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Du côté italien, Ugo Ojetti, membre du comité d’organisation pour la partie ancienne, et contributeur des notices du catalogue pour la partie moderne, est celui qui veille avec la plus grande intransigeance à la bonne tenue de cette exposition, afin de servir les objectifs du gouvernement fasciste. Il participe à la Conférence de Madrid en 1934 et effectue une intervention sur les « expositions permanentes et expositions temporaires », qui peut donner des clés de lecture intéressantes. Il part d’un constat, qui est que, de toute façon, « le musée le mieux ordonné ne saurait satisfaire à tous les besoins qui se manifestent au sein du public, savant ou profane ». Par ailleurs, il donne son opinion sur l’architecture intérieure et le décor des expositions :

Si l’on recommande à l’architecte ou au décorateur de ne point s’asservir de trop près au goût du jour, afin que la décoration des salles de musée ne risque par de « dater », au bout d’un certain temps, on pourra, au contraire, pour les expositions temporaires, laisser plus librement s’exprimer le goût personnel du décorateur ou du conservateur. Il est des rythmes, des tonalités, des architectures auxquels on ne se risquerait guère pour une salle destinée à recevoir telle ou telle collection pour plusieurs années, par crainte de lasser le public lorsque ses goûts auront changé. Or ces innovations peuvent se réaliser pour une exposition temporaire154.

On voit donc que pour lui, l’exposition temporaire peut parfaitement mettre en place un dispositif particulier, s’adaptant seulement à un type de collection, tandis que pour l’exposition permanente il vaut mieux privilégier un aménagement neutre s’accordant avec tous les types d’œuvres. Son opinion correspond assez bien à ce qui a été fait au Petit Palais : un aménagement complet afin de mettre en place un dispositif particulier correspondant à l’art italien ancien, démonté à la fermeture de l’exposition.

Selon lui, le thème de l’exposition est un premier lien entre le musée et le public, et pour que ce lien puisse être durable, il faut non seulement soigner la sélection et la présentation des œuvres, mais encore mettre à la disposition du public tout un matériel

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82 auxiliaire, alors que l’on est souvent forcé d’y renoncer dans l’exposition permanente. Ainsi, l’étiquetage explicatif doit être beaucoup plus détaillé, car on peut compter sur des visiteurs plus attentifs, plus désireux de s’instruire que dans la salle habituelle d’un musée. Il faut également présenter des catalogues attrayants, accompagnés de notices explicatives d’intérêt général. On peut dire que cet aspect n’est que partiellement réalisé lors de l’Exposition d’art Italien. Pour la partie ancienne il y a en effet des cartels, mais seulement avec le numéro du catalogue, les visiteurs n’ayant pas acheté le catalogue n’ayant donc aucune information sur les œuvres, si ce n’est le nom de l’artiste et le titre de l’œuvre. Pour la partie moderne, il ne semble pas y avoir de cartel du tout. Des conférences et des visites ont été organisées en complément, mais elles sont payantes également, et donc non accessible à tous les visiteurs.

Les envois de courrier entre les organisateurs français et italiens de l’exposition conservés aux archives ne nous donnent malheureusement que très peu d’indications sur les échanges d’idées concernant la muséographie du Petit Palais et du Jeu de Paume. Quelques ouvrages et articles apportent toutefois des éléments sur les dissensions entre les deux comités en termes de présentation.

Alors que les français voulaient dans leurs projets ménager une grande place à des œuvres antiques, placées à la fois dans une galerie d’antiques et dans les salles de peinture pour apporter une comparaison, Ugo Ojetti refuse dans un premier temps cette idée française d’inclure quelques témoignages d’art romain ancien dans l’exposition. A l’origine, le Comité italien avait par ailleurs émis le souhait de restreindre l’exposition De

Cimabue à Tiepolo en présentant seulement l’art de la Renaissance, « la période la plus

haute et la plus noble de l’Art italien»155.

Pourtant, dans son article « Leonardo’s smile », Emily Braun déclare qu’Ojetti finit par écrire à Ciano pour lui dire que l’exposition De Cimabue à Tiepolo devrait s’ouvrir par une salle dans laquelle la statue de la Louve serait placée entre les statues de César et d’Auguste, « les fondateurs de l’ordre romain »156

. Giuseppe Bottai, gouverneur de la ville de Rome, ne consent pas à prêter le bronze original de la Louve, mais Ojetti insiste et Bottai finit par en faire réaliser une copie. Lors d’un déjeuner donné le 15 mai à l’Hôtel de

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Lettre du Sénateur Borletti à Georges Contenot et Henri Verne, du 14 décembre 1934, AP, VR 244, dossier « Organisation »

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83 Ville, la veille de l’inauguration de l’exposition, cette reproduction en bronze grand modèle de la Louve du Capitole a été offerte en gage d’amitié par la Ville de Rome, « la Ville par excellence, la Ville éternelle et unique, la fondatrice des institutions municipales »157, à la Ville de Paris, symbole de ces racines latines communes à la France et l’Italie, également devenue un symbole du nouveau régime fasciste. Georges Contenot, Président du Conseil Municipal et de la Commission des Beaux-Arts de la Ville de Paris, l’exprime très bien dans son discours de remerciement : « elle est le symbole de la grandeur et de la force de Rome et du Latium antique, aujourd’hui de l’Italie toute entière »158. Du point de vue italien, comme par exemple celui du podestat de Brescia, Fausto Lechi, ce bronze représente la Victoire du peuple italien, « symbole auguste de force, de noblesse et de grâce, […] le signe de la romanité »159

, et sa mise en place dans l’exposition est donc hautement symbolique. En remettant cette reproduction de la Louve capitoline, Bottai tient le discours suivant, qui explicite la portée de l’exposition pour les Italiens :

Et je voudrais vous prier de distinguer dans cette Exposition qui, demain, va s’ouvrir, quelque chose de plus qu’une simple manifestation esthétique. C’est l’Italie même, dans son constant effort de renouvellement, qui, par le message de ses peintres, de ses sculpteurs, vous ouvre son âme, vous demande d’y voir les secrets de sa jeunesse éternelle.160

Il semblerait que pour les organisateurs italiens, l’enjeu majeur de cette exposition, qui a été de mettre en exergue la continuité et l’universalité de l’art italien depuis la Rome antique jusqu’à la Troisième Rome de Mussolini, époque de renouveau artistique, a supplanté de loin les problématiques de présentation des œuvres. Antonio Maraini, sculpteur et secrétaire général de la Biennale de Venise, bureaucrate fasciste, commissaire du syndicat national des Beaux-Arts, Président du Comité d’organisation de l’exposition d’art moderne, a eu la lourde tâche de montrer la renaissance de l’art italien sous le fascisme à travers l’art contemporain présenté au Jeu de Paume. En février 1935, Maraini avait envoyé la liste des œuvres sélectionnées, probablement rédigée conjointement avec André Dezarrois, à Ciano et Mussolini pour qu’ils approuvent. Le choix des artistes contemporains a donc eu une forte résonnance politique. Dans la préface du catalogue de

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Supplément au Bulletin Municipal officiel, 19 mai 1935, Archives de Paris (AP), VR245, dossier « divers ». Annexe XII 158 Ibid. 159 Ibid. 160 Ibid.

84 l’exposition du Jeu de Paume, il fait la promotion de cette « nouvelle et nombreuse cohorte d’artistes dignes d’être connus et appréciés hors des frontières de l’Italie, désormais unie, puissante, respectée »161. Il s’agit avant tout pour l’Italie de promouvoir son art national à travers cette Exposition d’Art Italien, cette exposition apportant la preuve de la primauté universelle de la civilisation italienne162

.

Alors que de nombreux documents attestent d’une réelle préoccupation quant à la sélection des œuvres, afin de présenter l’art italien dans toute splendeur, il n’y en a au contraire aucun qui stipule la moindre demande par rapport à la muséographie, si ce n’est la disposition de quelques œuvres à connotation fasciste. Le portrait sculpté du Chef du Gouvernement fasciste, a été placé en haut des degrés d’honneur de la rotonde d’entrée du Petit Palais, en pendant à la Louve romaine, symbole du peuple italien, et faisant écho aux bustes antiques des empereurs César et Auguste placés dans la rotonde. Raymond Escholier le mentionne dans son itinéraire, à la fin du parcours de visite : « on atteint les degrés que domine la face romaine du Chef auquel la France doit cet enchantement, Benito Mussolini »163. C’est la face du Duce, parangon de romanité, qui clôt cette exposition des maitres anciens et invite à se rendre au Jeu de Paume, où d’autres œuvres le représentant ont également été présentées. Sur une des photographies des salles d’exposition, on peut voir un magistral portrait équestre de Mussolini164

, encadré par deux bustes sculptés d’Adolfo Wildt, l’un du Duce, l’autre du roi Victor Emmanuel III portant une couronne de lauriers, accueillant le visiteur au Jeu de Paume. D’autres œuvres présentent également de fortes connotations fascistes165.