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Bibliographie récente : C.Drieu, « Situation révolutionnaire au Turkestan (février 1917-février 1918).

Dans le document Ordre ou désordre (Page 75-78)

Les dynamiques locales des révolutions russes », dans S.Cœuré & S.Dullin dir., « 1917, un moment révolutionnaire », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, juillet-septembre 2017, pp. 87-101.

populaire », sous le contrôle étroit des Soviétiques. Elle est la première en date des démocraties populaires.

Conclusion pour la Russie : le cordon sanitaire est très imparfaitement réalisé, mais relativement efficace en Europe de l'Est. Lourd est le ressentiment de la part des Soviétiques vis-à-vis de l'Occident, léger finalement à l'égard des Japonais.

La dislocation de l'empire ottoman au Moyen-Orient

Le Moyen-Orient s’avère, sur le long terme, la région du globe la plus touchée par les conséquences de la Première Guerre mondiale. Le contexte du traité de Sèvres (10 août 1920, voir plus haut, cf. carte) est très particulier. Les problèmes extra-européens ont été relativement secondaires dans le rétablissement de la paix. D'une manière générale — ici et pour les colonies allemandes — on négligea totalement le mouvement d'éveil des peuples coloniaux, accéléré par la guerre, la révolution de 1917 et les idées de Wilson. À la conférence de la Paix, de très nombreux messages furent pourtant apportés, des délégations vinrent. Sionistes et arabes (Fayçal, second fils de Hussein, Nouri Saïd, futur premier ministre d’Irak) sont représentés. On négligea aussi totalement, l’année d’après, le Congrès des Peuples opprimés de Bakou (1920, voir plus loin).

« Moyen-Orient » est un concept géopolitique d’origine anglo-saxonne inventé à la fin du XIXe siècle et qui tend à se substituer à l’expression française Proche-Orient, ce qui donne à cette expression un sens restreint, la partie Ouest du Moyen-Orient, le Levant au fond.

Au Moyen-Orient, pendant la guerre, des accords avaient été passés par les Britanniques avec le chef de la dynastie hachémite, l'émir arabe Hussein du Hedjaz (1916) en échange de son entrée en guerre contre les Turcs. Ils envisageaient la création d'un vaste royaume arabe entre le Golfe persique et la Méditerranée. Toutefois rien n’était simple : l’arabe est la langue de la moitié des habitants actuels du Moyen- Orient, mais ceux-ci ne représentent qu’environ les deux tiers des arabophones du monde ; les Musulmans du Moyen-Orient ne représentent qu’environ un cinquième de la population musulmane actuelle de la planète.

Cependant la diplomatie anglaise avait été aussi responsable de la Déclaration Balfour (2 novembre 1917) promettant aux juifs un Home national, et encore des accords Sykes-Picot du 16 mai 1916. Passés entre la France et la Grande-

Bretagne après les négociations menées entre François Georges-Picot (1870-1951) et Mark Sykes (1879-1919, 1) de janvier, les accords étaient restés secrets jusqu'en décembre 1917, quand les bolcheviks les transmirent aux Turcs, qui s'empressèrent de les publier pour embarrasser les relations anglo-arabes ! L’Angleterre administrerait la Mésopotamie, de Bagdad au golfe Persique, ainsi qu’une zone côtière en Palestine, de Haïfa à Saint-Jean-d’Acre (le reste de la Palestine serait doté d’une administration internationale) et elle exercerait son influence sur la Transjordanie, le nord de l’Arabie et l’ouest mésopotamien. La France administrerait le reste du littoral du Levant, de Saint-Jean-d’Acre à l’ouest d’Adana, ainsi que la Cilicie ; elle exercerait son influence sur la Syrie et la haute Mésopotamie (la région pétrolifère de Mossoul, à peuplement kurde). La Russie administrerait l’Arménie.

Il y avait eu enfin les accords de Saint-Jean-de-Maurienne d'avril 1917 (voir plus haut) avec la France et l'Italie qui partageaient secrètement les futures dépouilles de l'empire ottoman : deux zones britanniques (la « rouge », d'administration directe, et l’ « arabe B », d'influence anglaise) ; deux zones françaises (la « bleue », d'administration directe, et l’ « arabe A », d'influence française, la Palestine étant, à l'origine, dans ces zones françaises) ; une « zone brune » pour Jérusalem ; l'Arménie turque devant revenir à la Russie ; le sud-ouest de l’Anatolie serait dans le lot italien (mais la région de Smyrne est, de façon secrète promise à la Grèce). Il y avait donc un vaste ensemble de promesses contradictoires !

Et tout cela sur fond de pétrole, le pétrole de Mésopotamie. Le premier pétrole du Moyen Orient est découvert en Iran (1908), par un Anglais, qui fonde en 1909 l’Anglo-Persian Oil Co, société qui, en 1914, avec la participation de l’Amirauté britannique, devient la British Petroleum (BP). Peu après du pétrole est découvert en Mésopotamie, près de Kirkouk et de Mossoul, c’est-à-dire des régions kurdes de l’empire turc : une Turkish Petroleum Company est fondée, avec des capitaux étrangers très majoritaires (anglais, allemands…), mais aussi… un étrange personnage, Calouste Sarkis Gulbenkian (1869-1955), Arménien qui avait acquis la nationalité britannique en 1902, et qui avait réussi à acheter à l’Empire ottoman… le sous-sol de Mossoul ! À la Conférence de Paris les vainqueurs se partagent la Turkish Petroleum Company (la France obtient la part allemande, soit 23,75 %), qui devient en 1928 l’Iraq Petroleum Company (IPC), dans laquelle des capitaux américains se glissent alors. Évidemment les Turcs n’ont plus rien, les Kurdes n’ont rien du tout, l’Italie a la portion congrue, la Grande-Bretagne a une grosse part (23,75 %, pour l’Anglo-Persian), mais celle de la 1 Il a été victime de l’épidémie de grippe espagnole. Les accords Sykes-Picot ne sont que l’une des

étapes du démembrement de l’empire Ottoman et ils ne sont mythifiés, par les opinions arabes et turque, que tard.

France est identique : 23,75 % des pétroles du nord de ce qui va devenir le protectorat anglais d’Irak (ou Iraq). La France créera en 1924 pour exploiter cette richesse bien venue la Compagnie française des Pétroles (CFP) 1 et les vainqueurs font place aux Pays-Bas neutres (23,75 % : poids de la Royal Dutch Shell, déjà actionnaire de la TPC) et aux États-Unis (23,75 % aussi), « associés » et dotés de compagnies pétrolières d’importance mondiale.

Après la Seconde Guerre mondiale, la CFP sera rejointe par le BRP (Bureau de Recherche du Pétrole), la RAP (Régie autonome des Pétroles), l’UGP (Union générale des Pétroles), puis Elf-Erap (Essences et Lubrifiants français), dont tout le capital sera aux mains de l’État. La CFP deviendra Total.

Les sociétés américaines étaient déjà actionnaires de la TPC et il y avait un grand nombre de consuls américains en Turquie, qui, en particulier, avaient bien renseigné le monde entier sur le génocide des Arméniens en 1915. Mais place est faite aussi à Gulbenkian (puisque propriétaire en titre de Mossoul !) : il reçoit un dédommagement forfaitaire considérable, plus 5 % des actions de l’IPC (à vie) : jusqu’à sa mort (en 1955), il sera « Monsieur 5 % » !

Cette Turquie défaite et humiliée va connaître un brusque sursaut. À la surprise de l’Entente, qui avait tendance à les tenir pour quantité négligeable, les Turcs avaient pendant la Première Guerre mondiale résisté, malgré leurs faiblesses, et ils avaient duré autant que leurs alliés, mais au prix de sacrifices immenses ; l'Empire ottoman sort complètement exsangue de la guerre. Au traité de Sèvres (voir plus haut), « paix carthaginoise », la Turquie du sultan Mehmed VI devient un protectorat de fait : « Plus faible et plus pauvre que l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie, la Turquie a été traitée beaucoup plus sévèrement par les vainqueurs, mais, contrairement à ses deux anciens alliés, elle parviendra bientôt à remettre en cause avec succès sa défaite de 1918. » 2. Elle est soumise à une occupation très large de son territoire par les troupes alliées. La Cilicie est placée sous mandats français ou anglais, le sud-ouest anatolien est cédé à l’Italie, le district de Smyrne (Izmir), peuplé en majorité de Grecs est remis à la Grèce, à charge d’organiser un référendum dans un délai de 5 ans. La France est rivale de la Grande-Bretagne quant aux dépouilles méridionales de l'ancien empire ottoman. L'occupation de la Syrie et du Liban la met en concurrence directe avec les Britanniques rêvant de constituer un royaume de Grande Syrie. La France se venge en 1 Cf. F.Pelletier, « Pétrole et enjeux politiques en France. La naissance d’un secteur stratégique »,

Vingtième Siècle. Revue d’histoire, octobre-décembre 2018, pp. 123-136.

Dans le document Ordre ou désordre (Page 75-78)