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Dans les années trente, un réseau d’échanges artistiques se mettait progressivement en place à l’échelle européenne, et il fut démultiplié par les organisateurs de l’Exposition

d’Art Italien de 1935. En effet, en plus de la France et de l’Italie, treize nations ont

participé à cette manifestation artistique internationale, et au total, environ quatre cent quatre-vingt-dix peintures dont trois cent quarante provenant d’Italie, cent dix sculptures, deux cents quarante dessins, six cents objets d’art furent exposés au Petit Palais. Le déplacement massif de ces chefs-d’œuvre est justifié par le fait qu’ils font « déjà partie du patrimoine commun de l’humanité »181

. Les manifestations internationales de ce genre, impliquant le voyage de nombreuses œuvres anciennes et fragiles ont plusieurs aspects positifs, pour les historiens et le grand public. Elles permettent d’effectuer des comparaisons inédites entre des œuvres jusqu’à présent dispersées, ce qui n’était possible auparavant qu’avec des photographies en noir et blanc, des gravures ou la mémoire ; elles rapprochent le public des productions artistiques d’une autre culture ; on a vu aussi précédemment qu’elles sont l’occasion de procéder à des restaurations.

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STERLING, « Exposition de l’art italien au Petit Palais », BMF, 1935, op.cit.

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91 D’importantes mesures sont prises afin de garantir la bonne conservation de ces chefs-d’œuvre durant le voyage. La règle appliquée pour leur venue a été la même pour le retour également. Avant toute chose, il a été décidé de renoncer à l’avion, pourtant « cher aux collectionneurs anglais »182, puisqu’il secoue trop les œuvres. La France a donc fait confiance au chemin de fer pour les acheminer, et a jugé plus prudent également, en ce qui concerne l’Italie, pourvoyeuse de nombreuses œuvres, de procéder à des transports partiels et successifs, plutôt qu’à un seul convoi. Les caisses sont placées dans des wagons, attelés aux trains normaux, accompagnées par des attachés à la conservation des musées italiens et français, et protégées par des forces policières et militaires. Une fois arrivées en gare de Bercy, les caisses sont transportées au Petit Palais et au Jeu de Paume par des camions des Musées Nationaux, tandis qu’un préposé des douanes les vérifie en chemin, afin de ne pas ouvrir et retenir les caisses en gare. Les mêmes précautions sont prises pour les expéditions venues des autres pays européens. Pour les œuvres de dimensions trop importantes, et ne rentrant donc pas dans les wagons, il a fallu trouver d’autres moyens. Dans le cas de La Vocation de Saint Matthieu du Caravage, de l’église Saint-Louis-des- Français de Rome, on a voulu l’expédier par bateau entre Ostie et Marseille, puis l’acheminer à Paris par camion183, mais face à l’ampleur des difficultés le projet a été

finalement abandonné. D’autres œuvres de dimensions trop importantes ont été convoyées dans des fourgons par la Milice Ferroviaire Italienne. Entre le 7 et le 15 avril, les tableaux italiens commencent à arriver au Petit Palais et au Jeu de Paume184. Le retour des œuvres est effectué de la fin de l’exposition jusqu’au 15 août185.

Afin de procéder au transport de toutes ces œuvres, elles sont d’abord emballées avec les plus grands soins afin d’assurer leur protection matérielle lors du voyage. Plusieurs articles et documents nous donnent des indications précieuses sur les conditions d’emballage des œuvres durant cette période.

Concernant les tableaux, les toiles et les cadres sont tout d’abord séparés, entourés de plusieurs couches de papiers de soie pour les protéger de la poussière, puis disposés dans des caisses en bois sur une couche d’ouate186. Pour certaines œuvres, comme le

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LECUYER, « Le voyage des chefs-d’œuvre ambassadeurs de la latinité », Le Figaro, 24 mars 1935, op.cit

183

Ibid.

184

Ibid.

185

« Au Petit Palais on emballe », Le Figaro, 23 juillet 1935, APP, boite VII, dossier n°46. Annexe XX

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Crucifix de Giotto, un cadre de verre est prévu en plus pour protéger cette œuvre très

fragile.

Dans un article paru dans Mouseion, Piero Sanpaolesi, restaurateur italien, détaille les conditions de transport et l’emballage des objets pour l’Exposition d’Art Italien de Paris :

Les tableaux, les sculptures, au nombre de 56, et les nombreux dessins et objets d’arts mineurs, tels que les livres, des pièces d’orfèvrerie, des tapisseries, des étoffes, des pièces de mobilier, ont rempli quinze wagons de chemin de fer dont dix furent chargés à Florence, deux à Rome, un à Milan, un à Turin et un à Venise. La longueur moyenne du trajet était de 2.200 kilomètres […]187

.

Les œuvres sont accompagnées par des fonctionnaires spéciaux des chemins de fer italiens, auxquels s’adjoint un délégué du Comité France-Italie à Modane. Les premiers transports entre les diverses régions et les différentes villes sont effectués en autocars, fermés et capitonnés, aménagés de façon spéciale. Les œuvres sont ainsi rassemblées à Florence, Rome, Milan, Turin ou Venise, puis expédiées par chemin de fer.

Les wagons, pour le transport en chemin de fer, furent choisis parmi les meilleurs, du type dit « esquipaggio » en termes ferroviaires. Ils n’ont pour ouverture que celle, de grandes dimensions, ménagée dans le toit ; ce dispositif permet de charger des colis ayant des dimensions égales à celles de l’espace intérieur du wagon et il n’est en outre pas possible d’ouvrir le wagon avant qu’il n’ait été détaché du train. Les parois du wagon sont capitonnées. Dans le fond de chaque wagon, les caisses d’emballage sont posées sur un lit de copeaux. Les caisses d’emballage furent exécutées en bois de forte épaisseur (2cm1/2) entièrement doublées de papier goudronné et fermées par des couvercles à vis assurant une parfaite fermeture et facilitant le déballage qui peut ainsi être effectué sans recourir au ciseau et au marteau188.

Pour les toiles de grandes dimensions, le danger vient de l’oscillation pendant le trajet, qui aurait pu causer de gros dommages à la couche picturale. Des étuis rigides en bois enserrent les toiles pour empêcher la plus légère vibration. Les cadres sont placés dans les mêmes caisses que les tableaux, mais séparés par un fond de bois. Les verres sont expédiés à part. Quant aux tableaux sur bois de grandes dimensions, ils sont expédiés dans des doubles caisses.

Les sculptures sont emballées selon la « méthode usuelle » : elles sont fixées aux parois d’une caisse, au moyen de panneaux de bois dont les creux et les reliefs correspondent, à la manière d’un moulage, aux reliefs et aux creux de la sculpture ; ces panneaux sont placés entre la sculpture et la caisse ; la première caisse est ensuite enfermée dans une seconde, selon le même système adoptée pour les peintures sur bois. Une photographie

187

SANPAOLESI Piero, « Le transport et l’emballage des œuvres pour l’Exposition d’Art Italien de Paris »,

Mouseion, volumes 29-30, n°1-2, 1935, p.127

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93 accompagne l’article et illustre ce procédé : il s’agit du groupe de marbre de Giovanni Pisano, du Musée civique de Gênes, emballé dans sa caisse de bois et maintenu par des panneaux épousant les formes de la sculpture189.

Piero Sanpaolesi conclut son article de la façon suivante :

Les transports se sont effectués avec une parfaite régularité ; on n’a pas eu à enregistrer le moindre accident, malgré le nombre, la qualité, la délicatesse des quatre cents chefs d’œuvre emballés et expédiés par l’Italie dans un délai d’un peu plus de quinze jours. Il faut attribuer ce résultat remarquable au zèle qu’y ont apporté les fonctionnaires supérieurs des Surintendances, à l’habileté des artisans et aux excellents services des maisons de transport et d’emballage qui furent chargés des expéditions190.

Toutefois, ce bilan positif mis en avant par le restaurateur italien doit être nuancé, car s’il est vrai que l’expédition des œuvres s’est effectuée sans problème à l’aller, il y a eu en revanche quelques difficultés pendant l’exposition et au retour des œuvres.