• Aucun résultat trouvé

Les références antérieures du côté français

Le principal exemple antérieur d’une exposition de ce type est donné par Italian

art 1200-1900 organisée à Londres en 1930. Des points communs sont à noter :

l’agencement des œuvres était essentiellement chronologique, mais les chefs-d’œuvre considérés comme les plus spectaculaires, c’est-à-dire des XVème et XVIème siècles, étaient réunis dans la grande galerie centrale, tribune d’honneur.

Un avis important concernant la muséographie de la partie ancienne de l’exposition au Petit Palais, tranchant de façon si importante avec celle du Jeu de Paume, est émis par François Gilles de la Tourette, membre du comité d’organisation. Gilles de la Tourette annonce que le plan de l’exposition et sa présentation avaient été conçus de manière différente à l’origine du projet. Le plan devait être rationnel et ne présenter que des chefs- d’œuvre dont les dimensions seraient susceptibles de s’accorder aux murs du musée, en évitant ainsi une « agglomération hybride », telle qu’elle peut être observée dans de trop nombreuses expositions. « Entre chaque tableau devait exister un intervalle de cinquante

148

Excelsior, 17 mai 1935, APP, boite VII, dossier n°45

149

79 centimètres environ ; les couleurs, les sujets étaient, de même, calculés pour former une sobre symphonie »150. S’agit-il d’une justification postérieure face aux critiques concernant la présentation, afin de se dédouaner de toute responsabilité dans le résultat final ? Sans doute ont-ils été obligés de changer totalement leurs projets suite au déluge de chefs-d’œuvre accordé par le gouvernement italien, dès lors que l’organisation de l’exposition s’est vue confiée en partie à un comité composé de personnalités italiennes et que les décisions ont été prises en commun. Gilles de la Tourette continue en mentionnant une exposition antérieure, celle des Chefs-d’œuvre du Musée de Grenoble, organisée entre janvier et mars 1935 au Petit Palais, et dont la présentation « nouvelle » aurait dû servir de référence pour l’Exposition d’Art Italien, ce qui n’a pas été le cas finalement.

Dans la note datée du 12 mai 1934, sans doute compte-rendu de la réunion du comité d’organisation qui s’était tenue le 8 mai 1934, les organisateurs donnent des précisions sur l’avancée du projet et ce qu’ils ont déjà planifié. L’organisation intérieure du Petit Palais devra tendre à la meilleure présentation : « Ces chefs-d’œuvre ne devront pas être entassés ; on aura le souci de les exposer dans l’éclairage le plus favorable à chacun d’eux, des “tribunes” seront aménagées, de façon à souligner les plus illustres de ces grands ouvrages »151. La volonté de ménager une tribune d’honneur au centre du parcours avec une sélection de chefs-d’œuvre, émane donc bien du comité français, et on peut y voir une influence du Salon Carré où étaient réunies les plus belles œuvres du Musée du Louvre, tout comme de la Tribune des Offices de Florence. Bien qu’une tribune ait été aménagée au Jeu de Paume pour la présentation des collections permanentes, ce n’est en revanche pas le cas lors de l’exposition.

Pour Jean-Louis Vaudoyer, membre du comité d’organisation de l’exposition, l’aménagement d’une tribune d’honneur est indispensable non seulement à toute exposition temporaire, mais également aux collections permanentes de tout grand musée : « ne pensez-vous pas qu’il devrait exister, à l’écart des longues galeries et des vastes salles, un petit cabinet, une sorte de tabernacle […] ? ». Cette tribune devrait

150

GILLES DE LA TOURETTE François, « Chefs-d’œuvre de la peinture italienne au Petit Palais », La

Renaissance, n°4-5-6, 2ème trimestre 1935, APP, boite VII, dossier n°47

151

80 être « soigneusement éclairé[e], tendu[e] d’un beau damas de pourpre»152, et on voit que cela a bien été réalisé dans la salle 15 du Petit Palais.

Selon Salomon Reinach, membre de l’Institut, conservateur des Musées Nationaux, qui rédige un article dans le CRLSA153, l’encombrement est décourageant pour le visiteur, il réduit la valeur pédagogique des chefs-d’œuvre, qui doivent être exposés à une place privilégiée. C’est cette volonté qui préside à l’aménagement du Salon Carré, la Tribune de Florence. Il donne en exemple les musées de Cherbourg et d’Orléans, encombrés, mais ayant la possibilité de créer des salles d’honneur. Pour lui, il semble primordial qu’un musée procède à l’aménagement d’une tribune d’honneur, même si le reste des salles est encombré. C’est effectivement ce phénomène que l’on observe au Petit Palais. Sans doute les organisateurs auraient voulu présenter les œuvres de façon plus aérée, mais dépassés par le nombre ils ont dû les accumuler dans des espaces confinés. Cependant, un grand espace a été tout de même réservé pour aménager un salon d’honneur, au centre du parcours, et les tableaux sont disposés sur un seul rang, plus espacés que dans le reste des salles, afin de mettre en valeur ces chefs-d’œuvre.

Dans le choix des tissus colorés, les organisateurs ont essayé de créer une harmonie avec les œuvres exposées. On a pu noter que la couleur était différente dans chaque salle, en fonction de l’atmosphère se dégageant de la peinture de l’époque concernée. Le gris a été choisi pour les Primitifs, afin de renforcer la neutralité du décor architectural, pour mettre en valeur la sérénité de ces œuvres religieuses. A l’opposé, du rouge cramoisi est placé dans le salon d’honneur. Ce choix dérive de la présentation des siècles précédents, où l’on pensait que la couleur qui mettait le mieux en valeur les œuvres était le rouge dit « pompéien », qui fleurissait dans tous les musées, et plus particulièrement dans les tribunes, comme au Salon Carré ou aux Offices. Dans les années trente, cette couleur est pourtant extrêmement décriée par la plupart des professionnels de musées, mais elle a été choisie au Petit Palais afin de renforcer l’impression de faste qui se dégage de ce type de dispositif. Par ailleurs, toute la problématique autour de l’harmonie qui doit s’établir entre l’architecture, le décor et les œuvres exposées est mise en avant à ce moment là, et s’oppose à l’extrême neutralité prônée par la muséographie moderne.

152

VAUDOYER, « Adieu aux italiens », Nouvelles littéraires, 27 juillet 1935, APP, boite VII, dossier n°46

153

81 Nous développerons plus loin ces deux conceptions, ce qui permettra de mieux appréhender l’opposition entre l’aménagement du Petit Palais et celui du Jeu de Paume.

Le point de vue français venant d’être abordé, il est important à présent de mettre en lumière le point de vue italien.