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Louis Fernand Destouches, 1894-1961.

Dans le document Ordre ou désordre (Page 115-152)

au corps fait scandale en évoquant les amours d'un adolescent et de l'épouse d'un combattant mobilisé.

Les valeurs intellectuelles ne sont pas moins atteintes. La réaction contre le rationalisme, déjà très vive à la fin du XIXe siècle, se trouve accentuée par la guerre et triomphe avec Bergson, Unamuno et le philosophe allemand Heidegger qui met en valeur la notion de l'absurde dans notre univers. Cette crise du rationalisme peut aboutir à un renouveau du sentiment religieux. Elle peut aussi déboucher sur une évasion vers l'irrationnel et sur un refus du monde présent. Ce refus se manifeste dès 1919 par le Manifeste Dada, protestation d'artistes (Francis Picabia, Marcel Duchamp, Tristan Tzara) contre l'absurdité et la faillite de notre univers et, de plus, remise en question par un non-conformisme poussé jusqu'au scandale de toutes ses valeurs intellectuelles et artistiques. Dans la même veine se développe un peu plus tard le mouvement surréaliste qui groupe autour d'André Breton, les poètes Paul Éluard, Louis Aragon, Robert Desnos, les peintres Max Ernst, Picasso, Salvador Dalí et proclame, avec la toute-puissance du rêve et de l'instinct, sa volonté de rompre avec les « modes de penser et de sentir de l'humanisme traditionnel ». Ces mouvements apparaissent comme une réaction contre la guerre, contre les élites qui l'ont déclenchée et approuvée, contre la science qui lui a fourni ses moyens de destruction massive. Empruntant à la psychanalyse ses méthodes d'investigation de l'âme humaine, ils se proposent de « rechercher l'homme caché sous le vernis de la civilisation ». Mais cette fuite dans l'irrationnel n'est pas l'unique moyen d'échapper à un système de valeurs qui a fait faillite. D'autres, parfois les mêmes, vont chercher l'évasion dans l'action révolutionnaire (Aragon), dans l'esthétisme (Valéry) ou la vie dangereuse (Malraux, Saint-Exupéry). Partout combattants et civils n'aspirent qu'au repos et à l'oubli. Le même état d'esprit fait d'anxiété et de pessimisme est commun aux vainqueurs et aux vaincus : anxiété face à l'avenir incertain ; comment trouver du travail à la démobilisation, alors que le marché de l'emploi est saturé ? Comment se ravitailler ? Dans quel type de société et de régime politique vivra-t-on ? Telles sont quelques- unes des questions qui reviennent le plus souvent.

L'horreur de la guerre apparaît plus clairement aux civils jusqu'alors soumis à la censure et au « bourrage de crâne » ; des photos, auparavant interdites, le récit des atrocités commises circulent plus librement. À la certitude d'incarner la civilisation et le progrès succède le désarroi résumé par le cri poignant de Valéry en avril 1919 : « Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles… ». L'ensemble des valeurs élaborées au XIXe siècle, sur lesquelles reposaient les sentiments de supériorité et de certitude des Européens, a été anéanti par la boucherie de 1914-1918. Deux notions fondamentales en particulier volent en éclats,

la croyance en une amélioration continue grâce aux bienfaits de la science et de la raison, la foi en une société toujours plus juste.

La guerre a profondément marqué « la génération du feu ». Très vite, les intellectuels prennent conscience qu'elle ouvre une véritable crise des valeurs. De très nombreux témoignages littéraires montrent à quel point la guerre a représenté pour ceux qui l'ont faite un choc très profond. L'expérience directe du champ de bataille inspire des œuvres qui insistent sur l'horreur des combats, sur la présence obsédante de la mort qui change l'homme, sur la peur éprouvée par les soldats dans les tranchées au long d'interminables heures.

En 1930, évoquant son expérience de guerre, Gabriel Chevallier (1895-1969) exprime dans La peur le traumatisme et l'horreur ressentis : « Debout sur la plaine. L'impression d'être soudain nu, l'impression qu'il n'y a plus de protection... Notre vie à pile ou face... Des hommes tombent, s'ouvrent, se divisent, s'éparpillent en morceaux... On entend les chocs des coups sur les autres, leurs cris étranglés. Chacun pour soi... La peur agit maintenant comme un ressort, décuple les moyens de la bête, la rend insensible... ».

Cette douloureuse expérience débouche sur la remise en question de la civilisation européenne, qui a permis ces horreurs, et souvent sur des prises de position pacifistes et antimilitaristes. Par exemple, Georges Duhamel dans Vie des martyrs (1917) et Civilisation (1918) dresse un réquisitoire contre un système qui a privilégie la richesse et la puissance au détriment de l'amour et de l'humanité et dans La Possession du monde (1919), il propose un pacifisme raisonnable et vigilant, « règne du cœur » dominant la civilisation mécanique. Henri Barbusse dans Le Feu (1916) évoque lui aussi la laideur de la guerre et l'affection fraternelle des poilus. De manière plus radicale que Georges Duhamel, il s'en prend aux fauteurs de guerre, la société bourgeoise et capitaliste, le militarisme, le nationalisme. Et il en appelle à l'entente des peuples et des démocraties. En novembre 1926, Le béquillard meusien, journal d'une association de mutilés de la Meuse, félicite l'auteur du Feu de haïr la guerre, mais juge ses positions trop peu efficaces pour l'avenir. Pour les mutilés, la paix ne peut être durable que si on éduque la jeunesse dans l'horreur de la guerre et, sans remettre en cause l'attachement à la patrie, il propose pour la jeunesse un programme d'éducation qui présente toutes les souffrances physiques et morales du combattant, véritable musée des horreurs de la guerre. Il est vrai que la guerre ne suscite pas que des réactions d'horreur : certains écrivains comme Montherlant et Drieu La Rochelle y voient une expérience héroïque et grandiose dont ils conservent la nostalgie face à l'embourgeoisement et a la médiocrité de la société d'après-guerre.

De nouveaux courants littéraires et artistiques se révèlent. Le sentiment d'une crise de civilisation donne un élan accru à un courant intellectuel né avant la guerre : le mouvement Dada exprime bien ce malaise moral et intellectuel, lui qui, à la recherche du beau à l'état brut, en vient à rejeter toute discipline, s'attaquant à la source même de la pensée et du langage : « Je détruis les tiroirs du cerveau et ceux de l'organisation sociale : démoraliser partout et jeter la main du ciel en enfer, les yeux de l'enfer au ciel... » écrit Tristan Tzara (1896-1963) dans le Manifeste Dada (1919). Ce courant de révolte intense s'assagit bientôt et donne naissance au surréalisme. Le groupe surréaliste comprend des poètes, des artistes... Son grand théoricien est André Breton (1896-1966). Rejetant tout contrôle sur la pensée qui serait exercé par la raison, toute préoccupation esthétique ou morale, les surréalistes entendent exprimer « soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière le fonctionnement réel de la pensée », ce qu'ils appellent « l'automatisme psychique pur ». On aboutit ainsi à la création d'un univers insolite, traduisant non plus le monde décevant de la réalité, emprisonné dans ses conventions, ses règles, sa discipline, mais les pulsions profondes de l'esprit, libéré de ces entraves. Le surréalisme crée ainsi un nouveau climat artistique qui ne cesse d'imprégner les œuvres les plus diverses, poésie, musique, peinture, ballet, et surtout la nouvelle forme d'art qui s'épanouit dans les années folles, le cinéma.

C

HAPITRE

6.L

ES CRISES LIEES AU PROBLEME ALLEMAND

(1919-1923)

L'Allemagne n'avait signé le traité de Versailles que contrainte et forcée, considérant comme un insupportable diktat cette paix imposée, qui la rendait responsable du déclenchement de la guerre, l'amputait de territoires ancestraux, l'humiliait, la ruinait par le paiement des réparations, coupait le Reich en deux par le corridor… (voir plus haut). En conséquence, les Allemands multiplièrent les protestations et résistèrent pied à pied aux exigences du traité jusqu'en 1923. Ils faisaient tout leur possible pour entraver la tâche de la Commission interalliée de contrôle installée à Berlin, tout particulièrement en matière de surveillance des effectifs de l’armée allemande, besogne confiée, de manière symptomatique, à la France, et en matière de surveillance des armements, responsabilité de la Grande-Bretagne. De plus, grande fut l'importance de la géopolitique (terme inventé par le Suédois Rudolf Kjellén en 1900-1905) dans les publications et congrès géographiques, l'enseignement et l'opposition violente aux tracés définis en 1919 (particulièrement le corridor et la nouvelle Autriche) ainsi qu'aux tentatives séparatistes rhénanes (Karl Haushofer, Hugo Hassinger).

Les interventions étrangères de 1920 et 1921

En 1920 se produit la première intervention militaire étrangère en Allemagne. De laborieuses discussions sur les réparations sont engagées ; elles sont bientôt interrompues : en mars 1920, à la suite de la tentative de coup d'État ultra- nationaliste de Wolfgang Kapp (1858-1922) à Berlin, qui suscite des contre- manifestations de gauche dans la Ruhr, l'armée allemande intervient en Rhénanie pour rétablir l'ordre et des troupes entrent dans la zone démilitarisée. Français et Belges réagissent vivement : ils occupent Francfort, Darmstadt et Duisbourg. Les Britanniques protestent, et dès le mois suivant, à la Conférence de San Remo, la France doit accepter de retirer ses troupes. La Conférence de San Remo réunit du 18 au 26 avril 1920 les chefs de gouvernement français (Millerand), anglais (Lloyd George) et italien (Nitti) au sujet de la non-exécution par l’Allemagne de nombreuses clauses du traité de Versailles, désarmement et réparations surtout. Il est refusé à l’Allemagne l’armée de 200 000 hommes qu’elle réclame ; elle est invitée à une prochaine conférence sur les réparations. Par ailleurs, la conférence de San Remo arrête les conditions du traité avec la Turquie (ce sera le traité de Sèvres, 10 août 1920) et attribue les mandats du Moyen- Orient (voir plus loin), en en fixant les frontières.

La même année 1920 naît le problème des réparations. Sur le principe même des réparations, il y a des voix discordantes, jusque dans le camp allié :

l'économiste anglais John Maynard Keynes (1883-1946), publie dès 1919 un ouvrage retentissant sur Les conséquences économiques de la paix ; il soutient qu'il faut aider l'Allemagne à se rétablir pour restaurer l'équilibre économique et politique européen. Les Britanniques commencent à l'écouter ; ils ne veulent ni jeter les Allemands dans les bras des bolcheviks, ni permettre à la France d'étendre son hégémonie en Europe. Dès lors s'ouvrent d'âpres marchandages entre vainqueurs et vaincus. À la Conférence de Spa, en juillet 1920, on fixe la part des bénéficiaires : 52 % des réparations iront à la France, 22 % à la Grande-Bretagne, 10 % à l’Italie, 8 % à la Belgique (voir plus haut). Mais combien l'Allemagne paiera-t-elle ? La France exige 400 milliards de marks-or, l'Allemagne n'en accepte que 27, le Royaume-Uni propose 75. On finit par se mettre d'accord, en janvier 1921, à la conférence de Paris, sur un total de 226 milliards, à payer en 42 annuités.

En 1921, deux autres interventions ont lieu. Les Français envoient des troupes en Haute Silésie pour y garantir le partage entre Pologne et Allemagne après le plébiscite (voir plus haut). Quelques mois après la nouvelle conférence de Paris consacrée au problème des Réparations (janvier 1921), l'Allemagne se déclare incapable de payer. Le front des Alliés semble se ressouder ; ils lui adressent un ultimatum, envoient (3 mars 1921) leurs troupes à Duisbourg (à nouveau), Düsseldorf et Ruhrort. Un nouvel accord est alors conclu sur l' « état des paiements » (en mars et mai 1921, conférences de Londres) : le montant des réparations est ramené à 132 milliards de marks-or « seulement », payables sous forme de 30 annuités de 2 milliards chacune et d'un prélèvement de 26 % sur les exportations allemandes.

Mais les politiques de conciliation de Lloyd George et de Briand

Les milieux économiques britanniques étaient favorables à une restauration rapide de l'économie allemande. Poussé par eux, David Lloyd George (1863-1945), Premier Ministre de 1916 à 1922, en était venu à l'idée qu'il fallait réduire le montant des réparations et, au moins, accorder aux Allemands un moratoire, c'est- à-dire des délais de paiement. Il consulta à ce sujet en novembre 1921 Briand, alors président du Conseil, et qui s’était rendu célèbre par la formule « mettre la main au collet » de l’Allemagne.

Mais ce n’était pas vraiment le tempérament profond de Briand, il pressentait une évolution future de l'opinion française en faveur de la conciliation et inclinait donc dans le même sens que Lloyd George. Sa déclaration gouvernementale du 20 janvier 1921 avait déjà dit : « Nous avons la force ; nous pourrions, nous saurions nous en servir s'il le fallait pour imposer le respect de tous les engagements souscrits.

Mais la France républicaine est essentiellement pacifique et c'est dans la paix qu'elle veut amener l'Allemagne à l'exécution des obligations contractées. »

Briand était incité par les partis de gauche, et notamment par Édouard Herriot, hostile à la politique « qui monte à l'assaut chaque fois que de grandes questions de politique extérieure se posent ». Le chef du parti radical proposait, au contraire, « une politique libérale, soucieuse des intérêts de la France, garantissant ses droits, plus humaine et par conséquent plus française » et il espérait qu’une attitude conciliante de la part de la France pourrait consolider en Allemagne le camp des partisans de la démocratie et de la paix. Enfin, Herriot se rendait compte que la France ne pouvait rester complètement isolée en face de l’Allemagne et estimait qu’il n’était pas possible de bâtir la paix sans la Grande-Bretagne.

Là-dessus, la monnaie allemande commence à s'effondrer : en octobre 1918 il fallait 4 marks pour avoir un dollar, il en faut 74 en janvier 1921, 187 en janvier 1922. L'Allemagne demande un moratoire. Une nouvelle conférence se réunit à Cannes. Les Anglais proposent la suspension des paiements. Briand, président du Conseil, est disposé à l'accepter. Non par idéalisme naïf, comme on l'a dit souvent, mais parce qu'il ne veut pas isoler la France : impossible de se brouiller à la fois avec les Allemands et les Britanniques ! Impossible de créer une « mésentente cordiale » avec la Grande- Bretagne ! Prophétique, il annonce : « Nous allons nous trouver bientôt enserrés par deux puissances formidables, les États-Unis et la Russie. Vous voyez bien qu'il est indispensable de faire les États-Unis d'Europe » (cf. Victor Hugo).

Les deux pays élaborèrent un plan : la France accepterait qu'on accordât le moratoire à l'Allemagne ; en échange, la Grande-Bretagne donnerait à la France un gage de sécurité, la signature, enfin, d'un « traité de garantie » (voir plus haut). Sur cette base de la promesse d'une intervention anglaise en cas d'attaque allemande, la conférence de Cannes aboutit à un accord bilatéral (janvier 1922). Mais devant l'opposition au moratoire des ministres et du président de la République (Millerand), Briand fut contraint de démissionner (12 janvier 1922) et fut remplacé par l'homme de la « politique d'exécution », Poincaré.

Raymond POINCARÉ(1860-1934)

L’itinéraire politique de Raymond Poincaré écrit à lui seul un manuel d’histoire parlementaire et gouvernementale de la IIIe République. Surtout pour les jalons les plus classiques qui vont de l’enracinement des années 1890 à la fin des années 1920 ; le parcours ne suit ni les incertitudes de la période fondatrice ni les remises en cause finales. Tout paraît favoriser cette indentification avec la culture politique qui domine

jusqu’à la Grande Guerre. Tradition républicaine et credo patriotique se nouent dans l’héritage familial, notamment paternel. Raymond Poincaré est né à Bar-le-Duc, en Lorraine, où son père était ingénieur des Ponts-et-Chaussées, et il est le cousin du mathématicien Henri Poincaré (1854-1912). Il a dix ans quand sa ville natale est occupée (temporairement) par les armées prussiennes et ce fait le marque durablement : il permet de comprendre ses futures conceptions de politique étrangère. Il fait sa terminale (philosophie) à Louis-le-Grand (1876-1877, internat, qu’il supporte très mal : il quitte le lycée avant la fin de l’année scolaire). Il étudie ensuite le droit avec sérieux, toujours à Paris, mais dans une petite chambre du Boul’ Mich’, devient avocat et de surcroît chef de cabinet du Ministre de l’Agriculture (1886) ; il commence une carrière politique dans le département de la Meuse où ses relations familiales (riche bourgeoisie provinciale) lui facilitent la tâche. Sa véritable carrière politique commence une fois les crises initiales du régime surmontées, une fois le boulangisme, Panama et les incertitudes institutionnelles balayées.

Il est élu conseiller général, puis député (opportuniste) en 1887 (une partielle), avant de devenir sénateur de la Meuse en 1903. Au Parlement, il se voue aux questions techniques, en particulier à l'étude du budget. Rapporteur de la Commission des Finances en 1892 il va connaître, grâce au scandale de Panama qui discrédite le haut personnel politique en place, une carrière ministérielle précoce. En 1892, il est en effet nommé ministre de l'Instruction Publique et, dès 1893, à 33 ans, accède au ministère- clé des Finances, y revenant à diverses reprises, en 1895 et 1896. Il apparaît alors comme une des étoiles montantes du groupe des Progressistes, avec une modération politique typique mais une stricte laïcité. Cependant l'affaire Dreyfus, durant laquelle il se déclare dreyfusard, va représenter une éclipse dans sa carrière ministérielle, cette semi-retraite lui permettant par la suite de se présenter en réconciliateur des Français. De la même manière, pendant la période du combisme, Poincaré s'efface, se gardant de prendre parti et ses collègues avocats ironisent en le voyant quitter sa robe pour aller assister à une séance de la Chambre : « Il court s'abstenir ! ». Chez Poincaré, nulle spontanéité, mais la volonté de soigner son personnage, de se forger patiemment une image de marque, celle d'un patriote, d'un homme d'apaisement et de conciliation. Il entend se présenter comme un guide sûr et sérieux, conscient d'avoir à jouer un rôle historique, attendant patiemment l'heure où il apparaîtra comme l'homme de la situation. Sa carrière se place très tôt dans le registre symbolique de l’« homme d’État ». Depuis 1895, il pratique une sorte de « grève des ministères », refusant toute participation gouvernementale, comme pour se placer en « réserve de la république », mais aussi pour se préserver du monde parlementaire, qu’il critique, et exercer son métier d’avocat, qui continue de le passionner. En attendant, son attachement aux institutions et à la laïcité le fait considérer par la gauche comme un véritable républicain, tandis qu'il rassure la droite par son patriotisme de Lorrain et son opposition au projet d'impôt sur le revenu proposé par Caillaux. Soutien de Waldeck- Rousseau jusqu’en 1902, il s’abstient devant le laïcisme de Combes, sans pour autant rejoindre l’opposition déclarée. Poincaré poursuit sa carrière d’avocat, avec une scrupuleuse et célèbre honnêteté, mais en gagnant beaucoup d’argent, retrouve le

ministère des Finances en 1906, est élu à l’Académie française en 1909 (il était depuis longtemps l’ami de nombreux hommes de lettres et il sera longtemps l’avocat de la Société des gens de Lettres).

Quand Caillaux perd le pouvoir à la suite du règlement de la crise d'Agadir, l'heure est grave. Il n'y a pas d'unité entre Français, et la menace de guerre rend nécessaire la présence à la tête du gouvernement d'un homme qui puisse joindre à la sagesse, l'autorité et la compétence ; le nom de Poincaré s'impose alors aux esprits et Fallières, lorsqu'il appelle l'avocat lorrain en janvier 1912 au poste de président du Conseil, interprète le vœu de la nation qui attend un sauveur. Poincaré est d'ailleurs décidé à accorder la priorité aux problèmes extérieurs et il prend pour lui le ministère des Affaires étrangères. À la politique pacifique de Caillaux, il va substituer une politique de fermeté envers l'Allemagne. Il s'efforce avant tout de resserrer les liens diplomatiques avec l'Angleterre et la Russie et se rend à Saint-Pétersbourg en 1912. À l'intérieur, malgré l'hostilité des radicaux, il fait voter une loi comportant un scrutin de liste avec représentation proportionnelle. Dès la fin de l'année 1912 Poincaré fait savoir qu'il est candidat à la succession de Fallières à la présidence de la République. Cette décision peut surprendre de la part d'un homme décidé à gouverner énergiquement,

Dans le document Ordre ou désordre (Page 115-152)