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J P.Derrienic, Le Moyen Orient au XXe siècle Sociétés politiques et relations internationales, Armand

Dans le document Ordre ou désordre (Page 78-82)

soutenant en Turquie… la lutte de Mustapha Kemal remettant en cause le traité de Sèvres et désirant chasser les Grecs, protégés des Britanniques, d'Asie mineure.

Quant aux mandats eux-mêmes, à la Conférence de la Paix il avait été prévu des mandats « A », non délimités, et c’est la conférence trilatérale de San Remo (Grande-Bretagne, France, Italie) qui, en avril-mai 1920, attribue à la France le mandat sur la Syrie, que la France va partager en deux États et à la Grande-Bretagne le mandat sur l’Irak et la Palestine, d'où les Britanniques détacheront en 1921 la Transjordanie en la fermant à la colonisation juive. Cet accord ne sera entériné que plus tard, le 24 juillet 1922, par la SDN. Et la paix de 1920 envisage même un État kurde (autonome) et un État arménien (indépendant). Le nouveau traité de Lausanne, du 24 juillet 1923, remplace celui de Sèvres : les Turcs gardent toute l’Asie mineure et, en Europe, la Thrace orientale avec Andrinople (voir plus haut) ; c’est la fin des espoirs des Arméniens et des Kurdes, d'autant plus que le pétrole d'Irak pèse contre ces derniers ! En outre, la frontière avec l’Irak n’est pas fixée à Lausanne, mais laissée à une négociation bilatérale entre Britanniques et Turcs : les Kurdes ne peuvent être que lésés !

Le bilan à moyen terme est simple à établir. D’une part, c’est l’échec de la politique britannique d'appui sur la dynastie hachémite, qui est évincée d'Arabie par Ibn Séoud (chef de la secte musulmane des Wahhabites, émir de Riyad, prise aux Turcs en 1902). Hussein, chérif (titre que portent les descendants du prophète, gardiens des Lieux saints) de La Mecque depuis 1908, roi du Hedjaz, à l’Est, depuis 1916, bénéficiaire des promesses britanniques, est évincé par l’émir de Riad. Ibn Séoud (ou Saoud) devient en effet roi du Hedjaz et du Nejd (territoire qui devient le royaume d'Arabie saoudite en 1932).

Né en 1876 ou 1880, Ibn Séoud avait entrepris la conquête du Nejd, ancien royaume de son grand-père, en 1902. Après avoir monnayé auprès des Britanniques sa neutralité pendant la Première Guerre Mondiale, il s’empare de La Mecque en 1926 et devient roi du Hedjaz. Il régnera jusqu’à sa mort, en 1953. Son fils Saoud lui succédera, jusqu’à sa destitution par l’émir Fayçal (1964), qui montera sur le trône.

Ibn Saoud parvient à faire reconnaître son royaume au plan international ; une guerre contre le Yémen en 1934 fixe les frontières méridionales. Selon la volonté du fondateur du royaume, ses fils (au nombre de 42 ou 45 !) devaient lui succéder par rang d’âge. En 1953, le plus vieux montera effectivement sur le trône. En dédommagement, les Britanniques placent les Hachémites Fayçal et Abdallah (fils de Hussein) respectivement sur les trônes d'Irak (1921) et de Transjordanie (1921, elle deviendra la Jordanie en 1946, le roi sera remplacé par un nouveau Hussein en 1952). En corollaire, on observe la division du monde arabe et l’impuissance de la Grande-

Bretagne, qui ne réussit pas à empêcher la pénétration des compagnies pétrolières américaines en Arabie. En 1933, l’Arabie séoudite s’ouvre en effet à l’Aramco (Arabian- Americain Company, société fondée par la Standard Oil of California et Texaco). Les exportations débutent en 1939. Presque en même temps des concessions ont été obtenues dans le sultanat de Bahreïn (1932, à BP et la Standard Oil of New Jersey) et au Koweït (1934, BP et l’américaine Gulf), qui avait signé un traité avec les Britanniques en 1899 et que le Royaume-Uni a détaché de l’Irak (Iraq), alors qu’il avait fait partie nominalement de la province ottomane de Bassorah.

D’autre part, des attentats et des émeutes éclatent rapidement en Palestine contre la puissance occupante, qui sera contrainte de reconnaître l’indépendance de l’Irak en 1930 (il est admis à la SDN en 1932), et qui assiste, impuissante, à la montée du panarabisme et du panislamisme. Le centre du panarabisme est alors l’Égypte, autour du mouvement Al-Manar (« le Phare », moderniste). Le panarabisme est favorisé par l’unité linguistique, l’amélioration des communications et le désir de résister au sionisme. Mais il est gêné par l’existence de minorités non arabes (Kurdes, pourtant sunnites, Chaldéens), le morcellement politique, les rivalités dynastiques et le peu d’écho rencontré dans les masses. Dès 1920, le congrès de Damas proclame Fayçal (voir plus haut) « roi des Arabes ». Le panislamisme ne doit pas être confondu avec le panarabisme. Il est religieusement hostile aux juifs de Palestine et aux minorités chrétiennes d’obédiences diverses, coptes d’Égypte et Maronites du Liban, par exemple. Cependant il est gêné par des divisions : la vieille opposition entre Sunnites et Chiites (nombreux au Liban et en Mésopotamie), l’existence de sectes et de nombreuses minorités (Zaïdites au Yémen, Druses et Alaouites en Syrie et au Liban) et, d’ailleurs, des groupes religieux n’appartiennent à aucune des grandes religions monothéistes (par exemple : les Zoroastriens d’Iran). Les Druses (ou Druzes) sont issus d’une scission de l’ismaélisme (groupe chiite suivant une doctrine inspirée de l’ésotérisme). Originaire d’Égypte, la secte druze, persécutée par les musulmans orthodoxes, s’était réfugiée en Syrie au XIXe siècle. Les alaouites sont des adorateurs d’Ali, cousin et gendre de Mahomet. L’alaouitisme révèle une volonté de syncrétisme.

Notons que, parallèlement, en Égypte, occupée depuis 1882 et proclamée protectorat britannique en 1914, se développe l’agitation nationaliste du parti Wafd de Saad Zaghloul (1858-1927).

Wafd (« délégation »). Le parti avait été fondé en 1907, en même temps que le parti Watan (patrie), dirigé par Mustafa Kamel. Après la mort en 1927 de Zaghloul, Mustafa el-Nahas dirige le Wafd (jusqu’en 1952).

Lloyd George, en 1922, met fin théoriquement au protectorat, mais l’armée britannique demeure et le Haut-Commissaire du Royaume-Uni surveille la politique étrangère, d’où la poursuite de l’agitation. En 1936 enfin est signé un accord entre la Grande-Bretagne et le nouveau roi, Farouk (qui vient de succéder à son père, Fouad, 1917-1936) : l’Égypte devient indépendante, et elle entre à la SDN en 1937, mais elle signe une alliance, par crainte du fascisme par les Britanniques ; quant au Soudan, il devient « anglo-égyptien ».

Enfin, la Grande-Bretagne abandonne le protectorat de fait qu’elle exerçait sur l’Afghanistan (officiellement en 1919, de fait dans années 1920).

Conclusion du chapitre 4 :

En profondeur, ni vainqueurs ni vaincus, la défaite de toute l'Europe

Les ressentiments sont multipliés par rapport à la situation d’avant- guerre. C’est ainsi que le morcellement balkanique, générateur de tensions avant 1914, est étendu à toute l'Europe centrale. Le règlement de la paix est contesté de toutes parts : l'Allemagne dénonce un Diktat méprisant ses droits, l'Autriche et la Hongrie sont mécontentes, car réduites à la portion congrue, quant à la Russie, elle a été tenue à l’écart, et l'Italie est frustrée de sa victoire. Les nouveaux États d'Europe Centrale souffrent d’un grave manque d'homogénéité : d'importantes minorités ethniques regardent vers l'extérieur. Les deux principaux vainqueurs eux-mêmes sont divisés : la France est pour un maximum de réparations allemandes, l'Angleterre pour la modération, faille exploitée par Berlin (cf. Rapallo, 1922). L'affaire de la Ruhr (1923) sera la cristallisation de tous les antagonismes. La paix est donc imparfaite, inachevée, mais pouvait-il en être autrement de la part des hommes de 1919-1920 ?

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A PAS TOUT RESOLU

Quelle est la véritable fin de la Première Guerre mondiale ? En fait guère le 11 novembre 1918, ni le traité de Versailles, ni le défilé de la Victoire du 14 juillet 1919, ni même les autres traités de paix, échelonnés en 1919 et 1920. Pourquoi ? En raison de la « transition violente de l’Europe qui la fit passer de la guerre mondiale à une "paix" chaotique », à cause de la longue séquence de guerres et violences de guerre s’étendant de 1917 à 1923, cette dernière date (traité de Lausanne avec la Turquie de Kémal) étant en quelque sorte la véritable fin de la Première Guerre mondiale, ce qui était clairement explicite dans le titre de l’ouvrage publié primitivement en anglais en 2016 par Robert Gerwarth 1.

Qui a gagné la Première Guerre mondiale ?

Pour un spectateur du défilé de la victoire, sur les Champs-Élysées, le 14 juillet 1919, aucun doute : la France a gagné la guerre avec l'aide de ses alliés ; les démocraties ont vaincu les régimes autoritaires. Au même moment, à Varsovie, Belgrade et Prague, on célèbre le triomphe des nationalités sur les empires. Pourtant, avec le recul, le bilan est moins facile à établir. La guerre conduit d'abord à un déclin de l'Europe, affaiblie et divisée. Où se situent dès lors les vraies victoires ?

L'apparence de 1919 est la victoire des démocraties libérales et des nationalités 2. La signification du conflit est en effet apparemment clarifiée depuis 1917. En 1914, deux alliances militaires étaient face à face, Triplice (ou Triple Alliance) et Triple Entente (ou Entente). L'idéologie était apparemment au second plan, la Russie tsariste étant le principal soutien de la France républicaine. Une ambiguïté fut levée après la chute de Nicolas II et l'intervention américaine : il y eut une nette opposition entre un camp libéral, mené par la France, le Royaume-Uni et les États-Unis, et un camp autoritaire, conduit par l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie. Malgré certaines contradictions (nature de plusieurs régimes liés à l'Entente, redistributions coloniales, etc.), il y a une vérité apparente dans le dernier ordre du jour de Foch : « Vous avez sauvé la liberté du monde ». On peut penser en 1919 que le monde va vers une 1 R.Gerwarth, Les Vaincus. Violences et guerres civiles sur les décombres des empires. 1917-1923, trad.

fr., Seuil, 2017, 480 p., réédition, coll. « Points », 2019, 592 p. Le titre anglais était The Vanquished.

Why the First World War Failed to End, 1917-1923. La citation est de la page 18 du texte français de

2017.

Dans le document Ordre ou désordre (Page 78-82)