous pouvons aujourd’hui reconnaître avec fierté que nous fûmes prophète, car le peuple congolais et son armée ont remporté à Kisangani, à Kindu, à Bukavu et à Kisenge des victoires éclatantes » (Discours du 24 novembre 1967, D.A.M., tome 1, p. 269).

Ici le premier nous équivaut à je (= Mobutu) + vous (= la communauté nationale et internationale) ; et le deuxième à je (= Mobutu comme chef). Les allocutaires sont, comme nous l’avons dit, le peuple congolais et/ou ses représentants ; et la communauté internationale. Je et vous sont des protagonistes du discours.

De la prise du pouvoir en novembre 1965 jusqu’en 1967, Mobutu utilise le personnel inclusif nous. C’est seulement à partir du 20 mai 1968 qu’apparaît dans le discours le je, très personnalisé, comme lorsqu’il dit notamment :

« S’il me fallait résumer en une formule saisissante l’idéal du nationalisme authentique tel que le prône le Mouvement Populaire de la Révolution, j’emprunterais ces paroles célèbres que l’on prête à notre grand héros national Patrice Emery Lumumba […] » (Discours du 20 mai 1968, D.A.M., tome 1, p. 306).

Le je (me) réfère à Mobutu, individu, tandis que le Je renvoie à Mobutu comme théoricien du nationalisme.

Par l’emploi de je, l’orateur se désolidarise de vous pour prendre en charge son discours. Ce choix dans l’emploi des indices énonciatifs prouve bien la distinction que l’énonciateur opère entre Mobutu, chef de l’Etat, porte-parole du peuple congolais, et Mobutu, individu.

Je = le je du chef ou du Citoyen

Nous = nous collectif, idéologique (parti, Etat).

Comme nous pouvons le constater, le sujet parlant Mobutu, s’inscrit en permanence à l’intérieur de son propre discours et y inscrit l’autre, le vous, à qui il s’adresse, et qui est soit le peuple, soit le représentant d’un pays hôte :

« Je vous apporte le message de soutien, car, initiateur et animateur d’un grand parti national, j’ai la conscience aiguë de l’importance

que revêt ce genre d’assises » (Discours du 17 décembre 1969,

D.A.M., tome 1, p. 475).

« Je voudrais vous dire combien je suis sensible à l’honneur que vous m’avez fait en m’invitant à prendre la parole devant vous à l’occasion de ce congrès historique » (Ibid., p. 480).

Par cet emploi de la première personne, Mobutu assume totalement son énoncé. Le je/nous de l’énoncé et le je/nous de l’énonciation se recouvrent :

« Monsieur le Président,

Je me suis attaché à votre honorable compagnie, j’espère que vous

ne m’en voudrez pas » (Discours du 29 mars 1971, D.A.M., tome 1, p. 137).

Je désigne l’orateur - énonciateur. Par contre, nous est, soit opposé à vous

comme dans :

« Nous vous invitons donc à rentrer dans les campagnes et dans les masses, à les éduquer et leur apporter les enseignements de notre révolution » (Discours du 27 juin 1967, D.A.M., tome 1, p. 225) ; soit l’équivalent de je + vous comme dans :

« Vous et nous, nous ne faisons pas ce calcul. Notre seul souci est d’assurer au moins le minimum vital à toutes les couches de la population […] » (Discours du 10 janvier 1973, D.A.M., tome 2, p. 291) ;

soit encore le substitut de je, lorsqu’il est un nous de majesté :

« Nous supposons ici toutes les mesures qui ont été prises … » (Discours du 5 septembre 1966, D.A.M., tome 1, p. 116).

« Après avoir mis fin à l’anarchie et au chaos, nous nous sommes

attaqués à rétablir le fonctionnement de toutes les institutions

économiques et à entreprendre une série de mesures pour assumer la situation sociale et économique générale » (Discours du 22 février 1971, D.A.M., tome 1, p. 119 - 120).

Dans le discours de Mobutu, nous retrouvons aussi des adverbes d’opinion, les discours rapportés, les procédés d’emphase, les volitifs, l’interrogation et les énoncés performatifs. Ces derniers se répartissent en :

- directifs :

Par l’emploi des directifs, Mobutu veut imposer son univers conceptuel à ses concitoyens en tant que chef. Il apparaît comme un homme conscient de sa personnalité, de son autorité.

« C’est ainsi que désormais, j’autorise chaque commissaire d’Etat à s’absenter une fois par mois pendant trois ou quatre jours » (Discours du 30 novembre 1973, D.A.M., tome 2, p. 438).

« Nous vous le demandons en votre âme et conscience : si on avait trouvé des habitants sur la lune, eut-il fallu leur demander de payer ou de rembourser les dépenses aux terriens par la conquête de la lune ? » (Discours du 5 décembre 1972, D.A.M., tome 2, p. 263). Ceci reste une évidence par le fait que « les questions sont une sous catégorie de directifs, puisqu’elles sont des tentatives de la part de L de faire répondre A, c’est-à-dire de lui faire accomplir un acte de langage » (Searle, J.R., 1982 : 53). Autrement dit, « la demande de dire n’est qu’un cas particulier de la demande de faire. »(Martens–Baltar, M., 1977 : 38). Toute demande devient alors une manifestation de désir du locuteur de faire répondre l’auditeur à la question.

- expressifs :

Mobutu exprime par ces actes illocutionnaires son état psychologique dans les conditions de sincérité. Il passe pour un homme d’ouverture. Il s’exprime devant les réalités de la société en mutation :

« C’est pourquoi, je forme des vœux pour que les assises de Kinshasa de l’Association Internationale des critiques d’art soient historiques pour le Zaïre, l’Afrique et le monde » (Discours du 12 septembre 1973, D.A.M., p. 358).

« Je vous souhaite la bienvenue à la cité de N’Sele et je vous adresse le salut révolutionnaire du Mouvement Populaire de la

Révolution » (Discours du 15 septembre 1974, D.A.M., tome 2, p. 518).

- déclaratifs :

Par leur but illocutionnaire de provoquer une modification du statut ou de la situation, les déclaratifs révèlent l’étendue du pouvoir et les prérogatives de Mobutu. Celui-ci est chef de la Nation, chef du gouvernement et chef de l’armée nationale. Déjà ne s’est-il pas investi de tout pouvoir en République démocratique du Congo ?

« Le Lieutenant-général Joseph-Désiré Mobutu assumant les prérogatives de président de la République prend les décisions suivantes :

Le Colonel Léonard Mulamba assumera les fonctions du Premier ministre.

Pendant toute la durée durant laquelle le Lieutenant-général Mobutu exercera les prérogatives du président de la République, le Général-major Bobozo remplira les fonctions de Commandant en chef de l’Armée Nationale Congolaise » (Discours du 24 novembre 1965, D.A.M., tome 1, p. 16).

« Dans l’honneur et l’authenticité, je déclare officiellement que le lac Edward devra s’appeler Idi Amin Dada » (Discours du 16 juillet 1973, D.A.M., tome 2, p. 336).

- promissifs :

Les promissifs obligent Mobutu à adopter une conduite particulière dans le futur. Les promesses apparaissent comme une sorte de demande que l’on adresse à soi-même et qui se traduit en engagement. Elles suscitent de l’espoir chez l’allocutaire.

« Nous accepterons de lutter contre d’implacables ennemis pour conquérir notre bonheur et défendre notre place au soleil » (Discours du 25 novembre 1966, D.A.M., tome 1, p. 155).

« Comme d’habitude, je vous demande de me faire confiance. Jamais

je ne décevrai, jamais je ne trahirai notre Révolution » (Discours

du 4 janvier 1975, D.A.M., tome 2, p. 574).

Au-delà des capacités informatives du discours, les énoncés constatifs nous permettent de considérer le discours de Mobutu comme didactique : Mobutu enseigne la doctrine du Mouvement Populaire de la Révolution, le nationalisme congolais authentique.

« Notre Nationalisme est un humanisme communautaire, vous

disais-je, un humanisme de combat et non point de slogan, un humanisme

dans le travail » (Discours du 20 mai 1968, D.A.M., tome1, p. 308).

« Cette Révolution s’opère dans le cadre d’un nationalisme authentiquement congolais. Les faits ont prouvé que ce

nationalisme n’est pas étroit et ne se confond nullement avec le

chauvinisme. Ce nationalisme procède d’une prise de conscience du congolais et se traduit par sa volonté de se développer suivant ses valeurs propres. Ce nationalisme s’achemine naturellement vers un humanisme communautaire » (Discours du 16 septembre 1968,

D.A.M., tome 1, p. 351).

« C’est pourquoi il a rejeté toutes les préoccupations idéologiques pour s’orienter vers une voie propre : le nationalisme congolais authentique. La doctrine du Mouvement Populaire de la Révolution est, en effet, le nationalisme qui répudie toutes les idéologies d’importation » (Discours du 17 novembre 1969, D.A.M., tome 1, p. 476 - 477).

Mobutu cherche à provoquer une action ou à faire quelque chose par l’auditeur. Il veut imposer son univers conceptuel à ses concitoyens en tant que chef. Il est un homme conscient de sa personnalité et de son autorité. Son discours est didactique, directif, mais informatif : Mobutu produit un discours qui répond à des allocutaires au niveau théorique d’informations.