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En ce qui concerne l’Italie, deux réaménagements récents préoccupent principalement les professionnels du secteur muséal. Il s’agit du réaménagement selon les principes de la muséographie moderne de la Galleria Sabauda244 et de la Galerie d’Art Moderne245 de Turin. Ces deux exemples sont effectivement très commentés lors de la conférence de Madrid de 1934, ainsi que dans la revue Mouseion la même année.

La nouvelle Galleria Sabauda de Turin fait l’objet d’une analyse dans la revue

Mouseion, par G. Pacchioni246. Cette galerie royale de Turin avait été aménagée avant 1899 par le Comte Alexandre Baudi de Vesme, et présentait les caractéristiques suivantes : classification rigoureuse par écoles avec prédominance de la peinture du XVIIème siècle ; disposition des tableaux sur deux et souvent trois rangs, par groupes symétriques, en veillant à la correspondance des dimensions, du cadre et du sujet ; murs à fond rouge. On a la chance par ailleurs d’avoir un témoignage de cet ancien aménagement grâce aux photographies parues dans Mouseion, où on peut effectivement observer l’entassement et la disposition symétrique des tableaux sur les murs des salles. Il n’y eut aucun changement pendant trente ans, c’est pourquoi une réorganisation totale inspirée par

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KOECHLIN Raymond, « Médecine ou chirurgie ? », CRLSA, n°13, 1931, p.235-243

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Annexes XXII, XXIII

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Annexe XXIV

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115 des idées plus modernes s’imposait. Le principal problème de cette collection est son éclectisme, ce qui a par conséquent influencé le choix du programme de réaménagement, comme nous l’explique Pacchioni :

Avec un tel choix de tableaux, le seul principe admissible pour leur arrangement nous a paru être le principe esthétique, appuyé sur une connaissance précise des rapports historiques, […] mais esthétique non pas parce qu’on se préoccupe de donner une disposition agréable aux œuvres exposées, […] mais esthétique de par le souci de donner à chaque objet son maximum de valeur. Dans une œuvre d’art, nous estimons qu’il faut tenir compte avant tout de ces qualités qui font qu’à travers les siècles, on l’apprécie comme une œuvre de beauté, laissant au second plan, sans toutefois le négliger, l’élément rareté, valeur documentaire ou importance historique particulière dans un cycle artistique donné. Toutes ces qualités peuvent être et sont infiniment précieuses pour l’érudit, mais elles ont moins de valeur pour les visiteurs de musées auxquels on doit offrir, avant tout, ce plaisir esthétique intégral, cet enrichissement et affinement du goût que peut procurer l’œuvre d’art.247

L’application de ce principe a pour conséquence la subdivision de la galerie en deux parties : d’une part une vingtaine de salles qui constituent la « véritable galerie », et d’autre part six salles appelées « salles d’étude et de consultation », spécialement destinées aux érudits, mais également accessibles au public, sans aucune formalité spéciale. Les avantages de ce type d’aménagement sont ainsi détaillés par Pacchioni : les tableaux se retrouvent avec un espace trois fois plus grand ; les magasins ou réserves ont été supprimés, puisque les œuvres secondaires ont toutes été disposées dans les salles d’études ; la subdivision par écoles est abandonnée ; la sélection des œuvres exposées dans la « véritable » galerie est plus sévère et ne comprend que des chefs-d’œuvre. A l’éclairage « monotone et désagréable » venant d’en haut, remis en question également lors de la Conférence de Madrid par certains conservateurs et directeurs de musées, on a ajouté un éclairage latéral. Concernant le couleur des murs et le décor, problématique fondamentale de cette période, Pacchioni explique que les murs sont traités en teintes claires et neutres, accordées à la tonalité des tableaux ; l’ameublement est simple et moderne, ne rappelant pas le style des œuvres exposées.

On constate ainsi que l’aménagement des salles s’est fait en respectant la bipartition et la neutralité vantée théoriquement par la majorité des professionnels, ce qui explique que les italiens mettent en avant cette nouvelle disposition. Pacchioni insiste d’ailleurs sur le fait que cette conception soit reconnue et défendue par la plupart des directeurs de musées d’Europe et d’Amérique, notamment lors de la Conférence de Madrid, et qu’en dépit de

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116 cette concordance théorique, les réalisations pratiques accomplies sont très rares. Selon lui, les musées sont pour beaucoup responsables du mauvais goût régnant, ainsi c’est aux musées qu’il advient d’éduquer et d’affiner le goût du public. La tendance actuelle de la plupart des directeurs est de réaliser un accrochage didactique, Pacchioni citant en exemple la Pinacothèque du Vatican, alors que ce type est à réserver aux collections historiques illustratives et non aux galeries dont le précieux patrimoine est constitué par les œuvres d’art des grands maitres.

Lors de la Conférence de Madrid, la réorganisation des collections de la Galleria Sabauda de Turin est également abordée, en appendice de l’intervention du directeur du Victoria and Albert Museum de Londres, Sir Eric Mac Lagan248. En effet, la récente réorganisation de cette galerie présentant un certain nombre de caractéristiques et s’inspirant de principes qui peuvent illustrer les idées que Mac Lagan a exposées dans son intervention générale, l’OIM a choisi de résumer dans ce contexte l’étude de G. Pacchioni parue dans le volume 27-28 de Mouseion. Un certain nombre de photographies du nouvel aménagement accompagnent cet appendice dans le compte-rendu de la Conférence de Madrid.

En réalité, grâce aux photographies parues dans la revue et dans ce compte-rendu, on peut nuancer cette soi-disant « modernité » vantée par Pacchioni pour son musée. On peut voir déjà qu’il existe une véritable différence d’aménagement entre les salles italiennes et les salles hollandaises, celles-ci se rapprochant plus de la description faite par Pacchioni dans son article. Ces dernières sont d’ailleurs celles qui sont le plus mises en valeur par le biais de Mouseion et du compte-rendu de la Conférence de Madrid, puisque qu’il y a un plus grand nombre de reproductions de ces salles des maitres hollandais du XVIIème siècle. Nous reviendrons un peu plus tard sur cette différence d’aménagement. Malgré cette volonté de modernité affirmée dans les galeries d’exposition, les salles d’études quant à elles présentent un dispositif qui se rapproche assez de l’ancien aménagement, poussé à l’extrême. Les peintures sont accrochées sur le mur du sol au plafond, espacées seulement de quelques centimètres, et la symétrie semble également avoir eu une influence sur la place des tableaux.

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117 Une autre réorganisation italienne est citée en exemple pour son nouvel aménagement moderne : celui de la Galerie d’art moderne de Turin. Vittorio Viale lui consacre un article dans Mouseion249. Cet édifice, élevé à l’occasion de l’exposition de 1880, a tout d’abord subi un renforcement complet de sa structure et un renforcement de la toiture pour éviter les infiltrations et les déperditions de chaleur. Ensuite on a procédé au remaniement de ses collections et à un réaménagement important de ses locaux. L’éclairage et la décoration des salles ont été renouvelés, « de manière à répondre aux principes modernes d’une exposition claire, sobre et intelligible »250. De grandes sculptures ont été placées dans le grand hall qui succède à l’entrée ; les autres œuvres et surtout les sculptures sont disposées dans une succession de salles, selon l’ordre chronologique, tout en faisant des regroupements par école ou par idéal artistique commun lorsque cela est possible. Les peintres étrangers sont réunis dans une salle à part, « qu’il faudra grossir pour montrer plus clairement encore les affinités de la peinture contemporaine du pays avec celle de l’étranger, et particulièrement, de la France »251. L’aménagement des salles et la

disposition des œuvres sont assez semblables à ceux du Musée du Jeu de Paume. Les tableaux sont bien espacés sur les murs peints en blanc, et disposés sur un seul rang ; quelques sculptures sont présentées également dans les salles de peintures, éclairées par en haut ; aucun ameublement n’est présent hormis quelques bancs en bois s’accordant avec le parquet. On peut dire qu’au point de vue de la décoration, très neutre et épurée, cette Galerie d’Art Moderne est plus proche des critères définis comme « modernes », que la Galleria Sabauda. Comme on a pu l’observer plus haut avec le cas du Musée du Jeu de Paume et du Petit Palais, il semble qu’une galerie d’art moderne implique nécessairement une présentation plus rigoureusement « moderne », avec une architecture intérieure et un décor très épurés, un espacement plus important des œuvres, des couleurs neutres sur les murs, le plus souvent peints en blanc.

On peut voir que les professionnels italiens mettent volontairement en avant ces deux réaménagements muséaux afin de les faire rayonner à l’étranger par le biais de l’OIM, à la fois à travers des articles dans la revue Mouseion, et grâce à la Conférence de

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VIALE Vittorio, « La réorganisation de la Galerie d’art moderne de Turin », Mouseion, volumes 25-26, n°1-2, 1934

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Ibid., p.111

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118 Madrid. Il s’agit pour l’Italie d’affirmer internationalement le renouvellement de ses institutions culturelles.