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Le Musée du Louvre fait l’objet de l’essentiel de l’attention par les professionnels des musées, les artistes et critiques d’art. Dès la fin de la guerre, le vieux palais est considéré comme obsolète et inapproprié pour recevoir des collections d’une telle importance, et il cristallise à lui seul les enjeux d’une rénovation des musées français253

.

Dans le numéro spécial de 1931 des CRLSA, cette problématique est abordée. André Lhote, artiste, théoricien et critique d’art, vilipende le musée en le qualifiant de

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121 « honte nationale »254. Il critique notamment l’entassement des œuvres et le manque de classement, qui dessert les chefs-d’œuvre, « empêtrés dans une gangue de toiles sans intérêt ». Pour lui, « un musée devrait être un endroit où le visiteur somnolent serait sommé de vibrer au contact des œuvres sublimes », et ces dernières sont mal présentées, serrées les unes contre les autres, placées au contact d’œuvres de moindre importance et donc peu mises en valeur. Il semble ainsi se rapprocher de la conception voulant une séparation des collections entre galeries de chefs-d’œuvre à la présentation esthétique et salles d’études où seraient regroupées des œuvres secondaires. Ces œuvres sont également selon lui dans un mauvais état de conservation, pas assez soignées, recouvertes de vieux vernis oxydés et de crasse, qui submergent les plus belles toiles du Louvre.

L’Exposition d’Art Italien de Cimabue à Tiepolo en 1935, lors de laquelle un

certain nombre d’œuvres appartenant aux collections du Musée du Louvre ont été transférées au Petit Palais, a fait ressortir par comparaison les défauts de la présentation des œuvres au Musée du Louvre, ce qui a été relevé par certains. C’est le cas de Paul Alfassa, membre du comité d’organisation, qui vante la qualité des ouvrages enlevés au Louvre, et salue leur présentation au Petit Palais, qui permet de les admirer dans de meilleures conditions : « Je suis de ceux qui tiennent le sombre Salon Carré et la Grande Galerie, avec son jour inégal et sa désespérante longueur, pour deux des endroits du monde les moins favorables à la peinture »255. De même, Louis Gillet vante les qualités esthétiques des œuvres empruntées au Musée du Louvre, et s’étonne qu’il ait fallu l’exposition du Petit Palais pour le remarquer : « Faut-il que l’installation du Louvre soit pitoyable, pour nous avoir laissé ignorer ce qui saute aux yeux ? La morale de cette expérience, c’est que la transformation du Louvre s’impose plus que jamais »256

. Il constate que le Louvre est un des musées les plus incommodes et retardataires d’Europe et d’Amérique, et s’interroge sur la difficulté à aménager un musée dans un palais, avec tous les inconvénients que cela implique. En 1935, les travaux d’aménagements ont déjà commencé depuis un plusieurs années, mais Louis Gillet pointe du doigt un problème difficilement solvable du Louvre : le manque d’espace, qui n’a pas encore été totalement réglé. Il aborde ainsi la nécessité vitale de procéder au déménagement du Ministère des Finances, qui augmente les risques d’incendie. Cette problématique liée au bon

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LHOTE André, « Le Louvre ou le mur derrière lequel il se passe quelque chose », CRLSA, 1931, p.273-277

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ALFASSA Paul, « L’art italien à Paris », La Revue de Paris, 1er juin 1935, op.cit.

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GILLET Louis, « Le triomphe du Louvre dans l’éclatante splendeur de l’exposition italienne à Paris », Le

122 aménagement du Louvre est récurrente tout au long de la période, abordée par divers acteurs du champ muséal, et on retrouve par exemple un article dans le Bulletin des

Musées de France en janvier 1937, rendant compte du transfert du débat à la Chambre des

Députés. Joseph Massé, membre de la Commission des Beaux-Arts, intervient vigoureusement afin d’encourager le départ rapide du Ministère des Finances du Pavillon de Flore, empêchant l’installation de la collection Edmond de Rothschild, du département des arts asiatiques et de l’achèvement des galeries de sculpture moderne :

Vous savez tous, messieurs, quelle importance il faut attribuer à la valeur éducative de nos grands Musées nationaux. […] Parmi nos Musées, le Louvre tient, sans conteste, la première place. Nous possédons au Louvre des merveilles plus nombreuses que dans aucun Musée du monde ; encore devons-nous donner aux conservateurs les moyens de les exposer dans les conditions de place et d’éclairage dont elles sont dignes. 257

Une proposition de résolution adoptée par la Commission annonce que le Pavillon doit être restitué au 1er janvier 1937, le Ministre des Finances assurant qu’il essaiera de tenir les délais pour le déménagement de ses locaux. Georges Maire, secrétaire général du Ministère des Finances, évoque ainsi la construction probable d’un « Palais des Finances aux lignes de l’an 2000 » sur les terrains laissés vacants par l’exposition de 1937.

Henri Verne, directeur des musées nationaux et de l’Ecole du Louvre, dans les

CRLSA, revient lui aussi sur les problèmes de l’aménagement obsolète du musée258. Pour lui, la méthode théoriquement la meilleure est celle du double musée, mais la France répugne depuis longtemps à l’appliquer pour différentes raisons : l’influence légitime des amateurs, des gens de goût, au cabinet de qui un musée se doit encore de ressembler ; l’opinion juste avançant que la chronologie topographique peut nuire à la mise en valeur même des œuvres, tandis que la comparaison ingénieuse et élégante a elle aussi sa valeur pédagogique ; la difficulté d’appliquer un système rigoureux aux vieux palais nationaux. C’est en ayant le réaménagement du Louvre en tête qu’il avait ainsi demandé en 1929 à l’architecte Auguste Perret de réaliser un projet de musée idéal, où cette bipartition des collections est réalisée. Pour Verne, il faut veiller cependant à ne pas créer deux musées trop distincts, comme s’il y avait deux publics rigoureusement étanches et cloisonnés. C’est pourquoi les modes d’exposition devront être voisins. Comme la plupart de ses collègues, Henri Verne émet lui aussi des réserves sur ce système concernant la sélection

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« La question du Pavillon de Flore à la Chambre », BMF, n°1, janvier 1937

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123 des œuvres à exposer dans la galerie de chefs-d’œuvre : qui décide qu’il s’agit d’un chef- d’œuvre ? Sur quels critères ? Selon lui, on ne doit pas accorder la vedette aux œuvres les plus célèbres seulement.

Après ces considérations théoriques générales, Henri Verne revient de façon pratique sur le réaménagement du Louvre. Le problème majeur du musée est son emplacement et le manque d’espace : il s’agit donc d’exposer moins d’œuvres, en opérant une sélection rigoureuse, mais dans de meilleures conditions ; il s’agit aussi de procéder à une répartition meilleure des départements, certaines salles d’un même département étant séparées et éloignées les unes des autres sans aucune logique au sein du musée. Il avance deux principes devant dicter la sélection : le Louvre étant un musée d’art, le critère esthétique devrait être primordial ; le Louvre étant le musée national le plus important, il ne devrait conserver que des œuvres ne faisant pas double emploi, des œuvres sans sosies.

Son avis est appuyé par celui de Pontremoli, membre de l’Institut et architecte du gouvernement, chargé des travaux architecturaux au Musée du Louvre259. Pour lui, le premier devoir des architectes chargés d’effectuer les travaux au Louvre est de connaitre ce qui a été fait dans les musées à l’étranger, notamment en Amérique et en Allemagne, deux pays exemplaires en termes de réaménagement moderne des musées. Mais Pontremoli reconnait les difficultés à appliquer la conception moderne du musée au cas du Louvre. Toutefois, la conception actuelle du double musée parait la seule acceptable. Il semblerait qu’en 1931 il ait été envisagé d’appliquer ce principe au Musée du Louvre, mais dans les faits la bipartition ne sera pas réalisée.

Henri Verne détaille dans plusieurs articles l’avancement des travaux de rénovation du Musée du Louvre, depuis 1927. Une première ébauche de projet de réaménagement est proposée dès 1926, et de modestes travaux sont entrepris entre 1927 et 1930. Henri Verne fournit en 1929 un plan complet, soumis à l’approbation du Directeur général des Beaux-Arts et du Ministre et publié à la fin de l’année 1929, qui prévoit ambitieusement l’occupation future de tout le palais, et des travaux plus importants sont réalisés.

Henri Verne prend position en faveur de la conservation du musée-palais, « une des œuvres prestigieuses de la volonté française », qu’il est possible d’adapter pour mieux

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124 présenter les collections260. L’avantage de conserver les collections au Louvre, par rapport à un édifice neuf spécialement construit pour sa destination, est que le bâtiment s’est doté au cours du temps d’une valeur sentimentale et spirituelle, et qu’il prépare le visiteur en le plaçant aussitôt dans l’état d’esprit historique qui convient. Henri Verne reconnait que les critiques envers le musée sont fondées et que la nécessité d’une présentation logique avec un classement des collections s’imposait pour augmenter le pouvoir éducatif du Louvre, renforcer son influence esthétique par une meilleure présentation. Il s’agit surtout de réussir à réaménager les collections selon des principes modernes tout en respectant le palais.

Henri Verne expose quatre principes qu’il convient d’appliquer dans les divers cas correspondants : si la salle est appréciée pour son décor historique, il faut la vouer au souvenir dont elle est digne, sans y introduire le Musée ; si la salle ne saurait être conservée pour elle-même, il s’agit soit d’en trouver l’affectation heureuse, soit de l’adapter exactement à la destination prévue par le plan d’ensemble, soit de la transformer selon l’ordre de ce même plan. C’est ainsi que certaines salles gardent leur décor historique, alors que d’autres adoptent un aménagement moderne, comme par exemple les salles du XIXème siècle261. La tradition du rouge pompéien sur les murs est abandonnée au profit d’une patine claire, les fenêtres bouchées auparavant sont rouvertes, et l’éclairage électrique est introduit petit à petit dans chaque partie du musée. L’espacement des peintures disposées sur un seul rang et la répartition très large des sculptures dans chaque salle sont appliqués le plus rigoureusement possible, mais face à la quantité de richesses conservées, « les œuvres moins favorisées par le renom ou la critique, sont visibles mais moins élégamment groupées »262. Il n’y a pas de bipartition à proprement parler, trop difficile à appliquer, avec une séparation nette entre chefs-d’œuvre et œuvres secondaires, mais cette distinction est tout de même réalisée au Louvre par le biais de l’accrochage. Dans le cas des départements archéologiques et du département des objets d’art, la bipartition n’est pas souhaitable, et c’est un accrochage strictement chronologique qui a été réalisé. Un itinéraire spécifique est mis en place afin de guider le touriste facilement à

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VERNE, « Le plan d’extension et de regroupement méthodique des collections du Musée du Louvre-Les travaux de 1927 à 1934 », Bulletin des Musées de France, n°1, janvier 1934

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Annexes XXV, XXVI. Ces dernières présentent en effet une verrière centrale diffusant un éclairage zénithal, les murs sont peints de couleurs claires et ne portent aucun décor, les tableaux sont disposées sur un seul rang et bien espacées, les sculptures mises en valeur au centre de la pièce

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125 travers tous les départements, d’un seul trajet et sans détours, afin de voir l’essentiel des collections du Musée du Louvre.

De nombreux articles rendent compte de l’avancée des travaux de rénovation et de réaménagement du Musée du Louvre, par le biais de revues françaises ou internationales. C’est le cas d’un article rédigé par Jacques Jaujard, Sous-directeur des Musées Nationaux, sur « Les principes muséographiques de la réorganisation du Louvre » et publié en 1935 dans la revue de l’OIM, Mouseion263

. Il reprend les mêmes éléments que ceux exposés dans les articles d’Henri Verne. Ce dernier est l’auteur de plusieurs articles sur le Louvre publié par la suite dans d’autres revues, comme dans la Revue de l’art ancien et moderne : « Le Louvre nouveau » et « L’aménagement des départements »264. Des rapports successifs sont effectués dans le Bulletin des Musées de France afin de rendre compte de l’avancée des travaux. Henri Verne y détaille ainsi « Les nouvelles installations du Louvre. Les travaux de 1934 à 1936 »265, cet article étant accompagné d’une série d’articles plus spécifiques sur l’aménagement de chaque département : « Nouvel aménagement des galeries de sculptures grecques » par Etienne Michon, conservateur ; « Les nouvelles salles égyptiennes » par Charles Boreux, conservateur ; « Les nouvelles salles de sculpture modernes » par Paul Vitry, conservateur. En 1937 d’autres articles détaillent les derniers aménagements : « Les salles de sculptures modernes éclairées »266 ; « Les travaux du Louvre »267 ; « Musée du Louvre. Nouvel aménagement des galeries de sculptures romaines » par A. Merlin268.